La manipulation Bohlerienne continue, avec la bienveillance et la force de frappe médiatique que lui assure complaisamment Daniel Scheidermann via Arrêt sur images.
A quoi sert-il de dénoncer, comme je l’ai fait dans mon billet du 22 décembre dernier [1], les nombreux et sérieux manquements au professionnalisme et à l’éthique journalistiques de Sébastien Bohler ? Visiblement pas à grand-chose puisque Daniel Schneidermann a décidé de continuer à s’assurer ses services. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
S. Bohler vient de publier sur Arrêt sur images une tribune [2] censée répondre à mon billet. La manipulation qu’il y opère est tellement grossière (confirmant en creux que mes critiques étaient fondées) qu’il m’a semblé dans un premier temps inutile d’y répondre. J’ai finalement décidé de le faire parce que je ne pouvais me résoudre à accepter sans réagir que circulent des propos diffamatoires à mon égard, parce que des réactions laudatives à cette tribune montrent que certaines personnes ont été bernées par son discours [3], et aussi parce qu’il m’a semblé important, au-delà de cette modeste polémique, de mettre en évidence la malhonnêteté des procédés employés et le caractère problématique de certains arguments avancés.
J’ai donc demandé à D. Schneidermann de me donner un droit de réponse sous forme d’une contre-tribune sur le site d’Arrêt sur images. Il me l’a refusé, me proposant royalement de me donner gratuitement accès au site afin que je poste un commentaire sous le texte de S. Bohler. Puisqu’il a décidé de ne pas assurer des conditions équitables d’exposition des arguments de l’une et de l’autre, j’utilise à nouveau mon blog. Ce n’est pas la première fois : lorsque suite à l’annulation de l’émission à laquelle Arrêt sur images m’avait invitée, j’avais proposé une tribune écrite, une limite de 12 000 signes m’avait été imposée (c’est pour cela que mon billet avait été publié ici et non sur Arrêt sur images), or celle de S. Bohler en fait… plus de 27 000.
Examinons pour commencer les techniques rhétoriques qu’il emploie dans sa tribune pour me discréditer et masquer son incapacité à contrer mes critiques.
UNE ACCUMULATION D’ARTIFICES RHETORIQUES
Technique n°1 : traiter l’autre avec condescendance et user de l’argument d’autorité
Fort de sa position de pouvoir dans le champ médiatique, S. Bohler traite mes arguments et ma personne avec mépris.
A ses dires je commets un « amalgame », je fais « une erreur de débutant », une « confusion », et même plusieurs apparemment car il ponctue l’un de ses paragraphes par ce soupir : « Confusions, confusions… ».
Il est « nécessaire de dépasser le stade de raisonnement naïf que nous propose O. Fillod », nous dit-il. Il aurait « préféré des accusations plus sérieuses ». « Soyons sérieux », « Allons un peu au-delà de la surface des choses », s’exclame-t-il ailleurs.
Selon lui les méthodes que j’emploie « sont parfois désolantes », comme par exemple lorsque je « surfe sur une croyance populaire ». Je fais « quantité d’assertions hâtives » sur lesquelles il « passe » généreusement. Mes déclarations « dénotent une grande légèreté ».
Je me « pique d’invalider un corpus mondial de recherches », je cherche à m’ « ériger en experte », alors que je n’ai même pas « le réflexe de faire une bibliographie sérieuse ». Il se pose une question à mon sujet : « Comment croit-elle qu’on réalise des études en psychologie sociale ? ». Grand seigneur, il me laisse « le bénéfice du doute quant à [m]on manque de formation ».
A ses dires, je suis soit de mauvaise foi, soit pas « familière du champ de recherche concerné », pas comme lui qui « passe [s]es journées au contact des chercheurs en neurosciences, en psychologie, en psychiatrie, en sciences de l’éducation, en sciences cognitives, pour [s]on activité éditoriale et journalistique », et consacre une part très importante de son temps « à la veille scientifique au crible d’une cinquantaine de revues internationales ». Il n’a « d’ailleurs pas le temps » de répondre à tous les points que je soulève.
Technique n°2 : ne pas répondre
Mon billet était organisé de manière claire et structurée : chaque paragraphe examinait un point bien identifié, introduit par la citation des propos faisant l’objet de ma critique, et soulevait des problèmes qui étaient autant de questions implicites. Il se garde bien de conserver cette structure afin de mieux masquer les trous dans sa réponse. Exemples :
– Je montre que son affirmation « le rapport taille-hanches idéal vaut 0,7 dans toutes les cultures » a été contredite par diverses observations rapportées dans des articles scientifiques, observations dont ont pris acte même des chercheurs travaillant sur l’hypothèse d’un tel rapport idéal gravé dans le cerveau masculin. Que répond-il ? Rien.
– J’émets des doutes quant au fait qu’une étude ait réellement mis en évidence une activation cérébrale spécifiquement liée à la valeur 0,7. Que répond-t-il ? Rien, et il ne donne toujours pas la référence de l’étude.
Remarque : sur l’insistance d’un internaute sur le forum d’Arrêt sur images, il l’a finalement donnée. Il s’agit de Platek S.M., Singh D., 2010, Optimal waist-to-hip ratios in women activate neural reward centers in men, PLoS ONE, vol.5(2), en ligne sur http://www.plosone.org/article/info:doi/10.1371/journal.pone.0009042. Les personnes intéressées pourront constater que cette modeste étude menée sur 14 hommes ne rapporte pas une activation spécifique à la valeur 0,7, mais une différence moyenne d’activation face aux photos de 7 femmes selon qu’elles avaient été prises avant ou après une opération de chirurgie esthétique ayant (entre autres) abouti à une diminution de leur rapport taille/hanche…
– Je prétends que l’étude qu’il cite comme ayant montré que la fréquence des orgasmes des Chinoises « est proportionnelle aux revenus de leur conjoint » ne montre pas que cette fréquence est « proportionnelle ». Que répond-t-il ? Rien.
– Je note que la seule étude qu’il donne en référence pour étayer son affirmation que des études « montrent que plus le degré d’implication d’une femme dans une relation augmente, plus la femme exige […] que l’homme gagne beaucoup d’argent » rapporte au contraire explicitement une absence de corrélation entre degré d’implication et niveau de revenus souhaité ? Ca ne l’émeut pas.
– … etc.
En fait, c’est cette technique que S. Bohler a globalement appliquée. Car en définitive la seule et unique critique à laquelle il répond (et nous verrons combien il y répond mal) est celle de la qualification trompeuse des disciplines scientifiques invoquées. J’ai écrit qu’il affirmait faussement que tout ce qu’il disait dans sa chronique était étayé par les sources citées en référence ? Il ne prétend pas le contraire. Qu’il faisait une présentation erronée des résultats des études qu’il citait ? Il ne le nie pas non plus. Qu’il faisait des déductions et généralisations abusives ? Idem. Que son discours ne différenciait pas les faits de leur analyse et de l’opinion personnelle ? RAS. Qu’il invisibilisait le débat scientifique de différentes façons que j’expliquais ? Idem. Qu’il invoquait le résultat d’une étude qui avait pourtant été invalidé par ses auteurs eux-mêmes ? Silence radio.
Technique n°3 : diffamer et mentir
Utilisant le fait que je suis une inconnue et pariant sur celui que les gens ne feront pas l’effort de vérifier ses dires, S. Bohler manie la diffamation et pare son discours d’affirmations mensongères.
Il se permet ainsi d’affirmer gratuitement que la notion de plasticité synaptique m’est « étrangère », ce qui est bien évidemment faux.
Il se demande comment il se fait que je n’ai pas vu qu’il avait bien donné en référence une étude « biologique », alors que ladite étude ne figurait pas dans la liste qu’il avait donnée en référence.
Il affirme que je « prétend[s] que l’étude de Kim Janssens sur la réaction des hommes devant une femme habillée de façon sexy est fallacieuse », or ce que je prétends – et démontre – est que l’affirmation faite par S. Bohler (que cette étude « montre […] que devant une femme apprêtée de façon provocante et sexy, les hommes pensent spontanément à des voitures de sport ou des articles de luxe, alors que si on leur montre la même qui arbore des vêtements plus discrets, ils pensent à des objets de consommation courante ») est fallacieuse.
Il prétend que je « déplorai[s] l’absence » d’une étude transcontinentale, alors que j’ai seulement indiqué que les auteurs de l’article qu’il a donné en référence écrivaient en introduction qu’à leur connaissance, aucune étude examinant l’effet du degré d’implication dans la relation sur les critères de choix de partenaire n’avait été faite ailleurs qu’en Amérique du Nord. Soulignons au passage que S. Bohler ment à nouveau en prétendant fournir la référence de ladite étude, car « l’étude de Buss menée sur 37 cultures et 27 pays auprès de 10 000 personnes en 1989 » qu’il mentionne dans sa tribune n’examine pas l’effet du degré d’implication dans la relation sur les critères de choix de partenaire.
Il prétend que figure dans mon billet la déclaration que la psychologie évolutionniste « prédit […] que les rapports sexuels doivent être nécessairement hétérosexuels », or je n’ai jamais écrit cela.
Technique n°4 : déformer les arguments de l’autre
S. Bohler reformule certains de mes arguments en les déformant complètement.
Ainsi, lorsque je rappelle que bien que statistiquement significatifs, des résultats obtenus uniquement sur un petit échantillon (surtout lorsqu’il est biaisé, comme je le montre dans plusieurs cas) ne permettent pas à eux seuls d’affirmer comme il le fait que ces résultats sont valables pour l’espèce humaine en général, il prétend que je surfe sur la croyance qui veut que des petites tailles d’échantillons « sont insuffisantes pour obtenir des résultats significatifs ».
Lorsque je rappelle qu’une étude préliminaire, d’autant plus si elle est menée sur un petit échantillon, d’autant plus si celui-ci est biaisé, et d’autant plus si elle est à haut risque de biais additionnels, est insuffisante à elle seule pour affirmer que les résultats qu’elle rapporte constituent des faits établis, il prétend que lorsqu’une partie d’une chronique ne me convient pas, j’ « espère la discréditer en arguant qu’elle ne se fonde que sur une seule étude ».
Lorsque j’explique que la fréquence des orgasmes dont parle S.Bohler est « une fréquence déclarée, et surtout une fréquence non quantifiée : c’est pourquoi l’étude ne montre pas du tout (et les auteurs ne le prétendent pas) que cette fréquence est “proportionnelle” aux revenus », il écrit : « O. Fillod regrette que la fréquence des orgasmes soit évaluée d’après les déclarations des intéressées ».
Lorsque je note que « des décennies de recherche ont échoué à montrer que la préférence humaine en faveur de partenaires d’un sexe donné est orientée par d’hypothétiques systèmes cérébraux dont la conformation favorisant cette préférence serait génétiquement déterminée », et souligne que « cette théorie n’est qu’une hypothèse », il prétend que j’utilise le « raisonnement naïf » selon lequel si « on n’a pas identifié un gène sous-tendant un comportement », alors « ce comportement n’a pas de base génétique ».
Parce que j’ai l’honnêteté de dire en introduction d’où je parle, indiquant que cela m’amène à considérer avec un esprit critique plus aiguisé que le sien tels ou tels articles ou théories scientifiques, et parce que je souligne dans ma conclusion que les libertés qu’il prend avec les faits sont d’autant plus graves que tout cela n’est pas sans conséquences, il se croit autorisé à relever un biais de raisonnement consistant à tenir pour fausses les théories qu’il relaie en raison du caractère déplaisant de leur conséquences. J’interroge pourtant non pas la véracité de ces théories mais (un peu) la solidité de leur étayage scientifique et (surtout) la distance existant entre ce qu’affirme S. Bohler et ce qu’on trouve dans la littérature scientifique sur laquelle il dit s’appuyer
Technique n°5 : démolir des arguments fictifs
Lorsqu’il ne me prête pas explicitement des arguments qui ne sont pas les miens, S. Bohler se consacre au démontage d’arguments inventés par lui, détournant ainsi l’attention et laissant croire que ce sont des arguments que j’emploie.
Il tient ainsi à alerter ses lecteurs sur le fait qu’il faut éviter « le piège de croire que ces études sont faussées parce qu’elles viennent des Etats-Unis ou d’ailleurs ». Ai-je écrit que ces études étaient « faussées » pour cette raison ? Non. Est-ce que je le pense ? Non plus.
Il rappelle aussi qu’ « il est essentiel d’éviter de tomber dans un autre piège, qui est celui de l’argumentatio ad consequentiam ». Outre ce que j’ai dit plus haut, notons qu’il est un peu fort de me faire ce reproche alors que j’ai moi-même écrit dans un billet (dans lequel je citais d’ailleurs déjà S. Bohler) qu’il n’était pas pertinent de rejeter la psychologie évolutionniste en raison des applications potentielles ou avérées de son discours.
Il croit utile de préciser que « plus aucun chercheur en neurosciences aujourd’hui n’aurait l’idée de se cramponner au dualisme de Descartes, qui prônait une distinction nette et irréconciliable entre le corps matériel et l’esprit immatériel ». Je n’adhère bien évidemment pas à cette idée, et rien dans ce que j’écris ne permet de se l’imaginer, bien au contraire.
Technique n°6 : faire un procès d’intention
S.Bohler me reproche explicitement de « vouloir à tout prix déboulonner les études scientifiques sous-jacentes à [s]on propos », et de vouloir « coûte que coûte invalider le résultat de l’étude pour la seule raison qu’il ne [me] convient pas ». Ces accusations sont gratuites et ne font aucunement avancer le débat.
Technique n°7 : déplacer le débat
S.Bohler a choisi d’intituler sa tribune « Ce n’est pas à la science de dire le Juste », ce qui est particulièrement gonflé sachant que le débat était plutôt, pour le résumer dans des termes similaires : « Ce que dit S.Bohler est-il ce que dit la science ? ».
Et de se gargariser de déclarations ronflantes : « il est vital […] de dissocier le droit de la biologie, et de pouvoir affirmer par exemple que les femmes et les hommes ont les mêmes droits sans devoir prouver pour cela qu’ils sont pareils », c’est une erreur de « vouloir à tout prix nier certains résultats scientifiques pour consolider l’égalité en droit »… Le subterfuge est tout de même un peu gros.
Technique n°8 : nier l’évidence
S.Bohler prétend que malgré mes « supputations hasardeuses », il n’est « pas du tout convaincu de l’existence de différences naturelles entre hommes et femmes sur le plan psycho-comportemental ». Il écrit pourtant ensuite (souligné par moi) : « je pense plutôt que la plupart des différences sont imprimées par l’environnement », et qu’en dehors de domaines particuliers tels que « le comportement sexuel » et « certaines émotions », il est « plus probable que l’empreinte sociale soit prépondérante ». N’y a-t-il pas là au contraire une claire confirmation de sa croyance dans le fait que certaines différences entre hommes et femmes ne sont pas seulement dues à l’environnement ? Il enfonce d’ailleurs le clou en écrivant plus loin que « les résultats des diverses études de ce type [i.e. de psychologie évolutionniste] […] condensent les principales forces évolutionnistes à l’œuvre dans la formation des couples », ou encore que « la recherche d’un homme jouissant d’importantes ressources », ici chez les femmes, « est sans doute un comportement de survie au point qu’il ait été matérialisé en partie par une contribution génétique ».
DES ARGUMENTS PROBLEMATIQUES
La psychologie évolutionniste, c’est par définition de la biologie
Je montrais dans mon billet que contrairement à ce qui était dit à plusieurs reprises et suggéré par divers moyens, il n’y avait ni biologie, ni neurosciences dans les quatre études qu’il avaient données en référence en ligne sous sa chronique, mais seulement de la psychologie évolutionniste (ce qui entre autres constituait une tromperie sur les disciplines scientifiques invoquées).
S. Bohler croit s’en tirer en expliquant que « ces études de psychologie reposent sur le cadre conceptuel (et sont conçues pour le tester) de la psychologie évolutionniste, qui est une théorie génétique et donc biologique ». Il réitère là, de façon particulièrement culottée, le travestissement qui était précisément l’objet de ma critique, et qui constitue de manière plus générale une distorsion grave et fréquente [4] dans la vulgarisation des études de psychologie évolutionniste.
A ce compte-là, si un chercheur formule l’hypothèse psycho-évolutionniste que S.Bohler, en tant que mâle de l’espèce humaine, est génétiquement prédisposé à me traiter avec dédain parce que je ne suis, en tant que femelle de l’espèce humaine, qu’un des multiples véhicules potentiels à la transmission de ses gènes, et si ce chercheur fait une expérience de psychologie pour vérifier qu’il me traite avec plus de dédain que ses congénères masculins, il fait « de la biologie » ?
Toutes les différences sont biologiques
Sous couvert de clarifier la différence entre biologique et naturel (hors-sujet, car je ne confondais en rien ces deux notions, mais passons), S. Bohler explique à partir de l’exemple de l’acquisition d’une langue que puisque nos dispositions psychiques reposent sur des structures cérébrales qui sont sous contrôle génétique et puisque les différences acquises au cours de l’interaction avec l’environnement se matérialisent sous forme de différences dans le cerveau, alors les différences de dispositions entre individus (ici le fait de parler soit chinois, soit anglais) peuvent être qualifiées de « différences biologiques ».
Si on regarde de près la manière dont il nous présente ce truisme tendancieux, on se rend compte que le premier terme de son raisonnement n’a rien à faire là. Sa présence trahit la confusion dont j’ai dénoncé ailleurs l’entretien [5], qui consiste à ne pas distinguer la question de la genèse d’une caractéristique chez un individu de celle de l’origine des différences entre individus dans cette caractéristique.
Dès lors que c’est publié, c’est scientifiquement validé
S. Bohler estime que je n’ai pas besoin de m’ « ériger en experte alors que des comités de lecture […] s’occupent de ce travail ». Il sous-entend ainsi que dès lors qu’un comité de lecture a accepté un article pour publication dans une revue scientifique, toute critique externe dudit article devient non pertinente.
Ainsi donc, la mémoire de l’eau est un fait établi parce que Jacques Benveniste a un jour publié dans Nature un article aboutissant à la conclusion qu’elle existait ? Ni la méthodologie, ni les conclusions de l’étude de l’équipe du Pr Séralini sur la dangerosité des OGM ne peuvent être discutées parce qu’elle a été publiée dans Food and Chemical Toxicology ?
Il est très problématique qu’un journaliste scientifique contribue à entretenir cette croyance erronée et néfaste, outre le fait qu’il surfe lui-même sur celle-ci en invoquant comme s’il s’agissait de faits scientifiquement établis les conclusions de petites études critiquables, préliminaires ou critiquées, voire contredites. Plus qu’un manquement à l’éthique journalistique, ça confine à la désinformation.
Un raisonnement simpliste révélateur
Dans sa tentative de démonstration qu’il est inutile de nier certaines grandes lignes des théories psycho-évolutionnistes, S. Bohler assène que « dans une société paléolithique », « une femme qui ne s’occupe pas de son enfant ne transmet pas ses gènes, un homme si ».
Voilà qui montre une fois de plus son manque de rigueur (ou sa tendance à faire des simplifications abusives) ainsi que son acceptation non critique d’hypothèses pourtant discutables. Comment sait-il qu’il n’existait aucune coopération entre nos ancêtres femelles pour la prise en charge de l’allaitement ? Comment sait-il qu’il n’existait aucune coopération entre nos ancêtres tout court, non liés par une relation sexuelle, pour la prise en charge des enfants ? Comment peut-il affirmer qu’un homme qui ne s’occupe pas de son enfant transmet malgré tout ses gènes tout en expliquant que la survie de la progéniture d’une femme peut dépendre au moins en partie du fait qu’un homme lui apporte certaines ressources alimentaires ?
Deux nouvelles croyances affirmées au nom de la science
Pour finir, S. Bohler nous gratifie de l’expression de deux de ses croyances qu’il présente avec aplomb, encore une fois, comme s’il s’agissait de simples faits qui ne souffraient pas discussion (« gare au négationnisme scientifique », prévient-il) alors même que ces idées font à tout le moins l’objet d’un débat scientifique :
– l’intelligence est « un trait fortement héritable génétiquement (entre 50 et 90 pour cent de part génétique) »,
– les recherches actuelles en psychologie du comportement « mettent en évidence une tendance non consciente, même chez les individus Blancs idéologiquement les plus tolérants, à s’asseoir plus loin d’un Noir dans une salle d’attente, ou à associer un Noir à des termes à connotation négative. […] Il n’est pas nouveau que l’homme doive lutter contre certaines tendances “naturelles” pour faire ce qu’il estime meilleur. Et il me semble que le pire, dans ce contexte, est de nier ces tendances “naturelles” ».
Sans commentaire.
AU REVOIR MONSIEUR BOHLER
Le « débat » que prétendait organiser Daniel Schneidermann n’a finalement pas vraiment eu lieu, mais ça n’est pas grave : la chronique de S.Bohler et sa tribune d’un côté, mes deux billets y répondant de l’autre, me semblent suffisants pour que chacun puisse se faire son opinion.
J’en resterai donc là pour ma part, dans ce cadre tout au moins.
Odile Fillod
_________________
Notes
[1] Voir http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/12/22/arret-sur-mirages/.
[2] BOHLER Sébastien, 9 janvier 2013, « Hommes et femmes : “ce n’est pas à la science de dire le Juste” » (« Ce n’est pas à la science de dire le juste ! » dans la version pdf), en ligne sur www.arretsurimages.net.
[3] Par exemple celle-ci : « Je trouve la réponse de Sébastien Bohler très intéressante dans la mesure où il explique la façon dont, en neuro-sciences, on envisage de façon générale le débat nature/culture qui est fondamental dans le questionnement politique. […] Le paragraphe sur la différence entre le biologique et le naturel était lumineux. Vraiment, j’ai l’impression de connaître beaucoup mieux le monde depuis que je l’ai lu. J’avoue ne pas avoir lu la chronique de départ, ni la critique d’Odile Fillod. En tant que femme, les débats féministes m’ont toujours profondément ennuyée. ». Ou encore celle-là : « Oui les hommes et les femmes n’ont pas le même cerveau madame, ne vous en déplaise, ne serait-ce qu’en taille (c’est statistiquement prouvé sur un très gros échantillon). Quant à la structure, je répondrai par un simple fait : les femmes et les hommes produisent des hormones différentes en fonction de certaines fonctions reproductives, ces productions sont gérées par des zones du cerveau différentes pour un cerveau d’homme ou de femme. Bêtement. Rien que là y’a déjà une différence de fonctionnement : la masse d’hormones qu’une femme doit produire pour son cycle reproductif conditionne le fonctionnement et la configuration du cerveau féminin. Entre le tout “biologisant” et le tout “socialisant”, il y a un juste milieu que M. Bohler essaie de faire entrevoir, en pure perte apparemment… La pensée scientifique la plus répandue est que l’être humain est biologique (un peu) et social (beaucoup). On ne peut pas complètement évacuer le biologique de l’explication de nos comportements, c’est une ineptie dogmatique. […] »
[4] Voir par exemple http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/04/25/psychologie-evolutionniste-et-biologie/.
[5] Voir http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/05/30/debat-inne-acquis/.
merci de cette réponse claire et circonstanciée comme la première.
Vous avez raison de passer autre chose, je le fais également
Merci Odile pour tous vos articles, c’est un plaisir de vous lire à chaque fois, et c’est un plaisir d’avoir des analyses critiques aussi développées que les vôtres.
C’est cela que l’on devrait enseigner dans les facultés, cet esprit critique dont on a si besoin à l’heure de la surmédiatisation de la psychologie.
En tout cas, l’argumentaire de Bohler confirme à lui seul, son maque d’esprit scientifique… Affirmer tout ceci avec autant d’aplond…
Effectivement… Merci Madame Fillod pour votre travail.
Martin
Je ne sais pas si j’aurais eu le courage et les connaissances suffisantes (tant au niveau méthodologique qu’au niveau de l’analyse des procédés rhétoriques employés pour masquer l’absence d’arguments valides) pour pouvoir démonter comme vous le faites l’argumentation foireuse de Sébastien Bohler, alors je vous remercie de l’avoir fait. C’est non seulement instructif, mais même assez réconfortant quand on a l’habitude, comme moi, de lire ou d’entendre des raisonnements bancals sur ces sujets-là.
Acquérir une vraie rigueur scientifique n’est pas une chose évidente et, sans ça, difficile de développer un esprit critique… J’aime que ce blog soit intransigeant là-dessus et ne cède pas aux petites manipulations si chères à Bohler (et à tant d’autres !).
C’est sûr que c’est moins accessible aux lecteurs, qu’il faut prendre le temps de réfléchir à ce qu’on lit et de se documenter… mais c’est le prix à payer pour avoir accès à une information de qualité. J’aimerais que plus de gens aient conscience de ça…
Merci !
au lieu de s’abonner à arrêt sur images, on peut le faire ici ? 😉
puis je faire remarquer qu’il me semble que tout ce délire sur le langage est l’enfant plus ou moins légitime de la grammaire générative chomskyenne, enfant dont on ne dira jamais assez de mal quant aux conséquences pour l’enseignement des langues ?
quant au recours aux arguments “les hommes des cavernes, ils…(remplir les blancs)”, comment ose-ton encore ? merci beaucoup pour cette mise au point, ultime il semblerait, qui éclaire a contrario l’obscurantisme désolant du capitaine d’@si !
Je me permet un copié/collé de mon dernier message sur le forum :
le débat est passionné et Odile Fillod semble faire un mélange des genres dans ce premier paragraphe.
– Tout d’abord concernant le nombre de 12000 signes : il s’agissait simplement de faire un petit résumé de cette première réponse pour @si … et ce tout en fournissant un lien vers son blog. Dans le cas de Bohler c’est un peu différent puisqu’il écrit lui même ses chroniques sur le site. Cette histoire de taille d’article est donc peu pertinente et tend à troubler le lecteur.
– concernant le renvoi de Bohler d’@si (…) Que l’attaque d’Odile F. fasse réfléchir c’est une chose… qu’elle imagine un “licenciement direct” c’est un peu prétentieux.
– Odile F. semble mettre de coté le fait que la majorité des commentaires du forum (ou du moins une très grosse partie) sont à son avantage… elle semble déçu que tout le monde ne la suive pas et cela me laisse perplexe.
Pour ma part je pense que le débat a porté ses fruits. Me concernant j’ai de profonds doutes concernant le sérieux de Sébastien Bohler… et j’avoue que sa présence sur @si me gène un peu.
Dans un monde idéal Daniel ouvrirait ses portes à Odile (en sus des chroniques de Bohler)… mais somme nous réelement sur un site destiné à approfondir ce genre de débats…
Au sujet des 12 000 signes, cf ma réponse à Daniel Schneidermann plus bas.
Croyez-le ou non, ce que vous trouvez prétentieux résulte en l’occurence uniquement de ma naïveté.
Je ne suis pas du tout déçue que tout le monde ne me suive pas : ce qui m’a déçue, comme je l’ai écrit à la rédaction d’@si (et en intro de mon billet), c’est la nature de la réponse de S. Bohler et le fait que mes critiques aient semblé laisser D. Schneidermann de marbre.
Je pense comme vous que tout cela aura quand même été utile.
Bonjour,
Plusieurs remarques sur les modalités de ce débat, en me gardant bien d’entrer dans le fond.
Contrairement à ce que vos notes pourraient laisser penser à vos internautes, c’est notre équipe qui vous a initialement contactée, pour engager un débat contradictoire sur les chroniques de Sébastien Bohler (aussi étonnant que cela puisse vous paraitre, nous trouvons salutaire que l’on nous critique, nous et nos chroniqueurs).
Nous avons d’abord pensé à organiser un débat en plateau. Mais faute de trouver des contradicteurs plus généraux à Sébastien (vos critiques à vous ne portaient que sur une chronique bien précise, Les hommes, les femmes et nos cerveaux) nous nous sommes rabattus sur un débat écrit. Vous avez bien voulu accepter d’écrire un texte, à publier sur Arrêt sur images, et auquel nous avions prévu de faire répondre Sébastien. Au dernier moment, sans nous en avertir, vous avez préféré le publier sur votre blog. Libre à vous, bien entendu. Mais merci de ne pas faire croire que nous vous avons refusé la parole: nous l’avons au contraire sollicitée depuis le début.
Libre à vous également de refuser notre proposition de continuer ce débat dans nos forums. Mais je le regrette: nous pensons que les forums sont l’espace le plus propice à la tenue d’un débat vivant, et jusqu’à plus soif. Encore faut-il que l’on souhaite réellement un débat constructif.
Merci, en tout état de cause, pour l’attention que vous portez à Arrêt sur images.
Daniel Schneidermann
arretsurimages.net
Bonjour,
J’ai indiqué clairement, dans mon billet du 22/12 comme dans celui-ci, qu’Arrêt sur images (@si) m’avait invitée à venir sur son plateau. Si vous jugez qu’il faut être plus clair encore, je le confirme volontiers : c’est bien @si qui avait pris l’initiative d’organiser un débat et m’avait sollicitée (le 11/12) pour y participer.
En revanche, ce que vous écrivez ensuite est inexact. Rappel des faits :
– Le 18/12 j’apprends que le tournage prévu pour le 21 ou le 22 est annulé (pour la raison que vous avez indiquée). Je fais part à votre journaliste de mon projet de transformer les notes que j’avais préparées en vue de l’émission en un article de mon blog. Il m’est alors proposé de le publier plutôt sur @si. Je demande s’il y a une limite de longueur, on me répond par la négative. Il est alors convenu que je publierai mon texte sur @si, et quelques jours plus tard sur mon blog.
– Le 19/12 je vous envoie un draft de la première partie de mon texte en vous annonçant que la seconde sera un peu moins longue, et vous demande de me confirmer que ce type de texte vous intéresse bien. Votre journaliste m’indique alors que ça ne va pas être possible : le texte ne doit en fait pas dépasser 12 000 signes, contrairement à ce qu’on m’avait indiqué par erreur. Je lui fais part au téléphone de mon refus de revoir encore une fois le format d’exposition de mes critiques (d’abord oral, puis aussi long que je veux, puis 12 000 signes seulement), et de mon projet de publier mon texte trop long pour vous sur mon blog. Votre journaliste insiste pour que je vous fournisse aussi une version courte que vous pourriez publier en même temps. Je lui dis que je ne peux rien lui promettre.
– Le 22/12 en début d’après-midi, je publie mon texte ici et vous envoie un mail pour vous l’annoncer, auquel je joins un résumé en moins de 12 000 signes que vous êtes libres de publier ou non.
– Malgré mes relances par mail fin décembre et début janvier, je n’ai pas de nouvelles sur ce que va devenir mon texte court ni si sa publication éventuelle sur @si sera accompagnée d’une réponse de S. Bohler.
– Le 09/01 en début d’après-midi, @si m’informe que S. Bohler vient de publier une tribune sur son site, et que mon texte court n’y sera pas publié car une version longue est déjà disponible sur mon blog (ce dont je ne vous fais pas grief). Je vous demande le jour même si vous acceptez de publier une tribune en réponse à celle de S. Bohler (bien plus longue que 12 000 signes), ce que vous refusez en m’indiquant que vous pensez que “le lieu le plus adapté” pour y répondre est votre forum. Je vous réponds que je décline cette proposition.
Rien dans ce que j’ai écrit ne suggère que vous m’avez “refusé la parole” : je souligne seulement que vous avez “décidé de ne pas assurer des conditions équitables d’exposition des arguments de l’une et de l’autre”, ce qui me semble être parfaitement factuel.
Quoi qu’il en soit, merci d’avoir initié cet échange.
Je tiens à vous remercier également pour vos deux articles, clairs et rigoureux. Abonné à @si, je zapperai désormais les passages avec Bohler… (Car il y a peu de chances, je pense, que le Boss se sépare de lui.)
?
Je ne suis pas capable après avoir lu la réponse de S. Bohler ainsi que votre billet actuel de juger si l’un de vous deux a un peu ou beaucoup tort.
Je continuerai donc à feuilleter C et P ainsi que lire votre blog.
Ayant lu le livre “sommes nous tous racistes” de Philippe Leyens, chercheur cité par S. Bohler je trouve que vous avez peut être un peu simplifié ce qu’il écrit sur les biais raciaux.
Toutefois en tant qu’homme j’ai peut être une préférence pour les arguments d’une “femelle de l’espèce humaine” ce qui collerait bien avec la psychologie évolutionniste ! (c’est de l’humour)
Pouvez-vous expliquer en quoi j’ai “un peu simplifié” ce que S.Bohler écrit sur ce sujet alors que je me contente de le citer ? Je pense avoir pris soin de le faire d’une manière qui ne trahisse pas le sens du paragraphe d’où j’ai tiré ces extraits…
Sébastien Bohler est ce que l’ont appelle un guignol.(ne pas répondre, répondre a coté, transformer les propos en inventé etc faut de pouvoir répondre réelement)
Et vous visez très juste, bravo.
Bonsoir,
Merci beaucoup pour votre travail, votre patience et votre rigueur scientifique qu’il est si rare de rencontrer !
Je suis admiratif non seulement de votre précision méthodologique et de la clarté de vos arguments (et j’en passe), mais je crois plus encore de votre capacité à garder la tête froide dans un débat de ce genre (ce que je déduis du fait que vous soyez capable de maintenir cette rigueur face à un interlocuteur faisant preuve de malhonnêteté intellectuelle).
Vous avez un truc ? la méditation, un punching-ball à côté du bureau ?
Bonjour
Votre mésaventure avec @si me rappelle fortement dans bien des dimensions celles d’un certain P. Carles avec le même D. Schneidermann et ses équipiers…
Voire celle d’un autre pseudo-savant (humour) dénommé P. Bourdieu… À propos de la télévision…
Dissymétries dans le traitement des invités, mauvaise foi, mensonges en tout genre… On ne change pas des procédés qui gagnent, dirait-on !
Bonne chance dans votre combat !
je suis très reconnaissant à S.Bolher pour sa lamentable rubrique qui m’a permis de découvrir vos réponses lumineuses et de découvrir votre blog, dont je vais m’empresser de lire les autres articles. Merci pour votre rigueur.
Bonjour
Sans vraiment connaître le sujet de fond lié à ce billet, je peux néanmoins reconnaître de fortes similitudes avec les échanges et débats portant sur d’autres sujets.
Bon nombre de ces similitudes semblent être assez bien résumée dans un livre intitulé « L’Art d’Avoir Toujours Raison » d’Arthur Schopenhauer, que je conseil à tous ceux qui liront mon commentaire.
Me considérant moi-même scientifique, j’aime les raisonnements où la recherche de la vérité, étayée par des faits, prime sur tout le reste (ego, intérêts personnels, …). Cependant, mes différentes argumentations se trouvent souvent ralenties voir stoppées nettes par des gens ayant « L’Art d’Avoir Toujours Raison ». Si vous n’avez pas lu le livre, comprenez par là, des gens qui prétendent avoir raison (et qui ont peut-être raison en réalité) mais qui utilisent toute leur mauvaise foi possible pour le prouver, sans jamais avancer un raisonnement scientifique. Alors, quand je suis face à cette situation et que la discussion est suivie par un public d’observateurs, il se passe quelque chose de très curieux. En effet, mon seul but est de convaincre les observateurs mais je suis partagé entre deux sentiments pour atteindre ce but.
Le premier, c’est l’envie de démonter les arguments de mauvaise foi de mon adversaire en répondant par une argumentation scientifique. Lequel enchaîne, sans tenir compte de ce que je viens de dire, par encore plus de mauvaise fois, à laquelle je réponds de nouveau par une argumentation scientifique, etc, etc.
Le second, afin d’éviter la spirale infernale de mon premier sentiment, c’est de ne rien faire du tout.
Dans les deux cas, tout ça me semble rarement productif pour convaincre les observateurs présents.
En lisant, ce billet, je constate que l’auteur s’est tournée vers ce que je considère être mon premier sentiment. Me plaçant cette fois-ci en observateur n’ayant aucune base sur le sujet et n’ayant pas lu la tribune de S. Bohler par manque d’intérêt, me faire une opinion ne serait pas très rationnel.
Pourtant, tous les jours, la société nous « invite » à choisir notre camp, en nous basant bien plus souvent sur des dogmes que des faits que chacun a la réelle possibilité de vérifier.
Par exemple, lorsque je suis un débat politique, la discussion est rarement étayée de faits vérifiables. Elle ressemble généralement plus à un combat de coqs dont le gagnant se révèle être le plus doté en mauvaise foi et en aplomb.
Alors, où cela nous mène-t-il au final ? Où est passé le sens critique ? Ne serait-on pas plus efficace à nous rassembler, nous défenseurs de telle cause X, Y ou Z et mettre notre énergie à inciter les gens à plus de sens critique plutôt que de leur servir une argumentation prêt-à-penser ?
Je ne suis pas sûre de vous avoir bien compris… En tout cas, je tiens à (re)préciser que ce blog ne vise pas à défendre une cause, mais justement à inciter les gens à plus de sens critique (cf sur la page “A propos” : “[…] aiguiser l’esprit critique vis-à-vis de la vulgarisation scientifique, avec l’espoir d’alimenter un cercle vertueux d’amélioration de la qualité de la demande et de l’offre en la matière”).
Je vous pose (sincèrement) la question : si ce que je fais sur ce blog ne mène nulle part ailleurs qu’à la production d’une argumentation prêt-à-penser, quelle démarche alternative devrais-je selon vous développer pour inciter les gens à plus de sens critique vis-à-vis de la vulgarisation scientifique ?
Je suis gêné, peut-être aurais-je du mieux préciser mes propos. Loin de moi l’idée de vous heurter avec ceux-ci, désolé si c’est le cas.
Mon commentaire était une remarque, pas une critique. Il reflétait ma pensée sur « le sens critique » au sens général, il ne vous était pas particulièrement adressé mais était plutôt adressé à tous les lecteurs passant par là.
Je ne pense pas que votre action sur ce blog ne mène nulle part ailleurs qu’à la production d’une argumentation prêt-à-penser, au contraire. J’imagine que vous avez mis beaucoup d’énergie à écrire votre billet, vous semblez démonter de manière rigoureuse et point par point les différents arguments de votre adversaire. Mais, pour quel résultat ?
Sans vouloir vous offenser, combien de personnes vont activement lire une longue tribune sur un petit blog Internet et parmi elles, combien vont faire l’effort d’aller jusqu’au bout et de vérifier les sources plutôt que de suivre passivement une émission de télévision pour se faire une opinion sur un sujet ? Peut-être pas beaucoup mais ce sera toujours ça de gagner et ce sera déjà très bien. Cependant, j’ai l’impression que toute l’énergie dépensée à l’écriture d’une telle tribune pourrait être utilisée plus efficacement. Comment ? Je me pose moi-même la question !
J’ai l’impression que la majorité des gens préfèrent se laisser bercer par l’information « officielle » qu’on leur présente sous le nez plutôt que d’aiguisez leur sens critique, non sans effort et en risquant de voir s’écrouler leur conception du monde…
Je découvre aujourd’hui votre blog, cité dans une réaction à un article du Monde sur Sexes et races.
Je trouve vos articles tout à fait remarquables, et explicitant très bien les qualités nécessaires des travaux ou publications scientifiques.
Vos articles me montrent mes méconnaissances et je vous en suis reconnaissant.
À côté de ça, si même vous militiez pour un point de vue, l’utilité de la psychanalyse, ou l’inanité des négationnistes quant à la Shoah, ça ne serait en rien gênant.
Je comprends bien que ça n’est pas votre propos, je veux juste dire que ça n’enlèverait rien à la qualité de votre blog : il y a quand même beaucoup de choses pour lesquelles on peut être de parti pris..
Merci encore pour votre travail (qui doit prendre un temps énorme, mais me paraît très utile).
La fin du livre de Schopenhauer contient d’ailleurs cette recommandation :
“La seule parade sûre est donc celle qu’Aristote a indiqué dans le dernier chapitre des Tropiques : ne pas débattre avec le premier venu, mais uniquement avec les gens que l’on connaît et dont on sait qu’ils sont suffisamment raisonnables pour ne pas débiter des absurdités et se couvrir de ridicule. Et dans le but de s’appuyer sur des arguments fondés et non sur des sentences sans appel ; et pour écouter les raisons de l’autre et s’y rendre ; des gens dont on sait enfin qu’ils font grand cas de la vérité, qu’ils aiment entendre de bonnes raisons, même de la bouche de leur adversaire, et qu’ils ont suffisamment de sens de l’équité pour pouvoir supporter d’avoir tort quand la vérité est dans l’autre camp. Il en résulte que sur cent personnes il s’en trouve à peine une qui soit digne qu’on discute avec elle. Quant aux autres, qu’on les laisse dire ce qu’elles veulent car desipere est juris gentium (C’est un droit des gens que d’extravaguer), et que l’on songe aux paroles de Voltaire : “La paix vaut encore mieux que la vérité.” Et un proverbe arabe dit : ” A l’arbre du silence est accroché son fruit : la paix.” “
Madame, Je trouve votre site magnifique et important. Je l’ai découvert grâce au forum d’@si. Vous avez eu raison de refuser de mettre votre réponse dans ce forum. Face à vos 2 textes, je m’incline devant le sérieux et surtout le travail. Ce qui est loin d’être le cas de nos interventions dans le forum, très souvent intelligentes mais peu distanciées, parfois lapidaires où l’affectif règne en maitre (je m’inclus dans tout ça). Certains ont même mis beaucoup d’ardeur à défendre Mr Bolher, c’est dire…
Avant de vous lire, je n’avais jamais vraiment pensé (ou pas aussi clairement) la problématique de la vulgarisation scientifique et de tous ces dangers. Toutes les horreurs sur l’homme peuvent revenir, d’autant plus fortes qu’elles prennent la forme de théories caricaturales ou de simplifications outrancières. Surtout en ce qui concerne le psychisme… N’oublions pas que pendant la renaissance Kepler découvrait les ellipses des astres pendant qu’on brûlait les sorcières, qu’Enstein n’a pas pu empêcher la théorie de la degénerescence de revenir en force et de faire les ravage qu’on connait.
Ma vision est peut-être un peu… dramatique mais ça me rassure de savoir qu’il y a des sentinelles comme vous, qui veillent et… travaillent.
Merci beaucoup.
Je partage votre crainte des dangers que vous évoquez. Pour la petite histoire, l’étude de Platek et Singh citée plus haut dont Bohler a finalement lâché la référence (dont sont issues les images de cerveau utilisées lors de sa chronique, reprises dans la photo d’illustration de mes deux billets) a été financée par le Pioneer Fund. C’est ce fonds qui avait par exemple financé les recherches ayant donné lieu à The Bell Curve, ce livre de 1994 prétendant démontrer que les “noirs” étaient naturellement moins intelligents que les “blancs”. Et ça n’est pas par hasard…
Bonjour, et bravo car vous avez efficacement analysé le manque de rigueur des propos de M. Bohler, et mis à jour les procédés rhétoriques employés pour masquer l’incapacité à répondre. Et comme le signale le commentateur ‘Etienne’ c’est un exercice fastidieux.
Néanmoins, lorsqu’il mentionne les biais moraux et le ‘argumentatio ad consequentiam’, même s’il est hors-sujet par rapport à votre critique, je ne pense pas qu’il utilise ce thème par pure malice pour détourner l’attention, mais certainement parce qu’il a cru déceler cela dans vos propos. Et le fait que vous mentionniez l’article “The Bell Curve” ici pourrait en effet inciter à le croire. Car il me semble que c’est bien l’exemple typique de l’article où la limite entre les critiques motivées par des causes scientifiques et celles morales/philosophiques/culturelles est floue. Sans considérer la véracité scientifique d’un tel article qui m’importe peu, ce qui me chagrine c’est justement cette soit-disant morale qui oriente notre jugement. Car cette morale me semble paradoxalement fortement amorale. En effet, pour être indigné face à un résultat tel que : “le QI moyen de telle race est inférieur à celui de telle autre.”
Cela présuppose chez nous une connotation fortement négative liée à la faiblesse du QI, ou liée à la faiblesse de l’intelligence, et donc un mépris pour les gens possédant ces caractéristiques. En fait il me semble que des réactions de la sorte sont hautement intolérantes. C’est l’attitude paradoxale de refuser la différence tout en se maintenant dans l’ordre moral ambiant : tout le monde doit être pareil. Et je pense que même si c’est à coté de la plaque dans le cadre de sa réponse, les propos de Bohler à ce sujet sont assez justes.
D’autre part, je pense qu’un échange tel que celui dont vous nous avez fait profiter avec M. Bohler est très intéressant, et il est dommage qu’il soit placé sous le signe de la confrontation, avec une certaine tension sous-jacente facilement perceptible, qui montre que chacun en fait une affaire personnelle. Je pense que ceci engendre une difficulté supplémentaire pour les participants, qui fait que l’expérience d’un échange controversé est souvent vécue comme une expérience négative ou ‘consommatrice’ au niveau psychique. Cela entraine que de tels échanges finissent prématurément et se reproduisent moins. Peut-être que les causes d’une telle implication de la part des participants à un débat ‘scientifique’ vient du manque de relativisme, lié au réalisme philosophique qui instaure la science comme une Autorité détenant le savoir véritable.
Je comprends votre point, qui me semble appeler quelques précisions quant à ma position.
Pour ma part, je ne suis pas “indigné[e] face à un résultat tel que : « le QI moyen de telle race est inférieur à celui de telle autre. »”, pour reprendre vos termes. Ce qui suscite mon indignation, c’est qu’on fasse passer une croyance pour un fait scientifique, une hypothèse pour un “résultat”.
En ce qui concerne The Bell Curve, le problème n’est pas tant qu’y est affirmée une différence moyenne de QI entre “blancs” et “noirs” aux Etats-Unis (ça ne me paraît pas invraisemblable), mais que les auteurs prétendent démontrer qu’il s’agit d’une différence naturelle, entre “races”. Il me semble indispensable de faire l’analyse critique des arguments avancés à l’appui de ce type d’hypothèses dès lors que les enjeux sont énormes : en l’occurence, les auteurs de The Bell Curve cherchaient à convaincre qu’il était inutile de gaspiller des fonds publics pour tenter de faire monter le niveau des écoliers “noirs” des quartiers pauvres, leur patrimoine génétique les condamnant irrémédiablement à cette infériorité moyenne.
La science est effectivement devenue une “autorité”. On peut lutter contre cet état de fait, voire rejeter la science en bloc et traiter de scientiste toute personne qui prend au sérieux ce qu’elle produit. Pour ma part, je préfère prendre acte de cette réalité et dénoncer les faussaires de la science lorsqu’ils alimentent avec des arguments fallacieux le racisme, le sexisme ou tout autre naturalisme y compris bienveillant.
Faire cela n’est ni “manquer de relativisme”, ni “refuser la différence”, ni dire que “tout le monde doit être pareil”.
Bon, on a quitter le domaine scientifique pour celui de la polémique, le terrain vaseux ou essaye de vous emmener Bolher. Heureusement vous avez évité de vous embourber. Mais c’est très décevant d’être obligé d’en arriver là. De toute façon D.S lui ce qu’il gère, ce sont des abonnements, le reste, il s’en fout complètement.
Vous parlez de Seralini, je suis entièrement d’accord avec vous pour dire qu’il y a matière à redire. Mais ce qui me gène c’est que tout ceux qui l’ont dénoncé, n’ont pas dénoncé aussi les conclusions des études qui disaient que les OGM n’avaient pas de danger pour la santé humaine. Au niveau des OGM, il n’y a pas une étude pour racheter l’autre. Et la seule étude qui se fait, elle se fait en grandeur nature et sans vraiment de surveillance. Voilà je suis hors sujet, je ne sais pas si je suis bien scientifique sur le sujet, mais vous l’avez compris je suis anti-OGM
Merci ! Milles fois Merci ! la réponse de DS est franchement décevante, en tant qu’abonnée au site @si j’espère en effet soit :
– qu’une rubrique consacrée à l’observation critique de la presse scientifique grand public soit mise en place sur le modèle du site : description des contenus et éléments de contradictions, et éclairages divers.
– que l’équipe d’asi, spécialisée dans l’analyse critique des médias, se déclare incompétente sur les questions scientifiques et arretent d’em**rdez les asinautes avec un personnage obsédé par l’idée d’un determinisme-biologique-caché-qqpart qui, une fois découvert, permettrait de répondre à toutes les questions du monde et de la vie.
– soit qu’elle continue comme avant à les traiter comme les autres questions sans SBohler..
en tout cas pitié DS n’abandonnez pas votre vocation “critique” et l’analyse de “deuxième ordre”.
Je n’avais pas aimé la façon dont Pierre Carles conseillait à DS de consulter un psy, mais sans ironie ni méchanceté, quand on est mu par un tel besoin d’ordre et de simplicité et de hierarchie ! (Monsieur B sait, les autres doivent apprendre…) ça peut être bon de s’interroger sur soi-même et les raisons personnelles qui font qu’on s’attache rageusement à une idée pour le moins douteuse.
Bon courage !
Merci de votre ténacité, et de toutes les qualités que vous montrez, saluées par de nombreux lecteurs de votre blog. Depuis l’ arrivée de S.Bolher sur le plateau d’ asi,[suis abonnée] je rageais de ne pas avoir les compétences nécessaires pour souligner toutes ses insuffisances et sa [profonde] suffisance.
Bravo pour ce que vous faites, nous vous suivons, courage.
Chère Mme Fillod
Je suis toute cette polémique avec intérêt.
Votre premier billet comme la réponse de Bohler étaient très intéressants sur plus d’un point.
Cet article-ci également, même si au final il était un peu inutile : tout avait déjà été écrit et théorisé.
J’ai été très amusé, en lisant la réponse de Bohler, de toutes les “techniques” qu’il utilisait, consciemment ou non. Je m’étonne juste que si peu d’ASInautes, qui cherchent pourtant à prendre du recul sur ce qu’ils lisent, s’en soient rendu compte.
(ce qui ne me fait pas prendre parti sur le fond du problème, je n’analyse que la forme).
Abonné à @si et généralement satisfait du contenu que j’y trouve, les propos tenus par Sebastien Bohler me laissaient néanmoins sceptiques. Et je suis ravi d’avoir trouvé sur ce blog (que cette polémique m’aura fait découvrir) un contrepoint bien construit, des arguments clairs (c’est-à-dire compréhensibles par celui que la vie a emmené plutôt loin de la science depuis son dernier abonnement à “science & vie junior” lorsqu’il avait 13 ans 🙂 ). Tout cela pour dire : merci !
Commentaire trouvé sur ASI, signé MATL :
Je ne prendrai pas partie dans la querelle Bohler-Fillod. J’observerai seulement que Mr Bohler mettait ad mulierem en cause OF (d’où sa colère) en termes méprisants : elle pense en débutante, elle commet des confusions, elle a des méthodes désolantes, ses déclarations sont d’une grande légèreté, c’est une prétentieuse qui cherche à s’ériger en experte.
Autrement dit, il l’insulte, mais avec des arguments, ce que ne faisait pas ce barbare de Varlin, qui doit amèrement regretter de ne pas nous avoir expliqué avec autant de détails pourquoi il prenait le factotum de Barbier pour un demeuré d’altitude juste bon à faire ouahouah sous ses frisettes quant on ose critiquer son maîmaître.
« Le Capitaine ne répondra pas ». Running gag. Mais, à la réflexion, vaut mieux pas : quand il le fait, c’est pour nous prouver qu’il a raison et que nous avons tort.
Bohler non plus, si j’ai bien lu les appels vains de x commentateurs sous l’article en question. A la différence de gens comme Korkos ou Bernard (non, FdC, je ne mets pas à fayoter ;-), il est comme Baubérot sur MdP ou Jean de Maillard sur Rue89 : c’est un Spécialiste, un Expert, qui s’abaisse à venir nous prêcher la Vérité, et comme il la détient toute, il ne saurait avoir quoique ce soit à apprendre de nous.
C’est marrant, ça me rappelle quelqu’un…
Merci pour toute votre argumentation qui m’a permis de mettre des mots sur ma rage en étant obligé d’assister aux élucubrations de Sébastien Bohler, entendre des propos de niveau “café du commerce” justifiés par des études dont je n’avais pas les moyens de vérifier la réalité, m’exaspérait ( vous l’avez compris, je suis abonné à Arrêt sur image). Depuis qu’il a débarqué sur @si, je n’avais trouvé qu’un seul moyen pour l’éviter : zapper sa rubrique mais ce n’est pas toujours facile car il intervient parfois par surprise pour sortir une niaiserie.
C’est avec plaisir que j’ai découvert à cette occasion votre blog.
Bonjour,
Je passais juste par là car j’ai trop hâte de lire un prochain article sur votre blog !
En attendant je peux relire tous les articles publiés depuis un peu plus d’un an, c’est vrai, il y a de quoi patienter 🙂
Bien à vous
La réponse de Bohler laisse penser qu’avoir des gènes favorisant des raisonnements défectueux, pourrait être un avantage adaptatif pour l’évolution des journalistes scientifiques.
Bonjour
Vous contestez le caractère largement hérité du QI?
Aïe, la simple formulation de votre question me laisse craindre le pire pour la suite de l’échange, si tant est qu’un échange soit possible.
Qu’entendez-vous précisément par “le QI est largement hérité” ?
On va essayer d’échanger !
Ma référence c’est le mackintosh sur le QI il dit que la part héritée est selon les études comprise entre 30% et 70%
En outre comment expliquer autrement que la corrélation des QI des jumeaux homozygotes soit supérieure à celle des hétérozygotes qui est elle-même supérieure à celle des frères qui est etc.?
Bon, c’est ce que je craignais : comme beaucoup de gens, vous pensez à tort que “héritabilité estimée de X = n%” est synonyme de “part héritée de X = n%”. Il faudrait donc pour commencer que vous compreniez ce qu’est l’héritabilité, une notion statistique dont le libellé prête malheureusement à confusion et qui est constamment instrumentalisée à des fins idéologique et/ou commerciales pour lui faire dire ce qu’elle ne dit pas – y compris sans doute de bonne foi dans nombre de cas, tant l’incompréhension de cette notion est profonde et répandue. Le mieux serait pour cela de consulter un manuel de génétique plutôt que d’en rester à ce que vous avez pu lire dans le livre IQ and human intelligence du chercheur en psychologie expérimentale Nicholas Mackintosh.
L’héritabilité d’un phénotype n’est définie que pour une population donnée (i.e. un ensemble d’individus porteurs d’une distribution de génotypes particulière et ayant baigné dans une distribution de conditions environnementales également particulière). Par définition, l’héritabilité d’un phénotype dans une population est égale à Vg/Vp, avec Vg = variance du phénotype attribuable à la variabilité génétique dans cette population et Vp = variance totale du phénotype observée dans cette population.
Dire par exemple que le QI a une héritabilité de 30% dans une population ne signifie absolument pas que chez les individus de cette population (que ce soit en moyenne ou chez tous), 30% du QI est hérité (ou déterminé par les gènes) et que le reste (70%) vient de l’environnement. De plus, l’héritabilité d’un trait ne peut être extrapolée ni à une population présentant une distribution de génotypes différente, ni à des conditions environnementales différentes. Cette quantification n’a en particulier aucune implication en termes de malléabilité du trait en question : elle ne dit strictement rien de la mesure dans laquelle les individus de la population considérée auraient pu voir leur QI différer s’ils avaient été soumis à un autre environnement.
Cette notion complexe recèle énormément de pièges, que ce soit dans son interprétation ou dans son calcul. Une difficulté importante est que celui-ci nécessite par construction une estimation de la variance attribuable à la variabilité génétique, or cette estimation est difficile et en pratique toujours discutable lorsqu’on se penche sur des populations naturelles, c’est-à-dire non soumises de manière contrôlées à diverses conditions environnementales, ce qui est toujours le cas dans les études humaines (au contraire des études sur des plantes cultivées ou des animaux d’élevage).
Puisque manifestement vous lisez l’anglais, je vous recommande déjà de lire ces trois articles en accès libre qui pourront vous donner une idée de ces pièges, particulièrement importants lorsqu’on se penche sur des traits cognitifs ou comportementaux humains :
– Feldman & Ramachandran (2018) Missing compared to what? Revisiting heritability, genes and culture (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5812976/)
– Sauce & Matzel (2018) The paradox of intelligence: heritability and malleability coexist in hidden gene-environment interplay (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5754247/),
– Richardson (2017) GWAS and cognitive abilities: why correlations are inevitable and meaningless (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5538622/)
Pour ce qui est de votre question sur les corrélations de QI entre frères jumeaux monozygotes (MZ) > entre frères jumeaux dizygotes (DZ) > entre frères non jumeaux :
– la différence entre le 2ème et le 3ème terme ci-dessus n’est en aucune façon un indice du caractère “hérité” d’une partie du QI ; elle met au contraire en évidence une source de différences de QI entièrement non génétique, puisque la proximité génétique moyenne entre deux frères est la même qu’ils soient non jumeaux ou jumeaux DZ ;
– la différence MZ>DZ est potentiellement explicable, dans une proportion inconnue, autrement que par des effets proprement génétiques ; il y est fait référence dans les textes dont vous avez les liens ci-dessus et je ne vais pas rentrer dans le détail ici (les estimations d’héritabilité tirées de comparaisons entre MZ et DZ ont fait l’objet de nombreuses critiques depuis des décennies) ; disons qu’outre les problèmes de biais d’échantillonnage dont souffrent nombre des études concernées (recrutement biaisé en faveur de MZ particulièrement ressemblants et passionnés par ce phénomène), la principale source de surestimation probable de l’héritabilité par ces études mobilisant la comparaison MZ-DZ est le fait que MZ et DZ n’ont pas le même degré de partage entre eux des effets de l’environnement, or les estimations d’héritabilité faites à l’aide de cette méthode reposent sur l’hypothèse qu’il est le même.
Merci
Deux questions supplémentaires pour commencer
1 si cela ne veut pas dire que 30% du qi est hérité qu’est ce que ça veut dire?
2 pourquoi et en quoi les conditions environnementales des jumeaux dz et mz diffèrent-elles?
1. “Ce que ça veut dire” est ni plus ni moins que ce que veut dire la définition que j’ai indiquée, qui est LA définition de l’héritabilité (voir par exemple dans ce chapitre d’un manuel de génétique : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK21866/). Expliquer en l’illustrant par des exemples ce que ça peut vouloir dire ou non requèrerait un long développement (des dizaines d’articles et même des livres ont été écrits sur les usages et mésusages de cette notion) que je ne ferai pas ici. Je prévois de le faire un jour prochain dans un billet ad hoc, car ces mésusages tendent à s’accentuer gravement depuis quelques années – c’était l’un des objets de cette tribune https://allodoxia.odilefillod.fr//files/2018/05/20180425_Tribune-dans-Le-Monde_pages-Sciences.pdf.
2. Les “conditions environnementales” des MZ diffèrent par exemple de celles des DZ car du fait de leur plus grande ressemblance physique, ils sont en moyenne traités de manière plus similaire par leur entourage, et plus largement par l’ensemble des personnes avec lesquelles ils interagissent. Des MZ auront aussi davantage tendance à faire des choix de vie similaires voire à faire des choses ensemble. Dans tous ces cas, cela crée un surcroît de corrélation entre gènes et environnement chez les MZ, et donc potentiellement un surcroit d’effet statistique de ces interactions sur le phénotype dont veut estimer l’héritabilité. Or le problème est que les estimations d’héritabilité basées sur les comparaisons entre MZ et DZ font l’hypothèse que la taille de cet effet statistique est le même au sein des couples de DZ et au sein de ceux de MZ. Le manuel cité ci-dessus indique par exemple ceci : “Here the problem of degree of environmental similarity is very severe. Identical (monozygotic) twins are generally treated more similarly to each other than are fraternal (dizygotic) twins. People often give their identical twins names that are similar, dress them alike, treat them identically, and, in general, accent their similarities. As a result, heritability is overestimated.”
Je poursuis
30% du qi hérité pris au pied de la lettre c’est effectivement un abus de langage et pour tout vous dire je ne sais pas ce que cela signifie
Mais ce que je comprends c’est que toutes les études concluent que la part de variance de qi expliquée par les qi des ascendants est forte et ceci indépendamment des milieux c’est-à-dire avec des jumeaux séparés
Donc l’argument de l’impossible extrapolation est faible
Ok sur frères et jumeaux dz
Non : les études faites pour estimer l’héritabilité du QI n’ont pas conclu que la part de variance du QI “expliquée par les QI des ascendants” était forte, car encore une fois ce n’est pas du tout cela qui est quantifié par l’héritabilité. Pour le reste, lisez au moins les articles indiqués plus haut si vous voulez approfondir le sujet. Je ne souhaite pas répondre en détail ici à votre idée que l’argument de l’impossible extrapolation “est faible” : on part de trop loin, et exposer les choses convenablement me demanderait du temps que je n’ai pas envie de consacrer à cela maintenant, outre que le cadre d’une réponse à un commentaire n’est pas le plus approprié à mes yeux. Par avance merci pour votre compréhension.