Sur la médiatisation de résultats supposés d’expériences fantômes, sublimés dans le Science & Vie de Noël : pièce en trois actes et vœux de nouvel an.
Chaque fois que je retourne dans ma ville natale, je ne peux m’empêcher de feuilleter ce magazine dévoré tous les mois durant mon enfance et mon adolescence, auquel mon père est toujours abonné. Voici ce que j’y ai découvert le matin de Noël :
« Les femmes ne sont pas plus multitâches [titre]. Contrairement aux idées reçues, les hommes sont naturellement plus aptes que les femmes à faire plusieurs choses à la fois. Une équipe de l’université de Stockholm l’a démontré en faisant passer quatre tests très simples, mais simultanés, à des volontaires âgés de 20 à 40 ans. Résultat : les hommes faisaient en moyenne 10% d’erreurs en moins. Les chercheurs expliquent ces résultats par la plus grande capacité des hommes à raisonner dans l’espace, démontrée au cours d’une seconde série de tests. Plus d’excuse, donc, pour attendre davantage des femmes… “Univ. de Stockholm”, oct. 2012 » [1]
Intriguée par la référence à l’Université de Stockholm plutôt qu’à une revue scientifique, et impatiente de lire l’étude censée étayer de telles assertions, je suis partie à la recherche des sources du journaliste de Science & Vie. Comme à chaque fois que je mène ce genre d’enquête, ça s’est mal terminé.
ACTE 1 – LE PETARD MOUILLE
Il y a quelques mois, un article portant sur les différences entre les sexes dans la capacité à mener de front plusieurs tâches cognitives, signé du (seul) nom de Timo Mäntylä, chercheur en psychologie cognitive à l’Université de Stockholm, est retenu pour publication dans la revue Psychological Science [2]. Le 3 août 2012, Wray Herbert, vieux loup de la vulgarisation spécialisé dans la psychologie, annonce cette publication à venir dans un billet de son blog hébergé par la société savante qui édite la revue. Dans ce billet intitulé « Pourquoi les hommes (oui, les hommes) sont de meilleurs multitâches » [3], Herbert expose sa version des faits.
Selon lui, Mäntylä a recruté des volontaires « âgés de 19 à 40 ans », et son étude a été faite en deux temps. Au cours d’une première expérience, les hommes ont commis « environ 10% » d’erreurs de moins que les femmes lors du test multitâches, et la différence de performance entre les sexes à ce test n’était « pas complètement expliquée » par la performance à un test des fonctions exécutives également administré. Toujours selon Herbert, au cours d’une seconde expérience, le chercheur a refait le test en faisant cette fois aussi passer aux sujets un test de rotation mentale, censé évaluer leur capacité de « raisonnement spatial », et en « demandant aux femmes à quel moment de leur cycle elles en étaient ». Les hommes ont à nouveau été « meilleurs » au test multitâches, et « bien meilleurs » au test de rotation mentale, de sorte que « la supériorité masculine » au premier était entièrement expliquée par la différence au second. De plus, les performances des femmes à ces deux tests se sont avérées différer selon la phase du cycle, de sorte que « les hommes étaient de bien meilleurs multitâches quand les femmes étaient en phase lutéale, mais cette différence entre les sexes disparaissait à peu près complètement quand les femmes entraient dans leur phase de menstruation ». Après avoir affirmé qu’il n’existait « pas l’ombre d’une preuve » de la croyance communément admise selon laquelle les femmes sont bien plus multitâches que les hommes, car personne n’avait rigoureusement examiné la question avant Mäntylä, Herbert conclut que ces résultats devraient saper cette croyance. Selon lui, la principale leçon à en tirer est probablement qu’il convient de « rester septique face à la sagesse populaire tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’un test rigoureux ».
Bien qu’également publié par le Huffington Post, qui met en ligne une sélection des meilleures feuilles de son blog, son billet ne retient pas l’attention des médias anglo-saxons ni francophones. L’article de Mäntylä n’est ensuite pas publié dans Psychological Science (ni ailleurs), et on n’en entend plus parler jusqu’au 23 octobre 2012.
ACTE 2 – LE FEU D’ARTIFICE
Ce jour-là, l’équipe en charge de la communication de l’Université de Stockholm émet en Suédois un communiqué de presse basé sur les déclarations de Mäntylä, à qui elle renvoie pour de plus amples informations [4]. Selon ce communiqué, l’étude à paraître dans Psychological Science a été menée sur des sujets âgés cette fois « de 20 à 43 ans », a mis en évidence une différence entre hommes et femmes en sens contraire à celle rapportée dans les études existantes (il en existe donc finalement), et a montré une différence entre hommes et femmes en phase d’ovulation (et non en phase lutéale), versus l’absence de différence en phase menstruelle. De même qu’Herbert avait renforcé la plausibilité des résultats de Mäntylä par l’affirmation non sourcée selon laquelle les aptitudes spatiales des femmes sont à leur minimum durant la phase lutéale (et presque égales à celles des hommes en phase menstruelle), le communiqué de presse de l’Université de Stockholm renforce la plausibilité de la nouvelle version des résultats par l’affirmation (toujours non sourcée) selon laquelle les aptitudes spatiales des femmes sont beaucoup plus faibles aux alentours de l’ovulation, « lorsque les niveaux d’œstrogène sont élevés », qu’aux alentours de la menstruation.
Création de l’actualité par l’AFP
Le lendemain, un correspondant local de l’AFP émet une dépêche en anglais [5] reprenant à peu près tel quel le texte de ce communiqué de presse (hormis l’évocation de l’existence d’études contradictoires, qui passe à la trappe), sans indiquer sa source. C’est ainsi qu’un texte à caractère promotionnel rédigé sous la dictée d’un chercheur désirant faire la publicité de ses travaux est transformé en une information issue de la prestigieuse agence.
Une version française de la dépêche AFP [6] est émise le même jour, dans laquelle on peut notamment lire ceci (souligné par moi) :
« Dans cette étude à paraître dans le journal scientifique américain Psychological Science, les chercheurs ont établi un lien avec les capacités spatiales, et donc avec le cycle menstruel. “Des études précédentes ont montré que les aptitudes spatiales variaient tout au long du cycle menstruel, avec des capacités fortes aux alentours de la menstruation et bien moindres aux alentours de l’ovulation, quand les niveaux d’œstrogène sont élevés”, a rappelé M. Mäntylä. »
Par rapport à la version anglaise, la version française est marquée par une légère dégradation de l’information : la mention du lien trouvé entre capacités multitâches et mémoire de travail disparaît, deux expressions incorrectes dénotant l’absence de notions de base sur le sujet sont employées (« œstrogène » écrit sans « s », étude « soumise à 160 personnes » au lieu de « menée sur »), et l’affirmation de Mäntylä selon laquelle les aptitudes spatiales des femmes varient selon la phase du cycle menstruel est relayée non plus comme quelque chose qu’il a « dit », mais qu’il a « rappelé », comme s’il s’agissait d’un fait établi. Elle est surtout marquée par la volonté manifeste de balayer définitivement une croyance concernant une supériorité féminine : par deux fois (dont dans le titre), la dépêche AFP annonce qu’une étude « démonte le mythe » selon lequel les femmes sont plus habiles que les hommes à gérer plusieurs tâches à la fois, et fait à deux reprises référence au pluriel aux auteurs de l’étude, comme pour lui donner plus de poids.
Des avatars à valeur ajoutée nulle et à parfum d’instrumentalisation
C’est à peu de choses près le contenu de cette dépêche qui est ensuite relayé sur de multiples sites web français, dont le schéma ci-dessous ne donne qu’un petit aperçu.
Des neuf articles de médias web que j’ai analysés, le seul qui comporte une valeur ajoutée journalistique est celui du site de France Télévision [7], pourtant mis en ligne quelques heures à peine après la dépêche AFP. Des corrections y sont apportées à celle-ci (« s » est ajouté à « œstrogène », l’étude a été « menée sur », et non « soumise à » 160 personnes », les chercheurs ont établi un lien « avec les capacités spatiales et le cycle menstruel », et non « avec les capacités spatiales, et donc avec le cycle menstruel »), et certains propos y sont remis dans la bouche de Mäntylä (c’est lui qui « indique » que son étude met fin au mythe des femmes multitâches, et non le/la journaliste qui l’annonce, et Mäntylä « précise » et non « rappelle » que des études ont montré que les aptitudes spatiales des femmes variaient au fil du cycle). En outre, l’indication est ajoutée, référence à l’appui, qu’une étude de 2010 « avait prouvé au contraire que les femmes étaient bien meilleures lorsqu’il s’agissait d’exécuter plusieurs tâches en même temps » (si le terme « prouvé » est malheureux, cet ajout a du moins le mérite de signaler l’existence d’une étude contradictoire).
A l’exception de cet ajout, on retrouve dans tous les articles au mieux un sous-ensemble des informations présentes dans la dépêche AFP. En particulier, aucun ne donne d’information permettant d’estimer la portée réelle de l’étude, ou tout simplement de se faire une idée de l’ampleur des écarts observés entre hommes et femmes ainsi qu’entre les différentes phases du cycle (cf le tableau ci-après).
Ces informations lacunaires sont agrémentées d’une mise en forme et de commentaires révélateurs des motivations des uns et des autres à relayer l’info, et à défaut des réserves qu’elle leur inspire.
Ainsi, la(?) rédactrice de TF1 News se félicite que « le mythe des femmes multitâches s’effondre (enfin) » : grâce à cette étude, on sait maintenant que « cuisiner en téléphonant, tout en surveillant d’un œil les enfants » n’est pas « un jeu d’enfant pour toutes les femmes » [8]. La rédactrice de Grazia.fr retient quant à elle que les femmes ne sont pas plus capables, tout en regardant un film, de « se mettre du vernis » que les hommes ne le sont de « boire une bière », faisant au passage de la publicité pour le film en question et pour les produits de soin des ongles [9]. Dans L’Express, c’est au conditionnel que Mylène Lagarde annonce que les femmes ne « seraient » finalement « pas plus multi-tâches que les hommes », et que « selon une étude suédoise » les hommes « seraient même meilleurs » [10].
De son côté, le(?) rédacteur de SudOuest décide de mettre en avant dans le titre l’idée que les hommes « seraient meilleurs que les femmes pour faire plusieurs choses à la fois », la légende de la photo étant affirmative : « Les résultats de l’étude montrent que les hommes sont meilleurs dans la gestion de plusieurs tâches que les femmes » [11]. Marc Mennessier, du Figaro, apparemment excédé par le « jugement à l’emporte-pièce asséné […] par la gente féminine à tout homme qui s’avère incapable, par exemple, de répondre à une question alors qu’il est déjà au téléphone, devant son ordinateur en train de manger un sandwich » (ça sent le vécu), semble se réjouir de ce que « révèle » l’étude de Mäntylä : le « mythe pseudo-scientifique selon lequel les femmes ont, à la différence de leurs homologues masculins, la faculté de mener plusieurs tâches de front, vient d’être battu en brèche » [12]. Pour le(?) rédacteur de BFM TV, la conclusion est claire : « les hommes sont en réalité les plus doués pour faire plusieurs tâches à la fois » (légende de la photo) [13]. Ainsi, « [l]’argument classique dans les disputes conjugales du “tu n’es pas capable de faire plusieurs choses à la fois” prend du plomb dans l’aile », cet « atout » étant finalement loin d’être « réservé à la gent féminine ». Le(?) rédacteur de La Dépêche annonce quant à lui victorieusement que « le mythe des femmes plus “multitâches” que les hommes s’effondre », tout content d’adresser aux lectrices un « Eh, bien non, désolée Mesdames […], les hommes sont tout autant capables de faire plusieurs choses à la fois » [14]. Le(?) rédacteur d’Atlantico, reformulant le texte qu’il a repris dans La Dépêche, souligne que l’étude remet en cause la « légende pseudo-scientifique » selon laquelle les femmes sont plus “multitâches” que les hommes, fondant cette « petite phrase, assénée le plus souvent à l’emporte-pièce et par la gent féminine » : « “Ah bah, t’es bien un mec toi ! Incapable de faire plusieurs choses en même temps !” » [15].
Remplacement d’un mythe savant par deux autres
Dans la plupart des articles, y compris dans celui de L’Express présentant au conditionnel la conclusion de l’étude suédoise, le lien entre les « capacités spatiales » des femmes et la phase de leur cycle menstruel est présenté comme un fait établi (indépendamment de l’étude). De plus, la plupart insistent particulièrement sur le lien supposément établi entre certaines capacités cognitives des femmes et leur cycle menstruel. Ainsi, sur lci.tf1.fr (TF1 News), l’existence d’une « Différence entre phase d’ovulation et de menstruation » est mise en évidence via un intertitre en gras, de même que sur LeFigaro.fr l’existence d’une variation « En fonction du cycle menstruel », et sur LaDepeche.fr l’idée que « Les femmes [sont] moins performantes pendant l’ovulation ». Pour les lectrices de Grazia.fr qui n’arriveraient pas à comprendre dans quelle mesure « Le cycle menstruel perturbe les femmes » (intertitre en gras), la chose est résumée ainsi : « les femmes sont plus performantes lorsque les anglais ont débarqué ». Dans SudOuest.fr, les trois mentions d’un effet du cycle menstruel présentes dans le court texte de l’article sont mises en évidence en gras. Sur Atlantico.fr, on apprend même que « les hommes surpassent les femmes » très exactement « lorsque ces dernières ovulent ». Le site BFMTV.com s’illustre quant à lui en affirmant non seulement que « les chercheurs ont établi un lien » avec le cycle menstruel, mais aussi que si les femmes sont moins douées pour faire plusieurs choses à la fois, c’est tout simplement « La faute au taux d’œstrogène » (intertitre en gras) : elles sont « beaucoup plus démunies face aux tâches multiples » en période d’ovulation, une « particularité qui s’explique par les niveaux d’œstrogène ».
Exactement comme pour le mythe de la plus grande résistance des femmes à la douleur (voir ici), le mythe de la plus grande capacité des femmes à mener plusieurs tâches de front est ainsi remplacé non seulement par le mythe inverse, mais aussi par celui selon lequel les capacités spatiales et en multitâches des femmes sont diminuées lorsque leurs niveaux d’œstrogènes sont élevés. Le déploiement de ces nouveaux mythes savants est d’autant plus estomaquant qu’ils sont ici exclusivement basés sur les propos tenus par un chercheur dans le cadre de son autopromotion. Car à l’heure où ces médias nous parlent de l’étude de Mäntylä, celle-ci n’a toujours pas fait l’objet d’une publication scientifique.
ACTE 3 – LA FABRICATION D’UN SAVOIR
Contrairement à ses collègues produisant de l’actualité web, soumis à la pression du scoop et sommés de faire de l’information à chaud, le journaliste de Science & Vie est censé prendre du recul. C’est en tout cas plusieurs semaines après la déflagration médiatique qu’il rend compte de cette étude. A l’heure où il le fait, l’article scientifique n’est toujours pas publié, ni en ligne ni dans la revue papier (il devrait l’être « probablement avant fin février », selon la réponse que vient de me faire la directrice de publication de Psychological Science), mais qu’importe : il suffit de faire son marché parmi les on-dit colportés ici et là, en les arrangeant un peu au besoin.
Création d’une version des faits plus simple et plus percutante
Certaines sources indiquent que l’étude a été menée par un chercheur, d’autres par plusieurs ? Ecrivons « une équipe » et « les chercheurs », ça fait plus sérieux. Wray Herbert indique que les sujets avaient de 19 à 40 ans, l’Université de Stockholm et les autres qu’ils avaient de 20 à 43 ans ? Arrondissons, et écrivons « de 20 à 40 ans », puisqu’après tout cette information ne sert à rien à part à donner une impression de précision (elle n’est d’aucun intérêt si elle n’est, comme c’est le cas ici, accompagnée ni du nombre de sujets, ni de la moyenne et de l’écart-type de l’âge). Le billet de Wray Herbert, seule source chiffrant l’écart entre hommes et femmes, précise que les hommes ont fait « environ 10% » d’erreurs en moins au cours de la première expérience, et ne dit pas ce qu’il en a été dans la seconde ? Ecrivons qu’ils ont fait « 10% d’erreurs en moins », c’est plus simple. Toutes les sources expliquent que les sujets devaient surveiller simultanément trois chronomètres et l’apparition de mots dans une liste défilante ? Trop spécifique pour en tirer une généralité : écrivons plutôt qu’on leur a fait « passer quatre tests très simples, mais simultanés ». On ne sait pas ce qui a causé la différence de performances entre hommes et femmes observée sur cet échantillon, seulement « corrélée » avec la phase du cycle et « covariant » avec celle à un test de capacités spatiales (selon les termes factuels employés dans le communiqué de l’Université de Stockholm) ? Un test de rotation mentale ne saurait mesurer la capacité à « raisonner dans l’espace » (reformulation extrapolatoire osée seulement par Wray Herbert) ? Trop compliqué, trop incertain pour les lecteurs. Ecrivons plutôt : « Les chercheurs expliquent ces résultats par la plus grande capacité des hommes à raisonner dans l’espace, démontrée au cours d’une seconde série de tests ». Wray Herbert, de même qu’un journaliste de l’agence de presse canadienne QMI ayant interviewé Mäntylä [16], indique que les femmes étaient moins performantes en phase lutéale, alors que les autres sources indiquent que c’était autour de l’ovulation ? Réglons le problème en passant sous silence cette histoire de phase du cycle. Les variations hormonales n’ont manifestement pas été mesurées, et Mäntylä a indiqué à QMI que son étude « suggère que les variations hormonales contribuent » aux différences observées, mais « n’expliquent pas tout » ? Au diable ces menus détails et précautions inutiles, et puisque les hormones, c’est ce qui différencie naturellement les femmes des hommes, écrivons : « les hommes sont naturellement plus aptes que les femmes à faire plusieurs choses à la fois. Une équipe de l’université de Stockholm l’a démontré ».
Du « bon à savoir »
Maintenant que les résultats douteux, lacunaires, diversement interprétables, et restant à répliquer de cette modeste étude non encore publiée ont été transformés en savoirs clairs, simples et scientifiquement établis, il n’y a plus qu’à les mettre dans la rubrique « En pratique – Bon à savoir ». Mais au fait, pour qui est-ce bon à savoir, et à quelles fins en pratique ? Pour les profs de maths, afin qu’ils sachent que ce n’est pas la peine d’en attendre trop des filles en matière de raisonnement dans l’espace ? Pour les filles, afin qu’elles sachent que si elles rament en géométrie c’est inutile d’insister ? Pour les employeurs, afin qu’ils réfléchissent à deux fois avant de confier à une femme un travail nécessitant de faire plusieurs choses à la fois ? Pour de pauvres hommes déstabilisés par les évolutions sociales, afin qu’ils soient rassurés sur leur supériorité naturelle ?
EPILOGUE EN FORME DE VOEUX
En réponse à un lecteur jugeant que Science & Vie recherchait de plus en plus à faire « comme [ses] confrères, du “sensationnel” à tout prix », critiquant l’emploi du conditionnel dans de nombreux articles « qui apportent ainsi des informations qui n’en sont pas », la rédaction du magazine avait récemment défendu cet emploi comme étant « l’expression de [sa] plus grande honnêteté et, surtout, le reflet de la science en marche qui, par nature, se doit d’avancer prudemment. […] Il serait inacceptable d’utiliser le présent de l’indicatif […] car, pour le coup, ce serait une falsification au service d’un sensationnalisme coupable » [17]. Ce que j’aimerais pour ma part, histoire de bien commencer l’année 2013, c’est déjà que la rédaction de Science & Vie reconnaisse le caractère « inacceptable » de cette « falsification au service d’un sensationnalisme coupable » et publie un rectificatif. Ce qui serait encore mieux, c’est qu’elle renonce à espérer remédier à l’érosion de son lectorat en s’engageant dans la voie d’un pseudo-journalisme à la Grazia ou BFM TV (en l’occurrence, les lecteurs de l’un ou l’autre n’ont même pas été moins bien informés que ceux de Science & Vie). Dans le cas que nous venons de voir, un autre choix était possible. Non pas le choix de ne pas parler de cette étude alors qu’il en avait été largement rendu compte dans la presse, ni celui d’en parler en mettant tout au conditionnel, histoire de se blinder : le choix d’informer vraiment, notamment en expliquant aux lecteurs pourquoi ce qu’ils avaient pu lire dans les médias au sujet de l’étude était à prendre avec des pincettes.
L’envahissement des revues scientifiques par des articles de faible qualité (peu solides, de bas niveau de preuve, exposant des résultats interprétés à l’emporte-pièce par leurs auteurs et souvent contredits pas d’autres) ne semble malheureusement pas près d’être enrayé, bien que la communauté scientifique soit consciente du problème. Quant à la prolifération de la vulgarisation trash du moindre desdits articles dès lors qu’il répond à une demande sociale, elle semble pour l’instant incontrôlable. Ces phénomènes rendent le travail des journalistes scientifiques d’autant plus précieux. Faire le tri dans ce qui mérite d’être signalé au grand public, départager ce qui relève des constats et de leur interprétation, donner un éclairage sur la portée des études, informer sur le débat scientifique, faire un suivi des tentatives de réplication/extension des études dont on a parlé… Il y a beaucoup à faire dans le cadre d’une vulgarisation de qualité, et je forme pour 2013 le vœu que la direction de Science & Vie fasse le pari que ses lecteurs souhaitent davantage être informés que divertis, qu’on fasse davantage confiance à leur intelligence et à leur curiosité qu’à leur recherche supposée de certitudes.
Odile Fillod
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Notes
[1] 19/12/2012, « Les femmes ne sont pas plus multitâches », Science & Vie, n°1144 (Janvier 2013), p. 117. Brève anonyme dans la rubrique « En pratique », sous-rubrique « Bon à savoir » reprise ici in extenso.
[2] Sur la page de Timo Mäntylä sur le site de l’Université de Stockholm, l’article figure ainsi dans la liste de ses publications : « Mäntylä, T. (in press). Gender differences in multitasking reflect spatial ability. Psychological Science » (http://w3.psychology.su.se/staff/timn/indexeng.html, accédé le 29/12/2012, date indiquée de dernière mise à jour = 17/09/2012).
[3] HERBERT Wray, 03/08/2012, « Why men (yes, men) are better multitaskers », blog We’re Only Human, http://www.psychologicalscience.org/index.php/news/were-only-human/73955.html (accédé le 29/12/2012).
[4] Communiqué de presse publié le 23/10/2012 sur http://www.su.se/om-oss/press-media-nyheter/pressrum/ny-studie-man-ar-bra-pa-att-gora-flera-saker-samtidigt-1.105829 (accédé le 29/12/2012). Selon l’information obtenue par mail auprès d’une chargée de communication de l’Université de Stockholm le 29/12/2012, ce communiqué n’était disponible qu’en Suédois.
[5] nsb/po/lc, 24/10/2012, « Men, not women, better multitaskers: Swedish study », AFP (fil AFP World News).
[6] nsb/hh, 24/10/2012, « Une étude suédoise démonte le mythe des femmes multitâches », AFP (fil AFP Général).
[7] « Francetv info avec AFP», 24/10/2012, « Non, les femmes ne sont pas multitâches », en ligne sur http://www.francetvinfo.fr/non-les-femmes-ne-sont-pas-multitaches_159809.html (accédé le 29/12/2012).
[8] 24/10/2012, « Le mythe des femmes multitâches s’effondre (enfin) », TF1 News, en ligne sur http://lci.tf1.fr/science/sante/le-mythe-des-femmes-multitaches-s-effondre-enfin-7600430.html (accédé le 29/12/2012).
[9] SAMAMA Judith, 25/10/2012, « Les femmes ne sont pas plus multi tâches que les hommes », Grazia.fr, en ligne sur http://www.grazia.fr/societe/news/les-femmes-ne-sont-pas-plus-multi-taches-que-les-hommes-498576 (accédé le 29/12/2012).
[10] LAGARDE Mylène, 26/10/2012, « Les femmes ne seraient pas plus multi-tâches que les hommes », LExpress.fr, en ligne sur http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/les-femmes-ne-seraient-pas-plus-multi-taches-que-les-hommes_1179881.html (accédé le 29/12/2012).
[11] « avec AFP», 24/10/2012, « Les hommes seraient meilleurs que les femmes pour faire plusieurs choses à la fois », SudOuest.fr, en ligne sur http://www.sudouest.fr/2012/10/24/les-hommes-seraient-meilleurs-que-les-femmes-pour-faire-plusieurs-choses-a-la-fois-859607-3.php (accédé le 29/12/2012).
[12] MENNESSIER Marc, 24/10/2012, « Les femmes ne sont pas plus “multitâches” que les hommes », LeFigaro.fr, en ligne sur http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/10/24/19337-femmes-ne-sont-pas-plus-multitaches-que-hommes (accédé le 29/12/2012).
[13] « A. G. avec AFP », 25/10/2012, « Les hommes plus doués que les femmes pour le “multitâches” », BfmTV.com, en ligne sur http://www.bfmtv.com/societe/mythe-femmes-plus-douees-multitaches-secroule-367382.html (accédé le 29/12/2012).
[14] « avec Agence », 25/10/2012, « Le mythe des femmes plus “multitâches” que les hommes s’effondre », LaDepeche.fr, en ligne sur http://www.ladepeche.fr/article/2012/10/25/1474276-le-mythe-des-femmes-plus-multitaches-que-les-hommes-s-effondre.html (accédé le 29/12/2012).
[15] « Lu sur La Dépêche du Midi », 25/102012, « La fin d’un mythe – Les femmes “multitâches” ? Non, pas plus que les hommes », Atlantico.fr, en ligne sur http://www.atlantico.fr/atlantico-light/femmes-multitaches-non-pas-plus-que-hommes-525060.html (accédé le 29/12/2012).
[16] BURNETT Thane, QMI AGency, 25/10/2012, « Men may multi-task better than women: Study », TorontoSun.com, en ligne sur http://www.torontosun.com/2012/10/25/men-may-multi-task-better-than-women-study (accédé le 29/12/2012). Extrait souligné par moi : « Mantyla’s research, to be published in the journal Psychological Science, found being able to do several tasks at once — especially counting on spatial skills where you mentally manipulate objects in a three dimensional world — vary across a woman’s menstrual cycle. “Women in the luteal phase (later phase of their cycle) performed worse than women in the menstrual phase and men,” Mantyla told QMI Agency from his office in Stockholm. […] His theory is that abilities are hindered during ovulation, when estrogen levels are high. But he cautioned the effects: “Should not be reduced to variations in estrogen hormone levels.” […] “This study suggests that hormonal changes contribute to gender differences in multi-tasking but they are not the whole story,” Mantyla adds. ».
[17] S&V, 04/2012, « Le conditionnel tuerait l’information ? », Science & Vie, n°1135, p.9.
Je ne comprends pas comment à partir d’un échantillon de 160 sujets on peut en conclure pour toute la population.
Je ne sais pas si c’est comme pour les instituts de sondages mais à moins de 1000 on considère que ça ne vaut rien.
Ça fait une grosse différence tout de même.
Je pense que mon argument ne doit pas être valable puisque vous ne le citez jamais. Et pour beaucoup des tests que vous citez ils sont fait sur des échantillons de cet ordre aussi, j’ai même vu moins et cela ne semble pas vous émouvoir.
Est-ce que j’ai tout faux ou vous ne vous intéressez uniquement à la dégradation de l’information par les différents médias?
Bien-sûr, ça m’émeut aussi qu’on prétende conclure sur toute la population à partir de petis échantillons, et c’est pourquoi je précise leur taille (et laisse mon lecteur conclure par lui-même car il me semble que ça va sans dire). Le fait est que dans l’immense majorité des cas, les chercheurs ne prétendent nullement cela dans leurs articles scientifiques, et que quoi qu’ils y écrivent, leurs pairs qui les lisent savent parfaitement à quoi s’en tenir : le problème survient surtout lorsqu’une telle conclusion est affirmée dans la communication des recherches au grand public. Concernant la taille minimale d’un échantillon, cela dépend du dispositif méthodologique et de la méthode d’échantillonage employée. Les instituts de sondage utilisent la méthode des quotas, qui n’a pas les mêmes contraintes. Dans la recherche fondamentale en psychologie ou en neurosciences, les chercheurs n’ont sauf exception pas les moyens de faire des études sur de gros échantillons. Ils publient faute de mieux leurs observations faites sur de petits échantillons, qui ne sont pas considérées comme des “faits” tant qu’elles n’ont pas fait l’objet de réplications/extensions indépendantes. L’un des problèmes structurels de la vulgarisation est qu’elle extrapole à partir de petites études de ce type censées “découvrir” ou “révéler” quelque-chose sans jamais s’intéresser aux tentatives ultérieures de réplication/ extension.
Merci beaucoup de ces précisions
Waouh à chaque fois suis impressionnée par votre travail, merci !
Je retiens, entre autre, de votre article que la “femme multitâche” est un mythe (?).
Une information sourcée que je m’empresserai d’utiliser la prochaine fois qu’une de mes collègues féminines me dira qu’un homme ne peut pas faire 2 choses à la fois…
Et je l’entends souvent !
Vous pouvez retenir de cet article que selon moi, l’idée que les femmes sont naturellement plus “multitâches” que les hommes est un mythe savant, mais ce n’est pas ce que j’appelle une information sourcée (je n’apporte ici aucun élément de preuve). Quant à vos collègues… Oui, il y a à peu près autant de femmes sexistes que d’hommes sexistes, même si les ressorts de ces deux sexismes sont en partie différents. Mais je ne vois pas le rapport avec ce que j’ai écrit ici…
Il ne s’agit pas vraiment de sexisme mais plutôt de taquineries entre “genre” différents !
Félicitations pour la rigueur de vos articles bien qu’au premier abord ils peuvent paraître un peu “indigeste”.
Votre article est très bien détaillé et super intéressant, merci.
Effectivement dans mon entourage professionnel, les hommes comme les femmes sont friants de généralités liées au sexe biologique (les femmes sont “génétiquement” plus motivées pour s’occuper de leurs enfants d’après un collègue, les femmes sont plus douées en communication d’après une collègue, etc.)
Le début de votre paragraphe sur le “bon à savoir” se rapproche particulièrement de la question que je me pose concernant le but de ce type d’études. Quel peut être l’intérêt de démontrer ce genre de différences ? Et si ce l’étude portait sur une autre minorité que les femmes, cela ne provoquerait-il pas un tollé ?
Les auteurs de se genre d’études les justifient fréquemment en écrivant qu’étudier les diffférences entre les sexes dans des tâches cognitives (ou dans des troubles psy, etc), est un moyen d’avancer dans la compréhension des processus impliqués dans celles-ci. D’autres fois ils avancent que comprendre les différences entre les sexes permettra de lutter plus efficacement contre les inégalités de genre. Certains sont me semble-t-il sincères, d’autres ont des motivations tout autres qui sont manifestes quand on lit leurs articles, et n’avancent ces justifications que pour obtenir un financement de leurs travaux (ce qui marche très bien, surtout avec la seconde justification…). Dans le cas de cette étude je ne sais pas.
Pour ce qui est de votre deuxième question, je trouve comme vous très frappant de voir qu’alors que le racisme scientifique n’a pas droit de cité, le sexisme scientifique ne pose en revanche aucun problème manifestement. Mais peut-être plus pour très longtemps.
Le racisme et le sexisme sont différents.
Il est impossible scientifiquement de définir une race alors que le genre biologique peut se définir au moins au niveau du corps.
Pour ce qui est des différences psychologiques, votre blog réfute les études soit disant scientifiques de différence liées au genre.
Sans pour autant apporter de preuves du contraire ce qui n’est d’ailleurs pas votre objectif.
La vision de la femme dans la pornographie actuelle me semble beaucoup plus dangereuse et avilissante.
Je qualifie ces assertions de sexistes car elles attribuent des capacités cognitives naturellement différentes aux membres des deux groupes de sexe.
Elles sont sexistes exactement au même titre que l’affirmation suivante serait raciste : “Les hommes de type caucasien sont naturellement plus aptes que les hommes de type afro-américain à faire plusieurs choses à la fois. Une étude de l’université de Stockholm l’a démontré”. Le fait que le concept de race ne soit pas applicable à l’homme ne change rien à l’affaire, et n’empêche d’ailleurs pas que des centaines (voire des milliers) d’articles scientifiques soient publiés chaque année, dans des revues de sciences biomédicales et de psychologie, qui établissent un distingo entre individus “caucasiens” et “afro-américains”, pour rester sur cet exemple.
Abonné à ARRET SUR IMAGE, je viens de vous découvrir à l’occasion de votre analyse du papier de S. BOHLER. Un seul mot à vous dire : Bravo !!! le naïf que je suis a enfin compris l’envers du décors du discours amusant et séduisant de M. BOHLER (psychologie évolutionniste, nous voilà..), bien caché effectivement. Sa réponse à votre analyse est consternante. Passons..
Je découvre un peu plus précisément votre travail de décryptage avec cette « étude » sur les hommes et femmes multi-taches… encore bravo..
Ce que vous faites pour nous éclairer est infiniment précieux. Continuez !!!
Je n’ai jamais eu de meilleure note en maths au lycée qu’en géométrie….
N’importe quoi !
Bien qu’ayant 6 ans de retard et que l’analyse de l’étude de Mäntylä n’était pas en soi l’objet de votre billet, je n’ai pas résisté à lire l’article scientifique en question qui a finalement été publié le 5 mars 2013.
J’étais curieux de savoir, par exemple, ce qu’il en était réellement du nombre de participants et de leur âge. Pour la première expérience il est indiqué qu’ils étaient 72 (36 hommes et 36 femmes) âgés de 19 à 40 ans, pour la seconde expérience ils étaient 88 (48 femmes et 40 hommes) âgés de 19 à 43 ans. On retrouve bien le total de 160 sujets, et la plage d’âge s’étalait donc en réalité de 19 à 43 ans.
L’auteur indique que “la majorité des participants étaient des étudiants de l’université d’Umeå”, ce qui serait intéressant de savoir c’est le type d’études de ces étudiants. Si les hommes étaient en majorité des étudiants en maths ou physique et les femmes en majorité des étudiantes en sciences sociales ou en langues, ça pourrait donner lieu à un sacré biais, qui pourrait expliquer à lui seul les différences de performances dans les tests effectués.
Autre remarque, l’auteur indique “aucun des participants ne jouaient aux jeux vidéos plus de deux heures par jour”, c’est bien joli mais si les hommes sélectionnés jouaient en moyenne aux jeux vidéos davantage que les femmes, ce qui est fort possible et même probable, c’est là aussi un biais, qui peut expliquer pourquoi les hommes du groupe s’en sont en moyenne mieux sortis. Jouer “seulement” une heure par jour peut déjà être une sorte d’entrainement pour la tâche qu’il leur a été demandé de réaliser devant un écran d’ordinateur à l’aide d’un clavier. Dire “aucun ne joue aux jeux vidéos plus de deux heures par jour” est plutôt facile pour essayer de balayer ce biais. Pourquoi ne pas avoir été plus précis, en disant par exemple : les femmes de l’étude jouent aux jeux vidéos en moyenne …. minutes par jour et les hommes … minutes par jour ?
Je remarque aussi que l’auteur lui-même, à la fin de l’article, quand il évoque les limites de son étude, indique par exemple que “multitasking” (le multitâche) est un terme vague qui n’est pas très bien défini. En effet “effectuer plusieurs tâches à la fois” ne veut en soi rien dire, tout dépend des tâches dont il s’agit !
Je ne sais pas si cette étude a été répliquée mais en tout cas, elle ne nous apprend à mon sens absolument rien en ce qui concerne les “différences entre hommes et femmes”. Tout ce qu’on apprend c’est comment ces hommes-là et ces femmes-là ont répondu à ces tests-là dans ce contexte-là.
Concernant la différence de résultats observée entre “femmes en phase lutéale” et “femmes en phase menstruelle” ( j’imagine que l’auteur entend par là “phase folliculaire”?), n’ayant jamais rien lu à ce sujet, je dois dire qu’elle m’interroge mais le nombre de femmes ( 20 femmes et 20 femmes) me semble trop réduit pour conclure quoi que ce soit. Existe-il des études plus larges et répliquées qui montrent des différences de performance de ce type entre femmes selon leur cycle menstruel ?
Quoi qu’il en soit, c’est toujours éclairant et enrichissant de lire un de vos articles. Encore bravo.
En effet, pour de nombreuses raisons, cette étude n’avait pas le pouvoir de trancher la question de savoir s’il existe une différence moyenne entre femmes et hommes dans l’aptitude à effectuer efficacement plusieurs tâches à la fois (pour autant qu’on se mette d’accord sur une définition opérationnelle de cette aptitude), ni a fortiori celle de savoir si cette différence moyenne putative est naturelle, comme l’avait pourtant annoncé Science & Vie.
Pour vous faire une idée de l’état des recherches sur l’existence même d’une telle différence (sans parler d’éventuels facteurs biologiques de sexuation de cette aptitude), jetez un oeil à ces deux articles récents qui d’une part rapportent de nouveaux constats d’absence de différence statistiquement significative dans divers paradigmes de mesure de cette aptitude (l’une sur 82 h et 66 f, l’autre sur sur 48 h et 48 f), mais aussi mettent en évidence le caractère inconsistant de la littérature existante, et pour le premier aussi des résultats d’enquête intéressants sur les stéréotypes répandus à ce sujet :
– Hirnstein, Laroi et Laloyaux (2019) publié dans Psychological Research (https://doi.org/10.1007/s00426-018-1045-0)
– Hirsch, Koch et Karbach (2019) publié dans Plos ONE (https://doi.org/10.1371/journal.pone.0220150)
Concernant le lien rapporté par Mäntylä avec la phase du cycle, si c’est “menstruel” qui est indiqué et non “folliculaire”, c’est qu’il faut bien comprendre “menstruel”. C’est l’un des problèmes dans les études qui sont faites sur la variation de toutes sortes de traits cognitifs ou comportementaux selon la phase du cycle : la définition des phases est variable, à mon avis post hoc dans nombre de cas, et la “phase du cycle” est un mauvais proxy des niveaux effectifs des hormones en circulation, qui dans ces études sont généralement présumés être le facteur causal direct (par une action sur le cerveau). Je n’ai pas connaissance d’une réplication de ce résultat de son étude. Pour les performances cognitives en général, j’en suis restée à l’idée que la littérature était inconsistante, mais je n’ai pas eu l’occasion d’en refaire récemment une revue.
Merci pour les deux articles que vous indiquez, j’étais d’ailleurs déjà tombé sur le premier quand je cherchais l’article de Mäntylä. Ce que je retiens de tout ça c’est qu’il n’y a rien de clairement établi et qu’il s’agit avant tout de spéculations, on reste dans le domaine des hypothèses.
Et concernant l’étude de Mäntylä en particulier, la réflexion qui me vient c’est “Ça ne fait pas très sérieux”. J’ai relu la façon dont il définit “phase menstruelle” et “phase lutéale”, je cite : “the menstrual phase (defined as 2–3 days before the predicted menstruation or during the first week of the cycle)” et “the luteal phase (defined as 2–3 days before ovulation or during the week of predicted ovulation)”.
Donc il définit “phase menstruelle” comme étant les 2-3 derniers jours de la phase lutéale et les 7 premiers jours de la phase folliculaire et il définit “phase lutéale” comme étant les 2-3 derniers jours de la phase folliculaire ainsi que la semaine qui suit(?) l’ovulation (son “during”me semble étrange, pourquoi n’écrit-il pas “after ovulation”?) c’est-à-dire la première semaine de la phase lutéale. Donc il redéfinit lui-même une “phase lutéale” qu’il réduit et même décale sur la phase folliculaire. Bref, tout cela n’est pas clair et “ne fait pas très sérieux”.
Et dire que des magazines de vulgarisation scientifique ont fait de la publicité pour cette étude…
Votre blog m’a dessillé les yeux sur la qualité/pertinence/sérieux de ce qui peut être publié dans les “revues scientifiques” et de ce qui peut être affirmé par les scientifiques eux-mêmes. Tout le système de la publication scientifique me semble défaillant. Bien content de ne pas en faire partie et de n’avoir de comptes à rendre à personne.