Plusieurs millions de personnes ont regardé l’émission Les pouvoirs extraordinaires du corps humain consacrée le 17 mars 2015 aux différences entre hommes et femmes. Transmutation d’hypothèses en certitudes, de points de vue situés en « vérités scientifiques », d’isomorphismes en dimorphismes, de différences au moins en partie socialement construites en différences naturelles, d’un projet de mise en question des stéréotypes en entreprise de validation d’un monceau d’idées reçues, d’un support de vulgarisation scientifique en outil de diffusion de croyances et de normes prescriptives… Les pouvoirs de France 2 sont réellement extraordinaires, et la chaîne publique en use avec une légèreté préoccupante.
I. INTRODUCTION
Ce n’est pas la meilleure audience historique de l’émission Les pouvoirs extraordinaires du corps humain, mais elle se situe dans la moyenne et elle n’est pas négligeable : le 17 mars 2015, plus de trois-millions-deux-cent-vingt-mille personnes l’ont regardée en direct sur France 2 [1]. Le titre alléchant de ce septième numéro de l’émission (« Hommes / femmes, la vérité sur nos différences »), les bonnes critiques dans la presse et le bouche à oreille aidant, il est probable qu’outre les cent-soixante-cinq mille personnes qui l’ont vue en replay durant les sept jours suivants [2], bien d’autres verront son enregistrement. Je frémis à l’idée que parmi elles se trouvent des enseignants de SVT dépourvus de véritable formation sur le « devenir homme ou femme » qui y puiseront de quoi informer leurs élèves… et il y en aura, à n’en pas douter [3].
Bien qu’en concurrence avec une série TV cartonnant sur TF1, ce « magazine scientifique » diffusé à 20h45 avait toutes les chances d’attirer un large public au vu de son synopsis : « Entre Adriana Karembeu et Michel Cymes, comme entre chaque homme et chaque femme, il y a 0,2% de différence génétique. De ce détail découle une foule de conséquences […]. Epaulés par des scientifiques, les deux cobayes tentent de démêler le vrai du faux au sujet des différences entre hommes et femmes. […] Leur but : confirmer ou infirmer les idées reçues les plus répandues liées au genre ».
Télérama a bien aimé : la journaliste chargée d’en faire le critique, qui a également bien aimé le lamentable « Homo ou hétéro, est-ce un choix ? » diffusé par France 2 le mardi suivant [4], l’a jugé « instructif », et a trouvé « didactiques » les « explications neurologiques sur les zones cervicales »[5]. Comme il est d’usage chez les critiques d’émissions télévisées à prétention scientifique, ne rien connaître au sujet traité (au point de confondre « cérébral » et « cervical » !) et a fortiori ne pas savoir si les propos tenus reflètent l’état des connaissances scientifiques ne l’a pas empêchée de recommander cette émission au titre des savoirs qu’elle était censée permettre d’acquérir. Pas de conditionnel, pas de prise de distance prudentielle et encore moins de commentaires critiques : apparemment, rien n’a éveillé sa suspicion. Puisqu’elle semble comme son collègue de La Croix avoir apprécié que l’émission combatte les stéréotypes [6], commençons par voir si c’est le cas.
II. UNE EMISSION QUI TORD LE COU AUX STEREOTYPES DE GENRE ?
Tout est dit ou presque dans l’annonce que la productrice et auteure de l’émission, Peggy Olmi, a faite sur sa page Facebook le 17 mars : « Pour flinguer les préjugés sur les hommes et les femmes (ou pas !) et surtout, comprendre en quoi nous sommes vraiment différents, RDV pour un petit bain de connaissances bien marrantes, ce soir sur France 2 à 20h45 ! ». Comme on va le voir, le plus important est le « ou pas ! » et le « surtout », le « bien marrantes » étant pour sa part typique de l’esprit général de la vulgarisation sur ce sujet [7].
Entre un homme et une femme, il n’y a que « 0,2% de différence génétique », mais…
Jean-François Bouvet, « expert » des différences cérébrales et psychologiques entre les sexes assurant le fil rouge de l’émission, le pose dès le départ : « Il faut pas oublier qu’entre un homme et une femme, il y a jamais que 0,2% de différence génétique ».
Ah bon ? Ce que racontait feu l’influent « expert » des différences psychologiques naturelles entre les sexes Serge Ginger [8] était donc faux ? Dans Psychologies Magazine en 2003 entre autres, il prétendit en effet qu’hommes et femmes n’avaient que 96% de « patrimoine génétique commun », n’hésitant pas à en conclure qu’ils différaient davantage les uns des autres que les humains des singes [9].
Voilà un premier mythe savant dégommé… mais attendez, Jean-François ajoute quelque-chose : 0,2% de différence génétique, « c’est tout et c’est déjà beaucoup, parce que par un effet de cascade il va en découler beaucoup de choses, et si ça vous intéresse je vous invite à vous montrer les véritables différences entre les hommes et les femmes ». On vient donc de nous débarrasser de l’idée que la différence génétique entre hommes et femmes est si énorme qu’elle surpasse celle qui nous sépare des singes, mais on la remplace aussitôt par celle qu’il en découle « beaucoup de choses », en particulier toutes les différences qui vont être exposées au cours de l’émission. Dommage ! Voyons la suite.
Nous avons les mêmes nombres d’os et de muscles, mais…
La voix off nous le révèle, d’une part « nous avons tous le même nombre d’os », et d’autre part « en fait, la répartition des muscles est la même entre les hommes et les femmes ». Parce qu’il y a des gens qui croient que certains os et certains muscles squelettiques [10] sont propres à un sexe ? J’ai croisé bien des stéréotypes de genre, mais des gratinés à ce point… Toujours est-il que le dégommage de ces pseudo-préjugés n’est que le prélude à l’affirmation de différences confortant de vrais préjugés, cette fois-ci.
En effet, la voix off nous apprend que du fait de cette fameuse différence génétique – via l’action des hormones à l’adolescence –, « la masse osseuse des filles est environ de 3 kilos, celle des hommes de 5 kilos », et par ailleurs « chacun des muscles d’homme développe plus de force que les muscles de femme ». En effet, nous dit-elle, leurs muscles ne sont « pas composés de la même manière : les hommes ont plus de fibres musculaires rapides. Ce sont elles qui produisent le plus de force. Elles permettent les exercices courts et de forte intensité. Les femmes, en revanche, ont un peu plus de fibres lentes. Elles servent pour les activités plus longues et de faible intensité, comme la marche et le maintien d’une posture ». Donc finalement, d’après l’émission il existe quand même des différences naturelles très nettes entre hommes et femmes aux niveaux osseux et musculaire, ces dernières ayant des conséquences pratiques : « Les femmes ont donc plutôt intérêt à faire des sports d’endurance, comme les courses de fond ou de la natation, alors que les hommes travailleront mieux leurs muscles avec des sports plus explosifs comme le sprint ou le rugby », explique la voix off.
Les plis du cortex sont communs à tous, mais…
La voix off nous apprend par ailleurs que « les plis du cortex sont communs à tous, hommes et femmes », et que « nul n’est capable de distinguer à coup sûr un cerveau d’homme d’un cerveau de femme sur une IRM ». Passons sur l’ambiguïté du terme « plis du cortex » faisant que le premier énoncé n’a guère de sens [11], et réjouissons-nous que soit dégommée l’idée qu’on peut distinguer le sexe d’un cerveau rien qu’en regardant sa surface – bien que là encore, je doute qu’une telle idée soit très répandue. Réjouissons-nous aussi que Jean-François admette finalement qu’on ne peut pas non plus faire cette distinction à l’IRM alors qu’il avait affirmé le contraire fin 2012 dans Le Point, alors trop content de trouver un nouvel expert en faveur de sa ligne éditoriale dans le contexte du débat sur la « théorie du genre » ravivé par le projet d’ouverture du mariage aux couples de même sexe [12].
C’est bien, mais en même temps ces questions n’ont au fond guère d’intérêt : si on utilisait un test génétique plutôt que l’IRM, on pourrait distinguer sans problème le cerveau d’une personne XY de celui d’une personne XX ou ayant un autre sexe caryotypique, et alors ? Ce qu’il est important de savoir, c’est s’il existe entre hommes et femmes des différences cérébrales qui sont naturelles ET qui ont des conséquences fonctionnelles, cognitives ou comportementales. Or sur cette question, l’émission va nous « apprendre » des choses.
Alors que les IRM des cerveaux d’Adriana et de Michel sont comparées, la voix off poursuit : « Il existe néanmoins des différences objectives entre Adriana et Michel ». En effet, commente Jean-François en montrant la région concernée sur l’IRM comme si ça lui sautait aux yeux, « Adriana a un corps calleux très développé ». Michel lui demande si ça veut dire que dans son cerveau, par rapport à celui d’Adriana, « ça communique moins entre les deux hémisphères », et Jean-François de répondre : « Oui, on peut dire ça… mais ça serait à vérifier ». Ah bon… mais alors on peut dire ça ou pas ? La voix off va se charger de clarifier un peu la question : « Le corps calleux est un pont entre les deux hémisphères. Il permet aux deux moitiés du cerveau de communiquer, et il semble qu’en moyenne, chez les femmes, il y ait plus de liaisons entre les hémisphères ». Ah zut, s’il semble seulement, c’est que ça n’est pas tout-à-fait certain, alors Adriana insiste : « Est-ce que ça veut dire qu’il y a plus de connexions comme ça [elle fait un geste horizontal] chez les femmes ? ». Jean-François a la gentillesse de l’éclairer : « Si tu veux, ça veut dire que chez l’homme on considère qu’il effectue ses tâches préférentiellement avec l’hémisphère gauche. Chez la femme, il semble qu’il y a un fonctionnement qui soit plus également réparti entre les deux hémisphères ». Ah, on considère, il semble que… Ca n’a pas l’air clairement établi tout ça (et pour cause…), mais suggérons, suggérons, il en restera toujours quelque-chose dans l’esprit du téléspectateur. Et puis ça n’est pas grave de laisser planer un doute ici car on va par ailleurs être affirmatif.
Sommé par Michel de dire si en conséquence, chez les femmes « il y a plus de coordination, ou pas ? » entre les deux hémisphères, Jean-François se lâche : « Plus de coordination, surtout pendant la deuxième partie du cycle, à partir de l’ovulation et pendant la deuxième partie du cycle, puisqu’apparemment, ça dépend des taux hormonaux ». Ah, ben voilà, il suffisait d’insister un peu ! Jean-François confirme enfin clairement deux bons vieux gros stéréotypes : il y a chez les femmes plus de « coordination » des deux hémisphères cérébraux que chez les hommes, et la façon dont les femmes utilisent leur cerveau dépend de la phase de leur cycle menstruel. En outre, l’histoire des connexions et de la communication entre hémisphères plus développées chez les femmes est accréditée par une autre séquence de l’émission, celle où la voix off décrit la différenciation biologique des sexes au cours du développement. Images de synthèse chiadées à l’appui, elle nous explique en effet qu’à l’issue de la puberté, « côté cerveau, on observe aussi des différences. Celui des hommes ne fonctionnerait pas tout-à-fait de la même façon que celui des femmes. Dans le cerveau, les faisceaux de fibres nerveuses sont des câbles qui transportent l’information. Chez l’homme, ces câbles sont un peu plus développés au sein de chaque hémisphère, alors que chez la femme ils le sont un peu plus entre les hémisphères ». Il y a bien encore un peu de conditionnel qui traîne, mais les faisceaux de fibres transportant l’information entre hémisphères « sont » bel et bien plus développés « chez la femme ». Et ça n’est pas tout, car on va apprendre ci-dessous que quand bien même les cortex féminins et masculins ont les mêmes « plis », ils diffèrent par d’autres aspects.
Les femmes ne sont pas moins aptes à se repérer dans l’espace, mais…
Dans les premières minutes de l’émission, à Michel feignant de lui demander d’expliquer « pourquoi les femmes sont incapables de lire une carte routière », Jean-François répond que là, « on est partis à fond dans les stéréotypes ». Ca semble être la moindre des choses : est-il vraiment nécessaire de rappeler qu’une femme peut être capable de lire une carte routière ? Mais on n’en reste heureusement pas à ce truisme.
A l’occasion d’une séquence montrant Adriana sortir quatre fois plus vite que Michel d’un labyrinthe dont ils avaient tout deux au préalable consulté le plan, on nous apprend que les femmes ne sont pas moins « aptes à se repérer dans l’espace ». Jean-François explique que nous avons tous dans le cerveau « une espèce de GPS global », et à Adriana lui demandant « mais alors, qui a un meilleur GPS, les hommes ou les femmes ? », il répond : « dans ce genre d’exercice, il y a pas vraiment d’avantage à l’un ou à l’autre. Ce qui va être déterminant, c’est la capacité à retenir, finalement, le plan, pour s’en sortir ». Or, demande Adriana à Jean-François, « en mémorisation, on est meilleures, les femmes, on a une meilleure mémoire, c’est vrai ? », et celui-ci de répondre : « en principe, on dit ça, oui ». De fait, Michel est abasourdi par la performance d’Adriana et par l’explication de sa stratégie : « en regardant le plan, t’as mémorisé tout ça ?! ».
Ah, voilà qui tord le cou aux idées reçues. Ca n’est donc qu’un mythe savant clairement invalidé, ce qu’on peut lire sur le site de Futura-Sciences depuis dix ans, à savoir que « l’homme » a « comme une sorte de GPS, dont il se sert pour assurer sa navigation », au contraire de « la femme » (ou éventuellement de « la plupart des femmes »)[13]. On peut aussi jeter à la poubelle les Science & Vie de 1999 et 2002 affirmant respectivement qu’ « on sait depuis près de cinquante ans que, en moyenne, les hommes sont plus doués pour […] l’orientation spatiale que les femmes », et qu’on a fait le « constat » de l’efficacité « variable selon le sexe » de l’entraînement à se repérer dans un environnement virtuel, les performances des femmes s’avérant « nettement moins bonnes que celles des hommes » au moment d’appliquer dans la réalité les connaissances sur cet environnement pourtant mémorisées « aussi bien qu’eux »[14]. Et les explications données lors du premier « grand quizz du cerveau » sur TF1 en 2007 (« les hommes sont bien meilleurs pour se repérer dans l’espace », mais « mesdames […], vous pouvez vous dédouaner : c’est à cause de votre cerveau »[15]), c’était donc aussi du grand n’importe quoi. Quant à l’affirmation faite en 2010 dans le « magazine scientifique » vedette de M6 que « les hommes se distinguent » dans la « mémorisation de l’espace » parce qu’ils ont quant à eux « une boussole dans la tête », démontrée par un simulacre de test réalisé et commenté par Serge Ginger (encore lui), ça aussi c’était du pipeau juste pour pouvoir dire : « l’homme et la femme se complètent »[16] ?
Aïe, aïe, aïe, pas si vite. Comme ça n’aura pas échappé aux lecteurs attentifs, Jean-François vient de valider le stéréotype de genre exprimé par Adriana selon lequel les femmes ont une meilleure mémoire que les hommes, et on croit comprendre qu’en fait, c’est grâce à cette meilleure mémoire que les femmes arrivent, finalement, à compenser « dans ce genre d’exercice » leur handicap dans les capacités spatiales stricto-sensu. En effet, selon Jean-François, l’ « espèce de GPS global » qu’on a dans le cerveau est constitué de deux systèmes : d’une part l’hippocampe, dont la même zone s’active « chaque fois qu’on repasse par le même point, […] donc c’est une information sur des points donnés, sur des repères » qu’on a mémorisés, et d’autre part le cortex entorhinal, où « il y a une espèce de réseau de coordonnées qui est dessiné, et ça nous permet de savoir où on est dans l’espace de manière beaucoup plus générale », or « les femmes ont un peu plus tendance à se baser sur des repères, les hommes sur des directions ». En clair, pour naviguer dans un espace en trois dimensions elles ont plus tendance à exploiter leur mémoire, censément supérieure, et eux leur sens de l’orientation proprement dit. On peut supposer que celui-ci est supérieur chez eux puisque selon Jean-François, il n’y a pas d’avantage à l’un ou l’autre sexe dans ce type d’exercice malgré la meilleure mémoire des femmes. Il semble confirmer cette hypothèse d’une meilleure représentation mentale de l’espace chez les hommes puisqu’il précise à Adriana dans ce contexte : « là où il y a vraiment une différence en moyenne entre hommes et femmes, c’est si on demande à un homme de faire tourner mentalement un objet dans l’espace et de se le représenter dans différentes configurations ; en moyenne il obtient des performances supérieures… ». Sans doute conscient du fait qu’il n’est plus possible d’évoquer une supériorité du sexe mâle sans susciter des réactions indignées, il s’empresse d’enchaîner en évoquant une supériorité féminine pour compenser : « … comme les femmes obtiennent des performances supérieures dans le domaine du langage ».
Tout cela doit bien-sûr venir de différences dans le cerveau. Vu ce qu’explique Jean-François sur le « GPS » humain et sur la tendance des femmes à se baser davantage sur les repères mémorisés dans leur hippocampe, on peut supposer que c’est au moins en partie parce que leur hippocampe est plus développé, c’est-à-dire parce que « la femme » est « mieux dotée » en la matière, comme il le prétend dans son bouquin de 2012 [17]. Toutefois, ça n’est pas dit explicitement au cours de l’émission, qui aura au moins évité cette bourde. Car la question du lien entre taille de l’hippocampe et efficacité de la mémoire est aussi complexe que controversée [18], et celle de savoir s’il existe une différence moyenne de taille d’hippocampe susceptible de favoriser l’efficacité de la mémoire des femmes ou celle des hommes l’est a fortiori. De plus, cette théorie exposée dans le bouquin de Jean-François (entre autres) est malmenée par une étude publiée en 2009 : elle conforte le consensus scientifique actuel selon lequel l’hippocampe est en moyenne plus gros chez les hommes en valeur absolue, elle indique que si les femmes ont peut-être en moyenne un hippocampe plus gros relativement au volume total de leur cerveau, cette différence est d’une subtilité qui confine à l’inexistence, et elle montre de manière éclatante qu’ont pourrait observer la différence inverse dans d’innombrables couples femme-homme tirés au hasard [19].
Si ça n’est pas la différence de taille de l’hippocampe qui est en cause, serait-ce alors parce que comme l’expliquait Serge Ginger dans l’article de 2003 déjà cité, avec « un taux de testostérone vingt fois plus riche – l’hormone du désir, de la sexualité, et aussi celle de l’agressivité, donc de la conquête -, l’homme s’oriente spontanément dans une direction abstraite, tandis que la femme se repère par rapport à des objets concrets » ? Ou bien plutôt pour l’autre raison invoquée par lui en 2003 et en 2010 toujours dans Psychologies Magazine, à savoir le plus grand développement (sous l’effet de la testostérone ) de l’hémisphère droit du cerveau, censé gérer « l’espace » et « la logique spatiale »[20] ? Ou encore plutôt parce que comme l’explique Ruben Gur dans l’article de Futura-Science cité plus haut, les tâches spatiales « requièrent davantage de substance blanche que n’en possèdent la plupart des femmes, dont le crâne est généralement trop petit pour contenir les quantités de cette substance qu’il faudrait pour réaliser de bons scores à ce genre de tests » ? Ah mais non, ça ne peut pas être ça puisque Jean-François vient d’expliquer que ce qui nous permet de nous orienter dans l’espace, c’est le cortex entorhinal, et donc ni la quantité de matière blanche ni l’hémisphère droit du cerveau en particulier. Serait-ce alors dû au fait que les femmes produisent plus d’œstrogènes que les hommes, or comme on a pu le lire en 2003 dans La Recherche, elles seraient « perdues » par elles, leur sens de l’orientation étant tout particulièrement altéré « durant les jours qui précèdent l’ovulation », quand ces hormones sont à leur niveau maximal [21] ?
Aucune de ces explications n’est invoquée dans l’émission. En fait, ça viendrait plutôt de différences « au niveau du cortex » : « chez les hommes, il est en moyenne un peu plus épais dans certaines zones liées aux représentations spatiales. Chez les femmes, il est un peu plus épais dans des régions liées au langage. Cela va-t-il de pair avec des aptitudes particulières ? En moyenne, oui », nous explique en effet la voix off. Et ces différences, la voix off sait même comment elles apparaissent : à l’adolescence, « les hormones ne transforment pas que le corps : elles modifient aussi le cerveau ». A cet âge, « le cerveau poursuit sa maturation, avec ce qu’on appelle l’élagage neuronal […] Le cortex cérébral perd en épaisseur, mais pas de la même manière. En moyenne chez les garçons, certaines zones liées aux représentations spatiales restent un peu plus épaisses. Chez les filles, ce sont les zones liées au langage ».
L’explication donnée est originale, mais les grandes lignes du mythe savant sont préservées. Nous voici ramenés à ce que la vulgarisation paresseuse assène depuis des lustres, qui est même censé être établi depuis les années 1950 comme l’affirmait Science & Vie en 1999 [22], et qui avait été admirablement résumé en ces termes par le même Science & Vie en 1993 : la femme typique est « un être possédant éminemment le sens du langage mais mal à l’aise dans la conquête de l’espace », son cerveau se développant différemment de celui d’un homme en raison de la différence hormonale [23]. De plus, pour un stéréotype de genre flingué, à savoir celui selon lequel les femmes sont moins aptes à se repérer dans l’espace que les hommes, huit autres viennent d’être formulés sur la cognition ou le cerveau : les femmes ont une meilleure mémoire que les hommes ; en situation de navigation spatiale, les femmes ont un peu plus tendance à se baser sur des repères qu’elles ont mémorisés que sur des directions (et/ou que les hommes, la phrase est ambiguë) ; en situation de navigation spatiale, les hommes ont un peu plus tendance à se baser sur des directions que sur des repères (et/ou que les femmes) ; les hommes ont en moyenne de meilleures performances en rotation mentale en 3D que les femmes ; les femmes ont de meilleures performances que les hommes « dans le domaine du langage » ; le cortex des hommes est plus épais qu’ailleurs dans « certains zones liées aux représentations spatiales » ; le cortex des femmes est plus épais qu’ailleurs dans « les zones liées au langage » ; les hormones gonadiques induisent à l’adolescence une meilleure préservation de l’épaisseur du cortex dans des régions distinctes selon le sexe.
En outre, Michel conclut la séquence du labyrinthe en la ramenant au truisme évoqué au début : « En gros, le stéréotype, la femme qui est à côté du mari qui conduit et qui plante complètement en lisant la carte routière, c’est complètement un stéréotype qui est faux, quoi ? » Jean-François acquiesce : « Ben c’est faux en gros, tout-à-fait, oui ». C’est faux « en gros », oui, mais si on regarde dans le détail il y a quand même du vrai. Car les explications données par ce dernier sur l’usage des directions versus de repères et sur la rotation mentale en 3D laissent à penser que si les hommes ne sont pas plus aptes que les femmes à se repérer dans l’espace, ils le sont en revanche bel et bien à s’orienter dans l’espace (nuance…). Et preuve que cette déduction n’est pas qu’une élaboration fantasmatique de mon esprit tordu, c’est exactement ce qu’a compris la journaliste du Parisien qui a rendu compte de l’émission : selon elle, le cliché selon lequel « les hommes sont meilleurs en orientation » est « plutôt vrai » [24]. Le stéréotype n’est donc qu’à moitié égratigné, et huit autres ont été validés au passage.
Les hommes aussi ont des prédispositions parentales, mais…
Michel pose une autre question à Jean-François : « Qu’est-ce qui se passe dans le cerveau de la femme enceinte que nous, les hommes, on a parfois un peu du mal à cerner et à comprendre ? Alors il y a ces fameuses envies, il y a les modifications du caractère, il y a les modifications de la libido… ? » Jean-François est catégorique : « Ce qu’on peut dire, et ça c’est sûr, c’est que le cerveau, qu’on soit homme ou femme, est bourré de récepteurs d’hormones sexuelles. Donc dans la mesure où on est dans une phase où les taux d’hormones sexuelles augmentent énormément, il est évident que ça va avoir des répercussions sur le psychisme. Il y a une zone qui grossit dans le cerveau dès la grossesse, qui est l’hypothalamus, et en particulier une zone très précise qu’on considère comme étant impliquée dans le comportement maternel. C’est certainement, donc, une préparation à ce qui va advenir après l’accouchement ». Et qu’est-ce qui va advenir ? Au cas où on ne l’aurait pas compris tout seuls, la voix off l’explicite dans sa synthèse de cette séquence : « L’hypothalamus des femmes grossit donc quand elles sont enceintes, les préparant en quelque sorte à s’occuper du bébé ».
Bon point : pour une fois on nous épargne la théorie plus que fumeuse selon laquelle l’inondation présumée du cerveau des femmes par l’ocytocine lorsqu’elles accouchent (variante : lorsqu’elles allaitent) favorise leur comportement maternel [25]. Mauvais points : on apprend qu’il est « évident » qu’une augmentation importante des niveaux des hormones « sexuelles » endogènes a des répercussions sur le psychisme, que les scientifiques ont identifié une zone très précise de l’hypothalamus qu’ils considèrent « impliquée dans le comportement maternel », que cette zone grossit durant la grossesse sous l’effet desdites hormones et que ça prépare les femmes à s’occuper de leur bébé. Pour le dégommage des stéréotypes et en particulier de celui qu’il existe une forme d’« instinct maternel », on repassera.
La voix off poursuit cependant : « Mais aussi inattendu que cela puisse paraître, des changements radicaux interviennent aussi chez les hommes ». Pour savoir lesquels, Michel se tourne à nouveau vers Jean-François : « Chez l’homme, qu’est-ce qui se passe dans le cerveau, on l’a étudié, pendant la grossesse, après l’accouchement ? ». Notre expert fait une révélation : « Il y a un phénomène qu’on vient de découvrir, c’est qu’avant même que la grossesse soit terminée, il y a une diminution du taux de testostérone chez l’homme. Après l’accouchement c’est carrément la chute libre : une baisse de 30%. Donc à partir du moment où le taux de testostérone baisse chez le père, ça va en principe augmenter son degré d’empathie vis-à-vis du bébé, et donc ça va favoriser le prise en charge affective du bébé. En revanche ça se traduit par une baisse de la libido, puisque la testostérone, c’est l’hormone de la libido aussi bien chez la femme que chez l’homme ». Voilà encore deux bons vieux clous enfoncés dans le cerveau disponible du téléspectateur : la testostérone, c’est une hormone anti-empathie et c’est l’hormone de la libido. Sachant qu’il est bien rappelé par ailleurs que les hommes produisent en moyenne nettement plus de testostérone que les femmes (deux ou trois vérités surnagent tout de même à la surface de l’océan de contre-vérités et de spéculations dans lequel nous noie l’émission), on laisse le spectateur en tirer les conclusions qui lui viendront à l’esprit.
On pourrait être tenté de se consoler en se disant que finalement, on vient d’apprendre que dame nature prédispose aussi les pères à avoir un comportement parental (ou tout au moins à s’intéresser au bébé de « leur » femme et à avoir moins envie que d’habitude de courir la gueuse, si on en croit Jean-François). Peut-être même qu’elle les y prédispose autant que les mères, allez savoir. Las, un autre expert va ruiner cette idée. C’est Mathilde Lenoac’h, experte du fait de sa pratique de sage-femme « depuis plus de 15 ans », qui s’en charge. Interrogée par Adriana : « dites-moi, les femmes après l’accouchement, vous avez entendu parler de ça ? Les femmes par exemple se réveillent pendant la nuit avant que le bébé pleure… », elle acquiesce d’un hochement de tête. « Pourquoi le papa il se réveille jamais ? », insiste Adriana. Elle répond : « C’est vrai que la maman va être ultra-sensible aux besoins de son enfant, voire même devancer un petit peu les besoins ». Adriana risque une hypothèse : « On dirait qu’elle a tous ses sens complètement éveillés ». La sage-femme experte surenchérit : « Complètement, même plus que ça, oui ». Par la magie de la grossesse, les femmes acquièrent donc une sorte de sixième sens (puisqu’elles sont au-delà de l’éveil complet de tous leurs sens), et celui-ci les rend ultra-sensibles aux besoins de leur enfant. Michel intervient : « C’est la partie animale… ». « Voilà », confirme l’experte. Et comme si ça n’était pas assez clair, Michel reprécise bien : « C’est une partie animale qui est en nous », conforté par les « mmmh, mmmh, mmmh » de l’experte opinant du bonnet. J’aime par-dessus tout la conclusion de cette séquence par la voix off : « Continuons à passer les préjugés sur les hommes et les femmes au crible de la science ».
Il n’existe pas de différences de « préférences gastronomiques », mais…
Séquence suivante, voix off : « Sommes-nous différents sur le plan de la perception ? Les femmes ont-elles plus de goût, ou plus d’odorat que les hommes, ou inversement ? C’est peut-être l’heure de faire valser quelques idées reçues ». Un premier expert « chef depuis plus de 35 ans », interrogé dans sa cuisine d’un bouchon Lyonnais, dit n’avoir pas remarqué de « différences de goûts » selon le sexe de ses clients. Il s’est au contraire « vite aperçu qu’aussi bien les femmes que les hommes aimaient le rognon, le foie de veau, le gras de veau ». Interrogé par Adriana lui demandant s’il n’existe pas quand même des plat typiquement féminins, il répond par la négative : « A chaque fois je me suis planté. Je me suis planté en disant tiens, on va faire une salade de haricots verts, avec des copeaux de parmesan, tout ça, en pensant qu’il y aurait une majorité de femmes qui allaient prendre ce plat, pis en fin de compte, non ». Fin de la première partie de cette séquence.
C’est mieux que rien, mais force est de constater que le sujet n’a été qu’effleuré. La façon dont il a été traité n’est pas de nature à empêcher de continuer à adhérer, par exemple, à la croyance commune dans l’existence de préférences naturellement plus marquées pour la viande et le salé chez les hommes, et pour les crudités et le sucré chez les femmes… et ce d’autant plus que la voix off se charge de souligner que ce n’est qu’une opinion personnelle qui vient d’être exprimée et qu’elle ne concerne que les préférences « gastronomiques » : « selon Joseph, il n’existe pas de différences ente les hommes et les femmes sur le plan des préférences gastronomiques. Mais concernant nos sens, qu’en dit la science ? ».
La science va ici être incarnée par Mustafa Bensafi, directeur de recherche au CNRS, épaulé par Michel Cymes reprenant momentanément sa casquette de médecin par définition connaisseur des données de bases sur la physiologie et l’anatomie humaines (« je vais étaler ma science », dit-il). Ce n’est donc pas « selon Mustafa » ni « selon Michel » mais selon « la science » que :
– « les femmes, quand on leur présente des odeurs, vont identifier plus d’odeurs que les hommes », elles « sont plus fortes » là-dessus, « la différence est minime mais elle existe » ;
– c’est expliqué en partie par une différence anatomique, à savoir le fait qu’ « une petite structure olfactive dans le cerveau, qui s’appelle le bulbe olfactif, contient plus de neurones chez les femmes que chez les hommes » ;
– une explication complémentaire hypothétique serait hormonale, car chez les femmes, « au milieu des cycles, il y a des études qui montrent que l’odorat est un peu plus développé » ;
– une seconde explication complémentaire hypothétique serait « une explication cognitive de l’ordre de la mémorisation » (eh oui, puisque comme on vient de nous le rappeler, les femmes ont une meilleure mémoire que les hommes) ;
– ce qui vient d’être dit concernant l’odorat s’applique a priori aussi au goût puisqu’il est bien expliqué, images de synthèse à l’appui, que la mastication des aliments libère des molécules qui viennent exciter le bulbe olfactif.
En conclusion, comme le résume Michel, « quand on compare les hommes et les femmes, […], finalement il y a plein d’idées reçues. Là finalement on a vu que sur l’odorat, sur le goût, finalement il n’y a pas énormément de différences. Il y a des différences […] mais finalement, à part les variations hormonales [son doigt dessine dans l’air une courbe sinusoïdale], ça change pas beaucoup ». Des différences pas énormes, donc, mais dont l’existence est finalement bel et bien confirmée par « la science », qui confirme aussi à nouveau que le fonctionnement des neurones féminins dépend des variations hormonales auxquelles leur cycle menstruel les soumet.
Les filles ne sont pas « nulles » en maths, mais…
La séquence suivante est censée illustrer l’influence des stéréotypes : « Prenons l’exemple d’un cliché qui a la vie dure, nous dit la voix off, les filles sont nulles en maths. Les chiffres semblent le confirmer : en France, on compte plus de 70% d’hommes dans les professions scientifiques. Pourtant, aucune étude n’a prouvé de différence d’aptitude entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Cela signifie que les stéréotypes influencent tellement notre pensée qu’ils sont capables de réduire effectivement les compétences des filles en sciences ».
Tiens donc, aucune étude n’a prouvé que les femmes ont moins d’aptitudes en ces domaines ? Mais alors comment se fait-il qu’une interminable liste d’articles de vulgarisation nous assène le contraire depuis plusieurs décennies, tel celui de Science & Vie de 1999 déjà cité affirmant (c’est moi qui souligne) : « on sait depuis près de cinquante ans que, en moyenne, les hommes sont plus doués pour l’abstraction mathématique » ? Et comment se fait-il que Jean-François Bouvet écrivait en 2001, dans un passage déroulant un argumentaire très similaire à celui de cet article, que les différences anatomiques générées par la « maturation hormonale » différente du cerveau des filles et des garçons produisent manifestement des différences fonctionnelles se traduisant par des différences d’ « aptitudes », telles celle au « raisonnement mathématique » ? [26] Comment se fait-il que dans son livre de 2012, il ait encore décrit en termes de différences d’ « aptitudes » la supériorité selon lui avérée des hommes dans la reconnaissance de formes géométriques et dans les tests de raisonnement mathématique (bien distingué du simple « calcul arithmétique » dans lequel les femmes sont censées être meilleures) [27] ? A-t-il changé d’avis, ou est-ce Peggy Olmi qui a décidé sur ce point d’ignorer son expertise au profit de ses convictions à elle ? Et quelles sont les sources de cette conviction ? On n’en saura malheureusement rien.
Par ailleurs, si on regarde cette séquence de plus près, on s’aperçoit qu’une fois encore l’émission dégomme un cliché caricatural, démenti par les constats que chacun peut faire (les filles ne sont évidemment pas toutes « nulles » en maths), tout en en confortant d’autres.
Car tout d’abord, on vient mine de rien d’apprendre que les compétences des filles en sciences sont « effectivement » réduites par l’effet de menace du stéréotype. C’est certes un phénomène d’origine sociale, mais son effet (supposé) est qu’elles sont de fait moins performantes malgré leurs aptitudes censément identiques. La voix off confirme cette interprétation via son commentaire d’une expérience menée sur des élèves de 6ème, censée montrer que les performances des filles à un test de géométrie sont inférieures à celles des garçons si on dit aux enfants qu’il s’agit d’un test de géométrie (activant dans leur esprit le stéréotype selon lequel les filles sont moins bonnes dans cette matière), et au contraire supérieures si on leur dit qu’il s’agit d’un test de dessin : « Cela expliquerait en partie pourquoi on trouve si peu de filles dans les filières scientifiques ». De plus, la voix off vient de confirmer le stéréotype selon lequel il y a très peu de filles dans les filières scientifiques, et ce notamment parce qu’elles ont de moins bonnes performances aux tests ou examens dans les matières scientifiques.
Les femmes ne sont pas plus sensibles au froid que les hommes, mais…
Après cet intermède consacré à une fausse différence, un artefact de notre culture sexiste, la voix off nous ramène au sujet de l’émission, à savoir les véritables différences : « Au-delà des aprioris, il existe des différences manifestes entre les sexes, des différences visibles, des différences audibles, des différences de ressenti également ». Adriana se lance sur une différence de ressenti : « J’ai toujours terriblement froid aux mains, et j’ai l’impression que les filles sont plus frileuses que les hommes… ». Cette fois pas besoin de faire appel à un autre expert, Michel suffit : « Non, c’est pas que vous êtes plus frileuses que les hommes, c’est que vous avez les extrémités plus froides que nous. Ca c’est vérifié, en fait vous avez la température du corps qui est supérieure à la nôtre, et la température des extrémités, que ce soit les mains ou les pieds, qui est plus basse que la nôtre. Et ça a une explication, c’est que vous avez des œstrogènes, les hormones de la femme, qui seraient responsables de cette modification de circulation dans les extrémités, et le but de tout ça, ce serait de protéger le fœtus quand une femme est enceinte, pour qu’il soit toujours au chaud, donc en diminuant la chaleur dans les extrémités ». Ah, OK. On vient de se prendre un gros paquet, là… Et ça n’est pas tout, car si les femmes ne ressentent peut-être pas le froid plus intensément, il y a d’autres choses auxquelles elles sont plus sensibles.
C’est Christine Deruelle, « Directeur [sic] de recherche au CNRS », qui se charge de nous l’expliquer : « On sait, en fait, qu’il y a des différences significatives entre les hommes et les femmes, notamment au niveau du temps de fixation sur les images positives. Et en fait les femmes fixent beaucoup plus longtemps les images positives que les hommes. Si on s’intéresse maintenant aux indices émotionnels, il y a une différence significative, dans la transpiration, entre des images neutres, positives ou négatives, seulement chez les femmes. Donc à la fois elles y font plus attention, et à la fois leur ressenti émotionnel, face à ces images, est plus fort. Chez les hommes, il n’y a pas de différence significative entre ces trois conditions ». Michel fait mine de s’étonner : « Mais vous confirmez quelque-chose qui est un stéréotype, une idée reçue, qui est que les femmes sont plus sensibles que les hommes… ». « Exactement », ponctue l’experte droite dans ses bottes.
La voix off reprend la main en suggérant qu’il existe une différence entre hommes et femmes dans l’empathie et en expliquant que « les femmes sont statistiquement plus sensibles, avec une sphère affective plus étendue que celle des hommes » [28]. Et « ces différences qu’on voit à l’âge adulte, on les voit déjà chez les enfants ? », demande Michel à Christine qui répond sans hésiter : « Oui, en fait on les voit non seulement chez les enfants mais même chez les tout petits, les nourrissons de quelques semaines, puisqu’on peut montrer que les filles reconnaissent déjà mieux les émotions, quelques jours, quelques semaines après la naissance, par rapport aux garçons ». Michel hasarde une déduction : « Donc ça, ça veut dire que c’est pas… Vu que c’est quelques jours après la naissance, donc ça veut dire que c’est biologique alors, c’est inné ? ». Christine confirme : « Oui, tout-à-fait », appuyée par un Jean-François opinant du chef et se fendant d’un péremptoire « C’est biologique », Christine surenchérissant : « leur cerveau, à la naissance, est déjà différent ».
Michel veut en savoir plus sur l’origine de ces différences supposées : « Christine, est-ce que… nous on est un peu obsédés par les hormones, depuis qu’on connait Jean-François… est-ce que tout ça est lié aussi à l’imprégnation hormonale ou pas ? ». Christine : « Oui, alors en fait, on observe des différences dans les capacités de reconnaissance et de ressenti émotionnels chez les femmes en fonction de leur cycle. Elle est meilleure pendant la première partie de son cycle que pendant la deuxième partie de son cycle. […] Elle est plus performante, et plus sensible… ». La conclusion de la séquence par la voix off enfonce bien le clou : « On l’aura compris, les hormones jouent un rôle tout au long de notre vie, qu’on soit une femme ou un homme ».
Bon, ben on vient de se prendre un deuxième gros paquet : hommes et femmes ne sont en moyenne pas aussi empathiques les uns que les autres ; l’intensité du ressenti émotionnel des hommes face à des images est la même que celles-ci soient positives, neutres ou négatives ; l’intensité du ressenti émotionnel des femmes face à des images varie selon que celles-ci sont positives, neutres ou négatives ; les femmes sont « beaucoup » plus attirées par les images positives que les hommes ; leur ressenti émotionnel face à des images positives est plus fort que celui des hommes ; elles sont plus sensibles ; elles ont une sphère affective plus étendue, au sens où davantage de personnes suscitent chez elles des émotions ; les différences entre les sexes sur le plan de l’émotion observées à l’âge adulte sont déjà notables dès le plus jeune âge ; les filles reconnaissent déjà mieux les émotions que les garçons quelques jours après la naissance ; cette différence est innée ; le cerveau des filles et des garçons, pour ce qui est du traitement des émotions au moins, est déjà différent « à la naissance » ; « tout ça » est lié à la différence d’ « imprégnation hormonale » ; les femmes ont de plus grandes capacités de reconnaissance des émotions pendant la première moitié de leur cycle menstruel que pendant la deuxième ; les femmes sont « plus sensibles » pendant la première moitié de leur cycle menstruel que pendant la deuxième. Et on n’est pas au bout de nos peines : la séquence sur la sexualité va en ajouter une grosse couche.
Sur le plan de la sexualité, hommes et femmes ne sont pas « radicalement » différents, mais…
« Après l’explosion hormonale de la puberté, explique la voix off, désir, séduction, et plus tard sexualité, feront partie du quotidien de tous. D’ailleurs, on a souvent l’impression que les hommes et les femmes sont radicalement différents sur le plan de la sexualité. Mais est-ce vrai ? Pour répondre, direction le parc animalier de Thoiry. Il est toujours éclairant de comparer le mode de vie des animaux au nôtre ». Dans la séquence qui suit, Jean-François choisit de développer l’exemple de l’ « organisation en harem », dans laquelle « le mâle va garder le contrôle du harem pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il soit détrôné par un autre mâle […] qui souvent va le tuer, d’ailleurs, et le nouveau mâle qui prend le contrôle du harem va tuer les petits de la portée précédente pour que les femelles soient à nouveau sexuellement réceptives ». C’est comme ça « chez les fauves », d’après ce qu’a compris Michel, mais pas seulement : « ça existe par exemple chez les hippopotames », précise Jean-François. Très éclairant en effet… quoique sur bien autre chose que la sexualité humaine.
Questionné par Michel sur ce qui « explique le désir qu’un homme peut avoir pour une femme ou une femme pour un homme », Jean-François n’a à nouveau qu’un « exemple », la testostérone : « On sait par exemple qu’il y a une hormone qui intervient dans le désir sexuel – là je parle pas de la séduction mais du désir sexuel brut, en quelque sorte -, apparemment l’hormone clé c’est la testostérone, aussi bien chez l’homme que chez la femme ». Et ça n’est pas tout : « Chez la femme, lorsqu’elle tombe amoureuse, il y a une augmentation du taux de testostérone alors que chez l’homme il y a une diminution. On pense à l’heure actuelle que la testostérone est un frein à l’empathie. Donc il est possible que la baisse du taux de testostérone chez l’homme quand il tombe amoureux lui permet d’être plus en empathie avec la femme dont il est amoureux ». Bis repetita placent : au cas où la séquence sur la maternité n’aurait pas suffit, Jean-François tient décidément à bien faire passer l’idée que la testostérone est à la fois une hormone anti-empathie et l’« hormone de la libido », l’hormone clé du « désir sexuel brut ».
Il vient en outre de profiter de l’occasion pour fourguer deux nouveaux stéréotypes concernant l’effet supposé du sentiment amoureux sur le niveau de testostérone « chez l’homme » et « chez la femme ». Ca tombe bien, ils permettent justement de conforter trois idées reçues classiques : celle que chaque sexe est l’« opposé » de l’autre (l’effet putatif sur la testostérone est opposé), celle que le désir sexuel d’un homme s’épanouit d’autant mieux qu’il n’est pas amoureux de l’objet de son désir, et celle que les femmes ont au contraire besoin d’être amoureuses pour avoir du désir sexuel. Une tirade moult anthropomorphique de la voix off conforte d’ailleurs cette dernière idée peu après, expliquant que l’éléphant mâle est « très patient » car il « se contente d’un rapport sexuel tous les cinq ans » et qu’il est « un compagnon modèle : l’acte sexuel n’intervient qu’après une longue période de vie commune. » On l’aura compris, pour une femme l’homme idéal est celui qui se met en couple avec elle, refrène son désir et lui donne tous les gages de sollicitude dont elle a besoin (heureusement, la baisse de son taux de testostérone l’y aide) en attendant patiemment que son taux de testostérone à elle ait suffisamment monté pour qu’elle finisse par le désirer aussi.
Certes, la voix off nous apprend un peu plus tard que « la ménopause ne signifie pas la fin de la vie sexuelle » (ça alors, première nouvelle !), et Jean-François admet que « sur le plan du désir sexuel ou du plaisir sexuel, on s’est rendu compte que contrairement à ce qu’on imaginait, il n’y a pas de différence fondamentale ». Mais le téléspectateur aura bien compris que sur le plan du désir et du plaisir sexuel, si les différences entre les sexes ne sont pas « radicales » ni « fondamentales » elles sont cependant bien réelles. Avec ce que la voix off a posé juste avant cette séquence (« les comportements des hommes et des femmes ne sont pas si éloignés car heureusement, nous ne sommes pas dirigés que par nos hormones ») et les explications de Jean-François, il aura également bien compris que les hormones sont pour quelque chose dans ces différences supposées.
Première conclusion et transition
Comme on l’a vu, les rares stéréotypes de genre déconstruits au cours de l’émission sont pour la plupart ultra-caricaturaux et/ou anecdotiques : on a « appris » que les filles ne sont pas (toutes) « nulles en maths », que les femmes ne sont pas (toutes) « incapables de lire une carte routière », qu’hommes et femmes ont le même nombre d’os, les mêmes « plis du cortex », qu’on ne peut distinguer « à coup sûr un cerveau d’homme d’un cerveau de femme sur une IRM », qu’il n’existe pas de muscles squelettiques dont seul dispose l’un ou l’autre sexe, qu’hommes et femmes ont les mêmes « préférences gastronomiques », ou encore que les femmes ne sont pas « plus frileuses » que les hommes ? La belle affaire…
Sous prétexte de remettre en question les stéréotypes de genre, comme annoncé dans le synopsis et rappelé à maintes reprises au cours de l’émission [29], nombre d’entre eux sont au contraire résolument confortés : chaque « muscle d’homme » développe plus de force que « les muscles de femme », hommes et femmes n’ont pas intérêt à pratiquer les mêmes sports, les connexions cérébrales et le fonctionnement du cerveau diffèrent entre hommes et femmes, les femmes sont naturellement plus douées pour le langage, les hommes le sont pour la manipulation mentale d’informations spatiales, le fonctionnement cérébral et psychologique des femmes varie selon la phase de leur cycle sous l’effet de leurs hormones, les hormones de la grossesse modifient le cerveau des femmes de sorte qu’elles deviennent hypersensibles aux besoins de leurs bébés et développent un comportement maternel, la testostérone est “l’hormone de la libido”, les femmes sont plus sensibles que les hommes, etc. Ces stéréotypes sont beaucoup plus répandus [30] et ont des conséquences pratiques, sociales et politiques incomparables à celles des rares stéréotypes déconstruits.
Tous ces stéréotypes, et il y en a d’autres que ceux déjà cités (certains le seront dans ce qui suit), sont censés être scientifiquement fondés. Or est-ce vraiment le cas ? Les différences entre les sexes décrites au cours de l’émission sont-elles documentées dans la littérature scientifique, et le cas échéant leur description est-elle fidèle à celle-ci ? Est-il scientifiquement établi que ces différences découlent des soi-disant « 0,2% de différence génétique » entre hommes et femmes, comme annoncé dans le synopsis de l’émission et par Jean-François Bouvet au début de celle-ci ? A chaque fois qu’une différence est attribuée aux différences d’hormones gonadiques ou qu’un effet de ces hormones est invoqué, cette explication ou cet effet sont-ils démontrés, ou du moins font-ils l’objet d’un consensus scientifique ? Sur ces différents plans, la quantité de théories douteuses, de propos trompeurs, fallacieux ou franchement mensongers véhiculés par l’émission est telle qu’on pourrait y consacrer un livre entier. Je me contenterai d’en déconstruire un sous-ensemble, en commençant par zoomer sur quelques-uns des mythes savants indûment propagés au cours de l’émission.
(à suivre…)
Odile Fillod
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Notes
[1] Données Médiamétrie sur les 4 ans et plus. Les numéros deux et cinq consacrés respectivement à « l’animal qui est en nous » en 2013 et aux « pouvoirs extraordinaires du cerveau » en 2014 sont ceux qui ont fait les meilleures audiences (4,00 et 4,02 millions).
[2] Source France Télévision, communication personnelle.
[3] Hormis les contenus très problématiques du chapitre « devenir homme ou femme » de nombre de manuels de 2011 rédigés par des enseignants de SVT (puisés dans de la mauvaise vulgarisation faute d’accès à la littérature scientifique), en témoigne par exemple la fiche élogieuse rédigée par un professeur et auteur de manuel de SVT pour le Centre National de la Documentation Pédagogique, recommandant depuis bientôt six ans l’utilisation en classe de « L’Odyssée de l’amour », réalisé pour France 2 par Thierry Binisti et diffusé sur cette chaîne en 2009 (voir http://www2.cndp.fr/tice/teledoc/mire/teledoc_odysseedelamour.pdf). Ce documentaire préconisé en tant que ressource pédagogique, fait sous la « direction scientifique » du psychiatre et essayiste Michel Reynaud, présente comme s’il s’agissait de savoirs établis sur la « biologie de l’amour » un concentré vomitif de mythes savants sexistes propagés par des psychologues évolutionnistes : « l’amour, c’est le besoin de se reproduire » ; « la danse n’est rien d’autre que la parade amoureuse de l’Homo sapiens » ; « la femme cherche le meilleur géniteur, et l’homme la femme la plus apte à lui donner une descendance » ; « pour les femmes, l’homme idéal a un rapport hanches/taille entre 0.8 et 0.9, et un rapport taille/épaules de 0.6 », des traits symétriques, un bon QI, une mâchoire carrée, et de belles fesses car « elles y voient l’assurance d’un bon coup de reins » ; les hommes « ont conservé une biologie de chasseur, qui voit loin, vise, et fonce sur elles » ; « notre cerveau peut détecter une bonne complémentarité génétique » ; « chez la femme, la dilatation des pupilles est l’expression directe du désir » et rend son regard « irrésistible » ; « l’homme, lui, c’est bien connu, est toujours prêt en moins de deux minutes, alors que chez la femme l’excitation peut mettre dix fois plus de temps à se déclencher » ; « l’infidélité sexuelle est plus redoutée par les hommes : ils craignent que leur femme fasse l’amour avec un autre et prenne plus de plaisir, et surtout, qu’elle ait un enfant de son rival », alors que « l’infidélité sentimentale, c’est la grande crainte des femmes : leur homme pourrait tomber amoureux d’une autre, ce qui le pousserait à diriger ailleurs sa générosité et sa protection », etc.
[4] Documentaire de Thierry Berrod produit avec la participation de France 2, dont les « conseillers scientifiques » étaient René Zayan, Jacques Balthazart et Philippe Brenot (auquel France 2 et à sa suite Le Monde, entre autres, prêtent fallacieusement le titre de Professeur), quatre lascars que j’ai déjà eu l’occasion de citer sur ce blog et/ou ici ou là. Comme on pouvait s’y attendre au vu de cette fine équipe, le documentaire refourgue les « découvertes » éventées et extrapolations éhontées de Simon LeVay sur le noyau INAH3 de l’hypothalamus, Dick Swaab sur le noyau suprachiasmatique, Ivanka Savic sur les soi-disant phéromones humaines, ou encore (et surtout) Jacques Balthazart sur la « différenciation sexuelle » prénatale du cerveau et des comportements par les hormones, mobilisant notamment pour la énième fois les fameuses études sur les singes censées montrer que « les mâles utilisent des jouets mobiles de type garçon, et les femelles utilisent des poupées et des peluches » (Balthazart, min 34 :30). Selon Télérama, ce documentaire permet d’apprendre que « la science constate » qu’ « homosexualité, hétérosexualité et bisexualité reposent sur une multitude de facteurs biologiques, mais également environnementaux » (Emmanuelle Skyvington, « Homo ou hétéro : est-ce un choix ? », Télérama, n°3401, 18/03/2015, p. 123). Le documentaire a même eu les honneurs du Monde, où l’on peut lire qu’il « donne les preuves scientifiques de l’origine neurologique et hormonale des préférences sexuelles, déjà en partie programmées dans le ventre de la mère », le journaliste ayant jugé utile de préciser que néanmoins, « le biologique n’est pas un déterminant absolu » ! (Benoît Piraux, « Homo ou hétéro : lumières scientifiques sur un mystère éternel », Le Monde, 24 mars 2015, p.27, publié en ligne sous le titre « Homo ou hétéro : la clé scientifique du mystère »). Trop heureux de pouvoir annoncer que la recherche scientifique « a démontré » que l’homosexualité « est une “variante normale” de l’orientation sexuelle humaine, et, en cela, n’a rien de contre-nature », le journaliste a comme sa collègue de Télérama tranquillement transformé pour ses lecteurs l’invocation de preuves scientifiques (par des intermédiaires ayant, pour diverses raison, intérêt à tordre la réalité) en constat de leur existence. C’est habituel dans le domaine de la critique TV des programmes de vulgarisation scientifique, où la déontologie journalistique de base commandant de distinguer les faits de leur commentaire et de faire preuve de prudence lorsqu’on s’appuie sur des sources secondaires n’ont mystérieusement pas cours.
[5] Passages cités extraits de Emmanuelle Skyvington, « Les pouvoirs extraordinaires du corps humain », Télérama, n°3400, 14/03/2015, p. 113 et de la grille synthétique p.114 (« […] Instructif et un brin loufoque)».
[6] « Le duo de choc du top-modèle et du toubib, Adriana Karembeu et Michel Cymes, est allé à la rencontre de biologistes, médecins et experts en tout genre (danseurs, chefs cuisiniers…) pour analyser les différences réelles entre les deux sexes, et combattre un lot de stéréotypes. » (Télérama, ibidem). La Croix a choisi de retenir dans le chapeau de son article bienveillant que l’émission « montre comment les différences culturelles entre les sexes peuvent reposer sur des préjugés qui n’ont rien de scientifique », jugeant qu’il « fait voler en éclat bien des stéréotypes, dont les femmes sont victimes et qui les conditionnent socialement » (Jean-Baptiste Cantillon, 16/03/2015, LaCroix.com, accédé le 25/03/2015).
[7] Comme indiqué de manière euphémistique dans le Nouvel Obs, qu’il avait fallu que je harcèle pour obtenir qu’il publie un rectificatif de mes propos complètement déformés (ce passage critique envers les médias, en particulier, avait été transformé en une critique des revues scientifiques), « certains médias relaient avec légèreté de fausses découvertes sous couvert de “science amusante” sur le sujet vendeur des différences entre les sexes » (Le Nouvel Observateur, 1er mai 2014, n°2582, p. 30).
[8] Fondateur de la société française de Gestalt-thérapie, Serge Ginger a notamment été secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (qu’il cofonda en 1995), poste qu’il occupa jusqu’à sa mort en 2011. Il s’est auto-intronisé expert en (neuro)science des différences entre hommes et femmes via une conférence donnée à plusieurs reprises au début des années 2000, qui lui a ouvert les portes de certains médias sur ce thème. Le texte de cette conférence est toujours accessible sur www.psycho-ressources.com/bibli/femmes-et-hommes.html. Lorsqu’en 2007 on recherchait dans Google cerveau+gauche+droit+différences, cerveau+gauche+femmes, cerveau+droit+femmes ou la même chose avec « hommes » au lieu de « femmes », cette page arrivait en première page voire en première ligne des résultats de recherche… et c’est encore le cas en août 2015 (!)
[9] GINGER Serge, juillet-août 2003, « Hommes, femmes : naturellement incompatibles ? », Psychologies Magazine, n° 221, (la version web de cet article est toujours en ligne sur le site du magazine) : « […] Le décryptage récent du génome humain montre que le patrimoine génétique commun entre l’homme et le singe est de… 98,4 % ! Et de 96 % entre l’homme et la femme ! Ces 4 % de différence correspondent tout de même à environ soixante mille caractéristiques. Un homme mâle, en d’autres termes, est physiologiquement plus proche d’un singe mâle que d’une femme ! Et, naturellement, les femmes sont plus proches des guenons ! […] ». On notera l’usage du terme « décryptage » pour désigner ce qui n’était qu’un séquençage, ainsi que la référence aux « singes » et « guenons » en général alors qu’il fait ici référence à notre proximité génétique avec le chimpanzé (telle qu’estimée à l’époque), deux approximations typiques signalant soit l’ignorance crasse des domaines scientifiques concernés, soit la malhonnêteté intellectuelle. Cela n’est certes guère étonnant sachant qu’il tirait sa connaissance de la biologie des différences entre hommes et femmes non pas de sa lecture de la littérature scientifique (et encore moins de recherches scientifiques qu’il aurait menées), mais de celle de la littérature de pseudo-vulgarisation plus ou moins fantaisiste de John Gray et du couple Pease, d’Yvon Dallaire, Doreen Kimura, Simon Le Vay, Boris Cyrulnik, Jean-Didier Vincent, Claude Aron ou encore Alain Braconnier. Cf ses sources citées dans l’article de Psychologies Magazine: Le Sexe des émotions d’Alain Braconnier (Odile Jacob, 1996) ; Moi aussi, moi plus : 1 001 différences homme-femme d’Yvon Dallaire (Option Santé, 2003) ; Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus de John Gray (Michel Lafon, 1999) ; Le cerveau a-t-il un sexe ? de Simon Le Vay (Flammarion, 1994) ; Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières d’Allan et Barbara Pease (First éditions, 2002). Celles citées en référence du texte de sa conférence mentionné ci-dessus incluent aussi (notamment) : La Sexualité (Phéromones et désir) de Claude Aron (Odile Jacob, 2000) ; Les nourritures affectives (Odile Jacob, 1993) « et plusieurs autres livres » de Boris Cyrulnik ; Cerveau d’homme, cerveau de femme ? de Doreen Kimura (Odile Jacob, 2000) ; Biologie des passion (Odile Jacob, 1986), « et plusieurs autres livres » de Jean-Didier Vincent.
[10] Bien que ça ne soit jamais précisé au cours de l’émission, le terme « muscle » y est manifestement employé comme synonyme de « muscle squelettique ». Si on parlait des muscles en général, on pourrait au contraire signaler que les femmes disposent d’un muscle supplémentaire (le muscle utérin). Les muscles squelettiques assurent la motricité volontaire du corps. Il existe deux autres types de muscles dans le corps humain, qui quant à eux se contractent de manière involontaire : les muscles lisses, situés dans la paroi des organes creux (artères, tube digestif, bronches, vessie, utérus…), et le muscle cardiaque, un muscle strié comme les muscles squelettiques mais composés de cellules très particulières et dont le fonctionnement est également spécifique.
[11] Si les grands replis délimités par les principaux sillons du cortex sont en effet communs à tous les êtres humains sauf cas d’anomalies du développement, la topologie fine de ses plis diffère au contraire d’un cerveau à l’autre (indépendamment du sexe).
[12] Voir https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/12/10/habemus-sex-suite/.
[13] « Voyage dans le cerveau », 22/05/2005, par l’European Dana Alliance, en ligne sur http://www.futura-sciences.com/magazines/sante/infos/dossiers/d/medecine-voyage-cerveau-525/page/4/, (ré-accédé le 29/03/2015) : « La substance blanche est formée de prolongements, parfois très longs, de la cellule nerveuse (axones), qui facilitent les transferts d’information entre les différentes régions du cerveau, permettant ainsi à l’individu de se situer et de s’orienter dans l’espace. La femme possède, au contraire, une quantité plus importante de substance grise, […] Grâce à ses compétences spatiales plus développées, l’homme a donc en lui comme une sorte de GPS, dont il se sert pour assurer sa navigation […] Les tâches spatiales, explique Ruben Gur, requièrent davantage de substance blanche que n’en possèdent la plupart des femmes, dont le crâne est généralement trop petit pour contenir les quantités de cette substance qu’il faudrait pour réaliser de bons scores à ce genre de tests. »
[14] CHAMBON Philippe, février 1999, « Le cerveau a-t-il un sexe ? », Science & Vie, n°977, p.78-80 ; BOURDIAL Isabelle, fév. 2002, « Les jeux vidéo rendent-ils intelligents ? », Science & Vie, n°1013, p.76-80.
[15] Propos tenus par les animateurs dans « Le grand quizz du cerveau », émission produite par Endemol diffusée le 27 octobre 2007 sur TF1.
[16] Dans « E=M6 », émission d’une demi-heure produite et présentée depuis 1991 par Olivier Lesgourgues sous le pseudonyme de Mac Lesggy, d’abord bi-mensuelle puis hebdomadaire, diffusée sur M6 le dimanche vers 20h. Dans le numéro sur le thème « Mémoire : sommes-nous tous égaux ? » diffusé le 28 novembre 2010, la première des trois séquences (intitulée « La mémoire a-t-elle un sexe ? ») se finit ainsi : « Voix off : « Vous l’aurez compris, les femmes se souviennent mieux des situations émotionnelles, mais les hommes se distinguent dans d’autres tâches de mémorisation, comme celles de l’espace. Démonstration. » Suit une séquence chez Serge Ginger, qui demande à huit « cobayes » de reproduire de mémoire un plan de Paris. Voix off : «Et voici le dessin des filles : vague, bavard, voire même fantaisiste. Aucune comparaison possible avec ceux des garçons, précis, détaillés, et même en trois dimensions. Analyse du psychologue. » Serge Ginger : « Ici c’est une fille bien sûr, elle a mis Notre Dame sur l’île Saint-Louis en dehors du fleuve, […] donc là on a typiquement quelqu’un qui est un peu paumé dans l’espace. Ici on a un dessin typiquement masculin, avec la Seine à sa bonne place et une île, avec l’ensemble des arrondissements, donc là on a quelqu’un de bien orienté, typiquement masculin. » Voix off : « Ce test révèle donc que les hommes ont une boussole dans la tête. Ils ont en général une mémoire spatiale supérieure à celle des femmes. Mais pourquoi ? » Mac Lesggy : « Est-ce que c’est une question d’éducation, ou est-ce que c’est inné ? » Serge Ginger : « C’est lié à la fois à l’éducation, mais aussi et surtout à notre programme génétique. Depuis des millions d’années, la femme s’occupe de sa famille, des enfants, elle doit surveiller qu’ils sont tous là, qu’il n’y a pas d’animaux dangereux, et cætera, alors que les hommes partaient à la chasse et ils revenaient à leur grotte .Il y avait pas de poteaux indicateurs, ils partaient des fois pour deux, trois jours à la chasse et ils retrouvaient leur grotte intuitivement, d’après la direction générale. » Voix off : « Depuis des millions d’années, l’homme et la femme se complètent sans toujours se comprendre. A retenir désormais pour éviter les disputes : messieurs, laissez parler un peu plus vos émotions, et vous mesdames, tendez l’oreille ». Fin de la séquence.
[17] Il écrit ceci dans Le camion et la poupée (2012, Flammarion) : « Ainsi, parmi les différentes structures cérébrales présentant des différences homme/femme, deux d‘entre elles, bien circonscrites, se distinguent clairement par leur taille rapportée à celle du cerveau : l’hippocampe ([…]) et l’amygdale cérébrale ([…]). Pour l’hippocampe, zone essentielle pour le stockage de l’information et la cartographie spatiale de l’environnement, c’est la femme qui apparaît la mieux dotée. En revanche, la taille de l’amygdale, considérée comme un site majeur des réactions émotionnelles, apparaît plus importante chez l’homme que chez la femme, comme l’ont montré Jill Goldstein et ses collègues en 2001. […] Il est bien-sûr tentant de rapprocher ce genre de données anatomiques – par exemple, hippocampe plus développé chez les femmes que chez les hommes et l’inverse pour certaines régions corticales pariétales – de la manière dont les individus des deux sexes se comportent : en l’occurrence, dans ce cas, pour se repérer dans l’espace. De nombreuses études suggèrent en effet que les femmes utilisent davantage des repères environnementaux, tandis que les hommes estiment mieux la distance et la direction à suivre. »
[18] Voir MOLNAR Katalin, KERI Szabolcs, 2014, Bigger is better and worse: on the intricate relationship between hippocampal size and memory, Neuropsychologia, vol.56, p. 73-78.
[19] Il peut être éclairant de mettre en regard les écrits de Jean-François Bouvet cités en note 17 ci-dessus et ce qu’on peut lire dans FJELL Anders M., WESTLYE Lars T., ESPESETH Thomas et al.., 2009, Minute effects of sex on the aging brain: a multisample magnetic resonance imaging study of healthy aging and alzheimer’s disease, The Journal of Neuroscience, vol.29(27), p. 8774-8783. Les statistiques exposées dans cet article, établies à des fins de comparaison à celles issues d’un petit échantillon de malades d’Alzheimer, sont issues de données d’IRM obtenues sur la réunion de 6 échantillons totalisant 1143 personnes vivant aux Etats-unis, en Norvège ou en Suède et âgées de 18 à 94 ans (46.8 ans en moyenne). En valeur absolue, l’hippocampe était (très) significativement plus grand en moyenne chez les hommes, de même que l’amygdale. Lorsque le volume de ces structures était rapporté au volume total du cerveau, la différence moyenne devenait statistiquement non significative pour l’amygdale, et pour l’hippocampe elle s’inversait et était fortement réduite. Les auteurs soulignent qu’après correction par le volume cérébral total, le sexe ne rendait compte que de 0.6 % de la variance du volume du cortex cérébral et de 0.4 % de celle du volume de l’hippocampe. Ils concluent que bien que ces effets du sexe étaient statistiquement significatifs en raison de la très grande taille de l’échantillon, « il est peu probable qu’ils aient des implications cognitives ». Les images ci-dessous donnent une idée de l’étendue de la variabilité intra-sexe et du recouvrement des deux groupes de sexe.
[20] Cf GINGER Serge, juillet-août 2003, « Hommes, femmes : naturellement incompatibles ? », Psychologies Magazine, n° 221 : « L’hémisphère droit gère l’espace, la perception synthétique, artistique et émotionnelle. Surprise ! Les chercheurs du monde entier sont d’accord aujourd’hui pour dire que le cerveau droit est masculin et le gauche, féminin ! La démonstration que le développement de l’hémisphère droit est sous l’emprise de la testostérone, notre hormone mâle (lire encadré ci-contre), a été largement faite. » Cf FROH Marion, nov. 2010, « Je n’ai aucun sens de l’orientation », Psychologies Magazine, n°301, p. 144 : « Un sondage a montré que 50 % des femmes estiment avoir peu ou pas le sens de l’orientation, alors que 85 % des hommes se disent satisfaits de leurs capacités à se repérer dans l’espace (sondage réalisé pour le compte de la société britannique Boxby, mars 2010). Le gestalt-thérapeute Serge Ginger explique : « La testostérone participe à la formation de l’hémisphère droit du cerveau, qui correspond à la logique spatiale. Ainsi, même si les hommes ont une moins bonne mémoire visuelle que les femmes, ils possèdent un “sentiment interne” qui les aide à se repérer. »
[21] Cf juin 2003, « Les femmes perdues par l’œstrogène », La recherche, n°365 (rubrique « Curiosa ») : « Les femmes ont-elles un moins bon sens de l’orientation que les hommes ? Oui, mais seulement durant les jours qui précèdent l’ovulation, suggère un psychologue de Juniata College (États-Unis), David Widman. Le reste du temps, leur sens de l’orientation est proche de celui des hommes (bien que légèrement inférieur). L’expérience : 19 hommes et 47 femmes, tous étudiants en psychologie, ont été invités à se sortir d’un labyrinthe virtuel à plusieurs reprises. Les résultats ont été comparés au stade du cycle menstruel dans lequel se trouvaient les femmes. Pour se sortir d’un labyrinthe dépourvu de tout repère, il a fallu en moyenne 22,5 secondes aux hommes et 29,8 secondes aux femmes, sauf avant l’ovulation, auquel cas il fallait à ces dernières 83,5 secondes. D’après l’auteur, il est probable que c’est l’élévation du taux d’œstrogène à ce moment du cycle menstruel qui affecte les capacités de la femme à se repérer dans l’espace. »
[22] CHAMBON Philippe, février 1999, « Le cerveau a-t-il un sexe ? », Science & Vie, n°977, p.78-80 : « […], personne n’a jamais montré qu’un plus gros cerveau procure de plus grandes aptitudes, intellectuelles ou autres. Cependant, on sait depuis près de cinquante ans que, en moyenne, les hommes sont plus doués pour l’abstraction mathématique et l’orientation spatiale que les femmes. Lesquelles sont […] nettement meilleures dans les tâches langagières (communication, sémantique, orthographique et phonétique). Quelle est la part, dans ces inégalités, de la nature et de celle de l’éducation, de l’environnement culturel ? C’est impossible à déterminer. On remarque toutefois que certaines différences n’apparaissent qu’à la puberté, quand les hormones sexuelles inondent le corps tout entier, cerveau compris.»
[23] MESSADIE Gerald, janvier 1993, « L’homme est-il une femme ratée ? », Science & Vie, n°904, p.28-43. On peut également y lire ceci : « Les différences dans les performances intellectuelles de la femme et de l’homme ont souvent été étudiées. […] Les résultats des tests […] montrent dans leur ensemble que les femmes présentent de plus grandes aptitudes pour le langage et le calcul arithmétique que les hommes, et de moindres aptitudes de raisonnement mathématique et de perception spatiale. […] Certains travaux démontrent que ces différences semblent bien dépendre de facteurs hormonaux […] », et dans un autre paragraphe : « Il y a trente ans environ qu’on admet que les différences entre le cerveau masculin et le cerveau féminin s’expliquent par l’influence de la testostérone, qui accentuerait le développement de certaines régions cérébrales ».
[24] BY Hélène, 17 mars 2015, « Des clichés qui font mâle », La Parisienne (accédé sur leparisien.fr/laparisienne le 25/03/2015). Evoquant un certain nombre de clichés passés en revue lors de l’émission, pour le cliché « Les hommes sont meilleurs en orientation », elle répond « Plutôt vrai ».
[25] Cf FILLOD Odile, 2014, « Oxytocin as proximal cause of ‘maternal instinct’: weak science, post-feminism, and the hormones mystique », in S.Schmitz, G.Höppner (dir.), Gendered Neurocultures. Feminist and Queer Perspectives on Current Brain Discourses, Vienna: Zaglossus, p. 239-255.
[26] Cf BOUVET Jean-François, « On naît femme et on le devient », in Henry Lelièvre (dir. ), Les femmes, mais qu’est-ce qu’elles veulent ?, 2001, Editions Complexe, p.49-58. Extrait des pages 54 à 56 : « Comment sont générées ces différences, certes minimes mais bien réelles, entre cerveau d’homme et cerveau de femme ? L’influence hormonale semble déterminante. On sait depuis longtemps que les hormones sexuelles conditionnent le développement du cerveau, qu’elles lui impriment leur marque. […] Reste que les différences anatomiques générées par cette maturation hormonale du cerveau apparaissent minimes. Sont-elles suffisantes pour impliquer des différences fonctionnelles significatives entre cerveau de femme et cerveau d’homme ? » Suit la description des résultats « tout à fait surprenants » d’études censées montrer que lors de l’exécution de certaines tâches, les zones actives du cerveau « ne sont pas les mêmes chez la femme et chez l’homme », la seule étude citée étant Shaywitz et al. 1995, puis une nouvelle interrogation rhétorique : « Question cruciale, ces différences fonctionnelles entre cerveau de femme et cerveau d’homme se traduisent-elles par des différences d’aptitudes cognitives ? Différents travaux, tels ceux réalisés à l’université d’York par Marion Eals et Irwin Silverman, semblent indiquer que oui. En moyenne, et en moyenne seulement, les hommes sont meilleurs que les femmes dans les tests d’orientation spatiale. Ils arrivent bien à se représenter mentalement un objet tridimensionnel dans différentes positions. Ils prévoient plus facilement où seront placés des trous percés dans une feuille de papier repliée lorsqu’on l’aura dépliée et parviennent mieux à retrouver une forme simple dissimulée dans une figure complexe. Des plus, les hommes sont généralement meilleurs que les femmes dans la réalisation de tests de raisonnement mathématique. Toujours en moyenne, les femmes mémorisent mieux l’emplacement d’objets ; elles détectent plus facilement que les hommes si un objet a été déplacé et le replacent plus précisément dans sa position initiale. Les femmes réussissent également mieux que les hommes à identifier des figures identiques dans une série d’objets d’aspect similaire : elles ont une plus grande rapidité de perception. Elles bénéficient aussi d’une grande rapidité d’association, lorsqu’il s’agit par exemple d’énoncer le plus possible de mots commençant par la même lettre. Les femmes, enfin, s’avèrent être les meilleures dans les tests de calcul arithmétique. Il serait ridicule de nier, au nom d’on ne sait quel principe révélé, l’existence de telles différences. ». Dans ce passage, Jean-François Bouvet se base manifestement sur la version française de l’article développé par Doreen Kimura en 1992 dans le magazine de vulgarisation Scientific American (publié en novembre 1992 dans Pour la Science, version française de ce magazine) et sur l’article de Science & Vie de 1999 cité plus haut par moi (lui-même inspiré de cet article de 1992). On note en particulier que dans l’article de Science & Vie :
– c’est également uniquement l’article de Shaywitz et al. (1995) qui est invoqué pour dire que « lors d’exercices identiques de langage, selon le sexe, ce ne sont pas les mêmes zones cérébrales qui entrent en jeu », sans considération pour les études publiées ensuite ayant échoué à confirmer ces résultats préliminaires ;
– l’hypothèse explicative des différences cognitives observées entre hommes et femmes privilégiée est également celle de « la sexualisation du cerveau » par les hormones, notamment « à la puberté, lorsque les hormones sexuelles inondent le corps tout entier, cerveau inclus » ;
– on retrouve comme chez Jean-François Bouvet la reformulation impropre de ce que Kimura avait (correctement) décrit en 1992 comme étant des tests de fluence idéationnelle et de fluence verbale, devenus dans la traduction de Pour la Science des tests de « rapidité d’association » (VO : « On some tests of ideational fluency, for example, those in which subjects must list objects that are the same color, and on tests of verbal fluency, in which participants must list words that begin with the same letter, women also outperform men », VF : « Les femmes ont également de meilleurs résultats dans certains tests qui évaluent la rapidité d’association, tels ceux où l’on doit énoncer le maximum d’objets de la même couleur, ou de mots qui commencent par la même lettre ») ;
– on peut lire dans un encadré intitulé « A chacun sa spécialité », la mention « Mais il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une moyenne », dans une colonne « hommes » et une colonne « femmes » la liste de leurs spécialités respectives supposées formulée dans des termes très proches de ceux de la traduction de Kimura dans Pour la Science en 1992.
[27] Dans Le camion et la poupée, op. cit. (souligné en gras par moi) : «En moyenne, et en moyenne seulement, les femmes mémorisent mieux l’emplacement des objets ; elles détectent plus facilement que les hommes si un objet a été déplacé et le replacent plus précisément dans sa position initiale. Les femmes réussissent également mieux que les hommes à identifier rapidement des figures identiques dans une série d’objets d’aspect similaire : elles ont une rapidité supérieure de perception. Elles bénéficient aussi d’une grande rapidité d’association, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’énoncer le plus possible de mots commençant par la même lettre, ou de trouver des lettres de l’alphabet dont la prononciation comporte un é, tels b, c, d, g… (reconnaissance de motifs sonores). Elles ont également une meilleure coordination des gestes de précision, lorsqu’il s’agit, par exemple, de placer très vite des crayons dans les trous d’une planche. Enfin, les femmes se révèlent être meilleures que les hommes dans les tests de calcul arithmétique (opérations). Toujours en moyenne, les hommes, de leur côté, sont meilleurs que les femmes dans les tests d’orientation spatiale. Ils réussissent mieux à se représenter mentalement un objet tridimensionnel dans différentes positions. Ils prévoient plus facilement où seront placés des trous percés dans une feuille de papier repliée lorsqu’on l’aura dépliée et parviennent mieux à retrouver une forme simple dissimulée dans une figure complexe. Ils sont meilleurs dans la reconnaissance de formes géométriques, lorsqu’il s’agit, par exemple, de dénombrer des lettres capitales présentant une partie arrondie (B, P, Q, C…). Ils sont également plus performants dans le lancer précis d’objets, la visée d’une cible (fléchettes..). Enfin, les hommes réussissent mieux que les femmes les tests de raisonnement mathématique. Ainsi présentée, la liste des aptitudes respectives des hommes et des femmes fait évidemment l’effet d’un inventaire à la Prévert, rassemblant des facultés de statuts très différents… A priori, le fait d’être imbattable aux fléchettes est moins important pour réussir dans la vie que d’exceller en calcul ou en mathématiques. Toujours est-il qu’il serait ridicule de nier, au nom d’on ne sait quel principe, l’existence de différences statistiques entre les sexes ».
[28] « Les tests personnels d’Adriana et de Michel montrent qu’ils sont tous les deux très empathiques. Pour le reste, ils se trouvent dans la moyenne des résultats hommes-femmes connus par les scientifiques. Adriana a par exemple beaucoup réagi à la fois aux photos de son conjoint, et à la fois à celle de Michel. Michel, quant à lui, n’a fortement réagi qu’aux photos de son épouse. Cela s’explique par le fait que les femmes sont statistiquement plus sensibles, avec une sphère affective plus étendue que celle des hommes ».
[29] La voix off annonce au début de l’émission qu’ « Adriana et Michel vont tordre le cou aux idées reçues », plus tard qu’on va continuer à « passer les préjugés sur les hommes et les femmes au crible de la science », à un moment s’exclame « Et un préjugé de plus passé à la moulinette de la science ! », puis indique que « c’est peut-être l’heure de faire valser quelques idées reçues ». Quant à Michel Cymes, il fait mine de s’étonner que « finalement, il y a plein d’idées reçues » qui ne sont pas fondées, s’exclame qu’ « on est quand même tellement plein de stéréotypes concernant les différences hommes-femmes que ça finit par nous conditionner », et à la fin de l’émission il se félicite : « on a tordu le cou à certaines idées reçues, à des stéréotypes de différences, disons… en tout cas pas scientifiques qu’on trouvait entre les hommes et les femmes ».
[30] Cf par exemple BURRICAND Carine, GROBON Sébastien, mars 2015, « Quels stéréotypes sur le rôle des femmes et des hommes en 2014 ? », Etudes et résultats, n° 907, DREES (en ligne). Selon cette enquête réalisée fin 2014 en France sur un échantillon de personnes âgées de 18 ans ou plus, seules 12% et 16% des personnes interrogées pensent respectivement que les filles n’ont pas « autant l’esprit scientifique que les garçons » et que « les hommes ont un cerveau plus apte que celui des femmes au raisonnement mathématique » ; c’est déjà beaucoup, mais ça n’est pas un stéréotype particulièrement prégnant comparativement à l’idée que « les mères savent mieux répondre aux besoins et aux attentes des enfants que les pères » (49%), à celle que « certains sports conviennent mieux aux filles qu’aux garçons » (45%), à celle que les garçons sont naturellement plus turbulents et les filles plus sages (42%), ou encore à celle que les positions différentes entre les femmes et les hommes dans la vie privée et professionnelle s’expliquent « par des raisons biologiques » au moins autant que « par l’éducation » (41%) . Par ailleurs, 33% des personnes interrogées pensent que si filles et garçons ne s’orientent pas vers les mêmes métiers, c’est principalement parce qu’ils n’ont pas les mêmes goûts ou les mêmes ambitions (33%), seuls 4% pensant que c’est principalement parce qu’ils « n’ont pas les mêmes capacités », ce qui relativise également la portée de la déconstruction de l’idée que filles et garçons n’ont pas les mêmes aptitudes en sciences.
Si vous voulez un jour être invitée dans une émission de Cymes sur France 5 ou bien France 2, il va falloir être un peu moins critique dans la partie 2 !
À lire de toute urgence: “Mon corps a-t-il un sexe ?” aux Editions la Découverte et cet article dans Nature “Sex is redefined” (http://www.nature.com/news/sex-redefined-1.16943)
Il y a à prendre et à laisser dans tout ça… Et je dirais que c’est hors-sujet : pour une critique précise d’un certain nombre de points (mal) traités dans l’émission, il n’y a malheureusement pas grand chose à lire – c’est pour ça que je m’y colle.
Merci pour ce -comme toujours- brillant et précis exposé, Odile… Hâte de lire la suite !
Merci de vous y coller, je vous lis toujours avec le même intérêt!
Quel dommage qu’on fasse un meilleur score en annonçant des “différences” et en vendant des stéréotypes…
Je n’avais pas vu cette émission, mais visiblement je me suis épargné une sacrée migraine. Malheureusement grands médias et science ne font pas bon ménage, jamais.
Ici on parle quasiment de sorcellerie. Le “sixième” sens après l’accouchement, affirmé avec autant d’aplomb ? Le coup du corps plus chaud pour protéger le fœtus ? (Et alors, pendant que la femme n’est pas enceinte, il se passe quoi ? Elle gèle ?). Les vieilles rengaines sur la testostérone qui est, soit-disant, l’hormone de la “conquête”. Hé bien, j’espère que lorsqu’une fille me désire il ne va pas lui pousser une barbe !
Mention aux “critiques” (bon, j’admets que si télérama et consorts n’avaient pas racontés n’importe quoi j’aurais été déçu), et les parties “cervicales”. Là on ne fait même plus semblant de ne rien comprendre, c’est assumé !
J’ai mal à la science… Très mal à la science…
C’est effrayant. Enfin, on retrouve quelque chose assez à la mode : on “détruit” les stéréotypes, mais pas trop, mais surtout en essayant d’équilibrer les choses – oui la femme est nulle pour ça, mais regardez elle est forte ici – quitte à créer de nouvelles âneries. Je remarque aussi la présentation, la “meilleure” mémoire des femmes est là pour compenser leur “handicap” en représentation spatiale, ce n’est pas la “meilleure” orientation spatiale des hommes qui est là pour compenser leur “handicap” en mémoire. Bon, peut-être que je vois le mâle… le mal pardon, partout.
Pour finir, Odile, je vous ai trouvée un peu plus mordante que sur vos autres articles, j’imagine que cette émission a bien dû vous consterner. Et je comprends… Cette histoire mérite quelques coups de pied au cul.
Merci pour ce décryptage d’une émission que je n’ai pas vue mais le dont principe argumentatif ressemble tristement à celui que mobilisent nombre de défenseurs du patriarcat. J’y vois un bon outil pour rester vigilante dans nos discussions avec les personnes que l’on fréquente ou que l’on croise.
Ma principale crainte est que cette déconstruction demande à la fois de ne pas chercher à se réfugier dans les stéréotypes et de réfléchir avec rigueur, deux conditions dont le succès aurpès de nos contemporain⋅e⋅s est loin d’être acquis…
Quel esprit de synthèse ! Bravo. je passe à l’épisode suivant…
Cette analyse est intéressante.
La confusion entre cérébral et cervical est en effet savoureuse. Le cerveau des femmes serait situé dans le col de l’utérus? ^^
Il y a une petite erreur dans cette analyse, à mon avis. Dans le passage sur le corps calleux, ce n’est pas “au conditionnel”, mais au subjonctif (“ait”).
Vous avez raison. Je viens de corriger en supprimant “et si c’est au conditionnel”.
Les commentaires ici, ce n’est vraiment pas au point.
Je viens d’écrire un commentaire.
J’ai cliqué sur Publier.
La page se recharge, sans mon commentaire.
Succès? Erreur? Censure?
On ne sait rien.
C’est un mélange de censure et de bogue. Charmant. :-/
Comme indiqué dans la page “A propos”, ce blog est modéré :
– par Le Monde (obligatoire pour tout blog hébergé par le journal, qui “censure” parfois contre mon gré des commentaires jugés insultants ou potentiellement diffamatoires),
– par moi (c’est le choix que j’ai fait afin d’une part d’éviter de polluer le flux RSS des commentaires par le flot de pings et de commentaires postés par des robots pour générer des liens vers des sites commerciaux, et d’autre part afin de publier les réponses aux questions qui me sont posées en même temps que ces dernières).
Du fait de cette modération, les commentaires ne sont jamais publiés directement : il faut une intervention humaine pour les mettre en ligne, ce qui peut générer un délai de quelques heures voire un ou deux jours lorsque je ne suis pas connectée. Les seuls commentaires qu’il m’arrive de “censurer”, extrêmement rarement, sont ceux qui ne feraient qu’encombrer inutilement ce fil. Ainsi, je ne mettrai pas en ligne le nouveau commentaire que vous venez de poster insistant sur le fait que je censure ce blog.
J’apprécie de vous voir de retour avec ce nouvel article. Bon courage pour la suite de l’analyse
Excellent article ! Ça met l’eau à la bouche pour la partie 2, que je vais lire sur le champ.
Heureusement que je n’ai pas la TV, je crois que j’aurais fait une crise d’épilepsie devant tant d’inepties (rassurons-nous, je dis cela seulement pour la rime). Mais quand même, diffuser une émission pareille et la “vendre” comme une machine à démonter les stéréotypes de genre, c’est honteux ; on prend vraiment les téléspectateurs pour des benêts. Puisqu’il suffit de dire que “la science a dit” quelque chose pour nous faire gober n’importe quoi, France 2 ne se prive pas de faire faussement prendre du galon à son émission en se cachant sous “la Science”. Heureusement que des blogs comme le votre viennent à notre secours, pauvres téléspectateurs que nous sommes, perdus dans la masse indistincte des vraies et fausses certitudes télévisuelles. On préfèrerait bien entendu que la TV prenne le temps de préciser le degré de véracité de ses propos, mais ne soyons pas trop utopistes.