Instinct maternel, science et post-féminisme

Les écrits d’une sociobiologiste servent régulièrement de caution scientifique à l’idée qu’il existe un « instinct maternel ». Deux magazines de vulgarisation viennent d’en donner un nouvel exemple. S’agit-il vraiment de vulgarisation scientifique, ou de la défense d’une croyance « post-féministe » ?

Pour la rédactrice en chef de Sciences Humaines, l’un des objectifs de ce magazine de « vulgarisation en sciences humaines » est « d’articuler des travaux scientifiques […] avec les questions que chacun peut se poser » [1]. Se proposant de répondre à la question de savoir s’il existe un éternel féminin, un article du numéro de mars 2012 oppose à la « thèse culturaliste » d’Elisabeth Badinter celle de Sarah Blaffer Hrdy, pour qui « il existe d’importants soubassements biologiques (hormones de grossesse, odeur dégagée par le nourrisson, etc.) qui peuvent expliquer les mécanismes biologiques de l’attachement maternel » [2]. Quelques lignes plus haut, l’auteure de l’article oubliait le conditionnel en écrivant, s’exonérant comme de coutume de citer des références scientifiques : « La testostérone rend les hommes plus vulnérables mais plus enclins à la prise de risques. L’ocytocine rend les femmes douces et empathiques. ».

En couverture de son numéro de février 2012, le magazine Sciences et Avenir affiche quant à lui sa volonté de mettre « la science face aux idées reçues » concernant les différences entre hommes et femmes. Répondant à la question « testostérone et ocytocine : quelle influence ? », un premier article nous apprend que :
« Si les études restent donc incertaines sur le rôle de la testostérone, certaines semblent en revanche démontrer que d’autres hormones, comme l’ocytocine, peuvent parfaitement nous mener par le bout du nez. Impliquée lors de l’accouchement et de la lactation, il paraît acquis que cette dernière a un rôle dans le renforcement du lien parental, qu’il soit maternel ou paternel. […] Une chose est sûre : concernant la dépendance à l’ocytocine, hommes et femmes seraient sur un pied d’égalité…» [3].

L’ocytocine est naturellement secrétée en quantité chez les parturientes. Par conséquent, malgré l’apparente proclamation d’égalité entre les sexes, le lecteur pourra conclure de ce paragraphe que cette hormone contribue à la création d’une dissymétrie naturelle entre mères et pères dans le renforcement du lien parental. Bien qu’il semble avoir été influencé par les hypothèses de recherche d’Angela Sirigu (qu’il cite au sujet d’effets de l’ocytocine sur des patients autistes), le journaliste n’étaie son propos ni par des publications scientifiques, ni par une parole d’expert. En revanche, dans un autre article du même dossier censé cette fois démonter le cliché selon lequel les femmes sont naturellement maternelles [4], sa collègue cite un livre de Sarah Blaffer Hrdy de 2002 [5] à l’appui de l’idée qu’ « il existe bien des mécanismes biologiques qui attachent la mère à son petit (odeurs, gènes, hormones) ».

Un discours inscrit dans la continuité d’un mouvement initié dans les années 2000

Les discours tenus dans l’espace public contribuant à naturaliser la prise en charge des nouveau-nés par leur mères ne datent pas d’hier [6]. En France, ceux des années 2000 se distinguent cependant par la réunion de trois caractéristiques : l’invocation des propriétés supposées de l’ocytocine, celle de Sarah Blaffer Hrdy, et le fait que leur diffusion soit très majoritairement assurée par des femmes, souvent dans une optique féministe.

Dès 2001, dans L’amour scientifié, Michel Odent défend la théorie selon laquelle l’ocytocine libérée lors de l’accouchement – s’il a lieu dans les conditions favorables qu’il préconise – est la source de l’amour maternel qui naît ainsi naturellement. Le discours de cet obstétricien, militant de longue date contre l’ « industrialisation de l’accouchement » qu’il compare à celle de l’agriculture, s’inscrit dans la promotion de l’ « accouchement naturel ». Ce mouvement, revigoré avec la montée en puissance des pensées écologistes, a été initié à la maternité des Bluets dans les années 1950 avec l’invention de l’ « accouchement sans douleur » censément permis par la déprogrammation des conditionnements sociaux subis par les femmes.

Des sages-femmes et féministes revendiquant la « démédicalisation » de l’accouchement et sa « réappropriation » par les femmes œuvrent activement à la diffusion de cette théorie dans ce cadre [7]. Mais c’est surtout à partir de 2004 que la théorie de l’ocytocine comme « hormone de l’amour » se répand dans l’espace public français, via les livres de Lucy Vincent et leur promotion dans les médias [8]. L’ex-chercheuse en neurobiologie avait en effet découvert en 2003 les travaux de Young et Insel sur le rôle de l’ocytocine chez le campagnol, et conclu (à raison) que leur extrapolation à l’explication de l’amour chez l’Homme constituerait un sujet très porteur pour des livres grand public [9].

En parallèle, le livre dans lequel Blaffer Hrdy argumente en faveur de l’existence de processus biologiques favorisant les comportements maternels y compris chez les femelles humaines est traduit en 2002 (cf [5]), recevant un accueil favorable dans les médias. Ainsi en 2003, le rédacteur en chef du magazine Sciences Humaines de l’époque lui consacre un long compte-rendu. Il y relaie notamment, les présentant comme acquises, les hypothèses de Blaffer Hrdy concernant des mécanismes biologiques impliquant gènes, odeur du nourrisson et hormones provoquant des pulsions maternantes chez les mères [10].

En 2006, France 3 coproduit, avec une société de production française de documentaires animaliers et scientifiques haut-de-gamme, un film entièrement consacré aux thèses de Blaffer Hrdy exposées dans ce livre, écrit et réalisé par deux femmes avec sa participation. Intitulé Il était une fois l’instinct maternel, il est diffusé une première fois sur la chaîne en avril 2009, faisant l’objet d’une recension élogieuse par une journaliste de Télérama [11]. Au travers d’une séquence sur les femelles campagnols agrémentée du témoignage d’une chercheuse de la même université que Blaffer Hrdy [12], on y explique que l’ocytocine est « ce qui déclenche le comportement maternel » (on apprend aussi au passage que « l’amour romantique est aussi un effet de l’ocytocine, surtout chez les femmes »). Alternant considérations éthologiques et sociobiologistes, le documentaire loue l’organisation sociale de la maternité régnant dans un groupe ethnique tanzanien « vivant comme nos ancêtres préhistoriques » (sic) offrant, quant à elle, un contexte favorable au développement de l’instinct maternel [13].

Réactivation de la thèse de Blaffer Hrdy en 2010 contre Elisabeth Badinter

En février 2010, la philosophe et essayiste Elisabeth Badinter publie Le Conflit. La femme et la mère. Elle y dénonce le retour en force du naturalisme réhabilitant le concept d’instinct maternel et valorisant le dévouement des femmes à leurs enfants. Cette parution déclenche de nombreuses réactions critiques. En particulier, son rejet de l’existence d’un instinct maternel est dénoncé comme parti-pris idéologique.

C’est ainsi le cas dans L’Express [14] et dans Le Point [15], où aucune source scientifique n’est toutefois citée pour la contredire. Il en est de même lorsque la pédiatre et députée UMP Edwige Antier, visée dans le livre, est interviewée dans Le Journal du Dimanche et au Journal de 20 heures de France 2 : elle n’invoque que l’évidence dont Badinter serait dans le déni, et décrit la thèse de Badinter comme s’inscrivant dans un « archéo-féminisme » [16], comme le font des écologistes féministes également visées dans le livre de Badinter [17].

Lorsque les critiques mobilisent l’argument scientifique, c’est Blaffer Hrdy qui est citée. Ainsi dans Le Nouvel Observateur, les deux journalistes (femmes) interpellent Badinter en lui assénant que « des études scientifiques rigoureuses, celles de Sarah Hrdy justement, établissent que l’instinct maternel n’est pas un mythe » [18]. L’une des deux publie ensuite avec une autre collègue, sur le site littéraire du Nouvel Observateur, une interview de Blaffer Hrdy [19]. Elles y écrivent sans ambages, après avoir décrit « l’hypothèse de la “mère socialement construite” » comme étant une thèse franco-française due à Simone de Beauvoir et Elisabeth Badinter, que « la chercheuse démolit cette doctrine ». Sans autre référence que sa propre autorité, Blaffer Hrdy y explique que le comportement maternel est évidement sous l’influence de processus biologiques naturels, citant le rôle de l’ocytocine [20]

Deux mois plus tard, Sciences Humaines consacre un dossier à ce que la rédactrice en chef du magazine et coordinatrice du dossier appelle « L’ère du post-féminisme ». Dans un article qu’elle signe elle-même, elle range Badinter parmi les féministes qui « continuent de voir les femmes comme d’éternelles victimes manipulées ». Elle attribue son rejet du « constat » de l’existence de différences psychiques naturelles entre les sexes à un parti-pris idéologique empêchant de prendre acte des avancées scientifiques (notamment de la psychologie évolutionniste), et renvoie dans une note bibliographique au livre de Blaffer Hrdy de 2002 ainsi qu’à son interview publiée sur le site du Nouvel Observateur [21].

Des « études scientifiques rigoureuses » de Sarah Blaffer Hrdy ont-elles vraiment établi l’existence d’un instinct maternel chez les femmes ?

Rappelons tout d’abord que Sarah Blaffer Hrdy est primatologue. Bien que soutenue après un master en anthropologie et enregistrée dans cette discipline, sa thèse portait sur l’explication de l’infanticide par les mâles chez les langurs Hanuman, des primates du sous-continent indien [22]. Ces recherches novatrices, codirigées par les sociobiologistes Robert L. Trivers et Edward O. Wilson, ont donné lieu à trois articles scientifiques : deux portant sur les langurs en 1974 et 1976, et un sur l’infanticide chez les animaux en 1979, dans le premier numéro d’une revue de sociobiologie promise à une longue carrière [23]. Après cette date, elle n’a publié dans des revues scientifiques qu’une demi-douzaine d’articles mineurs, dans des revues d’éthologie (American Journal of Primatology, Animal Behavior) ou spécialisées en sociobiologie ou psychologie/anthropologie évolutionniste (Human Nature, Ethology and Sociobiology, Evolutionary Anthropology). Sa production est caractérisée par la volonté de proposer des explications des comportements sexuels et parentaux s’inscrivant à la fois dans le cadre de la théorie évolutionniste et dans une perspective féministe revendiquée. En fait, c’est surtout en dehors des revues scientifiques qu’elle a défendu ses hypothèses, notamment avec son livre publié en 1981 (The woman that never evolved).

Ainsi donc, la présentation habituelle de la discipline dont relèvent ses recherches est déjà trompeuse : elle n’est pas anthropologue au sens français du terme, ni d’ailleurs biologiste contrairement à ce qu’indique la rédactrice en chef de Sciences Humaines (cf [21]). En outre, elle n’a publié aucune étude scientifique établissant l’existence d’une quelconque forme d’instinct maternel dans l’espèce humaine (ni d’ailleurs chez les primates qu’elle a étudiés). Les magazines de vulgarisation scientifique ne font en fait qu’invoquer une littérature dans laquelle elle a présenté ses hypothèses sur le sujet, développées dans un cadre théorique posant que des mécanismes biologiques sélectionnés au cours de l’évolution causent des différences entre hommes et femmes dans les comportements sexuels et parentaux.

Est-il établi que la libération d’ocytocine peripartum déclenche des pulsions maternantes ?

En 1979 est publiée la première étude pharmacologique suggérant un rôle de l’ocytocine dans le déclenchement du comportement maternel via une action dans le cerveau, au-delà de son action périphérique établie sur l’utérus (contractions) et les glandes mammaires (éjection du lait). Menée sur des rates, elle sera suivie de publications congruentes toujours chez le rat, puis chez la brebis. Cette piste de recherches est par ailleurs étayée, à partir de 1992, avec la publication par Thomas Insel et Larry Young d’une série d’études sur le campagnol. Ils y suggèrent une implication de l’ocytocine dans l’établissement des liens sociaux, dont ceux des adultes avec les petits. Mais même Young, pourtant leader des recherches menées en neurobiologie sur ce sujet et ardant promoteur de cette théorie, l’admettait en 2009 : le rôle de l’ocytocine dans le déclenchement du comportement maternel chez le rat n’a pas été confirmé chez la souris, et les données adressant la question de savoir si elle « pourrait moduler les relations sociales humaines » sont « rares et non-conclusives » [24].

En octobre 2010, j’ai contacté la directrice d’une étude dont les résultats venaient d’être vulgarisés en affirmant au passage un rôle de l’ocytocine dans le comportement maternel, comme cela avait déjà été le cas en février 2010 lors de la publication d’une étude menée par une autre équipe française dirigée par Angela Sirigu [25]. Je lui ai demandé de m’indiquer la référence des publications scientifiques ayant établi ce rôle chez l’Homme. Elle a admis que dans notre espèce, ce rôle n’était que « suggéré », et m’a transmis un article sous presse traitant de cette question chez les primates. Celui-ci, publié en 2011 [26], conclut de la littérature scientifique existante que chez les primates comme chez les autres mammifères, l’ocytocine pourrait agir dans le cerveau pour faciliter la mise en place du comportement maternel, mais que des études complémentaires sont nécessaires pour le confirmer. Il souligne notamment que les seules études sur des femmes jugées pertinentes, publiées en 2007 par le groupe de Ruth Feldman et Ari Levine, doivent être interprétées avec précaution [27].

De fait, l’extrapolation des études ayant rapporté des effets de l’administration intra-nasale d’ocytocine (dans le cadre de recherches menées en neuroéconomie avec l’espoir de juteuses applications, et plus récemment comme piste thérapeutique pour l’autisme) est problématique à plus d’un titre. De même, les rares études ayant rapporté un lien entre ocytocine et attitudes maternelles chez l’Homme restent à répliquer sur de plus larges échantillons, souffrent de biais méthodologiques liés aux mesures de l’ocytocine et de l’attachement, et ne sont basées que sur l’observation de corrélations qui peuvent aisément être expliquées autrement que par un effet de l’ocytocine.

Par exemple, on sait que la stimulation des tétons augmente la libération d’ocytocine dans le sang. Un haut niveau d’ocytocine pourrait donc être la conséquence de l’allaitement, lui-même corrélé à un certain degré d’investissement maternel, et non sa cause. Autre possibilité : certaines femmes ayant un dysfonctionnement du système ocytocinergique empêchant l’éjection du lait et échouant de ce fait à allaiter pourraient, du fait de leur incapacité à se conformer à l’injonction sociale à l’allaitement, développer des complications dans leurs relation avec leur bébé alors nullement dues à une action de l’ocytocine sur d’hypothétiques centres cérébraux de contrôle desdites relations. Autre possibilité encore : les femmes ayant une relation amoureuse satisfaisante au cours de leur grossesse, avec une libération d’ocytocine régulièrement accrue par celle-ci (que ce soit par l’orgasme ou la stimulation des tétons), pourraient du fait de cet environnement favorable à l’arrivée du bébé développer une relation avec lui meilleure que des femmes seules ou ayant des problèmes de couple. Par ailleurs, une étude à laquelle Young a participé suggère que les femmes ayant souffert de négligence ou de violences durant leur petite enfance ont dans leur liquide céphalo-rachidien un niveau d’ocytocine inférieur à la moyenne des femmes [28]. Elles pourraient fort bien avoir des difficultés relationnelles avec leur bébé en raison de la réactivation de cette enfance difficile, en même temps qu’un bas niveau d’ocytocine, les deux éléments n’étant ici liés par aucune relation de cause à effet.

Puisqu’elle n’est qu’hypothétique, pourquoi cette théorie de l’ocytocine promue par Blaffer Hrdy a une telle audience dans les médias ?

Notons d’abord qu’elle est en phase avec le sens commun nourri de mythes savants anciens et du ressenti exprimé par un certain nombre de mères. Elle est également en phase avec la philosophie sociale conservatrice prônant l’assignation des femmes à la prise en charge des enfants. Mais ces explications sont largement insuffisantes.

Comme on l’a vu plus haut, cette théorie a d’abord l’avantage d’apparaître congruente avec des résultats de recherche intensément promus par Thomas Insel et ses ex-collaborateurs (il dirige depuis fin 2002 l’Institut National de la Santé Mentale américain) et vulgarisés avec succès par Lucy Vincent (via le sujet porteur du couple et de la sexualité), et de contribuer à asseoir la pertinence des projets menés dans deux centres de recherche français.

Par ailleurs, la position de Blaffer Hrdy, la plupart du temps soulignée dans la vulgarisation relayant ses théories, lui confère un statut d’autorité particulier : d’une part, en tant qu’émanant d’une sociobiologiste membre de l’Académie des sciences américaine, son point de vue est censé être celui de la science et être dégagé des tabous contre la sociobiologie imposés par l’antisexisme, l’antiracisme et l’antibiologisme dominant ici [29] ; d’autre part, en tant que femme et féministe, elle est perçue comme insoupçonnable d’antiféminisme [30]. De plus, ses explications et émissions de préconisations concernant l’infanticide, commis massivement en Inde sous la pression sociale ou rarement (mais de façon très médiatisée) en France, ne peuvent que susciter l’intérêt.

En outre, présenter comme naturel le développement après l’accouchement d’un sentiment maternel épanouissant a l’avantage de rassurer les femmes angoissées par l’injonction à la maternité réussie, contrecoup imprévu de la « maternité choisie » revendiquée avec succès par le MLF [31]. Induire que les cas échappant à ce scénario idyllique relèvent soit d’un effet de l’environnement, soit d’un dysfonctionnement purement biologique, a de son côté l’avantage de disculper les mères concernées et de leur éviter de se questionner sur leurs choix de vie [32].

Une autre dimension du discours de Blaffer Hrdy déterminante pour son succès est qu’il n’assigne pas de manière implacable toutes les mères et elles seules au maternage auquel les prédestinerait la nature [33], contrairement à celui d’Edwige Antier [34]. Son discours s’inscrit ainsi parfaitement dans la doxa devenue hégémonique selon laquelle les avancées scientifiques ont permis de « dépasser le débat inné/acquis ».

En accordant conjointement un rôle à la « nature » et à la « culture » (« champ du libre arbitre et de l’émancipation » selon [14]), cette doxa est en phase avec les questionnements et philosophies sociales contemporain-e-s : elle explique à peu de frais des différences persistantes entre groupes sociaux, elle fournit aux individus en mal de repères et de stabilité un ancrage identitaire solide dans le biologique, et elle laisse néanmoins aux individus la possibilité (chère à l’individualisme libéral) de remettre en cause certaines normes sociales et de faire des choix de vie conformes à leur « vrai moi ». Le discours plus particulièrement analysé ici permet ainsi d’expliquer le « choix » des femmes, libérées du féminisme radical des années 70 jugé totalitaire et dépassé, de continuer à s’investir considérablement plus que les hommes dans les soins aux enfants. Il contribue aussi à fournir un fondement biologique à la « distinction de sexe » à laquelle s’accrochent si désespérément nombre de nos contemporains, tout en respectant la revendication des unes et des autres de ne pas être enfermés dans un destin dicté par leur sexe [35].

Odile Fillod

PS :
– voir “Ocytocine et instinct maternel : suite” publié en mai 2012,
– pour aller plus loin, voir Odile Fillod (2014) « Oxytocin as proximal cause of ‘maternal instinct’: weak science, post-feminism, and the hormones mystique », in Schmitz & Höppner (dir.), Gendered Neurocultures. Feminist and Queer Perspectives on Current Brain Discourses, Vienna: Zaglossus, pp. 239-255.

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Notes

[1] Cf http://www.scienceshumaines.com/sciences-humaines-l-aventure-d-une-revue_fr_26638.html#26641.

[2] Cf Sarah CHICHE, 03/2012, Y a-t-il un éternel féminin ?, Sciences Humaines, n°235, p. 40-42 (dans le cadre du dossier à la une « Les identités sexuelles »). Sarah Chiche y prend comme exemple l’instinct maternel (écrit sans guillemets) pour illustrer une citation de la philosophe et essayiste Peggy Sastre selon laquelle « s’agissant de la féminité, […] les chercheurs travaillent […] davantage en considérant que l’inné donne une tendance que façonne ensuite l’environnement ». Elle y renvoie à un encadré consacré à la promotion de la pensée de Sastre, dont elle a publié dans une collection qu’elle dirige le livre Ex utero. Pour en finir avec le féminisme (2009). Sastre y propose une « sortie du féminisme » requérant « une meilleure connaissance de l’évolution biologique féminine et des moyens actuels de l’orienter : ce que j’appellerai un évoféminisme ». L’autre source convoquée dans cet article par Sarah Chiche est la Canadienne Susan Pinker, se référant à son livre Le sexe fort n’est pas celui qu’on croit (2009) à l’appui de l’idée qu’il existe « une nature et des qualités spécifiquement féminines ». Ce n’est pas la première fois que la sœur du célèbre chercheur en psychologie cognitive (et surtout psychologue évolutionniste) Steven Pinker, elle-même psychologue mais non chercheuse, est utilisée par Sciences Humaines pour asseoir des idées qui auraient probablement été inaudibles dans la bouche d’un homme.

[3] Hervé RATEL, 02/2012, Testostérone et ocytocine : quelle influence ?, Sciences et Avenir, n°780, p.47, italiques ajoutés par moi pour mettre en évidence la valse-hésitation du journaliste, manifestement peu assuré de la solidité de ses sources, ou simplement de sa propre capacité à départager dans celles-ci ce qui relève de l’opinion de ce qui relève des faits.

[4] Rachel MULOT, fevrier 2012, Six clichés démontés – Les femmes sont naturellement maternelles, Sciences et Avenir, p.51.

[5] Sarah BLAFFER HRDY, 2002, Les Instincts maternels, Payot. Il s’agit de la version française de son livre publié en 1999 sous le titre Mother Nature: a history of mothers, infants, and natural selection, puis en 2000 sous le titre Mother nature: maternal instincts and how they shape the human species. On notera la suppression stratégique, dans le titre de la version française, des références à la « Mère Nature » et à la sélection naturelle, sans doute jugées susceptibles de faire fuir les lecteurs par leurs connotations idéologiques.

[6] Voir Francine MUEL-DREYFUS, 1996, Vichy et l’éternel féminin. Contribution à une sociologie politique de l’ordre des corps, Seuil.

[7] On en trouve notamment maints exemples sur des sites et forums dédiés au futures et jeunes mamans sur Internet. Ce discours est parfois aussi relayé par les médias. Ainsi, sur le site de Psychologies magazine, on peut par exemple lire : « Ce que de plus en plus de parents, et certains praticiens, demandent n’est finalement qu’un meilleur respect de la physiologie. Michel Odent, célèbre obstétricien français, en est l’un des grands défenseurs. Dès les années 60, il mit en garde contre la “technicisation” de l’accouchement. Selon Odent, si les êtres humains ont un accouchement plus difficile que les autres mammifères, c’est en grande partie en raison du surdéveloppement du néocortex – le cerveau de l’intellect. Durant l’accouchement, le néocortex est censé se mettre au repos, permettant à la femme de “décrocher”. Or, de nombreuses pratiques actuelles en salle de naissance viennent stimuler ce néocortex : une lumière violente, le fait de se sentir observée, le caractère anxiogène des différents appareils, etc. Ces situations augmentent la sécrétion de l’adrénaline, un antagoniste de l’ocytocine, l’hormone de l’accouchement indispensable aux contractions, mais aussi à l’instinct maternel… Retourner à la physiologie, oui, mais pas retourner en arrière. “A nous d’inventer une naissance qui ne soit pas un retour au passé, mais qui, en s’appuyant sur toutes les connaissances récentes, remette à l’honneur la physiologie et redonne aux femmes la puissance d’enfanter qui est en elles”, résume si bien Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau [porte-parole de la Leche League]. » (09/2008, Pourquoi une naissance autrement ?, en ligne sur www.psychologies.com, consulté le 21/02/2011).

[8] L’ocytocine est également qualifiée dans la vulgarisation, au gré des publications scientifiques, d’ « hormone de l’attachement » ou d’ « hormone de l’empathie », censée augmenter la générosité, le dévouement, la coopération, mais aussi la confiance en soi ou encore la confiance en autrui, réguler le stress, avoir une fonction reposante, améliorer la reconnaissance des visages… Si les livres de Lucy Vincent ont surtout amené à parler de l’ocytocine comme « hormone de l’amour » secrétée lors de l’orgasme et favorisant l’attachement entre partenaires sexuels, ils ont également été explicitement cités en référence dans des article présentant l’ocytocine comme favorisant l’attachement de la mère à son enfant. Ainsi dans Gilbert CHARLES, Jean-Sébastien STEHLI, 16/08/2004, Pourquoi l’amour est bon pour la santé, L’Express (« En étudiant les rouages biologiques de la sexualité, les chercheurs ont découvert des mécanismes de l’attachement qui font de l’homme un animal social incapable de vivre sans les autres. La molécule qui procure une sensation de plaisir pendant l’orgasme – l’ocytocine – est aussi celle qui favorise le lien unissant la mère et l’enfant au moment de la tétée […]. […] Cette molécule joue un rôle essentiel dans le lien qui relie la mère à l’enfant […]. ») ou encore dans Anonyme, 05/2007, Toi et moi, une réaction chimique, Psychologies magazine, n°263, mai 2007, p.196 (« […] ocytocine, élue “miss hormone” de l’amour ! Elle mérite bien ce titre. […] Projetée massivement dans l’organisme lors du premier rapport amoureux, l’ocytocine est également responsable des contractions pendant l’accouchement. C’est l’hormone du premier attachement, de la première empreinte, […]”. »). L’influence du livre de Lucy Vincent sorti en 2004 se sent aussi, bien qu’ici elle ne soit pas explicitement citée, dans les propos de David Servan-Schreiber rapportés dans Ursula GAUTHIER, 14/10/2004, Santé : Y a-t-il une méthode Servan-Schreiber ?, Le Nouvel Observateur, n°2084 (« Prenez l’ocytocine. C’est un tout petit peptide […]. Voici qu’on découvre qu’il joue un rôle considérable dans l’attachement émotionnel – ainsi que dans l’orgasme ! C’est parfaitement “logique” du point de vue de l’évolution: allaiter fait mal, oblige à se relever la nuit, c’est donc “normal” que l’évolution ait mis dans le même package ce qui amène le lait dans le sein et ce qui provoque une émotion de dévouement pour son bébé. »).

[9] Cf Nolwenn LE BLEVENNEC, 13/02/2010, Lucy Vincent, chimiste de l’amour, Le Journal du Dimanche. Je reviendrai sur le cas de Lucy Vincent, qui mérite à lui seul un article.

[10] Jean-François DORTIER, janvier 2003, Y a-t-il un instinct maternel ?, Sciences Humaines, n°134, p.48-49. Extrait souligné par moi en italiques : « Les chercheurs ont mis en évidence chez les mammifères une zone spécifique du cerveau (située dans l’hypothalamus) qui stimule les comportements d’élevage. Cette zone cérébrale est sous la dépendance d’une famille de gènes appelés “gènes fos”. […] C’est l’odeur des petits qui déclenche l’activation de ce gène, qui lui-même participe à la production d’hormones spécifiques stimulant la réaction maternelle. […] Un autre mécanisme déclencheur du comportement maternel provient de la prolactine, une hormone qui produit la lactation chez les jeunes mères. La montée de lait déclenche chez les jeunes mères des pulsions maternantes. […] Hormones, odeurs, gènes… il existe donc de puissants motifs biologiques pour encourager les mères à s’occuper de leurs petits. Mais cela suffit-il à faire de toutes les jeunes femmes des mères aimantes et attentionnées ? En aucun cas. Après avoir décrit quelques bases biologiques de la maternité, S. Blaffer Hrdy rappelle que certaines mères sont négligentes, d’autres distantes ou même maltraitantes à l’égard de leurs petits. […] L’importance de l’abandon et de l’infanticide suffit à remettre en cause l’idée d’un instinct maternel irrépressible. »

[11] Catherine PORTEVIN, 15/04/2009, Il était une fois l’instinct maternel, Télérama, p.106 (« […] réalisation splendide et intelligente […] », TT)

[12] Karen L. Bales, University of California Davis. Titulaire d’un master en anthropologie suivi d’un doctorat en biologie, elle étudie depuis le début des années 2000 la biologie des comportements sociaux et parentaux (y compris les différences entre les sexes dans ceux-ci et leurs liens avec l’ocytocine), chez les campagnols principalement ainsi que chez certains primates.

[13] Extraits d’Il était une fois l’instinct maternel, 20/04/2009, France 3 : « L’instinct maternel existe bien chez tous les mammifères. Une nuance toutefois : en ce qui concerne les femmes, cet instinct ne va pas tout-à-fait de soi. Il lui faut pour se développer un contexte favorable. […] Dans la grande famille des primates, il n’y a que les mères humaines pour rejeter, abandonner, ou même tuer leurs enfants. […] Dans cette tribu vivant comme nos ancêtres préhistoriques, le taux d’enfants tués, ou même abandonnés, est très faible. […] L’instinct maternel est en tout cas bien ancré dans la réalité. Le biologique est essentiel, l’environnement fait le reste. » Blaffer Hrdy explique que chez les Hadzas, les restrictions alimentaires et les déplacements et travaux effectués par les jeunes mères allaitant empêchent l’ovulation, provoquant un espacement naturel des naissances de 3 ou 4 ans qui leur permet de bien s’occuper de leurs enfants.

[14] Cf Claire CHARTIER, 11/02/2010, La défaite des mères ?, L’Express, n°3058, p.86-87: « On comprend que la philosophe féministe soit déçue. Cette désillusion, perceptible entre les lignes, l’amène hélas à forcer le trait, fustigeant pêle-mêle l’écologie, la croyance dans l’instinct maternel ou le rejet des accouchements trop “techniques”. La nature n’a pourtant, en soi, rien d’idéologique. Pourquoi vouloir l’évacuer à toute force au motif qu’elle serait aujourd’hui mise en avant à des fins sociopolitiques? La culture, champ du libre arbitre et de l’émancipation, a toujours trouvé à dialoguer avec la logique naturelle. Plutôt que des childless -ces femmes sans enfants par choix, ultraminoritaires- en qui Elisabeth Badinter semble voir les pionnières d’une nouvelle féminité éclairée, c’est de cette génération de mères écartelées, sensibles à l’appel de la nature sans forcément y succomber, que doit venir la relève. ».

[15] Cf Le Point, 04/02/2010, n°1951, dans le dossier signalé à la une sous le titre « La charge d’Elisabeth Badinter contre les tyrans de la maternité », p 58-62, se terminant par les interviews critiques de la présidente des Verts (Cécile Duflot : “Le XXIe siècle d’Elisabeth Badinter est manichéen”) et du neuropsychiatre médiatique Boris Cyrulnik (Boris Cyrulnik : “Elisabeth Badinter provoque mon étonnement”). Ce dernier y plaide contre Badinter en se disant défavorable à l’interdiction des travaux scientifiques sur ce sujet, affirmant qu’ « En fait, ce qui inquiète à juste titre Elisabeth Badinter, c’est l’implicite idéologique que contient toute publication scientifique. »

[16] Cf Edwige ANTIER, 11/02/2010, interview diffusée au journal de 20h de France 2 : « L’instinct maternel existe ! Attendez, je l’ai rencontré tous les jours en maternité ! 40 ans de pratique ! 40 ans que je vois une jeune mère avec son bébé ne plus penser qu’aux besoins du bébé, sous l’effet de l’ocytocine, de la prolactine, de toutes ces hormones qui permettent à notre corps et à notre cerveau d’être en alerte pour les besoins de notre enfant ! ». Quelques jours plus tôt, Antier expliquait dans la presse qu’ « Elisabeth Badinter est une archéo-féministe qui connaît mal les aspirations des jeunes mères d’aujourd’hui. Elle est dans un déni de la maternité. Pour les néoféministes comme moi, il est évident que les femmes veulent à la fois s’épanouir dans leur vie professionnelle, à l’égal des hommes, et dans la maternité. » (Cf Anne-Laure BARRET, 06/02/2010, “Elisabeth Badinter a deux trains de retard”, Le Journal du Dimanche).

[17] Cf Marie BACH, 04/2010, L’écolo radicale, les habits neufs de la mère-poule, Sciences Humaines, n°214, p.49, mentionnant cette attaque de Badinter par les « écoféministes ». Celles-ci y revendiquent d’ailleurs l’essentialisme différentialiste dont les accuse Badinter : « Les principales intéressées répliquent “Il existe deux types de féminismes, égalitariste et essentialiste, précise Anne, maman depuis six mois. Je me revendique du second, qui sublime ce qui fait de moi une femme, c’est-à-dire mes fonctions biologiques.” ». Dans une tribune publiée dans Libération par des femmes se revendiquant « écoféministes », on lit de même : « Le féminisme égalitariste fondé en France par Simone de Beauvoir, en ignorant l’aspect biologique de la différence des sexes, a poussé les Françaises à adopter des comportements masculins, sans les ajustements nécessaires, et donc au détriment des femmes et des besoins des enfants. La situation des femmes est meilleure dans les pays inspirés par un féminisme différentialiste.» (18/02/2010, Le féminisme de Badinter n’est pas le nôtre, Libération, n°8954, p.28).

[18] Anne CRIGNON, Sophie des DESERTS, 11/02/2010, Entretien avec Elisabeth Badinter – “La femme n’est pas un chimpanzé”, Le Nouvel Observateur, n°2362, p. 76-77.

[19] Véronique CASSARIN-GRAND, Anne CRIGNON, 12/02/2010, Une chercheuse américaine répond à Elisabeth Badinter, en ligne sur http://bibliobs.nouvelobs.com.

[20] Extrait des propos de Blaffer Hrdy dans [19] : « […], je ne suis pas d’accord avec sa théorie selon laquelle il n’y aurait aucun fondement naturel et biologique pour expliquer le comportement maternel. Bien sur qu’il y en a ! […] La réalité c’est qu’au cours de la grossesse, se met en place une chaîne de changements physiologiques considérables et qu’à la naissance, des neurotransmetteurs comme l’ocytocine sont libérés, qui favorisent la transformation de la mère. Si elle se trouve dans un contact intime et prolongé avec ce petit étranger sorti d’elle, ses circuits neuronaux se modifient et l’encouragent à répondre aux signaux et aux demandes émis par son enfant. Une fois que la mère commence à allaiter […] et que le bébé stimule ses tétons, elle devient encore plus nourricière. »

[21] Martine FOURNIER, 04/2010, Femmes, le choix des armes, Sciences Humaines, n°214, p. 33-36. Extrait souligné en italique par moi : « En définitive, les féministes de tout bord continuent de voir les femmes comme d’éternelle victimes manipulées, […]. Ce n’est pas l’avis de la psychologue Susan Pinker pour qui les femmes contemporaines pilotent leur vie en fonction de leurs goûts et de leurs choix. Cette psychologue canadienne avance que la différence des sexes s’ancre dans des spécificités issues de la nature. Un constat bien peu audible en France, et plus généralement dans le champ des études de genre qui mettent à distance les thèses naturalistes, en raison des justifications qu’elles peuvent apporter à la hiérarchie des sexes. La psychologie évolutionniste notamment attribue à l’évolution un rôle déterminant dans les différences hommes/femmes. Cette discipline est cependant considérée comme tabou dans l’Hexagone, accusée d’endosser les vieux oripeaux idéologiques justifiant la domination masculine. Quoi qu’il en soit, ces dernières années, les expériences se sont multipliées qui mettent en évidence des spécificités masculines et féminines dès la naissance notamment liées au rôle des hormones. Qu’il s’agisse de fonctionnements intellectuels, de comportements sociaux, de sexualité, d’instinct maternel, les comportements masculins et féminins seraient biologiquement différenciés. Ce qui, précisent aujourd’hui la plupart des chercheurs, n’invalide en rien le rôle de la culture. En matière d’instinct maternel par exemple, l’anthropologue et biologiste Sarah Blaffer Hrdy a bien montré la complexité et la diversité des mécanismes qui attachent une mère à ses petits (6). Si la psychologie évolutionniste soutient l’existence de puissants motifs biologiques pour attester d’un instinct maternel, cette anthropologue qui s’inscrit dans ce courant cite le cas des nombreux infanticides pratiqués dans certaines sociétés humaines, ainsi que la pratique des abandons d’enfants, pour montrer que l’instinct maternel, chez les humains, est aussi une affaire de culture… »

[22] Ces recherches, menées sur une colonie de ces primates au Rajasthan, l’ont amenée à voir l’infanticide perpétré par les mâles langurs comme un des éléments des stratégies de reproduction sélectionnées au cours de l’évolution dans cette espèce : les mâles prenant le contrôle sur un groupe tueraient les nouveau-nés afin que leurs mères soient à nouveau sexuellement réceptives et fertiles, et ainsi susceptibles de transmettre leurs gènes à eux ; de leur côté, les femelles auraient développé une contre-stratégie consistant à copuler avec autant de mâles que possible, surtout hors du groupe, un mâle hésitant à tuer un nouveau-né s’il est possible qu’il soit de lui. Sa thèse soutenue en 1975 à l’Université d’Harvard a été publiée en 1977 (The Langurs of Abu: female and male strategies of reproduction, Harvard University Press).

[23] Les trois articles en question sont les suivants : Male-male competition and infanticide among langurs (presbytis entellus) of Abu, Rajasthan, Folia Primatologica, vol.22(1), p. 19-58 (1974); Hierarchical relations among female Hanuman langurs (primates: colobinae, presbytis entellus), Science, vol.193(4256), p. 913-915 (1976, co-signé par son mari); Infanticide among animals – review, classification, and examination of the implications for the reproductive strategies of females, Ethology and Sociobiology, vol.1(1), p. 13-40 (1979). La revue Ethology and Sociobiology a été fondée en 1979 par Michael T. McGuire, un psychiatre américain fervent défenseur de l’application de la théorie de l’évolution à la recherche en psychiatrie. Elle est ensuite devenue le journal officiel de la Human Behavior and Evolution Society (HBES), fondée en 1988 à l’Université du Michigan pour promouvoir l’échange d’idées et de résultats de recherches utilisant la théorie de l’évolution pour mieux comprendre la nature humaine. La revue a été renommée Evolution and Human Behavior en janvier 1997, lorsque les psychologues canadiens Martin Daly et Margo Wilson, deux membres du groupe nord-américain fondateur de la psychologie évolutionniste, en sont devenus co-rédacteurs en chef. Avec la revue Human Nature: an Interdisciplinary Biosocial Perspective, elle constitue aujourd’hui l’un des principaux lieux de publication académique s’inscrivant dans la perspective de la psychologie évolutionniste.

[24] Cf Heather ROSS, Larry J. YOUNG, Oxytocin and the neural mechanisms regulating social cognition and affiliative behavior, Frontiers in Neuroendocrinology, vol.30, 2009, p. 534-547 : « Animal studies have implicated a role for OT [ocytocine] in mediating maternal behavior, mother-infant bonding, and pair bonding and begs the question of whether OT might modulate human social relationships. Data addressing this issue is scarce and inconclusive. » (p. 541). Les deux premières études (dont l’une par Insel et Young) menées sur des souris génétiquement modifiées, publiées en 1996, ont contredit les hypothèses basées sur l’observation du rat : chez deux lignées de souris chez lesquelles était inhibé le gène de l’ocytocine, créées par deux équipes indépendantes, on a en effet constaté que la « motivation maternelle » était normale. Il a fallu attendre les années 2005 et 2006 pour que de nouvelles études viennent nuancer (et nuancer seulement) ce constat. Réf. : K. NISHIMORI, L.J. YONG, Q. GUO, Z. WANG, T.R. INSEL, M.M. MATZUK, 1996, Oxytocin is required for nursing but is not essential for parturition or reproductive behavior, PNAS, vol.93, p.11699-11704; W.S. YOUNG 3rd., E. SHEPARD, J. AMICO et al., 1996, Deficiency in mouse oxytocin prevents milk ejection, but not fertility or parturition, Journal of Neuroendocrinology, vol.8, p.847- 853; A.K. RAGNAUTH, N. DEVIDZE, V. MOY, K. FINLEY, A. GOODWILLIE, L.M. KOW, L.J. MUGLIA, D.W. PFAFF, 2005, Female oxytocin gene-knockout mice, in a semi-natural environment, display exaggerated aggressive behavior, Genes Brain and Behavior, vol.4, p.229-239; C.A. PEDERSEN, S.V. VADLAMUDI, M.L. BOCCIA, J.A. AMICO, 2006, Maternal behavior deficits in nulliparous oxytocin knockout mice, Genes Brain and Behavior, vol.5(3), p. 274-281.

[25] Dans le communiqué de presse du 15/02/2010 CNRS relatif à l’étude dirigée par Angela Sirigu, rapportant des effets de l’administration intranasale d’ocytocine à des patients autistes, on peut lire que l’ocytocine est « une hormone connue pour son rôle dans l’attachement maternel ». Dans le communiqué de presse CNRS/INSERM du 18/10/2010 relatif à celle dirigée par Françoise Muscatelli, rapportant un rôle de l’ocytocine dans l’initiation de l’activité de succion chez le souriceau, on peut lire : « Chez la mère, cette hormone joue aussi un rôle dans la parturition, l’allaitement et l’attachement de la mère à son bébé. ». Ces affirmations, nullement étayées par les deux études en question, sont reprises dans la presse. Ainsi, dans le cadre de la vulgarisation de la première, Sandrine CABUT écrit le 16/02/2010 pour Le Figaro que « Ces dernières années, des expériences chez différents animaux et chez l’homme ont affirmé son rôle dans toute une série de comportements sociaux positifs : lien mère-enfant, confiance, attachement social, fidélité… », et Marie-Laure THEODULE écrit dans La Recherche d’avril 2010 que l’ocytocine « est aussi connue pour jouer un rôle dans l’attachement entre la mère et l’enfant ». L’institut de recherches auquel appartient Françoise Muscatelli étudie l’impact des événements survenus à un stade précoce sur le développement, d’où notamment les recherche sur les effets de l’ocytocine sur les fœtus et nouveau-nés. Une étude pionnière sur ce sujet, dirigée par Yehezkel Ben-Ari (fondateur de cet institut), avait donné lieu lors de sa publication en 2006 à l’affirmation dans Le Figaro que l’ocytocine était « responsable de la montée de lait chez la future mère et probablement aussi de l’émergence du sentiment maternel » (Catherine PETITNICOLAS, 18/12/2006, Comment le fœtus se prépare à l’accouchement, Le Figaro). Il est intéressant de remarquer que dans le texte de la dépêche AFP utilisé par la journaliste du Figaro, cette mention figurait mais en tant que simple hypothèse formulée par le chercheur : « L’hormone […] est déversée dans le sang quelques heures avant l’accouchement. “Elle agit sur l’utérus, mais aussi sur les seins contribuant à la sortie du lait et favoriserait même le sentiment maternel”, ajoute auprès de l’AFP M. Ben-Ari » (Brigitte CASTELNAU, 14/12/2006, La mère prépare son futur bébé au stress de la naissance, AFP). Lorsqu’une nouvelle étude signée par Yehezkel Ben-Ari sur ce sujet a été publiée en 2011 (Michel MAZZUCA et al., 2011, Newborn analgesia mediated by oxytocin during delivery, Frontiers in Cellular Neuroscience, vol. 5, article n° 3), le communiqué de presse de l’INSERM s’est cette fois-ci abstenu de prêter à l’ocytocine un effet sur l’attachement maternel. Malheureusement, une journaliste de Pour la Science en a rendu compte en ajoutant que l’ocytocine « favorise la contraction de l’utérus, l’allaitement et l’attachement au nouveau-né » (Marie-Neige CORDONNIER, 20/04/2011, L’ocytocine, antidouleur naturel des nouveau-nés, article également disponible sur le site de Cerveau & Psycho). Plus grave, un site alimenté par deux enseignants de SVT ayant pour objectif de « publier des articles scientifiques [sic] d’actualité pour relier l’enseignement des SVT à la recherche et développer la culture scientifique » a repris cet article de Pour la Science non seulement en reprenant telle qu’elle cette affirmation, mais en outre en mettant en gras la phrase correspondante, et uniquement celle-ci (cf Mylène GRATIEN, 27/05/2011, L’ocytocine, antidouleur naturel des nouveau-nés, 27/05/2011, en ligne sur www.planete-svt.fr) ».

[26] Wendy SALTZMAN, Dario MAESTRIPIERI, 2011, The neuroendocrinology of primate maternal behavior, Progress in Neuro-Psychopharmacology & Biological Psychiatry, vol.35, p.1192-1204.

[27] Extraits de [26] : « These correlational findings in macaques and women must be interpreted cautiously, however, in view of the possible dissociation between peripheral and central oxytocin concentrations, the failure of peripheral oxytocin to penetrate into the brain, and the acute effects of suckling bouts on circulating oxytocin levels […] Thus, in primates, as in nonprimate mammals, oxytocin may act within the brain to facilitate the onset of maternal behavior; however, this conclusion must remain tentative until additional, larger-scale experimental studies are performed. »

[28] C. HEIM, L.J. YOUNG, D.J. et al., 2008, Lower CSF oxytocin concentrations in women with a history of childhood abuse, Molecular Psychiatry, vol.14, p.954-958.

[29] Voir plus haut. Au-delà du cas Blaffer Hrdy, il faut noter que ce sont fréquemment des discours anglo-saxons, qu’ils soient américains ou britanniques, qui sont mobilisés en France à l’appui de théories élaborées dans ce cadre. Concernant plus particulièrement l’ « instinct maternel », c’est ainsi à l’occasion de la diffusion d’une série documentaire produite par la BBC qu’une journaliste du Nouvel Observateur écrit : « Ce documentaire britannique étudie les mécanismes de l’héroïsme qui se manifestent chez certains d’entre nous. Ainsi, une mère sacrifie sa vie pour sauver son fils attaqué par une bête sauvage. Un soldat américain sauve un de ses camarades, bravant les balles qui pleuvent autour d’eux. […] Ces petits gestes de compassion ou ces grands actes d’héroïsme obéissent, en fait, à des instincts hérités de nos ancêtres et à des mécanismes neurologiques. L’ocytocine, que produit la mère, développe ses sens et son attachement à son nouveau-né, renforcé par les liens génétiques qui les unissent. » (Séverine DE SMET, 09/04/2009, TéléObs, article signalant la diffusion sur France 5 du volet « Héros par nature » de la série documentaire Les secrets de nos instincts).

[30] L’ancrage féministe de la promotion en France des thèses de Blaffer Hrdy n’est pas nouveau. C’est dans ce cadre que son livre publié aux Etats-Unis en 1981 (The woman that never evolved) avait été traduit en 1984 aux éditions Tierce (Des guenons et des femmes : essai de sociobiologie). Ces éditions, fondées en 1977 par une militante active du mouvement féministe de l’époque, étaient conçues comme un lieu privilégié de diffusion des écrits féministes (cf Liliane KANDEL, 2001, Une édition féministe est-elle possible ?, Clio, n°13, p.189-193). Blaffer Hrdy a en effet contribué à mettre en évidence et corriger certains biais issus de l’androcentrisme dominant en primatologie et parmi les théoriciens de l’évolution. Alors que les primatologues avaient tendance à concevoir l’initiative des relations sexuelles comme forcément prise par les mâles, elle s’est intéressée à la recherche active de relations sexuelles par les femelles langur. Par ailleurs, elle montre dans ce livre que les théoriciens de l’évolution, focalisés sur les mâles, se sont insuffisamment interrogés sur les pressions de sélection sexuelle s’exerçant sur les femelles. Ce livre a fait l’objet d’une nouvelle édition au Etats-Unis en 1999, traduite aux éditions Payot sous le titre La femme qui n’évoluait jamais. Elle s’y dit convaincue que pour combattre l’inégalité entre les sexes, il convient d’en comprendre d’abord ses origines évolutives.

[31] Significativement, dans l’interview de Blaffer Hrdy citée plus haut, les deux journalistes lui demandent : « Quand Elisabeth Badinter proclame que l’instinct maternel n’existe pas, n’est-ce pas déstabiliser certaines femmes, les faire douter de leur capacité d’être mère ? ».

[32] Voir les discours, devenus courants, présentant la dépression postpartum comme une « maladie hormonale » (je reprends ici la terminologie utilisée par Mathilde BLOTTIERE le 17/11/2010 dans Télérama, à l’occasion de la critique d’une fiction sortie au cinéma en 2010, L’étranger en moi :« En abordant la dépression postnatale, une maladie hormonale fréquente et pourtant méconnue, la réalisatrice […] »).

[33] Comme cela est systématiquement souligné dans la vulgarisation que j’ai citée plus haut, Blaffer Hrdy conteste « l’idée de femmes biologiquement assignées à un rôle de “pondeuses” », elle « ne plaide pas pour un mythique retour à la nature », elle réfute la sociobiologie « machiste » faisant de l’amour maternel le résultat du « déterminisme implacable des gènes », elle contre l’idée reçue selon laquelle « les femmes auraient un instinct maternel irrépressible », ou encore ses travaux « montrent que l’instinct maternel n’est pas une pulsion sommaire indestructible ». Par ailleurs, la vulgarisation mentionne souvent soit la naturalité et l’importance des comportements alloparentaux (soins parentaux prodigués par d’autres que les parents biologiques) que défend Blaffer Hrdy, soit l’idée que l’ocytocine pourrait aussi contribuer au développement de sentiments paternels chez les hommes. On nous y explique par ailleurs que ses travaux « n’opposent pas inné et acquis, nature et culture », qu’ils permettent peut-être de laisser « derrière nous » le débat sur « les racines culturelles ou naturelles de la féminité »

[34] Cf son intervention au Journal de 20H de France 2 (note [16]). Dans son Eloge des mères publié en 2001 chez Robert Laffont, elle écrit que « lorsqu’une femme met au monde, […], elle est submergée par un véritable orage hormonal et affectif qui ne peut être contrôlé. Elle devient instinctive. Cet instinct la pousse vers son bébé, qu’elle a envie de garder contre elle, dans une attitude enveloppante. […] L’instinct maternel est un élan qui pousse à agir pour le bébé sans y réfléchir. Il s’agit d’une préoccupation que toutes les femmes ont en elles, qui fait partie de l’essence même de la femme. ». La moindre mise en avant d’Edwige Antier tient bien-sûr aussi à sa position très différente de celle de Sarah Blaffer Hrdy : simple pédiatre et non chercheuse, française, elle est politiquement engagée dans une mouvance de droite conservatrice (désormais députée UMP, elle est notamment mobilisée de longue date contre l’homoparentalité).

[35] Le dossier consacré par Sciences Humaines en 2010 à « l’ère du post-féminisme » et caractéristique de cette optique. Il postule que les femmes d’aujourd’hui « réclament moins une stricte égalité entre les sexes que la reconnaissance de leur identité, de leurs capacités et de leurs choix personnels ». « Nouvelles bénéficiaires de la liberté et l’égalité », elles n’auraient pas pour autant abandonné « leurs goûts féminins, leur désir de séduction, de maternité, et autres panoplies de la féminité ». Ainsi les différences entre hommes et femmes dans la sexualité, la parentalité, la fréquence des passages à l’acte violent, la carrière professionnelle ou encore l’investissement en politique seraient déterminées au moins en partie par des goûts, des traits de la personnalité voire des capacités qui seraient sous l’influence d’hormones inégalement présentes chez les uns et les autres (testostérone et ocytocine notamment).

22 réflexions sur « Instinct maternel, science et post-féminisme »

  1. Merci pour ce démontage en règle d’une idée reçue alimentée par tant de recherches dont les résultats s’imposent comme des évidences rarement questionnées. Il est regrettable que les journalistes portent une telle attention à ce type de “découvertes” que les centres de recherche eux-mêmes ont tendance à présenter comme des scoops. Sur le même thème, dans un style plus polémique, un article au sujet d’une conférence de Larry Young:
    http://unige-info.ch/L-obscurantisme-triomphant-des.html

  2. Bonjour,
    Si l’objet de cet article est de refuser l’existence d’un instinct maternel d’origine biologique à la façon d’Elisabeth Badinter, alors il s’agit d’une erreur factuelle. L’instinct maternel (mais aussi paternel) est quelque chose que nous partageons avec l’ensemble des mammifères sociaux. Les soins prodigués à la progéniture font partie des stratégies évolutives favorables à la survie de l’espèce. Bien entendu, cet instinct ne se résumé pas à quelques hormones. C’est bien plus compliqué que ça. Mais ça ne veut pas dire pour autant que notre capacité à nous occuper de notre progéniture est le fruit de notre culture. Cette dernière supposition n’a aucun sens. Nous nous occupions correctement de nos enfants bien avant d’avoir un semblant de culture. Dire qu’il existe un instinct maternel n’implique aucun déterminisme, ni aucun antiféminisme. Les femmes restent libres de faire des enfants et de s’en occuper. On le voit suffisamment avec les femmes qui s’affichent « childfree ».
    Cordialement.

    1. Cher monsieur, mon article n’a pas pour objet de “refuser” quoi que ce soit. Il semble en revanche que vous refusiez quant à vous d’admettre que l’instinct maternel puisse ne pas exister chez l’Homme. Il est d’ailleurs significatif que vous n’ayez rien d’autre à invoquer que le bon sens à l’appui de ce que vous percevez comme évident.

      1. Il se peut que j’ai mal compris, mais le dernier paragraphe de votre article laisse penser que vous rejetez l’idée qu’il existe une composante biologique à l’instinct maternel. Or les recherches, autant en psychologie évolutionniste qu’en neurosciences, sont clairs sur ce sujet. A ma connaissance, aucun scientifique ne remet en question l’existence de bases biologiques aux comportements maternels.
        Après, si j’ai mal interprété vos propos, veuillez m’en excuser.
        Cordialement.

        1. Encore et toujours cette accusation de parti-pris idéologique ! Encore une fois, il ne s’agit pas ici de “rejeter” une idée. Je rapporte juste un fait : l’absence de démonstration scientifique d’un effet de l’ocytocine sécrétée postpartum (ou d’ailleurs de toute autre composante biologique influencée par la grossesse ou la parturition) sur l’attachement d’une mère à son enfant. Des scientifiques qui sont pourtant convaincus de l’existence de tels effets le reconnaissent eux-mêmes (cf mon article). Vos arguments sont bien vagues : “les recherches […] sont claires”, “à ma connaissance, aucun scientifique”… Par ailleurs, la psychologie évolutionniste en tant que telle est inapte à démontrer quoi que ce soit de ce type. J’ai décidement encore du pain sur la planche…

  3. Bonjour,

    Je suis une lectrice assez assidûe de Mme Badinter dont j’apprécie beaucoup la rigueur et le sérieux. Ainsi, je dois avouer que j’ai été absolument estomaquée par la violence des attaques à son égard, suite à la publication de son ouvrage “Le Conflit”. Une chose que j’avais remarqué à l’époque étaient que les tentatives de démonter ses réflexions en invoquant les travaux de Mme Hrdy faisaient une grossière confusion: aucune ne semblait relever que les arguments de Mme Hrdy étaient des “hypothèses”, à savoir des propositions qui devaient être soit confirmées par des observations de terrain, soit corroborées par d’autres études, menées si possibles par divers scientifiques ou équipes. Cela ne signifie pas que ses recherches manquent de sérieux, mais que la manière dont elles ont été présentées en public était complètement biaisée, voir carrément fausse.

    En fait, dans les exemples que vous citez, on a assisté à une simple tentative, apparemment réussie, de récupération politique de certaines recherches scientifiques, mais personne ne semble s’être aventuré à vérifier, comme vous le faites, le statut de ces hypothèses et des recherches de Mme Hrdy au sein de la communauté scientifique. Le débat est en réalité essentiellement idéologique avec des militants qui cherchent à embrigader des chercheurs dans leurs rangs et certains, à l’instar de Mme Hrdy, semblent vouloir faire preuve d’une certaine complaisance, peut-être par attrait pour la célébrité, au risque de saper un peu plus le statut de la “science” en tant qu’approche spécifique du monde, dans nos sociétés. Soit dit en passant, je n’ai rien contre les scientifiques célèbres et fortement médiatisés, surtout s’ils savent vulgariser de manière intelligente leurs domaines de recherche. Mais, j’ai une dent de plus en plus sérieuse envers ceux qui se laissent emporter par leurs propres convictions idéologiques et abandonnent une bonne partie de la rigueur intellectuelle que l’on est en droit d’attendre d’eux, tout en continuant de revêtir la blouse blanche du scientifique. Or, trop de gens ont tendance à croire que tout ce qui sort de la bouche d’un chercheur ou d’un professeur est forcément scientifique et qu’il suffit de trouver celui dont les propos “scientifiques” correspondent aux positions défendues pour l’emporter dans un débat. Avec le risque que l’on sombre dans des bagarres d’experts, parole de scientifique contre parole de scientifique, menant à une hiérarchisation des arguments non pas sur la base de leur capacité à expliquer le monde de manière logique et rigoureuse et à lui donner un sens, mais simplement sur celle de leur succès populaire.

    Mais, au-delà de ces éléments, j’ai aussi remarqué que les détracteurs les plus acharnés de Mme Badinter étaient ceux qui l’avaient le moins lue, et lorsqu’ils l’ont lue, c’était dans l’idée de trouver les passages qui leur permettront de la dénigrer un peu plus. Du coup, leurs critiques sont rarement circonstanciées, se contentant de taper sur des citations sorties de leurs cadres, voir complètement re-contextualisées pour leur faire dire le contraire de ce qu’elles disent.

    Enfin (j’aurais dû commencer par là), je tiens à vous féliciter pour ce blog qui permet de mettre certains points sur les “i”, notamment concernant la manière dont la science est traitée dans l’espace public, avec tous les malentendus résultant d’une mauvaise compréhension de son fonctionnement, aussi bien institutionnel, voir socio-culturel, qu’épistémologique.

  4. Bonjour,

    Votre texte est très intéressant, et je partage tout à fait votre analyse de l’utilisation de la thèse de Blaffer Hrdy par les journalistes : à partir de 2-3 résultats approximatifs, on invente une vérité « prouvée scientifique » qui n’en est pas une. Cependant, j’aimerai revenir sur votre dernier chapitre et en particulier à la phrase suivante : « Son discours s’inscrit ainsi parfaitement dans la doxa devenue hégémonique selon laquelle les avancées scientifiques ont permis de « dépasser le débat inné/acquis ».

    L’ensemble du paragraphe laisse en effet implicitement entendre que vous rejeter par avance une quelconque influence du biologique sur l’attachement maternelle. Or, même en absence d’études le suggérant, on ne peut affirmer qu’il n’existe pas. D’une façon plus générale, on ne peut a priori pas rejeter une certaine contribution du biologique (gènes, hormones, etc.) dans les comportements humains, même sans chercher à en déterminer l’importance quantitative.

    Car le terme « doxa […] hégémonique » est plutôt blessant pour des gens comme moi qui essaye de prêcher pour sortie de ce débat souvent stérile. Pour moi, la question de l’origine de l’attachement maternelle observé chez certaines femmes (et de son absence chez d’autres), et la tentative de l’assigner à un quelconque inné et acquis est en partie une source de problèmes. Se départir de ce questionnement et « dépasser le débat inné/acquis » me paraitrait tout à fait salutaire. D’ailleurs, mes réflexions dans ce sens se nourrissent d’une littérature exigeante et passionnante (contrairement à une doxa qui selon Wikipedia, est « l’ensemble – plus ou moins homogène – d’opinions (confuses ou non), de préjugés populaires ou singuliers, de présuppositions […] »). Je pense d’ailleurs à des anglo-saxons (comme quoi ; ils ne sont pas tous de méchants déterministes 😉 : SJ Gould, R Lewontin, S Rose et plus récemment, le passionnant d’essai d’Evelyn Fox Keller (The Mirage of a Space between Nature and Nurture). Cette historienne de la biologie retrace l’histoire du débat, et en montre les limites et les absurdités, pour finalement proposer qu’on le dépasse.

    Dans le cas précis de l’attachement maternelle et du désir d’enfant en général, finalement, peu importe quelle en est son origine, sociale ou biologique. Il suffit de reconnaitre la diversité des liens possibles entre mère et enfant, et de ne pas pathologiser les comportements qui s’écartent de la norme. Bien sûr, cela passe par la reconnaissance qu’il existe une pression sociale sur les femmes, et les aider à s’en détacher, à s’en déculpabiliser. Mais l’existence d’un déterminisme biologique partiel dans ces différences n’empêche pas de les accepter.

    Cordialement

    1. Je ne rejete pas par avance toute influence du biologique sur l’attachement maternel, et je n’affirme pas qu’une telle influence n’existe pas : si je le faisais, vous auriez pleinement raison de me le reprocher. Mon point est seulement de dire qu’il est malhonnête d’affirmer ou de laisser entendre que la science a mis au jour et démontré cette influence.

      Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il est vain de se demander d’où vient l’attachement maternel chez une femme, ou d’où vient qu’il est absent chez une autre : à un niveau individuel, le “débat inné/acquis” n’a pas de sens. Par ailleurs, Gould, Rose, Lewontin et Fox Keller ont très bien mis en évidence les limites et absurdités résidant dans la calcul de la part d’héritabilité génétique, et cette dernière dans le livre que vous mentionnez montre bien quelles sont les confusions qui sont faites et qui obscurcissent ce débat.

      Cela dit, pour moi ce débat a un sens quand il s’agit de questionner les différences entre groupes humains, dès lors que la question est posée. Pour prendre celle qui est sous-jacente à mon article, je ne partage pas le point de vue selon lequel “peu importe quelle est l’origine” des différences entre hommes et femmes dans l’envie de s’occuper de leurs bébés. Le fait que leur prise en charge soit très majoritairement assurée par les mères a d’immenses conséquences directes et indirectes, de même que l’adhésion à la croyance selon laquelle ce phénomène est en partie naturel. S’il s’avérait que cette croyance est non justifiée, c’est-à-dire qu’il est entièrement causé par le poids des normes sociales, alors la question se poserait d’engager des actions concrètes pour faire en sorte que ça change (ça ferait à mon avis beaucoup de bien à la société dans son ensemble). Si on lisait partout que s’il y a en France plus de “noirs” que de “blancs” dans les classes socio-économiques défavorisées, c’est en partie parce que les premiers sont plus souvent porteurs d’allèles favorisant une tendance à avoir peu d’ambition, diriez-vous de la même façon qu’il faut laisser dire et dépasser la question de savoir si c’est vrai ou non ?

      1. J’ai l’impression qu’à partir du moment où on accepte ce débat “inné/acquis” à l’échelle des groupes, il va falloir s’attacher à minimiser le déterminisme biologique et à mettre l’accent sur les pressions sociales qui existent. Or il y a alors le risque de glisser vers des débats sur des détails, et un tenant des causes biologiques pourra toujours ressortir une énième étude à charge, ce qui promet d’être long et fastidieux. Sans compter qu’on peut faire l’expérience de pensée inverse de la votre : vous postulez “S’il s’avérait que cette croyance est non justifiée, c’est-à-dire que ce phénomène est entièrement causé par le poids des normes sociales”. On peut imaginer à l’inverse une étude scientifique et sérieuse qui démontre une composante physiologique à l’attachement de la mère à son enfant. Auquel cas, certains pourraient s’appuyer sur cette étude pour renvoyer les femmes à leurs couches et biberons, ce qui serait dramatique.

        C’est pourquoi rejeter le débat “inné/acquis” pour moi ne revient pas à dire “peu importe quelle est l’origine des différences entre hommes et femmes”, mais dire “peu importe la part de biologique dans les différences femmes-hommes” !

        Car si on ne peut exclure une contribution de la physiologie dans l’attachement maternelle, on peut se baser sur ce qu’on comprend de la biologie et expliquer : il n’y a pas une explication génétique simple ou une hormone magique qui explique tout (ce que votre article contribue à faire, et qu’on doit continuer à faire). Il faut expliquer que les animaux sont des êtres complexes, introduire la notion de niveaux de complexité et d’émergence pour expliquer que la génétique et les hormones ne “programment” pas les comportements. Et je trouve toujours utile de rappeler que les animaux non-humains ne sont pas des machines, mais sont aussi influencer par l’environnement et les apprentissages.
        D’ailleurs, concernant le soin maternel de différentes lignées de rats, Jean-Claude Ameisen dans son émission de France inter a cité une étude qui montre que les différences de soin maternel entre différentes lignées étaient en partie « acquises ». Je n’ai malheureusement pas la référence, elle est normalement trouvable sur le site de l’émission.

        Voilà pour moi ce que j’entends par dépasser le débat : quelque soit la part du biologique, elle ne programme rien et elle est complexe et interagit avec l’environnement culture. En fait, l’approche pour faire passer ce message ne diffère pas vraiment de la votre : il faut déconstruire les discours des explications biologiques simplistes, et rappeler le poids des déterminismes sociaux que l’on connait. Mais elle laisse la place dans le discours à un rôle du biologique et à son étude, mais juste en en minimisant les effets quand il s’agit de faire des choix de société.

        Enfin, un dernier mot sur le sujet : finalement, même si les femmes, du fait d’un attachement impliquant du physiologique, développaient un attachement plus fort au début de la vie du bébé, ca n’empêche pas que (1) les pères, les proches, les parents adoptifs peuvent développer des types d’attachement aussi fort, (2) les femmes peuvent revendiquer un partage équitable des soins parentaux, qui n’ont finalement pas grand-chose à voir avec l’attachement. Sans parler des tâches ménagères, encore prise en charge à 80% par les femmes, et là, sans justification biologique ! Pas besoin pour ça d’attendre une putative preuve scientifique d’un attachement biologique, ou son absence (qui serait bien dur à tester expérimentalement…) !

        1. Je ne partage pas votre point de vue, et voici pourquoi :

          – En effet, ça promet d’être long et fastidieux de continuer à déconstruire les explications biologiques NON FONDEES (et non pas seulement les “explications biologiques simplistes”), mais ça n’est pas une raison pour abandonner la partie et laisser dire.

          – Si une étude scientifique sérieuse démontre un jour cette composante physiologique, alors il faudra en tenir compte, tout simplement. Ca n’aura rien de dramatique : le choix entre différentes politiques familiales, etc, restera ouvert et pourra être fait dans le cadre d’un débat démocratique qui sera simplement mieux informé. Je dis cela d’autant plus sereinement qu’au vu des résultats des études ayant tenté de démontrer l’existence de cette composante, son effet serait le cas échéant très, très marginal.

          – Vous dites “peu importe la part de biologique dans les différences femmes-hommes”, mais vous n’avez pas répondu à ma question : je gage que si on lisait partout (relayé par des journalistes scientifiques, affirmé publiquement par des personnalités revêtues d’une autorité scientifique apparente), par exemple, que s’il y a en France plus de « noirs » que de « blancs » dans les classes socio-économiques défavorisées, c’est en partie parce que les premiers sont plus souvent porteurs d’allèles favorisant une tendance à avoir peu d’ambition, vous ne diriez pas aussi facilement qu’il faut laisser dire et dépasser la question de savoir si c’est vrai ou non.

          – Le problème, c’est que concernant les différences entre les sexes, de telles explications biologiques sont omniprésentes et alimentent des croyances très pregnantes. Le fait que les gènes ne programment pas les comportements, que les interactions avec l’environnement comptent beaucoup, est un truisme : le rappeler est insuffisant. Laisser dire que le biologique compte aussi dans l’explication de ces différences, c’est déjà trop si la part de biologique est en réalité complètement insignifiante ou inexistante.

          – Pourquoi les tâches ménagères restent-elles essentiellement prises en charge par les femmes ? Réfléchissez-y, et vous verrez que cette question-là aussi peut renvoyer in fine à des explications biologiques trouvées couramment dans les médias…

  5. Après lecture de vos échanges, suite à l’article de fillod, je constate que vous discutez “entre vous” et que mme Fillod a balayé de la hauteur de ses “références scientifiques” toute opinion contraire à son point de vue. Pour une scientifique je trouve ça dommage.
    Personnellement je n’ai pas d’idée arrêtée sur le sujet mais je ne comprends pas pourquoi cette question du biologique est si “sensible”. Quel est le problème à ce qu’il y ait un fondement biologique à la maternité ? Est-ce que cela signifie pour autant que nous sommes absolument déterminée par nos données biologiques ? Il est évident que non puisque de nombreuses femmes ne veulent pas d’enfant. Elles exercent leur libre arbitre malgré leur “ocytocine” !
    Pour moi l’enjeu serait plutôt de montrer, comme l’a fait françoise héritier, pourquoi la différence homme/femme se transforme en domination d’un sexe sur l’autre ?
    Pourquoi une différence biologique (l’ocytocine est quoi qu’on en dise une hormone qui joue un rôle pour la femme dans la grossesse, l’accouchement et l’allaitement et ce sont les femmes qui portent les enfants non ?) finit par être traitée comme un enjeu social et culturel ? Pourquoi cela fait problème ? Par quels mécanismes et jeux de pouvoir social les données biologiques sont-elles utilisées à des fins idéologiques ?

    1. Je ne balaye pas les opinions contraires aux miennes : je discute seulement les arguments qui me sont opposés, en balayant les faux arguments le cas échéant. Encore une fois, je ne prétends pas que la théorie de l’ocytocine dont je parle ici est fausse, ni de manière plus générale qu’il n’existe aucun “fondement biologique à la maternité” (cf cette mise au point dans mes réponses à P-L. Bardet plus haut). Toutes les hypothèses peuvent être discutées dès lors qu’on les présente bien comme telles, et non qu’on s’autorise de la science pour les asséner afin de démolir ce qu’on appelle avec mépris la “doctrine” d’Elisabeth Badinter.
      Ceci m’amène d’ailleurs à vous retourner votre question : pourquoi tant de gens (et de femmes en particulier) adhèrent si facilement à cette théorie de l’ocytocine, au point que certain-e-s en viennent à affirmer faussement qu’elle est scientifiquement démontrée ?
      Quant à la question de savoir si nous sommes “absolument déterminés par nos données biologiques”, elle ne se pose même pas, mais la seule existence d’une influence de telles données inégalement réparties entre groupes sociaux (de sexe ou autres) est potentiellement lourde de conséquences, et son affirmation non étayée est rarement innocente. Je vous renvoie à ce sujet à la lecture de mon article http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/05/30/debat-inne-acquis/.

  6. Vous avez raison: toute hypothèse mérite d’être mise en doute tant qu’elle n’est pas prouvée ! C’est cela la démarche scientifique. Mais alors ça marche aussi dans l’autre sens. Est-ce que la science est en mesure aujourd’hui d’invalider cette hypothèse, à savoir que l’ocytocine n’aurait aucun impact sur l’instinct maternel ? Votre argumentation paraîtrait peut-être plus équilibrée si vous posiez les choses de cette manière. On a l’impression que vous même avez un parti pris dans cette histoire (ce qui est votre droit) et je suppose que c’est pour cela que votre texte suscite des réactions.
    Cela dit c’est courageux et tout à votre honneur de discuter et de poser ce genre de problème.
    Moi même je travaille sur les questions de maternité dite “naturelle” et ces milieux militants sont très réactifs, de même que ceux à qui ils s’opposent (en gros le milieu médical). J’essaie précisément de comprendre pourquoi ces questions suscitent autant de passion.
    Par exemple, vous dites que les critiques d’Elisabeth Badinter sont “méprisantes” mais elle-même a jugé de façon très méprisante les femmes qui font le choix d’un positionnement “maternant” au nom d’un “naturel” qui n’est peut-être pas très innocent mais qui relève d’un choix. Après tout on ne pense pas à juger ou mépriser les femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant. Il me semble, pour ma part, qu’il est plus intéressant de chercher à comprendre pourquoi ces femmes font de tels choix aujourd’hui plutôt que de critiquer une posture dite idéologique (dans les 2 sens d’ailleurs).
    Cela dit, je vous rejoint quand vous pointez les conséquences potentiellement dangereuses de données biologiques inégalement réparties. C’est justement ce que je disais. Il faut chercher à comprendre comment les données biologiques influencent les comportements sociaux et non pas faire la chasse aux “sorcières du naturel”, si je peux me permettre !

    1. Pour répondre à votre question, je ne pense pas que la science soit pour l’instant en mesure d’invalider complètement cette hypothèse : je sais seulement qu’elle est loin de l’étayer de manière probante, et que certaines des études existantes la mettent sérieusement à mal, comme je l’indique dans cet article et dans la suite que j’ai publiée sur le présent blog.

      Vous me suggérez de poser les choses de manière à examiner de manière symétrique la solidité de l’étayage scientifique des deux théories (instinct maternel vs pas d’instinct maternel), or j’ai plusieurs raisons de ne pas le faire :
      – un tel travail symétrique demanderait un temps fou si je devais l’appliquer à tous les sujets sur lesquels je travaille (cette théorie de l’instinct maternel n’en est qu’une toute petite partie);
      – mon propos sur ce blog n’est pas de prétendre trancher entre deux théories (c’est à la science de s’en charger, si elle le peut), mais de mettre en évidence les écarts entre ce que certains intermédiaires culturels affirment au nom de la science et ce que montrent réellement les études scientifiques disponibles ou invoquées à l’appui de leurs affirmations;
      – j’ai décidé (il s’agit en effet d’un parti pris, que j’assume totalement et qui a plusieurs motivations), de m’intéresser préférentiellement aux discours de naturalisation, c’est-à-dire à ceux qui tendent à expliquer certaines différences entre individus ou entre groupes sociaux par des différences de “nature”; que quelqu’un d’autre fasse donc ce travail sur les discours anti-naturalisation, sur lesquels je ne doute pas qu’il y aurait aussi beaucoup à dire.

      Je ne pense pas que les femmes qui font le choix de l’ “accouchement naturel” et du “positionnement maternant” sont dans une posture idéologique, et je trouve comme vous qu’il est plus intéressant de chercher à comprendre pourquoi elles font de tels choix que de les critiquer, ce que je ne fais d’ailleurs pas (je critique en revanche la diffusion par certain-e-s d’une propagande basée sur des arguments fallacieux). Il me semble que je contribue à ma manière à éclairer les raisons de tels “choix”, qui ne sont pas faits indépendamment d’un contexte social particulier, vous en conviendrez sans doute. Je ne pense pas comme vous que les femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfants ne sont pas jugées, mais c’est un autre sujet.

      Enfin, je ne vois aucun inconvénient à ce que des scientifiques cherchent à comprendre l’influence de telle ou telle donnée biologique sur les comportements… ne serait-ce que parce que c’est parfois un moyen assez efficace pour montrer qu’elle n’en a pas (comme le montre par exemple Rebbeca Jordan-Young dans son livre Brain Storm, au sujet de la théorie de la masculinisation des comportements par la testostérone prénatale).

  7. Tout ce travail de mise en parallèle entre ce qui est présenté comme “acquis” et ce qui est (pour l’instant) prouvé ou pas par la communauté scientifique est vraiment passionnant.

    J’aime aussi la mise en avant publique de “qui a des intérêts où”. Tel scientifique travaille dans quel labo sur quelle étude et a donc des intérêts dans tel domaine.

    Mais alors pourquoi ne pas parler dans le même temps, symétriquement, des intérêts publicitaires de Badinter ? Son explication sur France Culture comme quoi, vraiment, “elle ne pouvait pas s’imaginer qu’on puisse penser ça” est quand même in-croyable au sens premier du terme !

    Ce n’est bien sûr pas *la* chose qui explique tout, vous êtes bien placée pour savoir qu’il y a rarement une unique explication/cause. Mais cette impasse sur cet *environnement* non négligeable de notre philo-publicitaire nationale (peut-on vraiment être philosophe et publicitaire, une question scientifique à démontrer de plus) est un sacré manque à mon humble avis. Car là du coup ça fait l’effet de mettre l’ensemble des propos de Badinter dans le même sac en laissant à penser que (tous) ceux-ci sont légitimes par rapport aux gens qui l’ont critiqué.

    Bon, et maintenant je me couche très tard à force de lire ces interminables articles scientifiques. 🙂

  8. Dans le dernier hors série de Books, il y a justement une interview de Sarah Blaffer Hardy. Ayant lu votre article juste avant, j’ai relevé le passage suivant : “le niveau de prolactine augmente chez les hommes intimement impliqués dans le soin aux enfants et leur niveau de testostérone baisse” et plus loin “les pères ne sont pas aussi réactifs que les mères aux sollicitations d’un enfant, mais le potentiel est considérable”.
    Il n’y a pas de référence aux études correspondantes. Mais peut-être cela a-t-il quand même été démontré ? Elle n’utilise pas le conditionnel…
    En tout cas merci pour votre travail qui me permet d’avoir un regard un peu plus éclairé sur ce type d’article.

  9. Chère Madame,

    Je trouve cet article (ainsi que d’autres de votre blog) très intéressant car il apporte des éléments de réponse à certaines de mes propres interrogations.

    J’aimerais savoir si la scientifique que vous êtes se sent concernée par le reportage diffusé par Arte hier 19 février 201: “Grossesse high-tech ou accouchement naturel, quel choix ? ”
    En tant que féministe, j’ai personnellement été choquée et je me demande s’il n’y aurait pas eu usage abusif de données scientifiques.

    1. En effet, lorsqu’il est dit par exemple que « Lors d’un accouchement naturel et serein, le corps libère de grandes quantités d’ocytocine. Cette hormone de l’amour qui accompagne aussi l’allaitement favorise l’attachement de la maman au bébé, une barrière contre la dépression post-partum et un atout pour commencer sa vie dans de bonnes conditions », on est au-delà de l’usage abusif : dans l’instrumentalisation fantaisiste (voir aussi http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/05/07/ocytocine-et-instinct-maternel/).

      Promotion de l’ « accouchement naturel », sages-femmes, Michel Odent, femmes (le documentaire a été réalisé par deux femmes) revendiquant la « démédicalisation » de l’accouchement, idée de la nécessaire réappropriation par les femmes de l’accouchement… tout y est ! On est ici en plein dans l’un des moteurs de la promotion de la theorie de l’ocytocine décrit dans mon billet.

      Je comprends que ce documentaire heurte votre fibre féministe, car en plus de pousser les femmes enceintes à éviter le plus possible la prise en charge médicale, il les encourage à ne pas travailler (“Les futures mamans savent d’instinct que trop de travail et de perfectionnisme sont mauvais pour leur bébé”) et suggère très fortement qu’elles doivent se consacrer à leur bébé après la naissance (“on a mis en évidence le fait qu’un bébé a besoin de sa mère”). Compte tenu des différences entre Allemagne et France en termes de politiques et modèles familiaux (l’incitation des jeunes mères à cesser de travailler est beaucoup plus forte en Allemagne), il n’est sans doute pas indifférent que ce documentaire soit allemand et prenne comme repoussoir une maternité française high-tech : peut-être s’inscrit-il aussi dans une crainte de l’importation du modèle français (qu’avait vanté Angela Merkel lors d’une conférence de presse faite aux côtés de Nicolas Sarkozy) ?

      1. Chère Madame,
        Je vous remercie de votre réponse.
        J’espérais bien que l’utilisation qui est faite de l’ocytocine vous ferait réagir. Je n’ai pas reçu de formation scientifique approfondie mais, selon mon expérience personnelle (j’ai vécu un accouchement par césarienne et un accouchement par voie basse), le facteur réellement déterminant de la qualité du lien mère/enfant, c’est l’existence, pour la mère, d’un soutien actif de la part de ses proches.
        Par ailleurs, il m’a semblé, tout comme vous, que ce reportage était fortement influencé par la mentalité allemande en matière de maternage.

  10. J’ai moi-même un peu “enquêté” (cf. sudoc.abes) : en quoi Elisabeth Badinter est-elle philosophe ? A-t-elle soutenu au moins une thèse de 3ème cycle en philo ou publié au moins un article dans une revue à comité de lectures de chercheurs en philo ?
    Elle a eu l’agrégation de philo, ce qui donne droit à un emploi d’enseignante en lycée, mais il me semble que l’agrégation ne nécessite pas l’acquisition de la méthodologie scientifique pour faire de la recherche. D’ailleurs, cette méthodologie ne me semble pas être correctement appliquée dans la recherche français en philo.

    Si vous voulez donner des précisions sur les compétences d’EB en philo, merci d’avance, très sincèrement.

    Par ailleurs l’instinct maternel est-il un sujet qui relèverait de la philo ?

    Il y a trop de gens qui raisonnent ou philosophent sur des sujets dans lesquels illes ne sont absolument pas expert-e-s.

    Je reviendrai approfondir un autre jour, mais je crois qu’on peut être féministe sans être heurtée par la possibilité que les rôles de mère et père ne sont pas parfaitement interchangeables après la naissance.

    Bien cordialement,

    1. Bien que votre question s’adresse à l’auteure du blog, je me permet d’esquisser une réponse.

      1) Le but de l’article d’Odile Fillon est de démonter l’affirmation qu’il a été scientifiquement établi que la production d’ocytocine peripartum produit de l’attachement à l’enfant. Il ne s’agit pas de donner raison à Badinter contre ses contradicteurs. En effet, il est possible que Badinter refuse la naturalisation de l’attachement maternel pour de mauvaises raisons. Ou tout du moins des raisons qu’Odile Fillon ne ferait pas sienne. (c’est fort probable par exemple que Badinter ne se livre pas à une analyse des travaux de Blaffer Hrdy)

      2) L’agrégation de philosophie a été sacralisée dans la champ philosophique français. Elle vaut hélas “brevet de philosophe”. La preuve : nombre d’agrégés de philosophie n’enseignent pas dans le secondaire mais dans le supérieur. Si on ne devait juger que sur les titres, bon nombre de philosophes français reconnaîtraient ainsi probablement Badinter comme une de leurs pairs.

      3) Mais la profession de “philosophe” n’est pas réglementée en France. A strictement parler, rien n’interdit de produire un excellent travail philosophique sans le moindre diplôme de philosophie. Juger Badinter sur l’absence de doctorat me semble un peu bas du front.

      4) Sur les relations entre méthodologie philosophique et scientifique, des volumes entiers ont été écrits. Pour faire court, il existe en France et à l’international des revues de philosophie à comité de lecture qui suivent le modèle des revues des autres disciplines académiques. Pour revenir au cas particulier de Badinter, elle ne publie pas à ma connaissance dans ces revues mais se contente de publier des ouvrages non-soumis à l’évaluation des pairs. Publier des essais n’est pas une mauvaise chose en soi, cela interdit simplement de se réclamer de l’autorité de la communauté académique.

      5) L’investigation empirique sur l’instinct maternel, comme toute investigation empirique, n’est pas du ressort de la philosophie. En revanche comme l’a dit un commentateur précédent (Gould, Lewontin, Fox Keller,…), de nombreux philosophes de la biologie apportent un éclairage conceptuel sur le débat inné/acquis.

  11. Chère Madame,

    Chapeau bas pour votre travail, c’est un réel plaisir de lire vos sujets ! Et merci de nous laisser le loisir de réagir à vos travaux, ce qui doit est chronophage pour vous ! Je regrette la véhémence de certains messages, mais ce genre de sujet a tendance à déchaîner les passions..

    Je déterre un sujet bien ancien, que j’ai lu il y a un petit bout de temps, mais très récemment je suis tombé sur une émission de France culture parlant de l’instinct parental.

    Voici le lien de cette émission :
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-jeudi-28-janvier-2021

    Dans cette émission, la personne interviewée (Catherine Dulac) présente ses travaux, qui mettent en lumière les mécanismes cérébraux de l’instinct parental chez la souris.. qui sont présents chez les mâles et les femelles mais activé ou non selon le genre de l’individu !

    Et ces instincts seraient déclenchés par les hormones propre aux mâles/aux femelles d’après ce qui est dit.
    Pourtant, après avoir lu quelques uns de vos articles, ça m’a surpris de voir ce clivage hormonal entre mâle et femelle. De même, elle cite differentes situation où une femelle gagne un comportement masculin et inversement, comme le ferait un switch on off, par sectionnement d’un recepteur olfactif par exemple, ou bien injection de testostérone..

    Ma question est donc :
    Si le cerveau n’est pas sexué comme il est annoncé au début de l’émission, est-ce que des hormones peuvent déclencher de tels comportements, sur commande ?
    On aurait alors un fondement biologique, non pas de la maternité, mais de la parenté, ce qui mettrait un nouvel angle à ”l’instinct maternel”.

    Bien Cordialement

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