Sérotonine, races et civilisations

La vulgarisation des études portant sur la génétique de la dépression, notamment telle qu’elle est faite par Boris Cyrulnik, mérite largement une analyse critique. Celle-ci s’impose d’autant plus que la portée politique de cette vulgate est incalculable.

Le gène du transporteur de la sérotonine prédisposerait à sombrer ou non dans la dépression face à l’adversité. C’est notamment le neuropsychiatre médiatique Boris Cyrulnik qui a popularisé cette théorie en France à partir de 2006 [1]. Dans son livre De chair et d’âme, il consacre en effet un sous-chapitre à ce qu’il appelle ici « le gène du surhomme », là « le déterminant génétique de la vulnérabilité », expliquant son effet dans les termes suivants :

« Les allèles façonnent les protéines cellulaires qui les entourent, en les dépliant ou en les torsadant, ce qui leur donne une forme particulière. Il s’ensuit que certains gènes, en façonnant des protéines longues, leur permettent de transporter beaucoup de sérotonine (5-HTT Long) alors que d’autres deviendront de petits transporteurs de sérotonine (5-HTT Short). On sait que la sérotonine joue un rôle majeur dans l’humeur gaie ou dépressive. […] Quand un organisme transporte et utilise la sérotonine, les gens disent qu’ “ils se sentent bien”. C’est cette fonction qui est utilisée par les médicaments “antidépresseurs”. En effet, les humains et les singes petits transporteurs de sérotonine sont plus lents et plus paisibles lors des jeux et des compétitions hiérarchiques. En cas d’évènement stressant, ils réagissent de manière plus émotionnelle et désorganisent leurs interactions pendant un temps plus long que les gros transporteurs. […] En cas de perte affective, les petits transporteurs réagissent douloureusement. Leur extrême sensibilité les pousse à rechercher une manière de vivre paisible où ils parviennent à s’équilibrer en tissant des liens affectifs stables et sécurisants. […] Dans la même situation, les gros sécréteurs d’antidépresseur naturel meurent d’ennui.». [2]

Dans le cadre de la promotion de son livre, Cyrulnik propage cette théorie dans divers médias : dans un dossier auquel Le Nouvel Observateur consacre sa Une lors de la sortie du livre [3], sur le site Doctissimo [4], sur France 2 [5], etc. En outre, dans un encadré censé expliquer « la chimie du bonheur », Le Nouvel Observateur la reprend à peu près telle qu’elle en ne l’attribuant pas à Cyrulnik [6] (contrevenant à un principe de base de l’éthique journalistique, le magazine lui confère ainsi une valeur de vérité encore accrue). Telle qu’il la décrit, cette théorie ressemble à ça :

 

Dans un entretien publié dans Le Point fin 2010 à l’occasion de la sortie d’un nouveau livre, Cyrulnik mobilise à nouveau cette théorie en affirmant notamment que les petits transporteurs de sérotonine « éprouvent avec crainte toute nouvelle information », « se sentent très vite agressés, ont très facilement honte », au contraire des gros transporteurs qui « accueillent toute nouveauté comme un événement surprenant, amusant, stimulant » [7]. Significativement, c’est encore lui – sans autre référence – qui est invoqué dans un article de décembre 2011 du magazine Clés à l’appui de l’idée qu’on est pessimiste ou optimiste selon qu’on est « petit ou grand porteur de sérotonine » [8], la vulgarisation de vulgarisation faite ici nous éloignant encore un peu plus des données scientifiques, comme nous allons le voir.

Les données scientifiques qui sont à l’origine de cette vulgate

La sérotonine est un composé chimique qui sert de messager chimique dans certaines zones du cerveau. Des neurones la synthétisent, et lorsqu’ils reçoivent un signal nerveux ils la libèrent dans l’aire de jonction avec les neurones auxquels ils sont connectés (fente synaptique). Lorsque la sérotonine est captée par des récepteurs spécifiques situés sur ceux-ci, elle déclenche un nouveau signal (variable selon le type de récepteur). Avant d’être dégradée par une enzyme, la sérotonine non captée par un neurone postsynaptique peut aussi être captée par les récepteurs à la sérotonine du neurone présynaptique (conduisant éventuellement celui-ci à ralentir la synthèse de sérotonine), ou bien recaptée via un transporteur membranaire, le fameux « transporteur de la sérotonine ». Ce fonctionnement peut être schématisé ainsi :

C’est cette recapture par le transporteur qui est empêchée par les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine (ISRS), une classe d’antidépresseurs mise au point dans les années 1980 devenue la plus utilisée, à laquelle appartient notamment le Prozac. L’hypothèse sous-jacente à leur utilisation est que la dépression serait liée à un manque de stimulation des neurones récepteurs dans le système limbique. En inhibant la recapture de la sérotonine par le transporteur, les ISRS permettent à celle-ci de rester plus longtemps dans la fente synaptique, augmentant sa probabilité d’être captée par le neurone récepteur. Ainsi, celui-ci serait davantage stimulé, ce qui permettrait de sortir de la dépression.

En 1995, les progrès de la génomique permettent de localiser le gène codant pour le transporteur de la sérotonine (5-HTT). Compte tenu du mode d’action des ISRS rappelé ci-dessus, les chercheurs en génétique psychiatrique s’y intéressent tout particulièrement. Un premier polymorphisme courant est identifié, et dès 1996 une étude génétique d’association trouve un lien entre ce polymorphisme et le risque de dépression [9]. Cependant, ce lien n’est pas confirmé par les études ultérieures.

Deux études publiées en 1996 par une équipe germano-américaine, portant sur un second polymorphisme courant identifié dans une portion d’ADN qui régule l’expression du gène, suscitent de leur côté un intérêt considérable [10]. L’une montre que cette région se rencontre sous deux variantes, une courte (S) et une longue (L), et que la variante S conduit in vitro à une moindre transcription du gène 5-HTT (des études ultérieures confirment ce résultat, suggérant que chez les porteurs des génotypes LS ou SS, l’activité de recapture de la sérotonine est plus faible car ils fabriquent le transporteur en moins grande quantité). L’autre rapporte, sur la base d’un échantillon de 505 personnes dont 86 % de « blancs non-hispaniques », que les porteurs des génotypes LS ou SS sont plus susceptibles d’avoir des traits de la personnalité censés être liés à l’anxiété que les porteurs du génotype LL. Les auteurs font l’hypothèse que c’est parce que la moindre recapture de la sérotonine entraîne chez eux un excès de stimulation des neurones récepteurs, d’où une tendance anxieuse qui prédisposerait in fine à la dépression. Bien qu’ils indiquent aussi que selon leurs calculs, seulement 3 à 4 % de la variabilité des traits anxieux mesurés est attribuable à cette variabilité génétique, cette étude préliminaire suscite de très nombreuses tentatives de réplication/extension. Las, il s’agissait semble-t-il à nouveau d’une fausse piste : ces études échouent collectivement à confirmer un lien direct entre ce second polymorphisme et le risque de dépression.

C’est en 2003 qu’est publiée dans Science une étude dans laquelle un groupe de chercheurs néo-zélandais, anglais et américains remédient à cet échec en changeant de paradigme, ce qui va à nouveau susciter un intérêt phénoménal [11]. Leur étude prospective de 23 ans a porté sur une cohorte de 847 enfants néo-zélandais initialement âgés de 3 ans, tous « caucasiens non-Maori ». Sa grande nouveauté est de tenir compte des événements stressants survenus au cours de la vie : les auteurs rapportent ainsi que la présence de l’allèle S accroît le risque de survenance de symptômes dépressifs à 26 ans chez les individus victimes de maltraitance dans l’enfance, de même que le risque d’avoir des symptômes dépressifs, une dépression majeure ou des tendances suicidaires à 26 ans chez les individus ayant eu après 21 ans des difficultés professionnelles, financières, de logement, de santé ou relationnelles.

Une première remarque s’impose ici : la reformulation des données scientifiques divulguée par Boris Cyrulnik est fantaisiste et trompeuse. D’une part, la protéine codée par le gène 5-HTT n’est pas plus ou moins « longue » et par suite le transporteur plus ou moins « gros » selon cette variante génétique, être « gros transporteur » n’équivaut pas à être « gros sécréteur », et le transporteur intervient dans la régulation de la transmission sérotoninergique d’une manière bien plus subtile qu’il ne le laisse entendre. D’autre part, contrairement à ce qu’il prétend cette variabilité génétique n’induit pas une dichotomie (d’un côté les individus prédisposés à la « vulnérabilité », de l’autre les « surhommes »), les différents génotypes n’étant que statistiquement associés à des tendances moyennes différentes. Mais ce n’est pas tout. Comme nous allons le voir, ce qu’il décrit comme s’il s’agissait d’un fait établi n’est qu’une hypothèse suggérée par cette étude préliminaire publiée en 2003, étude dont la confirmation s’avéra problématique.

Ce lien entre gène du transporteur de la sérotonine et réaction dépressive aux événements stressants a-t-il été confirmé après la publication de 2003 ?

Plusieurs dizaines d’études ont tenté, sur des échantillons de populations divers, de répliquer ce résultat ou plus généralement d’évaluer l’association statistique entre ce polymorphisme du transporteur de la sérotonine, le stress vécu et les symptômes dépressifs. Elles ont rapporté des résultats parfois congruents avec ceux de l’étude de 2003, parfois non. Certaines ont abouti à des résultats surprenants, telles deux études publiées en 2006 et 2008 rapportant que le risque de développer des symptomes dépressifs associés à l’expérience de certains stresseurs était accru chez les femmes par le fait d’être porteur de l’allèle S, mais chez les hommes par celui d’être porteur de l’allèle L (!) [12].

En 2009, deux méta-analyses indépendantes ont abouti à la conclusion que sur la base des données pertinentes rapportées dans la littérature scientifique, l’effet de ce polymorphisme génétique sur le risque de dépression en général et sur l’interaction entre événements stressants et risque de dépression en particulier était inexistant ou négligeable [13]. En réponse à celles-ci, une autre a conclu à un effet statistiquement significatif sur l’interaction entre événements stressants et risque de dépression, mais ses auteurs sont personnellement intéressés au maintien de cette hypothèse de recherche, et pour aboutir à cette conclusion ils ont sélectionné de nombreuses études qui n’avaient pas été jugées éligibles par les auteurs des deux précédentes méta-analyses [14]. En outre, ils ne quantifient pas l’effet éventuel de ce polymorphisme, dont ils reconnaissent qu’il est moins assuré en ce qui concerne la réaction aux événements stressants (en général) qu’en ce qui concerne la réaction aux traumatismes infantiles et à la maladie.

Par conséquent, une seconde remarque s’impose : outre le fait qu’il a largement travesti les données scientifiques (comme on l’a vu plus haut), Boris Cyrulnik a divulgué ce qui n’était qu’une hypothèse de recherches en la présentant comme un fait établi, et a continué à le faire bien que cette hypothèse ait été fortement remise en cause au sein de la communauté scientifique. Cette hypothèse reste explicitement controversée [15], et il est possible que la controverse ne soit pas résolue avant de longues années [16].

Mais quel rapport avec « races et civilisations » ?

La notion de race telle que définie pour les animaux d’élevage ou domestiques n’est pas pertinente chez l’Homme, inutile d’y revenir. Il n’en reste pas moins qu’on rencontre certaines variantes génétiques plus ou moins fréquemment selon le bassin géographique de population qu’on analyse. Or il se trouve que c’est justement le cas pour le polymorphisme du transporteur de la sérotonine que je viens d’évoquer. Les pourcentages varient selon les populations étudiées, mais la littérature scientifique indique néanmoins que chez les « Occidentaux » pris globalement, l’allèle court serait près de 2 fois moins fréquent que chez les « Asiatiques » pris globalement [17].

En d’autres termes, si la théorie promue par Cyrulnik était vraie, on pourrait affirmer que les « Asiatiques » sont génétiquement plus « vulnérables » psychologiquement que les « Occidentaux », ou encore que le « gène du surhomme » se rencontre plus fréquemment chez ces derniers (cf ses écrits cités plus haut). Les chercheurs prenant au sérieux l’hypothèse d’un effet de la variabilité du gène du transporteur de la sérotonine sur le risque de dépression, confrontés au fait que la dépression n’est pourtant pas plus fréquente en Asie, en sont venus à suggérer que c’est parce que les « Asiatiques » ont développé une culture moins individualiste que celle des « Occidentaux », qui compense leur handicap en les protégeant contre la dépression. C’est ce raisonnement qui est développé tranquillement dans l’article de 2011 du magazine Clés déjà cité, appliquée ici aux « peuples du Nord » :

« Les peuples du Nord, génétiquement homogènes, auraient tendance à être porteurs de la version courte du gène 5-HTT – dont dépend une protéine transporteuse de sérotonine. Ils sont donc “petits porteurs” du neurotransmetteur de la sérénité et ont tendance à tomber dans la déprime et le pessimisme – bonjour Ingmar Bergman ! Or, quand les instituts de sondage procèdent au classement des nations du monde suivant leur degré d’optimisme, les Nordiques caracolent toujours en tête. Pourquoi ? Selon les psychosociologues, […], ils ont inventé des formes d’organisation sociale tellement conviviales et sécurisantes que le processus s’est inversé. Chez eux, l’inné a été collectivement corrigé par l’acquis. Les Français ne feraient-ils pas la démonstration inverse ? » [8].

Ainsi donc Nicolas Sarkozy, convaincu d’être lui-même doté de prédispositions innées lui permettant de ne jamais baisser les bras face à l’adversité, fervent défenseur de « la civilisation de la république française » (dont il considère que la valeur est évidemment supérieure à celle d’autres civilisations) ainsi que du maintien du mot « race » dans la Constitution, qui souhaite limiter l’immigration ainsi que les mariages mixtes [18], serait fondé à le faire en arguant que l’incorporation au patrimoine génétique de la France de certains peuples génétiquement inadaptés à notre culture y augmenterait le nombre de dépressifs en puissance.

Epilogue (provisoire)

Dans le fameux article de 2003, les auteurs se gardaient bien d’interpréter leur résultat, et pour cause : alors que les antidépresseurs sont censés permettre de sortir de la dépression en inhibant la recapture de la sérotonine, ils suggèrent que la moindre recapture de la sérotonine augmente le risque de réagir par une dépression à l’adversité, ce qui semble difficile à réconcilier. Il est possible de résoudre cette contradiction apparente en mobilisant certaines hypothèses plus ou moins tarabiscotées [19]. Mais elle pourrait aussi être résolue beaucoup plus simplement, avec l’invalidation conjointe de ces deux théories.

Comme nous l’avons vu, il est en effet fort possible que le polymorphisme du gène du transporteur de la sérotonine n’ait strictement aucun effet sur la réaction des individus face à l’adversité. De l’autre côté, une étude très solide publiée début 2008, précisant ce qu’on soupçonnait depuis plusieurs années, a complètement remis en question l’efficacité supposée des ISRS [20]. Il s’agit d’une méta-analyse de 47 essais cliniques portant sur les 6 principaux ISRS, dont l’intérêt est qu’elle inclut les essais qui en raison de leurs résultats négatifs n’avaient pas été publiés par les laboratoires pharmaceutiques qui les avaient financés. Les auteurs en concluent que les ISRS ne sont pas significativement plus efficaces qu’un placebo, sauf chez les patients atteints de dépression très sévère, et ce uniquement du fait d’un moindre effet placebo chez ceux-ci.

Ouf ! Nous voilà rassurés quant à la possibilité d’échapper tant au développement d’une nouvelle forme de racisme scientifié qu’à l’emprise de l’industrie pharmaceutique sur nos cerveaux déprimés.
Mais ce n’est qu’une possibilité.

Odile Fillod

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Notes

[1] Avant cela il ne s’exprimait guère, en France en tout cas, sur les déterminants génétiques de la résilience en général et sur le gène du transporteur de la sérotonine en particulier. Lorsqu’Olivier Postel-Vinay consacre en 2005 un article à la description de deux études scientifiques accréditant cette hypothèse, il évoque ainsi les livres de Boris Cyrulnik mais seulement au sujet du rôle décisif pour la résilience de l’existence d’une forte relation d’attachement entre l’enfant et un adulte (cf Olivier Postel-Vinay, 07/2005, Ces gènes qui font de la résilience, La Recherche, n°388). En revanche, dans une interview donnée à Radio Canada en 2001, Cyrulnik explique déjà que parmi les facteurs qui favorisent une évolution résiliente, il y a « le tempérament de l’enfant », et qu’il y a une part d’inné dans celui-ci : « Naturellement, des déterminants génétiques existent. En dépit des affirmations des psychologues, on peut prédire un nombre élevé de comportements. Ainsi, en observant une bandelette d’ADN, on peut savoir que le cerveau de tel individu sécrétera beaucoup de dopamine ou de sérotonine, substances cérébrales qui rendent actifs et donnent une fringale de vie. » (cf http://www.radio-canada.ca/par4/mag/20010325/vb/cyrulnik_univers_resilients.html).

[2] Boris Cyrulnik, 2006, De chair et d’âme, Odile Jacob, p. 25-26 et 35. On remarque d’ores et déjà le caractère approximatif de ce discours pseudo-savant, « allèle » étant ici employé à tort pour « gène » et inversement.

[3] Dans « Apprendre à être heureux », Le Nouvel Observateur, n°2187, 05/10/2006, p.12, article du dossier du même nom réalisé par Claude Weill, Cyrulnik explique que nous ne sommes pas égaux devant le bonheur et que « la première des inégalités est d’ordre génétique. Ce qu’on appelle le bonheur et le malheur […] est lié, entre autres, à la production par l’organisme d’une substance chimique, un neuro-médiateur nommé sérotonine, qui est un antidépresseur naturel. […] Or les individus – chez les humains comme chez les primates et d’autres espèces animales – ne sont pas égaux à cet égard. Il y a des gros transporteurs et des petits transporteurs de sérotonine. ».

[4] Cyrulnik y explique notamment : « On sait qu’il y a des gens dont le cerveau est capable de transporter une grande quantité de sérotonine. Ce neuromédiateur est à l’origine des sentiments de plaisir et de bien-être. Ils vont être stimulés cérébralement, plus éveillés. Ils auront en quelque sorte le “bonheur facile”. », in Alain SOUSA (propos recueillis par), 28/12/2006, A la recherche du bonheur, en ligne sur www.doctissimo.fr (toujours en ligne le 16/03/2012).

[5] Dans l’émission « Les secrets de notre cerveau » diffusée à 20h30 sur France 2 le 24/04/2007, il explique doctement que des gènes commandent la fabrication de sortes de péniches qui transportent la sérotonine dans le cerveau, et qu’elles sont plus ou moins grosses selon les individus.

[6] Encadré « La chimie du bonheur » du dossier « Apprendre à être heureux » réalisé par Claude Weill, Le Nouvel Observateur, n°2187, 05/10/2006, p.14 : « La sérotonine [agit] comme un antidépresseur. Si on en produit beaucoup, on est euphorisé, intéressé par le monde extérieur. On a tendance à avoir une représentation positive du monde. Or la production de sérotonine obéit à un déterminant génétique. Certains gènes, en façonnant des protéines longue, leur permettent de transporter beaucoup de sérotonine (5-HTT Long), alors que d’autres deviendront de petits transporteurs de sérotonine (5-HTT Short). ». Le journaliste reproduit entre autres l’utilisation erronée de « gène » au lieu de « allèle », cette notion de génétique étant pourtant extrêmement basique.

[7] Cf Emilie LANEZ, 02/09/2010, Boris Cyrulnik : “J’ai connu la honte”, Le Point. Entretien publié à l’occasion de la sortie de son nouveau livre chez Odile Jacob, Mourir de dire. Extrait : « [E. Lanez :] Sommes-nous, mammifères humains, plus ou moins génétiquement disposés à la honte ? [B. Cyrulnik :] Environ 15 % des mammifères sont de petits transporteurs de sérotonine, ce neuromédiateur du bien-être, de l’affirmation de soi. Ils ont une susceptibilité génétique particulière induite par un gène muté. Ces faibles transporteurs de sérotonine éprouvent avec crainte toute nouvelle information, ils se sentent très vite agressés, ont très facilement honte. A l’inverse, les gros transporteurs de sérotonine – 85 % des mammifères – accueillent toute nouveauté comme un événement surprenant, amusant, stimulant. Les bébés petits transporteurs de sérotonine sont des bébés sursauteurs, très sensibles, qui ont fort besoin d’être sécurisés. ».

[8] Patrice VAN EERSEL, 12/2011, Nous sommes tous des optimistes, Clés, n°74, p. 56-66. Extrait : « Pessimisme et optimisme ne dépendent pas de notre richesse, […], mais semblent inscrits dans nos gènes. Promoteur de la résilience dans l’adversité, Boris Cyrulnik parle des petits et des grands “porteurs de sérotonine“. Les petits dépriment pour un rien ; les grands, naturellement imprégnés de ce “neurotransmetteur de la sérénité“, voient la vie en rose. ».

[9] A.D. OGILVIE, S. BATTERSBY, V.J. BUBB, G.FINK, A.J.HARMAR, G.M. GOODWIN, et al., 1996, Polymorphism in serotonin transporter gene associated with susceptibility to major depression, Lancet, vol.347, p.731–733.

[10] Armin HEILS, Andreas TEUFEL, Susanne PETRI, Gerald STÖBER, Peter RIEDERER, Dietmar BENGEL, K. Peter LESCH, 1996, Allelic variation of human serotonin transporter gene expression. Journal of Neurochemistry, vol.66, p. 2621-2624; Klaus-Peter LESCH, Dietmar BENGEL, Armin HEILS, Sue Z. SABOL, Benjamin D. GREENBERG, Susanne PETRI, Jonathan BENJAMIN, Clemens R. MÜLLER, Dean H. HAMER, Dennis L. MURPHY, 1996, Association of anxiety-related traits with a polymorphism in the serotonin transporter gene regulatory region, Science, vol.274(5292), p.1527-1531. Selon le Web of Science de Thomson Reuters, au 15 mars 2012 le premier article avait été cité dans plus de 1000 publications, le second dans près de 2400. On reconnaît parmi les auteurs du second Dean Hamer, l’auteur de la fameuse (fausse) découverte du « gène de l’homosexualité ». Il livre quelques informations sur les circonstances de son passage à ce sujet d’étude dans Robert POOL, 07/1998, Du gène “gay” au gène de la gaieté, La Recherche, n°311, p.34-37 (traduction de l’article « Portrait of a Gene Guy » paru dans Discover en octobre 1997).

[11] Avshalom CASPI, Karen SUGDEN, Terrie E. MOFFITT, Alan TAYLOR, Ian W. CRAIG, HonaLee HARRINGTON, Joseph McCLAY, Jonathan MILL, Judy MARTIN, Antony BRAITHWAITE, Richie POULTON, 2003, Influence of life stress on depression: moderation by a polymorphism in the 5-HTT gene, Science, vol.301(5631), p. 386-389. Selon le Web of Science de Thomson Reuters, au 15 mars 2012 cet article avait été cité dans plus de 2600 publications.

[12] Cf R.L. SJOBERG, K.W. NILSSON, N. NORDQUIST et al., 2006, Development of depression: sex and the interaction between environment and a promoter polymorphism of the serotonin transporter gene, International Journal of Neuropsychopharmacololgy, vol.9, p.443-449. Cette étude rapporte que dans leur échantillon, les filles ayant deux allèles S avaient plus de risque de développer une dépression si elles avaient vécu un conflit familial que celles n’ayant pas vécu ce type de conflit ou ayant au moins un allèle L, et que pour les garçons au contraire, la présence de l’allèle S diminuait le risque de dépression face à un conflit familial. Cf Beverly H BRUMMETT, Stephen H BOYLE, Ilene C SIEGLER et al., 2008, Effects of environmental stress and gender on associations among symptoms of depression and the serotonin transporter gene linked polymorphic region (5-HTTLPR), Behav Genet, vol.38(1), p. 34-43. Cette étude rapporte que sur deux échantillons différents, l’un avec un stress actuel (ici la prise en charge d’un parent âgé atteint de démence), l’autre avec une vie stressante dans l’enfance (ici le fait d’avoir un père de bas niveau socioéconomique !), le risque d’avoir des symptômes dépressifs était augmenté par l’allèle S chez les femmes, mais augmenté par l’allèle L chez les hommes.

[13] Marcus R MUNAFO, Caroline DURRANT, Glyn LEWIS, Jonathan FLINT, 2009, Gene x Environment interactions at the serotonin transporter locus, Biological Psychiatry, vol.65(3), p.211-219 ; Neil RISCH, Richard HERRELL, Thomas LEHNER, Kung-Yee LIANG, Lindon EAVES, Josephine HOH, Andrea GRIEM, Maria KOVACS, Jurg OTT, Kathleen Ries MERIKANGAS, 2009, Interaction between the serotonin transporter gene (5-HTTLPR), stressful life events, and risk of depression: a meta-analysis, JAMA, vol.301(23), p. 2462-2471.

[14] Katia KARG, Margit BURMEISTER, Kerby SHEDDEN, Srijan SEN, 2011, The serotonin transporter promoter variant (5-HTTLPR), stress, and depression meta-analysis revisited: evidence of genetic moderation, Archives of General Psychiatry, vol.68(5), p.444-454. Les deux auteurs pincipaux de cet article sont directement intéressés à la sauvegarde de cette hypothèse de recherches : la carrière de Margit Burmeister est depuis de nombreuses années entièrement consacrée à la recherche de gènes impliqués dans les troubles neurologiques, psychiatriques et comportementaux, et Srijan Sen s’est quant à lui plus spécifiquement spécialisé, depuis son doctorat au début des années 2000, dans la recherche de liens entre gènes et dépression.

[15] Voir par exemple M. WANKERL, S. WUST, C. OTTE, 2010, Current developments and controversies: does the serotonin transporter gene-linked polymorphic region (5-HTTLPR) modulate the association between stress and depression ?, Current Opinion in Psychiatry, vol.23(6), p 582-587. Tout récemment, dans un communiqué de presse du CNRS daté du 28/11/2011 intitulé « Dépression : les liens entre environnement, psychologie et génétique se précisent », des chercheurs français dont les travaux n’invalident pourtant pas a priori l’hypothèse d’une accentuation par l’allèle S de l’impact des événements stressants, reconnaissent eux-mêmes que « cette hypothèse reste controversée ».

[16] Voir John HARDY et Nancy C. LOW, 2011, Genes and environment in psychiatry, Archives of General Psychiatry, vol.68(5), p.455-456. Les auteurs reviennent sur les faiblesses de l’étude séminale de 2003 et expliquent pourquoi il est difficile de la répliquer.

[17] Cette différence a notamment été observée dans plusieurs études entre « Caucasiens » d’une part et « Japonais » ou « Chinois » d’autre part. Pour une synthèse, voir Chikako KIYOHARA, Kouichi YOSHIMASU, 2010, Association between major depressive disorder and a functional polymorphism of the 5-hydroxytryptamine (serotonin) transporter gene: a meta-analysis, Psychiatric Genetics, vol.20(2), p.49-58. Compte tenu de la séduction qu’exerce sur les chercheurs en psychiatrie biologique l’hypothèse d’une implication de ce polymorphisme du gène du transporteur de la sérotonine dans divers troubles mentaux, de nombreuses études ont été réalisées dans diverses régions du monde sur ce sujet et s’intéressent aux différences entre groupes ethniques. Chercher des différences ethniques (de même que des différences entre hommes et femmes) est considéré comme une piste pour sortir du marasme dans lequel ces chercheurs se trouvent, sans cesse confrontés à l’échec de la réplication de résultats préliminaires : ils espèrent que l’incohérence des observations en génétique psychiatrique est due à l’hétérogénéité génétique des échantillons de population qu’elles considèrent. Le découpage ethnique réalisé dans ce cadre est de plus en plus raffiné. Des chercheurs russes ont ainsi rapporté en 2008 que chez les « Caucasiens » vivant en Croatie, les génotypes LS et SS seraient significativement moins fréquents que chez les « Caucasiens » de trois groupes ethniques présents en Russie, les Russes, les Tatars et les Bashkirs, ces deux derniers (d’origine turque) ayant la plus haute fréquence du génotype SS (cf Tatyana NOSKOVA, Nela PIVAC et al., 2008, Ethnic differences in the serotonin transporter polymorphism (5-HTTLPR) in several European populations, Progress in Neuro-Psychopharmacology & Biological Psychiatry, vol. 32(7), p. 1735-1739).

[18] « Toutes les civilisations ne se valent pas », a affirmé Claude Guéant, Ministre de l’intérieur, le 05/02/2012 sur France Inter, certaines n’ayant selon lui de toute évidence pas « la même valeur que la nôtre ». Nicolas Sarkozy, Président de la République, qui avait déjà indiqué le 06/02/2012 que ces propos relevaient du « bon sens », y a fait à nouveau allusion lors d’un meeting le 03/03/2012, en se livrant à un plaidoyer pour « la civilisation de la république française ». Lors d’un meeting tenu le 17/03/2012, il a déclaré en réaction au projet de François Hollande de faire effacer le mot « race » du préambule de la Constitution : « Je ne laisserai pas effacer ce mot d’un document qui est un document sacré dans l’histoire de France » (interrogé à ce sujet le 14/03/2012 sur Europe 1, il avait déjà déclaré que ce projet était « ridicule », ajoutant : « Le problème n’est pas le mot, le problème, c’est la réalité »). Dans un entretien publié dans Le Figaro du 10/02/2012, il a indiqué vouloir poursuivre la politique de réduction de l’immigration et conditionner l’obtention d’un titre de séjour par mariage mixte aux mêmes conditions de logement et de ressources. Le 06/03/2012 sur France 2, il a déclaré : « je ne renonce jamais, je suis né comme ça ».

[19] Les auteurs de l’étude publiée dans Science en 1996 (Lesch et al, cf note [10]) avaient quant à eux reconnu que ces résultats étaient contradictoires, et imaginé des hypothèses permettant de les réconcilier : les patients dépressifs pourraient avoir des dysfonctionnement de base du transporteur améliorés par les antidépresseurs, ou les antidépresseurs pourraient avoir d’autres propriétés pharmacologiques contribuant à leur efficacité, ou encore la différence dans la recapture induite tout au long de la vie par cette différence génétique pourrait avoir des effets différents de ceux induits par ces antidépresseurs administrés seulement après un certain âge. Les chercheurs en génétique comportementale ayant poursuivi dans la voie suggérée par la publication de 2003 ont fait l’hypothèse que le fait d’être porteur d’au moins un allèle S, en entraînant une moindre recapture de la sérotonine, entraînerait une réduction de la transmission sérotoninergique du fait de la désensibilisation des récepteurs consécutive à leur stimulation par la sérotonine s’accumulant dans l’espace synaptique. Si on prend cette hypothèse au sérieux, on doit logiquement en conclure que la prise prolongée d’inhibiteurs de recapture de la sérotonine devrait entraîner de la même façon une désensibilisation des récepteurs sérotoninergiques, d’où l’absence d’effet de ces antidépresseurs après une brève phase pendant laquelle le système sérotoninergique serait « boosté », et une aggravation des symptômes dépressifs en cas d’arrêt brutal du traitement, les individus se retrouvant avec à la fois moins de sérotonine et des récepteurs à la sérotonine désensibilisés.

[20] Irving KIRSCH, Brett J. DEACON, Tania B. HUEDO-MEDINA, Alan SCOBORIA, Thomas J. MOORE, Blair T. JOHNSON, 2008, Initial severity and antidepressant benefits: a meta-analysis of data submitted to the food and drug administration, PLoS Medicine, vol.5(2), en ligne sur http://www.plosmedicine.org/article/info:doi/10.1371/journal.pmed.0050045.

28 réflexions sur « Sérotonine, races et civilisations »

  1. Catherine Vidal a attiré mon attention sur votre blog et je l’en remercie. Je suis professeur d’écologie comportementale à l’Université de Bourgogne et membre senior de l’IUF. J’ai suivi depuis longtemps la “carrière” de Boris Cyrulnik, qui se prétendait d’abord éthologiste avant de devenir neuropsychiatre. Il ‘est ni l’un ni l’autre, n’a jamais effectué de recherches à proprement parler. Il se présente (ou se fait présenter) comme un spécialiste de la résilience, mais aucune des synthèses publiées sur le sujet dans les revues internationales ne cite ses travaux (faute d’en avoir jamais publié). Avec un facteur H égal à 1, Boris Cyrulnik est sans aucun doute le plus grand imposteur dans les sciences du comportement au sein du monde francophone. Mais comme il est devenu un (très) “bon client” pour les médias et une source de gros profits pour sa maison d’édition , une conspiration du silence le protège et le laisse libre de continuer d’abuser à sa guise le grand public, mais aussi les décideurs. Il serait grand temps que la communauté scientifique s’en émeuve et trouve auprès des journalistes ayant un minimum de courage éditorial un relais pour dénoncer la totale incompétence scientifique de Boris Cyrulnik et le présenter tel qu’il est, un essayiste au style alerte mais sans vergogne, qui trompe le monde depuis bien trop longtemps, avec comme vous le démontrez des conséquences non négligeables.

  2. En parcourant le net, il me semble que B. Cyrulnik n’est pas le seul à apporter du crédit à ces études sur le gène 5-HTT. Voir T. Janssen par exemple.
    De mémoire, je crois que C. André dans son livre “les états d’âme” en parle aussi.
    N’ayant aucune compétence dans le domaine je ne prendrais pas parti…
    Sinon, pour infirmer ou confirmer une hypothèse personnelle, comment faire tester les allèles de ce “fameux” gène ?

    1. D’autres psy médiatiques divulguent en effet cette théorie, lui apportant comme vous dites “du crédit” auprès du grand public.
      Quant au reste de votre commentaire, je préfère penser qu’il s’agit d’une plaisanterie…

    2. Pour mémoire, Franck Ramus avait lui aussi affirmé (dans la revue de zététique Science & pseudo-sciences, en décembre 2010) que l’hypothèse selon selon laquelle l’allèle court du gène du transporteur de la sérotonine induit une susceptibilité accrue à la dépression face à des événements stressants était « amplement confirmée », mais a admis récemment que “l’interaction 5HTT-traumatismes-dépression n’était pas bien répliquée” et qu’il s’abstenait désormais d’en faire état. Cf http://allodoxia.odilefillod.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/#comment-1588

  3. “alors que les antidépresseurs sont censés permettre de sortir de la dépression en inhibant la recapture de la sérotonine, ils suggèrent que la moindre recapture de la sérotonine augmente le risque de réagir par une dépression à l’adversité, ce qui semble difficile à réconcilier” écrivez-vous dans votre conclusion provisoire. Soit je ne comprends pas votre phrase, soit il me semble que c’est votre phrase qui est impossible à concilier avec elle même, telle une aporie parfaite. Pour le reste, je n’en sais fichtre rien, mais tout cela me fait penser à une sorte de “cyrulniko-sceptissisme” comme on parle de climato-sceptiques : quelle charge du premier commentateur envers “le plus grand imposteur” ! auquel vous ne répondez pas…

    1. Reformulons donc de manière plus simple : d’un côté on dit “si on diminue la recapture de la sérotonine chez quelqu’un, ça lui permet de sortir de la dépression”, de l’autre on dit “si quelqu’un est porteur d’une variante génétique qui diminue cette recapture, il a plus de risques d’être dépressif”. Ce n’est pas contradictoire, mais effectivement un peu difficile à réconcilier (bien que ça soit possible comme je l’indique dans la note 19).
      Je n’ai rien contre Boris Cyrulnik en particulier, et si vous me lisez bien je ne vise pas sa personne mais seulement certains de ses propos.
      Quant au commentaire de Frank Cezilly, j’ai trouvé digne d’intérêt pour les lecteurs qu’un chercheur en éthologie connu et reconnu signale qu’à ses yeux, se présenter comme éthologue relève chez Boris Cyrulnik de l’imposture, et ne l’ai donc pas censuré. Bien qu’il se soit (et ai été) présenté à maintes reprises comme spécialiste du comportement animal, Cyrulnik n’a à ma connaissance jamais effectué la moindre recherche ni publié le moindre article scientifique dans ce domaine, et c’est pourquoi je n’ai pas jugé utile de répondre. A la relecture, il est vrai que j’aurais du rectifier un point : Cyrulnik est bien neuropsychiatre, ce dont certains ont peut-être douté à tort parce que le diplôme de neurpopsychiatrie n’existe plus depuis plus de 40 ans.

  4. Sur l’efficacité des antidépresseurs, on m’enseignait avant 1980 que les tricycliques n’avaient d’efficacité démontrée que dans les dépressions sévères étant hospitalisées, mais non démontrée en prescription ambulatoire.
    Et comme les dossiers d’AMM du Floxyfral, du Prozac, bref des premiers ISRS, ne contenaient que des études “montrant” qu’ils n’étaient pas superieurs aux tri cycliques en ambulatoire, qu’ils étaient donc prétendument “aussi” efficaces ; et que tous les antidépresseurs qui ont suivi étaient comparés aux autres ISRS et ainsi de suite, ..
    On en arrive à plus de 30 ans de prescription de quasi placebos de preuve d’allure tautologique.

  5. Passionnant, mais tout de même, deux choses qui me tracassent.
    La première est que même en imaginant que le personnage eut été le grand scientifique qu’on dit être dans les médias, cela ne devrait en rien valider ses propos (je ne dis pas que vous dites le contraire, mais je sens un peu qu’on cherche à discréditer ses théories sur l’imposture de sa carrure de chercheur alors qu’on sait combien de vrais et brillants chercheurs ont ensuite défendu des idées parfaitement ineptes et parfois abjectes). Je pense que peu de ceux qui l’apprécient et lui donnent crédit le voient comme un grand scientifique mais plutôt, tradition française, comme un de ces “penseurs à voix haute” dont ce pays ne semble pas se lasser. Une sorte de conteur. Mais il est vrai qu’il se voit attribué (car il ne fait l’erreur de se l’attribuer) la paternité de ce concept de résilience (dont on pourrait d’ailleurs beaucoup dire, et mesurer le mal qu’il fait sous ses allures consolantes) et que là, il est au moins nécessaire de rétablir la vérité.
    La seconde est qu’il ne faut pas utiliser les méthodes de ceux que l’on critique. Ainsi, depuis 2011, de nombreux articles (référencés PubMed) montrent que le polymorphisme du gène codant pour le transporteur de la sérotonine n’est pas sans relation avec la prévalence de certains types de troubles psychiques (je reste le plus neutre possible dans la formulation) ou la réponse aux inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (nous allons y revenir d’ailleurs à cette réponse). Bien sûr, comme le conclue une récente méta-analyse conduite sur 23 polymorphismes en relation avec le suicide (et qui ne trouve pas grand chose) : “Meta-analytic data show once more that major contributions of single genes are unlikely” (en gros “cette méta-analyse montre une fois de plus qu’une contribution majeure de gènes isolés est improbable”). De la même manière (et on arrive à nos ISRS), il n’est pas honnête de longuement démontrer comme la vision simpliste de Cyrulnik sur le “transporteur long ou court” est hautement controversée dans la littérature scientifique et de conclure à la probable inefficacité de 6 nouveaux antidépresseurs en se fondant sur une seule publication (celle de Kirsh et al. en 2008 dans PLoS Medicine), elle aussi sévèrement controversée (et même considérée comme fallacieuse), et pas nécessairement par des suppôts serviles de l’industrie pharmaceutique mais par différentes équipes réanalysant les données et trouvant des défauts de traitement statistiques très sérieux (par exemple Fountoulakis en 2011 dans Int J Neuropsychopharmacol. et Horder dans J Psychopharmacol. la même année). Le débat reste ouvert mais tout de même, nier l’effet des anti-dépresseurs aujourd’hui (même incomplet mais quel médicament déroge à cette loi), semble assez peu scientifiquement tenable (je ne parle pas de leur utilisation larga manu à la première pensée triste bien sûr).
    Ceci dit, j’aime ce goût d’aller y voir par soi-même, de débusquer la tartuferie.
    dkelvin

    1. Merci pour votre commentaire.

      Je ne peux qu’abonder dans votre sens quant au fait qu’être un grand scientifique n’est aucunement un gage de validité des propos publics tenus y compris sur les sujets du domaine dont ledit scientifique est spécialiste. Je ne cherche pas à discréditer les théories de Boris Cyrulnik via la dénonciation de l’imposture concernant sa carrure de chercheur : je traite au contraire l’analyse du bien-fondé de ses propos et la dénonciation de cette imposture dans des articles séparés (ici, dans mon article sur le “débat inné/acquis” et dans “stop ou encore” 1ère partie pour le premier aspect, et dans “stop ou encore” 2ème partie pour le second).

      Sur l’ambivalence du concept de résilience, je suis bien d’accord (voir http://allodoxia.odilefillod.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/#comment-1521).

      Si Boris Cyrulnik n’a à ma connaisance jamais explicitement prétendu être l’inventeur du concept de résilience, il l’a cependant laissé dire : cf notamment http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/#note13.

      Je ne partage pas votre point de vue selon lequel “de nombreux articles (référencés PubMed) montrent que le polymorphisme du gène codant pour le transporteur de la sérotonine n’est pas sans relation avec la prévalence de certains types de troubles psychiques”. Pouvez-vous donner l’exemple d’un trouble pour lequel cela vous semble clairement établi, et qualifier et quantifier cette relation ? Restera ensuite à voir s’il est établi que ladite relation, si elle existe, traduit un effet biologique (et non seulement statistique) du polymorphisme en question…

      Concernant les ISRS, je ne nie pas leur efficacité : je souligne seulement en passant (ce n’était pas mon sujet) qu’une étude a sérieusement remis en cause leur supériorité par rapport à un placebo sauf chez les patients atteints de dépression très sévère. De plus, je présente la conclusion des auteurs de cette étude comme telle, et non comme une “vérité” définitivement établie. Sur quoi vous basez-vous pour dire que l’étude de Kirsh et al. est “considérée comme fallacieuse” ? Ce jugement me semble un peu hardi et non consensuel : comme vous l’écrivez, le débat reste ouvert, il me semble. L’Int J Neuropsychopharmacol a en tout cas publié une (longue) réponse des auteurs à Fountoulakis (http://journals.cambridge.org/action/displayAbstract?fromPage=online&aid=8653836&fulltextType=LT&fileId=S1461145711001878).

  6. Merci de votre réponse mais je voudrais juste rectifier quelques points, histoire d’éviter les malentendus.
    Je n’ai pas dit qu’il existait un trouble (sous entendu psychique) pour lequel une relation (avec l’allèle S du transporteur de la sérotonine) est clairement établie, j’ai dit (et vous avez cité ma phrase donc vous l’aviez bien lu) que de nombreux articles montraient que ce gène n’était pas sans relation avec certains types de troubles psychiques”. Que ces relations soient seulement statistiques et pas assorties d’un mécanisme biologique précis n’est pas rédhibitoire. Il y a plein de conduites de précaution en termes de santé que nous adoptons suite à des relations issues de statistiques épidémiologiques sans mécanisme biologique explicite mis en évidence. Evidemment, avec c’est mieux. Mais l’inverse pose autant de problèmes. Des mécanismes biologiques dont l’expression en termes épidémiologiques n’apparaît pas convaincante. Et on sait combien l’industrie pharmaceutique est prompte à déduire d’un mécanisme biologique une conséquence en termes de santé au niveau des populations. Je ne comprends pas bien l’opposition “statistique/biologique” que vous faites, sachant que même la biologie a besoin des statistiques pour démontrer ce qu’elle affirme.

    Je ne veux pas énumérer les articles qui trouvent une relation certes statistique, entre ce transporteur et des traits psychiques (troubles ne me convient finalement pas, porteur de jugement), et se lancer des études contradictoires en guise d’argumentaire me paraît dérisoire. Je voulais juste signaler qu’une relation semble bien exister mais qu’elle est sûrement bien plus complexe qu’un lien direct avec une entité du DSM V. Juste pour tout de même ne pas “ne pas citer”, ici une méta-analyse qui semble réévaluer la relation de ce fameux transporteur avec la réponse dépressive au stress http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3740203/?report=classic
    J’ajoute aussi un article de commentaire à ce même papier dans lequel l’auteur parle très bien des problèmes de fond soulevés par ces recherches de lien entre un variant isolé et des phénomènes aussi complexes que le psychisme dans son contexte de vie http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3686479/

    Concernant l’étude de Kirsch, comme je le précise, le terme “fallacieux” (fallacious) n’est pas le mien, mais issu d’un des articles critiquant cette étude. Ma formulation pouvait sembler effectivement suggérer que l’étude de Kirsch et al. était consensuellement considérée comme fallacieuse ce qui n’est pas le cas (d’ailleurs votre lien montre que les auteurs ont contesté cette affirmation, et pour être exhaustif, il a été fait une réponse à leur réponse http://journals.cambridge.org/action/displayAbstract?fromPage=online&aid=8408848. Je ne suis pas assez calé en matières de méthodologie méta-analytique pour juger qui a raison ou tort (ils s’empoignent sur des utilisations d’écart-type ou d’erreur-standard dans la pondération des études, une argutie purement statistique donc), je voulais juste signaler que cette méta-analyse n’était pas sans avoir été contestée. Un article très complet sur la partialité médiatique qui a eu lieu aux Etats Unis depuis la publication de l’article de Kirsch a été publié sur un blog associé à PLoS http://blogs.plos.org/mindthebrain/2012/12/26/the-antidepressant-wars-a-sequel-how-the-media-distort-findings-and-do-harm-to-patients/.
    Un dernier épisode vient encore d’avoir lieu avec une publication de l’équipe de Fountoulakis et al. parue il y a quelques jours http://www.annals-general-psychiatry.com/content/12/1/26.

    Sur le plan de la formulation, je trouve la votre ” De l’autre côté, une étude très solide publiée début 2008, précisant ce qu’on soupçonnait depuis plusieurs années, a complètement remis en question l’efficacité supposée des ISRS” bien moins neutre que la mienne (le soupçon dans le domaine scientifique est à utiliser avec parcimonie). Comme quoi.
    Voilà, rien de plus.
    Bonne continuation

    1. Merci à vous de poursuivre cet échange qui permet d’aller au fond des choses et de clarifier nos positions respectives.

      En réaction à votre affirmation (“de nombreux articles […] montrent que le polymorphisme du gène codant pour le transporteur de la sérotonine n’est pas sans relation avec la prévalence de certains types de troubles psychiques”), mon point était le suivant :
      ——————–
      1) Ces articles “montrant” quelque-chose selon vous, j’ai compris que vous considériez que ce quelque-chose était clairement établi. Dans votre dernier commentaire, vous semblez adopter la position plus prudente selon laquelle il n’existe pas de trouble ou trait psychique pour lequel une relation avec tel ou tel allèle de ce gène est clairement établie.
      Le cas échéant, nous sommes d’accord. Mais dans ce cas, “suggèrent”, ou “semblent indiquer” aurait été plus approprié que “montrent”, me semble-t-il. En effet, si par exemple certaines études rapportent une augmentation du risque de dépression associée à l’allèle S, d’autres au contraire une diminution de ce risque associée à l’allèle S, et d’autres encore une absence d’effet statistique de la possession de l’allèle S vs L, et ce sans qu’on ait pu établir d’association robuste avec d’autres facteurs de risque expliquant cette variabilité de l’effet statistique de ce polymorphisme, on ne peut en conclure que ces articles “montrent” qu’il existe une “relation” entre ce polymorphisme et le risque de dépression.
      Si on ne peut pas non plus éliminer l’hypothèse qu’une telle relation existe, on peut du moins en conclure deux choses : le récit plus que simpliste des effets supposés de cet allèle que fait Boris Cyrulnik n’a aucune chance d’être conforme à la réalité, et présenter comme établis (comme il le fait) les effets de la possession de cet allèle sur le risque de dépression (entre autres) est mensonger. Il me semble que nous sommes d’accord là-dessus.

      ——————–
      2) Le polymorphisme de ce gène étant selon vous en “relation avec la prévalence de certains types de troubles psychiques”, je vous demandais de nous donner ne serait-ce qu’un exemple de (type de) trouble psychique concerné, et de nous dire plus précisément ce que montraient les articles que vous avez lus, c’est-à-dire de qualifier et quantifier cette relation. Pour prendre l’exemple du risque de réaction dépressive au stress psychologique, qui est le “résultat” le plus connu et passe pour être le mieux “établi” de la génétique comportementale, j’aurais aimé que vous nous disiez quelque-chose comme : “la littérature scientifique existante a permis d’établir que le risque de faire une dépression suite à tel type d’événement stressant est en moyenne d’environ Y/1000 pour les porteurs de l’allèle S, versus Z/1000 pour les non porteurs de cet allèle”, et de nous donner la source de cette information.
      La méta-analyse que vous citez en exemple conclut (en gros) à l’existence d’une association statistique entre l’allèle S et le risque de “réponse dépressive” à la “maltraitance infantile” et à certaines maladies, mais tend à échouer à confirmer l’existence d’une association avec la “réponse dépressive” aux “événements stressants de la vie” (“because the genetic effect in the set of stressful life events was barely below the significance threshold (p=0.033), the result was no longer significant after the exclusion of any one of several studies”). Elle contredit au moins en partie les deux méta-analyses de 2009 que je (et qu’elle) cite. Sans entrer dans une discussion détaillée qui dépasserait le cadre de ce blog, j’aimerais faire les remarques suivantes :

      – l’existence de cette autre méta-analyse, qui ne permet pas de trancher définitivement (entre autres, le second article de 2011 que vous signalez s’en fait l’écho : “Karg et al are unlikely to convince all readers”), ne remet pas en cause ce que j’écrivais en mars 2012 dans mon article, à savoir que l’hypothèse d’un tel effet de ce polymorphisme restait controversée; encore une fois, l’objet de mon article était de montrer que ce que racontait Boris Cyrulnik n’était pas conforme à l’état des connaissances scientifiques, et non de montrer que ce polymorphisme n’a aucun effet sur le risque de dépression : je n’en sais rien, et me garderais bien d’affirmer une telle chose;

      – la méthode statistique utilisée dans cette méta-analyse, qui n’est pas la méthode classique, peut être discutée sur plusieurs points; en outre, la possibilité que le biais de publication d’une part, et les conséquences statistiques des tests multiples effectués sans le dire par les auteurs de tel ou tel article source d’autre part, remettent en cause l’existence de l’association trouvée, ne me semble pas pouvoir ête écartée; de plus, il me semble que la figure 1 (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3740203/figure/F1/) montre que les études menées sur de larges échantillons tendent à moins trouver d’association que celles menées sur de plus petits échantillons, ce qui est un indicateur classique de l’obtention de faux positifs en raison de biais d’échantillonnage;

      – quelle est la taille de l’effet statistique du polymorphisme de ce gène, le cas échéant ? Cette question est importante, car si le risque de faire une dépression suite à une maltraitance infantile était, mettons (je donne ces chiffres au hasard), de 5/1000 ou de 5.1/1000 selon les allèles possédés, versus de 1/1000 ou de 100/1000 selon la façon dont l’enfant concerné est ensuite pris en charge, cette différence d’origine génétique pouvant être statistiquement significative n’en serait pas moins insignifiante. La méta-analyse que vous citez ne répond pas à cette question. Quoi qu’il en soit, comme vous l’indiquiez dans votre premier commentaire au sujet du risque de suicide et comme l’a à nouveau montré une étude récente sur le risque de dépression (http://www.biologicalpsychiatryjournal.com/article/S0006-3223%2812%2900897-9/abstract), “une contribution majeure de gènes isolés est improbable”;

      – il y a en effet “des problèmes de fond soulevés par ces recherches de lien entre un variant isolé et des phénomènes aussi complexes que le psychisme dans son contexte de vie”.

      ——————–
      3) Sur la différence entre lien statistique et lien de causalité biologique, je suis bien d’accord avec vous : ne pas avoir découvert de mécanisme biologique sous-jacent à un lien statistique observé n’est pas rédhibitoire; ça peut être une base jugée suffisante pour préconiser un principe de précaution, et ça ne prouve bien évidemment pas que ledit mécanisme n’existe pas. Le sens de la distinction entre statistique et biologique sur laquelle j’insistais dans mon commentaire, c’est que même si on finissait par établir clairement que la prévalence de la dépression suite à une maltraitance infantile est corrélée avec la possession de l’allèle S du fameux gène, par exemple, ça ne suffirait pas à montrer que la possession de cet allèle constitue une prédisposition biologique à réagir ainsi à la maltraitance : cette corrélation pourrait parfaitement résulter d’un mécanisme non biologique. Voir http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/05/30/debat-inne-acquis/ pour une réflexion plus générale sur ce sujet (vos commentaires éventuels sur cet article m’intéresseraient).

      ——————–
      4) Sur l’efficacité des ISRS, il semble que nous ayant tous deux été insuffisamment scrupuleux dans notre formulation des choses. Vous avez en tout cas raison de souligner que ma phrase était trop expéditive, même si elle était suivie d’une explication modérant ce propos.

  7. Merci pour votre réponse.
    J’ai un peu joué les avocats du diable pour le plaisir du débat car je suis en fait d’accord avec vous sur le fond (et même sur la forme, nous avons tous les deux mis quelques nuances à nos formulations initiales), car même si la relation est parfois significative, la pénétrance de ces variants me semble tout de même elle de l’ordre de l’insignifiance, sans parler de la démarche intellectuelle quand même un peu rudimentaire de cette quête de l’allèle causal pour des phénomènes aussi complexes et multifactoriels (le multi étant proche de l’infini) que ceux liés au psychisme humain dans son contexte et avec son histoire (je l’ai déjà écrit mais il semble que cela mérite d’être répété tant cette idée de relation directe paraît probable aux humains même dotés de sens scientifique, de notre époque).
    J’ai aussi lu votre article sur l’inné/l’acquis que je trouve très didactique et dans lequel je me retrouve entièrement (mais je n’aurais pas su si bien l’expliquer que vous).
    Je trouve surtout (et c’est, si j’en juge à votre “à propos”, le cœur même de votre blog) que sous couvert de transmission de savoir, certains utilisent des techniques de vulgarisation qui leur permettent de faire fructifier de manière abusive une position de savant avec des simplifications qui non seulement transbahutent une idéologie sous-jacente qui s’abrite derrière la science pour maintenir des préjuges, mais qui trahissent la réalité du savoir ou des hypothèses du moment. Et qui trahissent aussi leur propre simplisme car je ne suis pas certain qu’ils soient plus nuancés que leurs propos.
    En tout cas je vais continuer petit à petit à explorer votre blog et vous remercie pour le temps que vous y passez.
    Cordialement
    dk

    1. Votre question est mal posée. Voici le passage le plus important de l’article en question (publié dans Translational Psychiatry, l’une des plus de 60 revues du groupe de presse Nature Publishing Group) :
      “For all analyses, the total effect of 5-HTTLPR on MDD onset (path c, that is, not controlling for ROI volumes) was non-significant (…). Each of the direct associations between 5-HTTLPR and MDD onset (path c′, that is, controlling for the relevant ROI volumes), 5-HTTLPR and the ROI volumes (path a), as well as between the ROI volumes and MDD onset (path b), can be seen in Table 2. In all path models, the direct effect of 5-HTTLPR on MDD onset (path c′) was non-significant. Increasing copies of the S-allele predicted smaller left hippocampal volume (path aL). Smaller left hippocampal volumes also predicted increased risk for MDD onset (path bL). Bias-corrected 95% confidence intervals showed that smaller left hippocampal volume significantly mediated the relationship between S-allele copies and risk for MDD onset (indirect effect=0.14, 95% CI=0.009–0.42, s.e.=0.10).”

      En clair, les chercheurs ont trouvé dans cet échantillon de 174* ados australiens dont 83 garçons (* plus précisément = 98 sujets pour lesquels les chercheurs avaient toutes les infos requises + 76 sujets pour lesquels les données manquantes de neuroimagerie [49 sujets] ou de diagnostic psychiatrique [37 sujets] ont été automatiquement générées lors de l’analyse statistique) :
      – une absence de lien (i.e. association statistiquement significative) entre variation du gène du transporteur de la sérotonine et risque d’épisode dépressif majeur,
      – une absence de lien entre ces deux variables en ajoutant comme variable de contrôle le volume de l’hippocampe,
      idem avec comme variable de contrôle le volume total de l’amygdale,
      idem avec comme variable de contrôle le volume total du cortex orbitofrontal médial (mOFC),
      idem avec comme variable de contrôle le volume total du cortex orbitofrontal latéral (lOFC),
      idem avec comme variable de contrôle le volume total du cortex cingulaire antérieur limbique (lACC),
      idem avec comme variable de contrôle le volume total du cortex cingulaire antérieur paralimbique (pACC).

      Ils ont également trouvé une absence de lien entre variation du gène du transporteur de la sérotonine et volumes :
      – de l’hippocampe droit,
      – de l’amygdale droite,
      – de l’amygdale gauche,
      – du lOFC droit,
      – du lOFC gauche,
      – du lACC droit,
      – du lACC gauche,
      – du pACC droit,
      – du pACC gauche.

      Ils ont trouvé un lien avec le volume du mOFC gauche et avec celui du mOFC droit, mais hélas aucun des deux n’était associé au risque d’épisode dépressif majeur.

      Ils ont également cherché si la prise en compte du sexe des participants (entre autres) modifiait le pattern des leurs résultats, et la réponse fut également négative.

      Ils ont néanmoins réussi à trouver quelque-chose (ouf ! Un positive finding ! On peut publier !) : une association statistiquement significative entre variation du gène du transporteur de la sérotonine et risque d’épisode dépressif majeur si et seulement si le volume de l’hippocampe gauche seulement est inclus comme variable de contrôle. La taille de cet effet statistique indirect sur le risque de survenance d’un épisode dépressif était dans leur échantillon de 0.14, statistiquement significatif à p<0.05 (sans correction pour comparaisons multiples d'après ce que je comprends, je laisse les autres lecteurs vérifier). Comme il se doit, les résultats de cette étude qui aux dires des auteurs est la première de ce type restent à répliquer avant d'être pris pour acquis.

      PS : je me réjouis que dans leur intro, les auteurs indiquent ceci : "A key unresolved issue is the extent to which these brain structural abnormalities might serve as endophenotypes that mediate the putative link between 5-HTTLPR and depression.” (souligné par moi).

      Maintenant j’ai trois questions pour vous : que concluez-vous de cette étude ? Comment en avez-vous entendu parler ? En quels termes était-elle présentée ?

  8. Merci pour ce décryptage.

    1) Conclusion = ?
    2) Suite à une courte info sur le site de vulgarisation psychomedia concernant un test de diagnostic de la dépression, j’ai effectué une recherche sur le net avec le nom cité dans l’article : Translational Psychiatry.
    3) Pas de présentation à ce jour car je suis “tombé” dessus par hasard et je me suis souvenu de votre article.

    1. Merci pour vos réponses.
      En ce qui concerne la conclusion, la mienne est que ce résultat a objectivement une forte probabilité d’être un énième faux positif. Si d’aventure mon pronostic est contredit, ce résultat restera soumis à de multiples interprétations, mais attendons de voir : nous n’en sommes pas là.

      Je profite de cet échange pour signaler une info connexe sur laquelle un lecteur a aimablement attiré mon attention.

      En janvier 2012, une conférence de Boris Cyrulnik avait été organisée à l’Université Lyon 2 dans le cadre de la promotion de son nouveau livre d’alors, Quand un enfant se donne la mort (Odile Jacob), présentée par Marie Anaut, professeure de ladite Université et auteure en 2014 d’un livre préfacé par Boris Cyrulnik aux éditions Odile Jacob. Ce dernier vient de sortir un nouveau livre (aux éditions Odile Jacob), et dans le cadre de cette promotion sans doute – je ne vois pas d’autre explication -, France Culture a mis en ligne il y a quelques jours cette conférence. Voici ce qu’on peut y entendre vers la 27ème minute, encore plus délirant que ce que j’ai cité dans le présent article :

      “Alors, euh, maintenant il y a plein de biologistes qui, euh, montrent que la sérotonine joue un rôle majeur, […] Caspi, en 2002, a montré que dans toute population humaine, 15% des gens étaient des petits transporteurs de sérotonine, or la sérotonine c’est le neuromédiateur de la force tranquille, hein, c’est-à-dire que les gens qui sécrètent beaucoup de sérotonine, c’est les pépères tranquilles, alors que les gens qui sécrètent peu de sérotonine, ben c’est les émotifs, bon, ils sont émotifs, euh, vous les emmenez au cinema ils pleurent, vous les emmenez au théâtre ils pleurent, vous leur parlez gentiment ils pleurent, vous leur offrez un bouquet de fleur ils pleurent, vous leur récitez une poésie ils pleurent, bon, c’est pas une maladie, c’est merveilleux, c’est-à-dire que, ils sont sensibles à tout, c’est pas une maladie, mais voilà, il sont… y’a… donc, dans la salle, il y a 15% de petits transporteurs de sérotonine. Ils se reconnaîtront. Donc ça… c’est… c’est pas une maladie, c’est un tempérament. En cas de malheur ils souffrent beaucoup, mais comme ils sont très sensibles, ils sont aussi doués pour la relation, et si on leur tend la main, c’est-à-dire la parole, ils la ratent pas, et hop ils travaillent, ils élaborent, et ils font quelque-chose de leur émotivité. Donc c’est pas si déterminant que ça. C’est déterminant, oui, mais pas très… pas très beaucoup, un petit peu.”

      Comment France Culture peut-elle contribuer à diffuser de telles élucubrations sous couvert de vulgarisation scientifique ? Et s’il n’y avait que ça… Cette conférence est un véritable collier de perles : je recommande son écoute (pour la trouver, chercher “société et suicide par Boris Cyrulnik”).

  9. J’ai écouté.
    Un peu plus loin, il raconte comment des filles qui prenaient de la testostérone dans un cadre sportif ont vu leur émotions modifiées…
    Bon, Cyrulnik utilise le thème de la résilience pour écrire de nouveaux livres qui se vendent bien.

  10. Après avoir lu le livre de Elaine N. Aron sur les personnes hypersensibles et votre article, j’ai l’impression que cette allèle S serait simplement responsable de cette hypersensibilité expliquée par N. Aron (du moins en partie). La sensibilité étant la capacité d’un individu de percevoir plus ou moins finement son environnement, elle serait innée. Alors que la dépression ou l’anxiété est acquise et qu’un individu hypersensible peut tout autant qu’un individu de sensibilité moyenne être atteint de maladie psychique suivant son style d’attachement, son éducation, son environnement.
    Bien sûr cette hypersensibilité rend les gens plus émotifs, mais l’émotivité n’est en aucun cas un soucis de vie lorsque la personne a reçu l’éducation pour la gérer et qu’il a adapté sa vie pour bien vivre avec.

    1. Je ne vois pas bien ce qui dans mon article conforte votre impression que l’allèle S du gène en question est responsable de l’ “hypersensibilité” de certaines personnes et plus généralement que la “sensibilité” d’une personne serait innée. Il faudrait commencer par caractériser précisément la notion de “sensibilité” mobilisée dans le livre que vous évoquez (que je ne connais pas) : cette notion correspond-t-elle à une dimension bien identifiée de l’une ou l’autre des échelles de mesure des traits de la personnalité ou du tempérament utilisées dans le recherche scientifique ? Si oui, laquelle ?

      Ensuite, même en supposant que l’étude de Lesch et al (1996) citée dans ma note 10 a mis en évidence une véritable influence de ce polymorphisme sur le développement de tel ou tel tempérament et non pas une simple association statistique (ce qui reste à montrer), cette influence serait a priori extrêmement limitée. Pour mémoire, les auteurs ont mesuré les traits de la personnalité à l’aide de 3 méthodes différentes et évalué leur association possible avec ce polymorphisme, et ils rapportent ceci :
      – NEO-PIR (échelle basée sur la décomposition en 5 traits = Neuroticism, Extraversion, Openness, Conscientiousness, Agreableness) : association statistiquement significative trouvée avec le neuroticism (ou “névrosisme”); ils ont analysé chacune des 6 facettes de ce facteur et on trouvé une association significative avec 4 d’entre elles (Anxiety, Angry Hostility, Depression, Impulsivity) mais pas avec Self-consciousness ni Vulnerability ;
      – 16PF de Cattell : association statistiquement significative trouvée avec le facteur Anxiety, essentiellement due à une association avec les composantes “Tension” et “Suspiciousness” de ce facteur *;
      – modèle biosocial de Cloninger conceptualisant le tempérament en 4 dimensions (Harm avoidance, Reward dependence, Novelty seeking, Persistence) : association trouvée avec la première dimension uniquement.
      Lesch et al. en concluent que ce polymorphisme est associé à une constellation de traits de la personnalité en lien avec l’anxiété, mais les associations statistiques qu’ils ont trouvées sur leur échantillon sont de si petite taille qu’ils en concluent que ce polymorphisme ne contribue qu’à “3 à 4% de la variance totale” (p. 1529) de ces traits.
      * PS : ils ne mentionnent pas d’association avec la dimension “Sensitivity” de celle échelle de décomposition de la personnalité en 16 dimensions…

  11. Avoir accès à un tel texte, témoins d’une puissance de synthétisation et de mots justes est ébouriffant…
    J ‘ai réussi à le lire jusqu’au bout, malgré mon désespoir d’y trouver une fausse note.
    Bravo

  12. On pense tout de suite a la theorie biologique de la depression, qui resulterait d’un desequilibre des neurotransmetteurs, en particulier de la serotonine, et pourrait donc etre corrige par des antidepresseurs agissant sur ces neurotransmetteurs. Theorie qui n’a jamais ete etayee sur des preuves scientifiques, jamais demontree. C’est un mythe. Mais le mythe a lui aussi une fonction semblable a celle que Boris Cyrulnik attribue au nom : une construction destinee a structurer l’inconnu, donner des reperes et des explications pour comprendre le monde ou certains de ses « segments ».

    1. Absolument. Et la facette de ce mythe savant portant plus spécifiquement sur le lien entre dépression et gène du transporteur de la sérotonine a entre autres eu pour effet un gros gâchis de ressources de recherche : voir à ce sujet https://www.theatlantic.com/science/archive/2019/05/waste-1000-studies/589684/ (“A Waste of 1,000 Research Papers. Decades of early research on the genetics of depression were built on nonexistent foundations. How did that happen?”)
      A mon avis, ce mythe autour de la sérotonine et du gène codant pour la synthèse de son transporteur a au moins deux autres fonctions que celle que vous indiquez : soutenir le développement de la prise en charge pharmacologique des troubles du psychisme et des souffrances psychologiques, et soutenir le développement de la génomique appliquée, avec dans les deux cas des enjeux économiques qui ont sans doute joué un rôle dans “l’engouement” que ce mythe a suscité.

    2. PS : j’en profite pour signaler que Franck Ramus a été un autre promoteur de ce mythe en France, dans son cas à mon avis tout simplement en raison du biais de confirmation que provoque chez lui une forte croyance dans l’importance des différences innées dans la variabilité des différences psychologiques.

      Dans un article publié fin 2010 dans le magazine de l’AFIS, l’Association française pour l’information scientifique, il affirmait que l’hypothèse selon laquelle l’allèle court du gène du transporteur de la sérotonine induisait une susceptibilité accrue à la dépression face à des événements stressants était “amplement confirmée”, et il en ajoutait une grosse couche : “Ainsi, on voit qu’une faible activité du transporteur de la sérotonine n’est pas en soi une cause de la dépression. En revanche, elle affecte la manière dont la personne réagit à des événements stressants ou traumatisants, augmentant alors la probabilité d’un épisode dépressif. De plus, les bases cérébrales de cette interaction gène-environnement commencent à être élucidées [… etc]” (http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1546). Tout ce paragraphe était extrêmement affirmatif.

      Il avait du moins eu l’honnêteté de reconnaître en partie son erreur fin 2013, en écrivant ceci en réponse à un de mes commentaires : “Effectivement, ayant mis à jour ma biblio récemment, j’ai pu constater que l’interaction 5HTT-traumatismes-dépression n’était pas bien répliquée, et je m’abstiens désormais d’en faire état.” (http://allodoxia.odilefillod.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/#comment-1588). Reste que cela n’efface pas la faute initiale : cette interaction n’ayant jamais été “bien répliquée”, la présenter fin 2010 comme étant “amplement confirmée” revenait à faire passer à tort sa croyance personnelle, confortée par une lecture superficielle de la littérature la confortant, pour le compte rendu rigoureux et honnête de l’état des connaissances scientifiques par un expert présumé.

  13. Je découvre votre blog par cet article, dont j’ai trouvé la lecture exigeante mais édifiante !
    Mis à part cette question précise, savez-vous s’il est prouvé ou non que la biologie et la génétique jouent un quelconque rôle dans la dépression ? Auriez-vous des lectures à me recommander sur ce sujet ?
    Et de manière générale, pouvez-vous conseiller des sites de vulgarisation scientifique fiables pour celles et ceux qui, comme moi, préfèrent la vérité aux mythes mais n’ont pas assez de bagage scientifique pour pouvoir vérifier chaque affirmation ?
    Merci pour votre travail, je vais continuer à vous lire !

    1. Bonjour, je suis désolée mais je ne peux répondre qu’à des questions plus précises portant sur des sujets sur lesquels j’ai travaillé. Je tiens juste à souligner que concernant les dispositions psychologiques et les troubles psychiatriques, la question de savoir si la génétique en particulier ou la biologie en général jouent un rôle ne se pose pas : la réponse est évidemment oui. La question qui se pose au cas par cas est celle de savoir dans quelle mesure telle différence psychologique entre individus est due à des différences génétiques entre eux, ce qui n’est pas la même chose. Peut-être que lire https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/05/30/debat-inne-acquis/ permettra de clarifier ce point.

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