Suite du chapitre III (“Zooms sur quelques mythes savants indûment propagés”) : sur la différence de stature, sur les différences de masse, force et puissance musculaires, et sur la hauteur de la voix et la pomme d’Adam.
III.3. Sur la différence de stature
La différence de stature entre hommes et femmes est présentée par la voix off en ces termes : « Durant l’enfance, les dimensions et la composition du corps varient peu d’un sexe à l’autre. C’est à la puberté que les différences démarrent vraiment. Cette période commence vers onze ans chez les filles, et vers douze chez les garçons. Elle dure quatre ans pendant lesquels les hormones vont jouer un rôle considérable. […] Stimulés par le cerveau, les ovaires sécrètent surtout des œstrogènes tandis que les testicules produisent surtout de la testostérone. […] en raison des hormones, à la puberté les garçons grandissent plus vite que les filles. C’est pourquoi en France, les femmes mesurent en moyenne 1m65, contre 1m77 pour les hommes ».
Il est vrai que quel que soit le bassin de population considéré, les hommes y sont en moyenne plus grands que les femmes, d’environ 12 cm actuellement en France par exemple. Mais est-ce vraiment parce qu’au moment de la puberté, pendant quatre ans, les garçons grandissent plus vite que les filles ? Comme on va le voir, la question est moins anodine qu’il n’y paraît.
De la naissance jusqu’aux abords de la puberté, la vitesse de croissance ne cesse de ralentir, suivant le même patron quel que soit le sexe (malgré un gros pic du taux de testostérone pendant les premières semaines de la vie des garçons, soit dit en passant). Elle connaît ensuite un sursaut au moment de la puberté avant de reprendre sa chute inexorable. Le pic de croissance pubertaire (un pic relatif, car la vitesse de croissance est bien plus élevée pendant les deux premières années de la vie) survient très peu de temps après les premiers signes de puberté chez les filles, soit vers 11 ans en moyenne, versus environ un an après ces signes chez les garçons, soit vers 13 ans en moyenne. Il existe bien un pic de croissance durant la puberté, et ce pic est bien en moyenne plus marqué chez les garçons que chez les filles, mais l’amplitude du pic et celle de cette différence sont relativement modestes.
On peut s’en faire une première idée en observant les courbes ci-dessous, construites à partir des nouvelles données de référence sur la croissance entre les âges de cinq ans et dix-neuf ans publiées en 2007 par l’OMS, apparemment comparables aux dernières données françaises pour ce qui concerne la stature sur cette tranche d’âge [49].
Si on prend les données médianes de cette référence, on peut constater que durant les quatre ans qui encadrent le pic de croissance pubertaire, i.e. ici entre 9.0 et 13.0 ans côté filles et entre 11.17 et 15.17 ans côté garçons, les premières gagnent en moyenne 23.9 cm et les second 25.7 cm, soit une différence de moins de 2 cm. La différence de stature quasi-définitive, à savoir 13.4 cm pour l’enfant médian à dix-neuf ans (le garçon mesure alors 176.54 cm et la fille 163.15 cm), n’est donc pas explicable par cette petite différence de vitesse de croissance à la puberté. On note également qu’après le pic pubertaire, la croissance ne ralentit pas plus rapidement côté filles, ce qui aurait éventuellement pu être un élément d’explication. En revanche, le simple fait que le regain pubertaire de croissance des garçons, et par conséquent le début de l’achèvement de la croissance, soit retardé d’environ deux ans par rapport aux filles explique ici à lui seul environ 11.5 cm de différence [50].
En d’autres termes, la différence moyenne de stature est essentiellement causée par le démarrage plus tardif de la croissance pubertaire chez les garçons que chez les filles, c’est-à-dire par le fait qu’ils ont en moyenne environ deux ans de plus de croissance derrière eux au moment où celle-ci va, comme chez les filles, brièvement accélérer avant d’entamer sa chute finale.
La différence de stature entre hommes et femmes est donc très (très) loin d’être entièrement causée par la croissance plus rapide des premiers durant la puberté, comme c’est pourtant affirmé dans l’émission. En outre, celle-ci ne met la différence de stature qu’en relation avec le fait que les garçons produisent surtout de la testostérone et les filles surtout des œstrogènes, ce qui n’est pas non plus pertinent.
On remarque que si ce mythe savant, bien que présenté dans l’émission comme un fait établi, est clairement démenti par la réalité, il est en revanche parfaitement conforme à deux représentations très communes. La première est celle de la puberté vue comme « déferlement hormonal » ayant pour effet de véritablement bouleverser le fonctionnement et la structure de tout le corps (ici la croissance osseuse, ailleurs les muscles ou le cerveau – j’y reviendrai). La seconde est celle de la testostérone vue comme une sorte de potion magique, cette hormone dite masculine étant en particulier vue comme plus « puissante » que les « hormones de la femme » que seraient les œstrogènes (cf III.1).
III.4. Sur les différences de masse, force et puissance musculaires
« [P]renons Usain Bolt, l’homme le plus rapide du monde. Il court le 100 mètres en 9 secondes 58. C’est une seconde de mieux que la femme la plus rapide du monde. Et c’est la même chose dans les autres sports. Les performances des hommes dépassent en moyenne de 15% celles des femmes. Pourquoi les hommes sont-ils systématiquement plus forts et plus rapides ? Est-ce dû à des différences biologiques ? Et à force d’entraînement, les filles peuvent-elles égaler, voir dépasser les performances des garçons ? » La voix off qui formule ces questions y apporte des éléments de réponse dans deux séquences.
Dans celle sur la puberté d’abord, elle explique ceci : « Les différences physiques entre hommes et femmes sont principalement dues aux hormones sexuelles. Stimulés par le cerveau, les ovaires sécrètent surtout des œstrogènes tandis que les testicules produisent surtout de la testostérone. Conséquence : chez les garçons les muscles se développent, particulièrement dans le haut du corps ; chez les filles, la graisse est stockée au niveau des hanches et de la poitrine ».
Elle complète cette explication lors d’une séquence comparant une femme et un homme tous deux champions de France de beach volley : « si notre volleyeuse était aussi grande et aussi lourde que lui, Jean-Baptiste resterait quand même le plus fort, à cause des hormones qui nous font nous développer différemment : plus de muscles pour les hommes, plus de masse grasse pour les femmes. Autre paramètre : chacun des muscles d’homme développe plus de force que les muscles de femme. En fait, la répartition des muscles est la même entre les hommes et les femmes, mais les muscles ne sont pas composés de la même manière : les hommes ont plus de fibres musculaires rapides. Ce sont elles qui produisent le plus de force. Elles permettent les exercices courts et de forte intensité. Les femmes, en revanche, ont un peu plus de fibres lentes. Elles servent pour les activités plus longues et de faible intensité, comme la marche et le maintien d’une posture. Pour gagner en puissance, hommes et femmes ont donc tout intérêt à adapter leur entraînement. […] Les femmes ont donc plutôt intérêt à faire des sports d’endurance, comme les courses de fond ou de la natation, alors que les hommes travailleront mieux leurs muscles avec des sports plus explosifs comme le sprint ou le rugby ».
Pendant qu’est expliquée la différence concernant les fibres musculaires, on voit apparaître à l’écran d’abord l’image présumée de « muscle d’homme », qui vient ensuite se placer à gauche dans la capture d’écran ci-dessous, mise en regard du présumé « muscle de femme ». Sur la base du nombre de fibres de chaque type représentées, cette image donne l’impression qu’il y a un peu moins de 10% de fibres lentes dans le « muscle d’homme » contre plus de 80% dans le « muscle de femme ».
Des propos et explications pour le moins… discutables
Presque tout ce qu’on vient d’ « apprendre » est au minimum sujet à caution, telle l’idée que la testostérone agit plus particulièrement sur les muscles situés dans le haut du corps, et le plus souvent erroné ou complètement faux, à commencer par l’idée qu’une femme est nécessairement moins forte qu’un homme de même stature et de même poids. N’importe quel homme d’au moins 75 kg convenablement briefé sur la technique de l’épaulé-jeté serait-il donc capable au débotté de soulever plus de 164 kg, le record établi par une femme en 2014 chez les moins de 75 kg ? Une femme peut parfaitement avoir moins de masse grasse, plus de masse musculaire et des muscles plus puissants qu’un homme de mêmes poids et taille, notamment si leurs activités physiques ou leur pratiques alimentaires respectives diffèrent. De plus, l’idée selon laquelle « chacun des muscles d’homme développe plus de force que les muscles de femme » est également fausse : un muscle d’homme peut parfaitement être moins puissant qu’un muscle de femme, et ce même à masses musculaires égales.
Je m’explique mal comment les auteur-e-s de l’émission en sont arrivé-e-s à écrire ce texte tout en recommandant « pour en savoir plus » la lecture d’un manuel de physiologie du sport qui le contredit. On peut en effet y lire qu’à poids totaux égaux, les femmes sont en moyenne « 5% à 15% moins fortes que les hommes », mais d’une part que « [c]ertaines femmes de taille moyenne sont malgré tout capables de développer des forces considérables, bien supérieures à celle d’un homme de stature moyenne », et d’autre part que « si on rapporte la force développée à une même masse musculaire, on ne note pas de différence entre les deux sexes » [51].
Concernant la différence relative aux types de fibres musculaires dans les muscles squelettiques, les données scientifiques existantes contredisent chacune des théories suivantes :
– chez les hommes (que ce soit en moyenne ou chez tout homme), tout muscle contiendrait plus de fibres rapides que de fibres lentes, voire de l’ordre de 90% de fibres selon l’image montrée,
– chez les femmes (que ce soit en moyenne ou chez toute femme), tout muscle contiendrait plus de fibres lentes que de fibres rapides, voire de l’ordre de 80% de fibres lentes selon l’image montrée,
– tout muscle contiendrait plus de fibres rapides chez les hommes que chez les femmes (en moyenne ou chez n’importe quel homme comparé à n’importe quelle femme),
– tout muscle contiendrait plus de fibres lentes chez la moyenne des femmes que chez la moyenne des hommes, ou chez toute femme que chez tout homme,
– la force et/ou puissance en moyenne supérieure des hommes découlerait, hormis d’une masse musculaire plus importante, d’un plus grand nombre de fibres rapides dans leurs muscles.
Deux grandes différences ont bien été observées, mais elles sont plus subtiles : d’une part, à poids du corps égal, la force des hommes est supérieure mais seulement en moyenne et dans le haut du corps ; d’autre part, les fibres rapides occupent une surface relative plus grande chez les hommes, mais en moyenne seulement. De plus, on peut raisonnablement penser que la première différence ne découle pas entièrement de la différence biologique entre les sexes, et rien ne permet de penser que la seconde en découle principalement, voire même simplement en partie, contrairement à ce qui est suggéré par l’invocation des hormones dans la séquence citée et à l’annonce en début d’émission que les « véritables différences » présentées « découlent » de la différence génétique entre les sexes.
Voyons un peu plus précisément ce qu’on peut dire à ces sujets, d’après ce que j’ai trouvé dans Kenney et al. 2015, la dernière édition du manuel de physiologie du sport cité en référence sur le site de l’émission [52], ainsi que via une modeste recherche bibliographique. C’est important pour comprendre comment l’emprise des stéréotypes de genre a abouti non seulement à présenter une fois de plus une image fantaisiste des différences entre hommes et femmes, mais aussi à conseiller de manière profondément infondée des activités sportives différentes censément adaptées à chaque sexe.
Des muscles plus gros et plus forts uniquement à cause de la différence hormonale ?
Concernant la première grande différence évoquée ci-dessus, il est bien établi que la testostérone stimule la synthèse de protéines, et ce notamment dans les muscles : c’est ce qui lui vaut d’être qualifiée de stéroïde « anabolisant ». La synthèse accrue de protéines dans les fibres musculaires conduit à une augmentation de leur diamètre, et le tout se traduit au final par une augmentation du volume et de la force des muscles. Ce phénomène bien connu dans le monde du culturisme et du sport est parfaitement à même d’expliquer qu’à partir de la puberté, toutes choses égales par ailleurs, la masse et la force des muscles se développent davantage chez un garçon que chez une fille sous l’effet de la testostérone qu’il se met alors à produire en bien plus grande quantité.
Cependant, les mécanismes exacts de cette action anabolisante de la testostérone restent mal compris, et les rôles respectifs des androgènes et des œstrogènes dans le développement des muscles ne sont pas clarifiés [53]. En particulier, le rôle (qui paraît indubitable) de la différence moyenne de niveaux de testostérone endogène entre hommes et femmes dans l’établissement de la différence normale, toutes choses égales par ailleurs, de volume et de force musculaires n’est pas cerné précisément [54].
De plus, on n’est manifestement pas dans une situation de type « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire dans laquelle tous les autres facteurs susceptibles d’expliquer les différences de masse et de force musculaires observables en population générale sont au même niveau pour les deux sexes. Je ne parierais pas, par exemple, sur l’absence de différence entre les sexes dans la prise de stéroïdes anabolisants afin de gonfler ses muscles ou ses performances sportives, ou encore dans la consommation de protéines en qualité et quantité toujours suffisantes pour assurer soit le maintien des muscles, soit leur hypertrophie maximale en cas de stimulation par l’entraînement. Quant à ce dernier facteur, des inégalités d’activité physique sont bien documentées : en moyenne les femmes font moins de sport que les hommes, la pratique sportive moyenne des filles diminuant notablement quand elles « deviennent des femmes ». On pourrait toujours objecter que les différences de pratiques correspondant à ces facteurs résultent peut-être entièrement de différences naturelles de préférences, mais une telle théorie serait bien difficile à défendre.
Un autre facteur important est le type de pratique physique, car si l’entraînement de force ou en résistance (typiquement effectué en soulevant des poids) stimule nettement la synthèse de protéines, conduisant à une hypertrophie des fibres musculaires ou à une limitation de leur atrophie avec l’âge, ça n’est pas le cas de l’entraînement en endurance (typiquement effectué en pratiquant… un sport d’endurance). Or si le premier type d’activité est bien plus répandu et culturellement favorisé chez les hommes que chez les femmes (surtout lorsqu’il développe les muscles du haut du corps de manière visible…), le second est jugé dans nos sociétés mieux convenir aux femmes, ce que l’émission ne manque d’ailleurs pas d’asséner. Il semble par ailleurs que l’entraînement en vitesse, particulièrement lorsque les contractions musculaires effectuées sont excentriques (associées à un étirement du muscle), provoque une plus grande hypertrophie que l’entraînement en lenteur. Or les sports « explosifs » sont justement ceux que l’émission recommande aux hommes et non aux femmes, encore une fois par ce qu’ils seraient censés mieux leur convenir. Par ailleurs, l’hypertrophie d’un muscle peut être causée soit par l’hypertrophie des fibres qui le composent, soit par l’augmentation du nombre de fibres. D’après Kenney et al. 2015, ce phénomène a par exemple été observé dans les biceps de certains sujets soumis à un entraînement en résistance intensif : il semble que soumettre les fibres musculaires à des efforts particulièrement intenses peut les faire se scinder en deux, chaque moitié devenant une fibre fonctionnelle pouvant atteindre la taille de la fibre initiale. Par conséquent, le potentiel d’hypertrophie musculaire pourrait être davantage augmenté chez les hommes dans la mesure où ils s’exposent davantage à des efforts très intenses. Enfin, il faut savoir que la force maximale développée par un muscle ne dépend pas que de sa taille, mais aussi du fonctionnement des motoneurones qui pilotent sa contraction, or l’entraînement peut largement modifier celui-ci de telle sorte que le muscle développe davantage de force même à masse égale. Ainsi, il a été montré que pendant les huit premières semaines au moins d’un entraînement en résistance, les gains de force (qui peuvent être considérables) sont obtenus principalement grâce à cette modification, et non grâce à l’hypertrophie musculaire.
Je terminerai ce point avec quelques commentaires sur les records du monde d’haltérophilie, dont la différence entre les sexes est utilisée dans le manuel de Kenney et collègues pour illustrer l’écart de force maximale typique ente hommes et femmes. Le manuel ne montre pas l’évolution dans le temps de ces records, la 5ème édition (celle qui est recommandée sur le site de l’émission) ne tient pas compte des records récents, et dans la 6ème édition le diagramme mis à jour est faux (les données « hors-catégorie » ont été intégrées inadéquatement, bien que censées être exclues selon la légende du diagramme). Le diagramme ci-dessous montre ces records par poids et par sexe à l’épaulé-jeté, ainsi que leur évolution récente.
A fin 1992, les femmes ne participaient à des compétitions internationales d’haltérophile que depuis quatre ans alors que les championnats du monde masculins existaient depuis plus de cent ans. On remarque que vingt ans plus tard, les records féminins pour la période 1998-2014 (pour cinq sur sept d’entre eux établis en 2014) étaient supérieurs d’environ 16 % à ceux établis avant 1993, alors que les records masculins avaient au contraire légèrement régressé. Je ne sais pas si cette baisse sur 1998-2014 est attribuable aux contrôles anti-dopage plus stricts ou à la trop courte période n’ayant pas permis de voir émerger des individus aussi exceptionnels que durant la période précédente, mais quoi qu’il en soit ces données semblent indiquer que les performances masculines ont atteint un plafond. Quant aux performances féminines, il n’est guère possible de savoir si elles vont continuer à progresser et le cas échéant jusqu’où, mais le fait est que l’écart avec les hommes s’est substantiellement resserré en une vingtaine d’années, soulignant le poids des facteurs sociaux dans le niveau des records de ce type.
Il est probable que l’écart actuel entre records masculins et féminins dans ce sport nécessitant à la fois une grande force et une grande explosivité, mais aussi dans d’autres sports qui reposent sur d’autres qualités musculaires telles que l’endurance, ne reflète pas uniquement une différence naturelle. En effet, garçons et filles, hommes et femmes ne subissent pas les mêmes pressions culturelles et sociales à (ne pas) être (trop) musclé(e) et à (ne pas) s’investir dans la compétition sportive. Et c’est sans compter que les contrôles de « féminité » imposés par les instances de régulation de ces compétitions empêchent de longue date les femmes naturellement dotées d’une physiologie trop avantageuse d’y participer, aucune restriction n’étant en revanche imposée aux hommes [55]…
Des fibres principalement rapides chez les hommes et lentes chez les femmes ?
Concernant la différence entre les sexes dans la proportion de fibres musculaires rapides vs lentes, commençons par revenir sur la caractérisation de ces types. Chez les mammifères adultes, les fibres des muscles squelettiques sont composées principalement de quatre sortes de protéines, MyHC-I, MyHC-IIa, MyHC-IIx et MyHC-IIb, de vitesse contractile croissant selon cet ordre. Bien qu’il ne soit pas rare qu’une fibre contienne plusieurs sortes de ces protéines, l’une d’elle prédomine en général. De ce fait, bien que les fibres se répartissent en réalité selon un continuum, on peut les classer en quatre grands types : I, IIa, IIx et IIb, par vitesse de contraction croissante. Chez l’être humain, la protéine MyHC-IIb étant absente, on distingue les trois grands types I, IIa et IIx (ce dernier restant de manière confusante souvent appelé IIb selon la notation qui prévalait jusque dans les années 1990). La classification binaire utilisée dans l’émission, différenciant ce qu’on appelle communément « fibres lentes » et « fibres rapides », correspond à la dichotomie type I/type II. Ce qui est dit sur l’utilisation de ces deux types de fibres est correct bien que schématique, et je n’y reviens donc pas.
Leur représentation en images de synthèse, pour commencer, est en revanche erronée. En effet, pour produire de l’énergie, les fibres lentes utilisent surtout le métabolisme aérobie, c’est-à-dire l’oxydation d’un substrat énergétique (glucose, acides gras ou à défaut acides aminés), ce qui nécessite un apport d’oxygène. Celui-ci est assuré dans les fibres musculaires par la myoglobine, jouant le même rôle que l’hémoglobine dans le sang et comme elle rouge. Riches en myoglobine, les fibres lentes sont donc rouges. Les fibres rapides utilisent quant à elles surtout la glycolyse anaérobie, une dégradation du glucose qui n’utilise pas d’oxygène. De ce fait, elles sont pauvres en myoglobine, d’où une couleur rose pâle ou blanche. C’est la dominance de tel ou tel type de fibre selon l’espèce et le muscle dont provient une viande qui fait qu’elle est plus ou moins rouge ou blanche. On remarque que ces couleurs (ou les sexes) ont été inversées dans les images de synthèse censées représenter les muscles « d’homme » et « de femme ». Peut-être a-t-il paru plus logique aux concepteur/ices des illustrations d’associer aux hommes la couleur de la viande rouge et aux femmes le rose pâle : les biais induits par les stéréotypes de genre se nichent parfois dans des recoins inattendus…
Si on compte le nombre relatif de fibres de chaque type dans les muscles, on s’aperçoit qu’il varie considérablement non seulement selon les muscles mais aussi selon les personnes, y compris entre deux personnes de même sexe. Ainsi, le muscle soléaire, un muscle postural situé dans le mollet, est normalement constitué chez tout le monde de plus de fibres lentes que de fibres rapides, quel que soit le sexe. A l’inverse, le triceps du bras est constitué chez la plupart des gens de moins de fibres lentes que de fibres rapides. La variabilité interindividuelle intra-sexe est quant à elle bien mise en évidence, par exemple, dans une étude de la composition du muscle vaste latéral (une partie du quadriceps fémoral situé dans la partie antéro-externe de la cuisse) chez 55 femmes et 95 hommes résidant en Ohio dans les années 1990, âgés d’environ 21 ans, tous actifs mais n’ayant pas pratiqué un sport de manière régulière depuis au moins un semestre (Staron et al. 2000 [56]). Bien que ce petit échantillon ne puisse clairement pas recouvrir l’ensemble de la variabilité humaine, le pourcentage de fibres de type I s’y étendait déjà de 16.5% à 97.4% dans le groupe de femmes et de 17.6% à 65.6% dans le groupe d’hommes, et la largeur de ces plages de valeurs n’était pas juste due à quatre individus extrêmes (12% des sujets de l’échantillon étaient en dehors de la plage 25% – 60%). La moyenne des hommes s’établissait à environ 40% de fibres lentes et celle des femmes à environ 44%, et cette différence n’était pas statistiquement significative. L’étude des différences entre hommes et femmes en nombre proportionnel de fibres de chaque type est lacunaire, mais les données disponibles indiquent que ce nombre ne dépend pas significativement du sexe. En bref, l’image de synthèse montrée dans l’émission est complètement fantaisiste.
En fait, si on veut caractériser les propriétés contractiles d’un muscle à un instant t, il est moins pertinent de compter les fibres de chaque type que d’estimer le pourcentage de la surface de section du muscle occupé par chaque type de fibre [57]. En effet, un faisceau de dix fibres d’une surface de section donnée aura en gros les mêmes propriétés contractiles qu’un faisceau de cinq fibres du même type ayant le double de surface de section. Comme le pourcentage en nombre, ce pourcentage en surface varie considérablement selon les personnes y compris de même sexe et selon les muscles.
Une revue de la littérature sur la différence entre les sexes dans la composition des muscles squelettiques a été publiée début 2015 par Haizlip et collègues, dans laquelle est également adressée la question de savoir « comment ces différences pourraient être hormonalement régulées » [58]. Pour cette question précise, elle ne cite malheureusement qu’une seule étude comparant les deux sexes chez l’être humain, celle de Staron et al. 2000 mentionnée ci-dessus. Dans cette étude portant sur le muscle vaste latéral, le pourcentage en surface de fibres de type I s’établissait en moyenne à 36.2% dans le groupe d’hommes et à 44.0% dans le groupe de femmes, et cette différence moyenne était statistiquement significative. On notera toutefois que dans ce muscle au moins, on ne peut donc pas dire que « les femmes » ont « en revanche », i.e. au contraire des hommes, « un peu plus de fibres lentes » que de fibres rapides. On ne peut donc pas dire non plus qu’elles ont « intérêt » à faire de la course à pied plutôt qu’un sport explosif pour travailler ce muscle de la cuisse, puisque dans cet échantillon au moins il contenait chez elles comme chez les hommes davantage de fibres rapides que de fibres lentes.
Une revue des études sur les différences entre les sexes dans la fatigabilité musculaire publiée en 2014 [59] recense quant à elle en passant treize résultats de comparaison, issus de douze articles publiés entre 1985 et 2012. Onze concernent le muscle vaste latéral (souvent pris pour objet d’étude car il est aisé d’en faire une biopsie, nécessaire pour estimer la composition d’un muscle), un le biceps du bras et un le muscle antérieur du tibia. La moyenne de ces treize résultats très hétérogènes, ignorant de nombreux muscles et obtenus sur des échantillons de petite taille non représentatifs de la population humaine en général ne permet pas de donner une estimation fiable du pourcentage de surface musculaire totale occupée par les fibres lentes chez les hommes et chez les femmes. Toutefois, cette mini méta-analyse indique clairement que dans les populations occidentales étudiées tout au moins, le pourcentage en surface de fibres lentes dans les muscles des bras et jambes est en moyenne plus grand chez les femmes que chez les hommes, et il paraît raisonnable d’estimer que la différence entre ces deux pourcentages moyens est de l’ordre de 10 points. Même si l’image de synthèse montrée dans l’émission avait représenté la différence en surface et non en nombre de fibres et même s’il avait été précisé qu’elle ne concernait que certains muscles, elle serait donc toujours trompeuse, très loin de fournir une illustration correcte de l’ampleur de l’écart moyen observé entre hommes et femmes.
Une différence essentiellement naturelle, voire créée par les hormones à partir de la puberté ?
Si les muscles d’hommes ne semblent pas contenir une proportion en nombre de fibres rapides significativement plus grande que les muscles de femmes, dans certains muscles au moins la taille moyenne de leurs fibres lentes semble être un peu plus grosse que celle des femmes et celle de leurs fibres rapides nettement plus grosse : c’est ce qui aboutit à ce que la part des fibres rapides, en proportion de la surface de section des muscles concernés, soit plus grande. D’où vient que la différence moyenne de taille des fibres soit plus grande pour les fibres rapides ?
S’il est établi que la testostérone favorise l’hypertrophie des fibres musculaires, il ne l’est pas du tout qu’elle favorise davantage le développement des fibres rapides que celui des fibres lentes. Les données disponibles sur les souris sont loin de soutenir cette hypothèse, et il ne semble pas y avoir de données en ce sens disponibles chez l’être humain [60]. De même, aucun effet éventuel des œstrogènes susceptible de favoriser le développement des fibres lentes plus que celui des fibres rapides n’est avéré, et rien n’indique non plus que les œstrogènes freinent le développement des fibres rapides. Plus largement, je n’ai trouvé ni dans la littérature scientifique, ni dans le manuel cité plus haut d’explication de cette différence entre les sexes par une différence physiologique naturelle. Diverses données suggèrent en revanche l’existence d’un déterminisme non naturel au moins partiel.
C’est le cas notamment de celles produites par une étude longitudinale suédoise menée sur le muscle vaste latéral de 55 garçons et 26 filles âgés de 16 ans en 1974, puis revus lorsqu’ils avaient 27 ans [61]. A 16 ans, la différence était déjà visible dans le sens attendu : les fibres lentes des garçons étaient déjà 5% plus grosses que celles des filles, mais les fibres rapides des deux principaux types étaient respectivement 19% et 32% plus grosses (les filles n’avaient en revanche pas plus de fibres lentes, les auteurs dénombrant à cet âge au contraire en moyenne 51% de fibres lentes chez elles contre 55% chez les garçons [62]. A 27 ans, les fibres lentes des garçons étaient désormais 19% plus grosses que celles des filles, et les deux types de rapides 39% et 59% plus grosses. Cependant, si on regarde les données des auteurs en valeur absolue, on s’aperçoit que cette augmentation n’était en rien due au fait que les fibres des garçons auraient continué à grossir entre 16 et 27 ans : quel que soit leur type, leur taille n’avait en moyenne quasiment pas changé (ce qui n’avait pas empêché leurs performances à des tests de force d’augmenter significativement). L’accroissement de la différence entre les sexes était presque intégralement due au fait que la taille moyenne des fibres musculaires avait diminué chez les filles (de manière cohérente, leurs performances à des tests de force avait légèrement diminué, et ce bien qu’elles aient en moyenne grandi d’un centimètre). De plus, cette atrophie était un peu plus marquée dans leurs fibres rapides : alors que celles-ci étaient devenues en moyenne 15% plus petites à 27 ans qu’à 16 ans, leurs fibres lentes ne s’étaient atrophiées « que » de 11% en moyenne.
Serait-ce que les filles/femmes auraient non seulement moins d’activités physiques susceptibles de stimuler la synthèse de protéines musculaires en général, mais surtout moins de celles susceptibles de stimuler la synthèse des protéines de fibres rapides ? Se peut-il que durant l’enfance, puis plus nettement à partir de la puberté, le fait qu’elles s’orientent plus que les garçons/hommes vers des pratiques physiques conformes à leur genre (ne pas faire trop de sport, éviter les sports de force et privilégier ceux d’endurance, choisir un métier pas trop « physique », demander de l’aide quand il faut soulever une lourde charge,…) ait pour conséquences un développement moindre de leur fibres rapides durant leurs années de croissance musculaire et une régression accrue de celles-ci ensuite ?
Cette hypothèse est en tout cas compatible avec les données de cette étude. En effet, le niveau moyen d’activité physique des filles y était inférieur à celui des garçons à 16 ans comme à 27 ans, et entre ces deux âges la part consacrée à des activités d’endurance avait augmenté chez les filles [63]. Or outre que l’entraînement en endurance est peu à même de stimuler le développement de la masse musculaire, des études ont montré qu’il pouvait causer une diminution du pourcentage de fibres rapides (de l’ordre de 5 points) au bénéfice des fibres lentes. De plus, l’entraînement de force stimule quant à lui davantage l’hypertrophie des fibres rapides que celle des fibres lentes. Dans Staron et al.1991 cité par le manuel, les chercheurs ont ainsi observé qu’à l’issue de vingt semaines d’entraînement en résistance, six femmes initialement non entraînées qui n’arrivaient à déplacer au maximum qu’en moyenne environ 120 kg sur une presse à cuisses étaient devenues capables de déplacer jusqu’à près de 300 kg en moyenne, et leurs fibres de type IIa initialement nettement plus petites que celles de type I étaient devenues plus grosses que ces dernières, bien qu’elles aient également grossi [64]. Selon les auteurs du manuel, d’autres études ont montré qu’on pouvait aussi transformer des fibres de type I en fibres de type IIa par une combinaison d’entraînement en résistance intense et de brèves sessions d’entraînement en vitesse (cela ne ressemble-t-il pas un peu à ce que doit subir un rugbyman ?).
En conclusion, revenons sur l’affirmation à caractère prescriptif faite dans l’émission : « Pour gagner en puissance, hommes et femmes ont donc tout intérêt à adapter leur entraînement. […] Les femmes ont donc plutôt intérêt à faire des sports d’endurance, comme les courses de fond ou de la natation, alors que les hommes travailleront mieux leurs muscles avec des sports plus explosifs comme le sprint ou le rugby ». Qu’on se le dise : pour gagner en puissance, les femmes ont définitivement intérêt à ne pas se contenter de pratiquer des sports d’endurance. Plutôt que d’inventer des justifications scientifiques, il aurait été plus simple d’exprimer ce qui au fond, quoi qu’inconsciemment sans doute, sous-tend ce discours, à savoir : les femmes ont plutôt intérêt à pratiquer les sports qui ne risquent pas de leur donner des caractéristiques musculaires les faisant paraître “trop masculines”, alors que les hommes ont tout intérêt à pratiquer ceux qui leurs permettront d’incarner un certain idéal de masculinité.
III.5. Sur la hauteur de la voix et la pomme d’Adam
Voici ce que la voix off explique sur la différence de hauteur de la voix et sur la pomme d’Adam : « Les voix des petits garçons et celles des petites filles sont très proches. Et c’est normal puisqu’à cet âge-là, leurs cordes vocales sont identiques. C’est seulement à partir de la puberté, au moment de la mue, que tout change. Chez l’adolescent, sous l’effet de la testostérone, le larynx descend dans la trachée. Le cartilage thyroïde qui le protège devient saillant : c’est la pomme d’Adam. En revanche, chez l’adolescente, le larynx descend moins bas, et le cartilage reste plat. En même temps, chez le garçon le larynx grossit, les cordes vocales s’allongent et s’épaississent, alors que chez la fille, le larynx et les cordes vocales grandissent moins. Chez les femmes adultes, les cordes vocales mesurent donc en moyenne 17 mm de long, contre 24 mm chez les hommes. Plus les cordes vocales sont courtes, plus les sons émis sont aigus.»
Au moment où le cartilage tyroïde est évoqué, l’image ci-dessous est montrée :
Une fois de plus, ces explications et ces images sont significativement incorrectes. Commençons par quelques rappels sur les déterminants de la hauteur de la voix et sur l’anatomie du larynx.
La voix est d’autant plus aigüe que la fréquence de vibration des cordes vocales est élevée. Cette fréquence dépend de la tension exercée sur les cordes vocales, de leur longueur et de leur masse par unité de longueur (qui dépend surtout de leur épaisseur). Toutes choses égales par ailleurs, une voix est d’autant plus basse que le muscle vocal est relâché et que les cordes vocales sont longues ou épaisses.
Les cordes vocales sont tendues perpendiculairement à l’axe de la trachée au niveau du larynx, fixées à l’avant au niveau de l’angle du cartilage thyroïde et à l’arrière sur une autre structure du tube laryngé. Leur longueur dépend donc de l’écartement de ces points de fixation. Le cartilage thyroïde, dont la partie antérieure forme la proéminence laryngée plus communément appelée « pomme d’Adam », a la forme d’un livre ouvert en direction de l’arrière du tube laryngé. Plus ce cartilage est gros et plus l’angle formé par les deux lames le constituant est fermé, plus la bosse tend à être saillante et les cordes vocales à être longues. Or à partir de la puberté, chez les hommes ce cartilage croît en moyenne davantage et cet angle devient en moyenne plus fermé que chez les femmes. Ils ont par conséquent en moyenne d’une part une proéminence laryngée plus saillante, et d’autre part des cordes vocales plus longues.
C’est cette différence de longueur, à laquelle vient s’ajouter l’épaississement également accru des cordes vocales, qui explique leur voix généralement plus grave. Contrairement à ce qui est suggéré dans l’émission, le fait que le larynx des hommes soit en moyenne positionné plus bas dans la trachée que celui des femmes n’entre pas dans l’explication de la différence de hauteur de la voix. De plus, le larynx descend dans la trachée au fil de la croissance des filles comme des garçons, de manière la plus spectaculaire durant la petite enfance (chez les nourrissons il est placé très haut), et je n’ai trouvé aucune donnée susceptible d’accréditer l’idée qu’il descendrait davantage chez les garçons sous l’effet de la testostérone durant l’adolescence.
Concernant l’angle formé par le cartilage thyroïde, il est d’usage chez les spécialistes de donner comme valeurs moyennes 120 degrés pour les femmes et 90 degrés pour les hommes, ces valeurs étant curieusement parfois inversées dans la vulgarisation. Il faut cependant savoir que ces valeurs moyennes ne correspondent pas à ce qui ressort de la littérature scientifique actuelle, qu’elles ne rendent pas compte de la très grande diversité observable entre personnes de même sexe et entre populations, et que l’écart moyen entre hommes et femmes est manifestement souvent plutôt de l’ordre de 15 degrés que de 30 degrés [65]. Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qui est affirmé, le cartilage thyroïde n’est pas du tout « plat » chez les femmes. L’image de synthèse censée montrer sa forme typique chez elles est peu réaliste, ne rendant pas compte du fait qu’elles aussi ont une proéminence laryngée, simplement moins saillante.
On notera qu’une fois de plus, l’émission méconnaît les données scientifiques pour leur préférer un récit en phase avec une représentation fausse mais très commune, en l’occurrence celle de la différenciation sexuelle génitale : à partir d’une base identique, côté garçons la testostérone provoquerait des choses (descente des gonades / descente accrue du larynx), et en particulier le développement de quelque-chose de saillant (pénis / cartilage thyroïde), alors que côté fille il ne se passerait rien (gonades restant dans l’abdomen, pas de développement d’un organe homologue au pénis / cartilage du larynx qui « reste plat »).
(à suivre…)
Odile Fillod
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Notes
[49] Le détail de ces données est disponible sur www.who.int/growthref/en/, contenant en particulier les médianes de tailles par âge que j’ai utilisées pour reconstituer les courbes de croissances des filles et des garçons. Pour plus d’informations sur ces données et leur comparaison avec celles relatives à la population française, voir SCHERDEL Pauline et al., 2015, Should the WHO growth charts be used in France?, PLoS ONE, DOI:10.1371/journal.pone.0120806 et les références citées dans cet article.
[50] Pour obtenir cette estimation, j’ai calculé le gain de taille du garçon médian entre le moment où la vitesse de croissance de la fille médiane recommence à augmenter alors que la sienne poursuit son lent déclin pré-pubertaire (soit vers 7 ans), et 26 mois plus tard, soit la durée qui sépare les âges de leurs pics pubertaires respectifs dans cette série de données de l’OMS.
[51] Kenney, Willmore & Costill, 2009, Physiologie du sport et de l’exercice – Traduction de la 4ème édition américaine, De Boeck (p.396-397 pour les passages cités ici). La traduction de la cinquième édition, publiée en 2013, est recommandé sur www.france2.fr/emissions/les-pouvoirs-extraordinaires-du-corps-humain/en-savoir-plus_311863. Je n’ai pas pu consulter la 5ème édition, mais on retrouve dans la 6ème édition en anglais les éléments de la 4ème cités, qui sont donc très probablement présents aussi dans la 5ème. Le manuel s’appuie notamment (en la décrivant mal, dans la traduction française en tout cas) sur l’étude de Schantz et al. publiée en 1983 portant sur la force du bras (mesurée par les couples maximaux d’extension et de flexion du coude) et celle de la cuisse (mesurée par le couple maximal d’extension du genou), menée sur 7 étudiantes en staps, 11 étudiants en staps et 5 hommes culturistes. Pour ces forces rapportées à la surface de section des muscles correspondants (triceps et biceps du bras, muscle vaste latéral), le tout divisé par la stature (servant d’estimation du bras de levier), les chercheurs ont observé une absence de différence entre les trois groupes pour les trois mouvements, et ce quelle que soit la vitesse d’exécution du mouvement testée (30°, 90° ou 180° par seconde).
[52] Kenney, Willmore & Costill, 2015, Physiology of sport and exercise – Sixth edition, Human Kinetics. Un autre livre publié par les mêmes éditions en 2009 et intitulé La femme sportive est également recommandé sur le site de l’émission, mais il est très sommaire et très peu documenté sur la question qui nous occupe ici. Remarque : ce dernier est écrit dans la veine d’une longue tradition médicale invitant à réfréner « l’évolution des entraînements et des régimes alimentaires dans le but de modifier la morphologie [des femmes athlètes] vers un “masculo-type” » (p. 7), ce qui explique peut-être en partie les recommandations de sports « adaptés » à chaque sexe faites dans l’émission.
[53] En 2008, les auteurs d’un article publié dans une revue de biologie de premier plan écrivaient encore ceci : « […], et les mécanismes d’action des androgènes dans le muscle masculin sont toujours inconnus […] De plus, l’enzyme aromatase est active dans le muscle masculin, suggérant que la testostérone puisse agir dans le muscle via l’œstradiol […] ; l’importance relative des voies de signalisation liées aux récepteurs des androgènes et de celles liées aux récepteurs des œstrogènes dans le muscle est inconnue » (MacLean et al, 2008, Impaired skeletal muscle development and function in male, but not female, genomic androgen receptor knockout mice, The FASEB Journal, vol.22, p.2676-2689, extrait du paragraphe d’introduction, ma traduction).
[54] Cf MacLean et al. 2008, art. cit., extrait du paragraphe d’introduction, ma traduction : « Des comptes-rendus isolés tirés de l’usage de stéroïdes anabolisants par des athlètes femmes suggèrent très fortement que les androgènes augmentent la force musculaire chez les femmes aussi. Cependant, il reste à déterminer si le bas niveau de testostérone chez les femmes joue un rôle physiologique dans le développement de leur masse musculaire normale […] ». Les auteurs rapportent dans cet article leur observation que chez des souris génétiquement modifiées pour être dépourvues de récepteurs des androgènes, seuls les mâles ont eu une masse musculaire réduite par rapport aux souris normales (chez les femelles il n’y avait pas de différence significative). Ils en concluent que bien que les muscles féminins soient pourvus de récepteurs aux androgènes et que l’administration d’androgènes exogènes, c’est-à-dire leur augmentation artificielle à des niveaux supra-physiologiques, puisse avoir des effets anabolisants chez les femmes, ces données suggèrent que le rôle des androgènes dans le développement de la masse musculaire normale des femmes est soit nul, soit mineur (p. 2686). Haizlip et al. 2015 cité par moi plus bas ne mentionne ni confirmation, ni contradiction de cette observation sur des souris génétiquement modifiées publiée depuis cet article de 2008.
[55] Voir BOHUON Anaïs, 2012, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, éd. iXe.
[56] STARON R.S., HAGERMAN F.C., HIKIDA R.S. et al, 2000, Fiber type composition of the vastus lateralis muscle of young men and women, Journal of Histochemistry & Cytochemistry, vol.48(5), p.623-629.
[57] Il est sans doute plus pertinent encore d’estimer la proportion de présence de chacune des protéines citées plus haut (MyHC-I, MyHC-IIa et MyHC-IIx). Ces deux estimations sont néanmoins fortement corrélées, et l’émission ayant relaté la différence en termes de types de fibres, je choisis de rester à ce niveau de caractérisation de la différence afin de ne pas complexifier les choses outre mesure.
[58] HAIZLIP K. M., HARRISON B. C. et LEINWAND L. A., 2015, Sex-based differences in skeletal muscle kinetics and fiber-type composition, Physiology, vol.30, p. 30-39 (passage cité extrait de l’introduction, ma traduction).
[59] HUNTER S; K., 2014, Sex differences in human fatigability: mechanisms and insight to physiological responses, Acta Physiologica, vol.210, p. 768-789.
[60] En 2004, des chercheurs ont ainsi rapporté les résultats d’une étude pionnière visant à préciser les mécanismes d’action de la testostérone en comparant les quadriceps de souris mâles normales à ceux de souris mâles génétiquement modifiées dépourvues de récepteurs des androgènes. Ils ont observé que ces dernières avaient moins de protéines de fibres de type II et plus de celles de type I que les souris normales : contrairement à ce qui était anticipé, ces résultats indiquaient selon eux que chez la souris au moins, les voies de signalisation des androgènes favorisaient le développement des fibres lentes et défavorisait celui des fibres rapides. Dans sa revue des possibles influences hormonales sur les caractéristiques des muscles, Haizlip et al. 2015 cite un article comparant d’autres muscles de souris entre mâles normaux et mâles hypogonadiques, selon lequel les proportions de fibres de chaque type seraient à peu près identiques et le diamètre des fibres de type IIb (les fibres ultra-rapides qui n’existent pas chez l’être humain) réduit chez les mâles hypogonadiques. Aucune donnée soutenant l’hypothèse que la testostérone favorise davantage le développement des fibres rapides que celui des fibres lentes chez les hommes n’est citée dans cet article, et cette hypothèse n’y est même pas formulée.
[61] GLENMARK B., HEDBERG G., KAIJSER L., JANSSON E., 1994, Muscle strength from aldolescence [sic] to adulthood – relationship to muscle fibre types, European Journal of Applied Physiology, vol.68, p. 9-19.
[62] A 27 ans, la différence moyenne de proportion de fibres lentes en nombre était comme à 16 ans statistiquement non significative. Cependant, la proportion de fibres lentes en nombre avait augmenté entre 16 et 27 ans chez les filles (passant de 51% à 54%) et diminué chez les garçons (passant de 55% à 48%). Compte tenu de ces résultats et d’autres, bien que le consensus scientifique pointe en direction d’une absence de différence significative en proportion du nombre, je pense pour ma part qu’il en existe sans doute une marginale (i.e. n’expliquant qu’une petite part de la différence en proportion de la surface de section), et qu’elle pourrait être entièrement causée par les différences moyennes de type et d’intensité des activités physiques et non par des différences physiologiques naturelles.
[63] Les auteurs n’avaient demandé aux sujets des informations sur leurs activités physiques que durant leurs loisirs, et ils en avaient déduit un score de niveau d’activité. A 16 ans, ce score était plus bas chez les filles que chez les garçons, les auteurs ne détaillant malheureusement pas cette différence par type d’activité. A 27 ans, les scores des deux groupes ainsi que leur différence n’avaient pas significativement changé (les scores n’avaient qu’à peine diminué, dans les deux groupes), ce qui comme le soulignent les auteurs ne correspond pas à ce qu’on observe en population générale. Ils notent ensuite ceci : « The correlation between the activity index and strength for the women was not as strong at age 27 as at age 16. One reason for this could be that the activity index in the present study was used as a marker of physical activity during leisure time, rather than daily living. At age 16, the daily life (at school) is more similar between the individuals than daily life at age 27 (different physical occupational demands). Moreover, the choice of activities may also differ between the ages of 16 and 27. […]. A preliminary examination of the physical activity questionnaire showed that the women in the present study participated more in endurance activities than at age 16. » Ils concluent que « women may be more dependent of physical activity than men to develop strength » et formulent les hypothèses suivantes (NB : en 1994) : « If physical activity is a more important factor for strength in women than in men, why is it so? Hormonal influences, for example, testosterone may increase muscle mass, fibre recruitment and the proportion of type II, all favouring muscle strength. Physical activity also influences these variables although there is a specificity with regard to the type of training. Strength and speed training may have similar effects to those of testosterone, i.e. an increase in muscle mass, fibre recruitment/activation and percentage of type II (Gutman and Hanzlikova-Lojdaz 1970; Krotkiewski et al. 1980). The strength of men is therefore influenced by both testosterone and physical activity. In women, the physical activity may have relatively more influence on strength, as they in general have low levels of testosterone. »
[64] Staron R. S., Leonardi M. J., Karapondo D. L. et al., 1991, Strength and skeletal muscle adaptations in heavy-resistance-trained women after detraining and retraining, Journal of Applied Physiology, vol.70(2), p.631-640. Les fibres de type IIx avaient aussi grossi, proportionnellement encore plus que celles de type IIa, mais leur pourcentage dans le muscle avait diminué car ce type d’entraînement stimule la transformation de fibres de types IIx en fibres de type IIa.
[65] Je n’ai pas procédé à une revue en bonne et due forme de la littérature sur ce sujet et me fie ici à Jotz et al, 2014, A morphometric study of the larynx, Journal of Voice, vol.28(6), p. 668-672. Dans cet article, les auteurs rapportent les mesures faites sur un échantillon de 100 brésiliens âgés de plus de 40 ans. Ils trouvent parmi les 50 hommes des valeurs allant de 50° à 98°, la moyenne s’établissant à 76.7° avec un écart-type de 11.35°, et parmi les 50 femmes des valeurs allant de 56° à 132°, la moyenne s’établissant à 91.1° avec un écart-type de 13.44°. Ils relèvent que ces nouvelles données sont similaires à celles indiquées par N. Isshiki dans Phonosurgery (Springer, 1989), pour qui cet angle est en moyenne de 74° chez les hommes et 90° chez les femmes. Ils citent également cinq études menées sur des échantillons de cinq pays ayant observé les moyennes suivantes : ♂=77.2°, ♀=89.9° (Japonais) ; ♂=78.7°, ♀=106.1° (Indiens) ; ♂=78.8°, ♀=94.2° (Croates) ; ♂=86.0°, ♀=89.4° (Allemands) ; ♂=89.9°, ♀=106.4° (Nigérians).
III.3 Ici à nouveau, en ayant l’air de tout remettre en cause, vous ne dénoncez finalement qu’une erreur mineure sans conséquence.
Je précise que je ne connais pas les données sur la croissance, je me fie à ce que vous en montrez. Sur la base de vos graphiques, nous sommes d’accord que les garçons deviennent plus grands que les filles (en moyenne comme toujours), pas parce qu’ils grandissent plus vite, mais parce qu’ils grandissent plus longtemps (2 ans de plus). La phrase de l’émission que vous citez est donc bien inexacte, et le “plus vite” devrait être remplacé par “plus longtemps”.
Et alors? Cette erreur n’a aucun effet sur le reste de l’histoire.
A partir de là, vous ajoutez “En outre, [l’émission] ne met la différence de stature qu’en relation avec le fait que les garçons produisent surtout de la testostérone et les filles surtout des œstrogènes, ce qui n’est pas non plus pertinent.” De quel droit estimez-vous que les hormones sexuelles ne sont pas pertinentes dans la persistance de la croissance des garçons deux ans plus longtemps que celle des filles? Vous n’avez rien démontré de tel, vous n’avez même pas évoqué des données qui seraient potentiellement pertinentes.
Vous auriez bien sûr pu critiquer la simplification qui consiste à attribuer toutes les différences à la testostérone et aux œstrogènes, alors que bien sûr ce ne sont pas les hormones sexuelles qui font directement croître le squelette. Et je ne pourrais qu’être d’accord avec vous. Si on voulait être précis, il faudrait décrire (ce qu’on sait de) toute les interactions complexes entre la GnRH, les hormones sexuelles et les autres, l’hormone de croissance, les gènes, etc. Mais cela n’aurait aucun sens, quel téléspectateur pourrait comprendre des mécanismes d’une telle complexité? Dans le cadre d’une émission de vulgarisation, il n’est pas déraisonnable d’attribuer les différences pubertaires entre garçons et filles aux hormones sexuelles et aux différences induites en aval, sans indiquer les mécanismes précis de leur intervention au sein de l’immense cascade moléculaire.
Alors quand vous parlez de “mythe savant” “clairement démenti par la réalité”, de quoi parlez-vous? Il me semble qu’il y a un trou béant dans votre argumentation sur la croissance.
Je commence à être fatiguée de lire l’opinion qui s’étale dans vos récents commentaires, du type “c’est simplificateur, so what?”, “vous ne dénoncez finalement qu’une erreur mineure sans conséquence”, etc, en gros je pinaille sur des détails dont tout le monde se fout, je ferais mieux de consacrer mon temps à faire autre chose. Si vous ne comprenez pas que l’accumulation d’approximations, de caricatures et de contre-vérités “mineures” concernant les différences biologiques entre hommes et femmes – que vous alimentez vous-même, ce qui explique votre virulence ici – finit par avoir toutes sortes de conséquences (symboliques, pratiques, politique), ne perdez pas votre temps à me lire.
Vous dites : “Si on voulait être précis, il faudrait décrire (ce qu’on sait de) toute les interactions complexes entre la GnRH, les hormones sexuelles et les autres, l’hormone de croissance, les gènes, etc. Mais cela n’aurait aucun sens, quel téléspectateur pourrait comprendre des mécanismes d’une telle complexité? Dans le cadre d’une émission de vulgarisation, il n’est pas déraisonnable d’attribuer les différences pubertaires entre garçons et filles aux hormones sexuelles et aux différences induites en aval, sans indiquer les mécanismes précis de leur intervention au sein de l’immense cascade moléculaire. Alors quand vous parlez de « mythe savant » « clairement démenti par la réalité », de quoi parlez-vous? Il me semble qu’il y a un trou béant dans votre argumentation sur la croissance.”
Je vous rappelle donc qu’il est expliqué ceci dans l’émission : ” Stimulés par le cerveau, les ovaires sécrètent surtout des œstrogènes tandis que les testicules produisent surtout de la testostérone. […] en raison des hormones, à la puberté les garçons grandissent plus vite que les filles. C’est pourquoi en France, les femmes mesurent en moyenne 1m65, contre 1m77 pour les hommes.”. Cette théorie est clairement démentie par la réalité. Oseriez-vous dire que les données scientifiques disponibles permettent de penser que si les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, c’est parce qu’ “en raison des hormones, à la puberté les garçons grandissent plus vite que les filles” ?
Dans le cadre d’une émission de vulgarisation, il ne serait pas déraisonnable d’attendre qu’on explique plutôt ceci : “Les femmes sont en moyenne plus petites que les hommes. Cette différence est essentiellement causée par le démarrage plus tardif de la croissance pubertaire chez les garçons : ils ont en moyenne environ deux ans de plus de croissance derrière eux au moment où celle-ci va, comme chez les filles, brièvement accélérer à la puberté sous l’effet des hormones avant d’entamer sa chute finale.”
Je n’ai aucunement critiqué les auteurs de l’émission pour ne pas être entrés dans le détail des mécanismes très complexes que vous évoquez. Arrêtez de me caricaturer.
On pourrait discuter des qualités respectives de votre formulation et de la mienne, mais peu importe. Je suis d’accord avec vous pour préférer que les émissions de vulgarisation donnent des informations exactes plutôt qu’approximatives ou erronées.
Et je pense aussi que c’est bien que des gens prennent le temps de traquer les erreurs diffusées par les médias et leur renvoient du feedback constructif, afin qu’ils s’améliorent. Il m’arrive aussi de le faire. Il me semble toutefois que ce n’est pas votre seule ambition.
Si j’ai bien compris le premier volet, cette série d’articles vise à démontrer que cette émission (qui est loin d’être parfaite, j’en conviens et je ne tiens pas particulièrement à la défendre), au lieu de contrecarrer les stéréotypes, va les aggraver. Et qu’elle va les aggraver en se basant sur des affirmations scientifiquement erronées. Et que vous allez démonter ces affirmations. On s’attend donc à ce que, dans votre critique de certaines affirmations, vous montriez non seulement qu’elles sont fausses (si elles le sont), mais aussi en quoi elles sont de nature à aggraver de manière injustifiée les stéréotypes. C’est sur ce point que je trouve certains de vos arguments faibles. Vous avez tendance à faire feu de tout bois de manière indiscriminée, en critiquant tout ce qui peut l’être (28 jours ou 29, franchement…), sans nécessairement montrer que l’erreur commise est plus de nature à renforcer les stéréotypes que la vérité que vous avez (dans le meilleur des cas) rétablie.
Dans le cas présent, je ne vois pas en quoi affirmer que les garçons croissent plus vite est plus de nature à renforcer les stéréotypes que de dire qu’ils croissent plus longtemps. Je ne vois donc pas en quoi l’erreur que vous avez détectée vient à l’appui de votre argumentation générale.
Et quand vous suggérez que les hormones gonadiques ne sont pas pertinentes pour expliquer ces différences de durée ou de vitesse de croissance, vous n’avez apporté strictement aucune donnée et aucun argument à ce sujet. C’est sans doute le rôle des hormones gonadiques que vous considérez comme un “mythe savant” “clairement démenti par la réalité”, mais votre critique n’a pas porté sur ce point, elle n’a rien démenti du tout puisqu’elle a porté sur un autre point sans lien direct.
Franck Ramus, vous écrivez « Dans le cas présent, je ne vois pas en quoi affirmer que les garçons croissent plus vite est plus de nature à renforcer les stéréotypes que de dire qu’ils croissent plus longtemps ». Or d’après ce que je comprends c’est surtout un « retard » de leur puberté qui fait qu’ils vont être en moyenne plus grands que les femmes. Vous voyez bien que la formulation est importante puisque bien qu’Odile Fillod vous ait corrigé vous tenez à maintenir la vôtre… Si je suis un garçon et que je lis « plus vite » ou « plus longtemps » sur la croissance que je suis en train de faire, j’ai un apriori positif du développement de mon corps. Par contre, si je suis une fille et que j’entends ce même discours durant un cours de SVT par exemple, cette information, comme 100 autres de ce type, va me mettre du côté du « moins ». Pour un homme comme vous, c’est un détail qui n’a pas grande importance. Pour une femme comme moi, c’est autre chose.
Vous n’avez certainement jamais eu le sentiment d’être anormal parce que votre cycle menstruel durait tantôt 29, 27 ou 31 jours alors qu’on vous rappelle le chiffre fatidique de 28 jours à l’école, en cours de SVT, dans les magazines « féminins »…. Alors apprendre que cette irrégularité est « normale », ça libère.
J’imagine que vous pouvez vous énerver parfois, être agacé ou partir d’un éclat de rire devant une situation inattendue. On ne vous a jamais dit que ce changement d’humeur était dû à vos hormones j’imagine, ni que « souvent homme varie », parce qu’il est « soumis » à ses hormones. Faites l’effort deux minutes d’imaginer les conséquences d’un tel stéréotype.
Alors lorsqu’en lisant ce blog je constate que les informations scientifiques concernant mon corps, dont je suis abreuvée au hasard de lectures, d’émissions à la radio ou la télévision sont erronées, falsifiées, approximatives voire complètement fausses, ça peut être un détail pour vous, c’est loin d’en être un pour moi. Oui, ces émissions renforcent des stéréotypes, et le plus souvent ils valorisent les uns au dépend des autres.
L’objet de la critique d’Odile était de montrer que les garçons ne croissent pas plus vite, mais plus longtemps. Vous évoquez un point légèrement différent, qui est de savoir comment on formule ce fait. On peut effectivement, au lieu de dire que les garçons croissent plus longtemps, dire qu’ils finissent leur croissance plus tard, voire en retard, de même que leur puberté démarre plus tard ou en retard.
Je suis d’accord avec vous qu’il est important d’être conscient de ces biais de formulation, et de corriger la tendance à attribuer aux hommes les caractères positifs et aux femmes les caractères négatifs. Mais dire qu’il faut corriger les biais de formulation, ce n’est pas la même chose que de dire (comme le fait Odile) que le contenu de ce qui est dit est scientifiquement erroné et est en lui-même porteur de stéréotype sexiste.
En résumé, si on veut progresser, il faut séparer les questions de fond et les questions de forme, au lieu de tout amalgamer.
Pour ce qui est d’être personnellement conforme à la norme (= la moyenne de la population), le point que vous soulevez vaut à chaque fois que l’on donne un nombre moyen de n’importe quoi (taille, poids, revenus…), pour toutes les personnes dont la valeur personnelle est différente de la moyenne de la population, qui peuvent se sentir “hors normes”. Je suis d’accord qu’il est souhaitable de donner systématiquement des indications de variabilité autour de la moyenne. Mais c’est un point très général qui n’est pas propre aux femmes et qui est totalement indépendant des questions de stéréotypes sexistes.
Et je suis bien d’accord avec vous qu’il faut éviter de faire des commentaires sexistes, et ce, qu’il soit vrai ou non que l’humeur des femmes soit plus fluctuante que celle des hommes, et qu’il soit vrai ou non que l’humeur soit influencée par des fluctuations hormonales.
Et désolé de vous fatiguer, mais la vérité et la logique des arguments me sont au moins aussi chers qu’à vous, et il n’y a pas de raison que vos arguments ne soient pas examinés avec le même zèle que celui que vous employez à examiner ceux des autres. Vous aimez trop la critique pour pouvoir demander à en être exonérée.
Mr Ramus,
On peut bien évidemment reprocher des choses à Odile Fillod, mais il me semble qu’il est injuste de dire qu’elle demande à être exonérée de la critique. Odile Fillod ouvre ses articles aux commentaires et y répond. Certaines réponses peuvent vous sembler insuffisantes, mais je connais peu de lieu sur le net où les échanges sont si complets.
Par ailleurs, je vous recommande de relire le commentaire de Marie Docher ci-dessus qui explique très bien pourquoi dire des choses aussi banales que “le cycle menstruel c’est 28 jours” et tous les autres raccourcis rabâchés régulièrement peuvent avoir des conséquences néfastes sur la vie des femmes. Si je ne me trompe pas, contrairement à O. Fillod, à vous ou à moi, Marie Docher n’est pas une scientifique de formation et se trouve quotidiennement du côté du récepteur de l’information « scientifique ». Nous, qui produisons cette information et parfois cette vulgarisation devons-nous rendre compte que les approximations, les raccourcis, les moyennes ont des conséquences concrètes pour les premières concernées.
Pour vous donner un exemple, qui vous parlera peut être plus, pouvez-vous imaginer ce qui se passerait si en SVT ou à la télévision on affirmait “le pénis en érection c’est 16 cm.” ? Sans écart type, sans commentaires. Après tout ce n’est pas vraiment faux, ce n’est pas si loin de la moyenne observée et à vous croire on n’a pas le temps de rentrer dans les détails quand on fait de la vulgarisation. Toutefois, je pense que le lendemain de la diffusion de cette information les cabinets d’urologie seraient plein et le programme télé en question serait obligé de faire un correctif.
Vous et moi, les porteurs de pénis, pouvons regarder tout cela de loin et nous demander pourquoi Odile Fillod pinaille sur ce que vous pensez être des détails, mais la moitié de la population ne porte pas de pénis.
Moz
PS : l’exigence de qualité et de précision en matière de vulgarisation concerne tous les domaines de la science. Par exemple, quand on vulgarise des études sur des nouvelles perspectives thérapeutiques on doit penser qu’il y a des malades qui nous lisent. Mr Ramus, vous êtes au premier rang pour voir ce que des décennies de n’importe quoi à grande échelle sur l’autisme a pu faire comme dégâts. Je suis souvent étonné que cette expérience ne vous rende pas plus exigeant sur ce qui peut se produire dans d’autres domaines scientifiques.
J’ai lu, je n’ai pas tout compris car je n’ai pas les connaissances requises, c’est très intéressant, mais si l’idée est de dire que les écarts de performances hommes/femmes sont peut-être liées à des facteurs culturels au sens large, trois décennies de constats empiriques personnels me font douter. Faisant du triathlon depuis fort longtemps, j’ai constaté, comme tout le monde, un écart de force entre les hommes et les femmes, un écart qui résiste totalement à l’entrainement, avec des conséquences énormes en terme de performances. Les records sont trompeurs : 10% de vitesse en plus à haut niveau, c’est gigantesque. Pour passer de 40km/h à 44km/h en vélo, il ne faut pas produire 10% de watts supplémentaires, mais 50% (il faut passer de 300w à 450w, schématiquement). Les filles ont beau s’entrainer, elles n’y arrivent pas aussi bien ni aussi longtemps que les garçons. Les meilleures mondiales en natation (un sport où la technique compte, pourtant) auraient un bon niveau régional chez les garçons juniors français, pas plus. Le record du monde féminin du 200 nage libre est moins rapide que le record de Bretagne junior 2019. Je parle de filles dingues de sport, hyper-entrainées, compétitives, pas du tout inhibées. Des dizaines de milliers. Pour exclure l’hypothèse biologique, il faudrait des preuves en béton.
Non, l’idée n’est pas de dire que tous les écarts F-H de performance sont entièrement explicables par des facteurs culturels. J’ai au contraire écrit ceci : “il est bien établi que la testostérone stimule la synthèse de protéines, et ce notamment dans les muscles : c’est ce qui lui vaut d’être qualifiée de stéroïde « anabolisant ». La synthèse accrue de protéines dans les fibres musculaires conduit à une augmentation de leur diamètre, et le tout se traduit au final par une augmentation du volume et de la force des muscles. Ce phénomène bien connu dans le monde du culturisme et du sport est parfaitement à même d’expliquer qu’à partir de la puberté, toutes choses égales par ailleurs, la masse et la force des muscles se développent davantage chez un garçon que chez une fille sous l’effet de la testostérone qu’il se met alors à produire en bien plus grande quantité.”
Il ne fait aucun doute pour moi que si tous les enfants et adultes étaient traités de la même façon (soumis aux mêmes régimes d’entraînement et aux mêmes régimes tout court, etc), de nets écarts de performance en faveur des hommes subsisteraient dans les sports pour lesquels la puissance est un facteur essentiel de performance.
“Dans le cas présent, je ne vois pas en quoi affirmer que les garçons croissent plus vite est plus de nature à renforcer les stéréotypes que de dire qu’ils croissent plus longtemps.”
Car ceci est justifié (dans l’émission) par un pic de testostérone. IE : Comme les garçons ont ce pic de testostérone alors ils grandissent plus vite, et sont donc plus “costauds” dès la puberté. Donc la testostérone rends plus “fort” (ce qui est suggéré avec les fibres musculaires plus tard). Alors que non, cette différence de taille semble plutôt dû à un différence dans l’âge de la puberté. Du coup, la suite de la théorie ne tiens plus. Donc soit vous faite exprès de ne pas comprendre, soit vous êtes persuadé d’avance du rôle de la testostérone (alors que son rôle n’est pas clairement défini), alors vous êtes biaisé.
Mais par quels mécanismes croyez-vous que l’adolescence démarre plus tard chez les garçons et que la croissance se poursuit 2 ans de plus chez eux, si ce n’est du fait de différences d’expression génique de l’hormone de croissance, elle-même régulée par d’autres hormones, dont les hormones sexuelles? C’est une chose de dire que le “pic” de la vitesse de croissance est quantitativement minime, et de contester, comme le fait Odile (sans toutefois fournir de contre-argument à ce point précis), un lien causal direct entre un pic de testostérone et un pic de vitesse de croissance. Mais c’est toute autre chose que de sortir entièrement les hormones sexuelles de l’équation. Quels que soient la complexité des mécanismes en jeux et le rôle éventuellement indirect des hormones sexuelles, ce rôle est absolument indubitable. Aucune donnée et aucun argument évoqués par Odile ne remettent en cause un tel rôle.
Encore une fois, on peut critiquer à juste titre les qualificatifs stéréotypiques attribués à la testostérone, je suis bien d’accord pour le faire, mais cela n’implique pas de nier son rôle dans les spécificités de l’adolescence des garçons!
On me souffle “don’t feed the troll”, mais je vais quand même répondre à ce commentaire-là :
1) je donne un argumentaire précis contre l’idée que la vitesse de croissance (légèrement) supérieure des garçons à l’adolescence explique entièrement, comme cela est affirmé dans l’émission, la différence moyenne de stature finale ; non seulement je montre que ça ne l’explique pas entièrement, mais je montre que ça n’intervient que marginalement ; je n’ai absolument pas contesté l’idée de lien causal entre pic de testostérone et pic de vitesse de croissance, donc évidemment je ne donne pas d’argument à l’appui de cette idée qui n’est que dans votre tête !
2) “sortir entièrement les hormones sexuelles de l’équation” n’est pas ce que je fais ; j’ai écrit : “En outre, [l’émission] ne met la différence de stature qu’en relation avec le fait que les garçons produisent surtout de la testostérone et les filles surtout des œstrogènes, ce qui n’est pas non plus pertinent.” ; vous savez lire ?
3) je ne nie absolument pas le rôle de la testostérone dans les spécificités de l’adolescence des garçons ! Non seulement vous ne trouverez pas ça sur ce blog mais vous trouverez l’affirmation du contraire, ici dans la partie sur les muscles par exemple.
Je comprends que n’ayant rien d’autre à vous mettre sous la dent, vous vous attaquiez à une caricature de ce que j’écris, c’est tellement plus facile ! C’est exactement ce que font les cathos intégristes qui contestent la pertinence de la notion de genre et l’intérêt des étude de genre : vous niez l’existence de différences biologiques, disent-ils. Eh ben non, je ne nie rien de tel. Alors certes vos commentaires sont intéressants pour tout ce qu’ils révèlent sur vous et votre façon de réfléchir à ce sujet, mais là je crois que ça commence à bien faire, vraiment ça vole trop bas.
Notez que ci-dessus je répondais à Quark, pas à vous.
Cela dit, il semble qu’il y ait bien un malentendu, dû à cette phrase qui est assez tordue:
« En outre, [l’émission] ne met la différence de stature qu’en relation avec le fait que les garçons produisent surtout de la testostérone et les filles surtout des œstrogènes, ce qui n’est pas non plus pertinent. »
Qu’est-ce exactement qui n’est pas pertinent? Pourquoi non plus?
J’ai beau savoir lire, j’ai du mal à lui donner un sens qui ne suggère pas que la testostérone et les oestrogènes ne sont pas pertinents pour la différence de stature. Si ce n’est pas ce que vous avez voulu dire, il vaudrait mieux la reformuler.
Sans rire, on me qualifie de troll et mes commentaires volent trop bas!? alors que je ne fais que des commentaires précis, argumentés et basés rigoureusement sur le contenu de ce que vous écrivez, sans digression hors sujet et sans attaque ad hominem, et que je m’efforce de ne pas caricaturer ce que vous écrivez (sauf malentendu que vous pouvez contribuez à dissiper en clarifiant certains propos).
Mon seul souci est (comme vous je l’espère) la recherche de la vérité et sa communication fidèle au public. Il est parfaitement concevable que nous n’ayons pas la même vision de la vérité, auquel cas ces différences de point de vue peuvent se discuter point par point, données en main. Rien que de plus normal dans une discussion scientifique. Je ne vois pas pourquoi cela poserait problème à qui que ce soit. Si j’ai tort sur certains points, vous pouvez me l’expliquer, et si vous êtes convaincante, je le reconnaîtrai sans problème. J’attends de vous la même honnêteté et bonne foi.
“Mon seul souci est (comme vous je l’espère) la recherche de la vérité et sa communication fidèle au public.”
Et bien je ne sais pas ce qu’il vous faut pour que cela moins fidèle à la réalité que cette émission…
Notez également que “so what” n’est pas un argument précis et recevable. Pour en revenir a votre commentaire :
“Mais par quels mécanismes croyez-vous que l’adolescence démarre plus tard chez les garçons et que la croissance se poursuit 2 ans de plus chez eux, si ce n’est du fait de différences d’expression génique de l’hormone de croissance, elle-même régulée par d’autres hormones, dont les hormones sexuelles? ”
Voilà, on en revient donc toujours à la même chose, pour vous tout est clair et lumineux, aucune zones grises. Les mécanismes responsables de cette croissance plus tardive, on ne pourrait objectivement les décrire (où alors publiez tout de suite votre étude). Les hormones sont probablement impliquées, mais sûrement pas de façon Testérone chez les garçons = croissance plus forte vs Oestrogènes chez les filles = moins de croissance. Puisque visiblement, la croissance n’est pas plus forte, mais plus tardive (vous voyez bien la différence que ça implique, non ?).
Ce qui est contesté ici, ce n’est pas l’implication des hormones dans la croissance (ce que vous ne cessez de reprocher, alors que ce n’est pas le cas!) ce sont les conclusions erronées qui en sont tirées et qui servent à alimenter la suite. Vous le savez très bien, la réalité est plus complexe que testostérone = croissance (c’est omettre à la fois l’implication de toutes les autres molécules, hormones ou autres, et aussi l’expression périphérique de tous leurs récepteurs, peut-être que ce qui est le plus évident n’est pas le plus important).
Mr Ramus,
Le terme “la vérité” revient régulièrement dans vos propos (4 fois dans les commentaires ci-dessus et régulièrement dans vos autres productions). Pas “une vérité”, mais “la vérité”.
Je suis assez surpris qu’un scientifique chevronné puisse encore croire en ce concept aussi foutraque dans le domaine scientifique et plus particulièrement hors des maths et de la physique théorique..
La vérité chez nous c’est quoi ? au mieux la lecture du matériels et méthodes et des données brutes. Après vous savez bien que le choix de la représentation graphique, du test statistique utilisé nous éloigne déjà de la vérité, sans parler des généralisations hasardeuses qui peuplent régulièrement la partie discussion des articles scientifiques.
Quand on passe à la vulgarisation, le simple tri dans les publis que l’on va citer, la généralisation de résultats obtenus sur 50 étudiants d’un campus américains à toute la population mondiale rend le concept même de “la vérité” (une et indivisible comme l’église catholique) assez risible.
De mon point de vue le travail d’Odile Fillod apporte le recul nécessaire en retournant aux sources de la publi (donnés brutes, mat&met) et montre que se prévaloir de la vérité type ” les femmes sont comme ça et les hommes comme ça et c’est l’évolution, la biologie et les publi américaines qui le disent” (P. Sastre style) s’apparente souvent à des contre-vérités voir assez régulièrement à des bons gros mensonges. Ce qui ne veut pas dire qu’O. Fillod de son coté est parfaite, qu’elle parle d’un point de vue totalement neutre (loin de là, pas plus que quiconque)
Il ne serait pas si compliqué d’admettre modestement, et de le dire au public, qu’une publi scientifique ne permet que très rarement de faire des conclusions aussi lapidaires (ces fameuses vérités) que celles dont nous abreuvent les quelques “experts” qui en on fait leur gagne-pain. Bien sur, on passe rarement à la télé si on introduit de la complexité et de la mesure.
Pour moi la vérité c’est juste l’état objectif du monde, qui existe indépendamment de nous. Tous les scientifiques sauf Bruno Latour pensent qu’il existe un état objectif du monde indépendant de nous, et visent à l’approcher le plus possible. Dans ce sens, tous les scientifiques cherchent “la vérité”. Étant entendu que nous ne l’atteignons jamais, nous en approchons, nous en formons des représentations, des modèles, des théories, qui approximent cet état objectif plus ou moins bien. Dans un sens plus logique, la vérité d’une proposition est quelque chose de bien défini, pour un ensemble de propositions convenablement formulées avec des termes précisément définis. On peut ainsi déterminer si la proposition “les hormones sexuelles influencent la croissance à la puberté” ou “les garçons croissent plus vite que les filles à un certain moment de la puberté” est vraie ou non.
Dans la vulgarisation scientifique, on propose des représentations simplifiées par rapport aux véritables représentations scientifiques, donc plus éloignées de la réalité objective. L’enjeu est malgré tout, parmi toutes les représentations simplifiées qu’on pourrait communiquer, de choisir celles qui sont les moins éloignées de la réalité objective. Ce n’est pas toujours simple, même quand tout le monde est d’accord sur le modèle scientifique sous-jacent!
Oui, et donc pour vous, les approximations faites au court de cette émission sont recevables pour communiquer sur la vérité scientifique des comportements ?
Vous trouvez que dans ce cas, les propositions choisies sont adaptées ?
Généralement quand on présente un modèle on précise aussi ses limites, ici ce n’est abordé à aucun moment. Ceci laisse penser qu’il ne s’agit non pas d’une approximation (très approximative pour le coup) mais d’une vérité absolue.
Odile, BRAVO.
Les personnes se chargeant de préparer ce type d’émissions seront-elles informées de ce travail, remarquable, mené en période estivale ?
Je l’espère afin que vous soyez invitée lors de futures émissions, en amont et sur plateau. Entendre un seul “son de cloche” n’est pas justifié.
Par ailleurs, les stéréotypes ne peuvent qu’être renforcés si ils ne sont abordés que sous un angle biologique, hormonal… C’est faire fi de l’Histoire et de l’histoire de chacun. L’inscription ‘politique” des rapports des sexes en est gommée. Le comportement attendu est adopté à l’insu des protagonistes, c’est inconsciemment présent et introjecté… Bref, tout n’es tpas génétique, on le sait et centrer des émissions sur le corps anatomique est un choix idéologique qui renforce les idées déjà là. Ce n’est pas rien !
Pour conclure mes interventions ici, je vais réexpliquer le sens de mes commentaires, puisque tout le monde ne comprend pas bien.
J’ai déjà dit que j’appréciais globalement le travail d’Odile Fillod, que j’étais bien d’accord avec elle sur le fait que les médias font généralement un travail de vulgarisation de piètre qualité. L’émission de France 2 en est un exemple, quoique pas le pire, loin de là. Le travail que fait Odile de débusquer toutes les erreurs et toutes les imprécisions de cette émission est tout à fait salutaire. Sur les différents points qu’elle a soulevé en parties 2 et 3, je n’en ai critiqué que quelques-uns, certainement pas tous.
Ce que j’ai critiqué, c’est principalement le fait qu’il y a un fossé important entre les points spécifiques que critique en détail Odile, et le discours plus général qui transparait et que semble avaler sans réserve le lectorat de ce blog. Par exemple, le fossé qu’il y a entre la dénonciation de l’omission de variations circadiennes de la testostérone, et l’idée plus générale qu’il n’y a pas de différence fiable entre les sexes dans les variations hormonales à l’échelle mensuelle, et par ailleurs l’idée connexe, non directement abordée par Odile, mais qui sort du chapeau dans la conclusion, qu’il n’y aurait aucune influence des hormones sexuelles sur la cognition.
Plus généralement, la partie 1 fait beaucoup de promesses qui ne sont pas tenues dans les parties 2 et 3. La partie 1 liste toute une série d’affirmations qui sont faites dans l’émission sur les différences entre les sexes, les qualifie de stéréotypes, sous-entend qu’ils sont tous infondés scientifiquement, et laisse entendre que cela va être prouvé dans les parties suivantes. Or les parties suivantes se focalisent sur certaines de ces affirmations (pas forcément les plus importantes à mon sens), montrent qu’effectivement certaines sont inexactes ou insuffisamment précises, et balayent implicitement tout le reste d’un revers de main. Or, si vous reprenez la liste des affirmations citées dans la partie 1, vous constaterez que 90% d’entre elles, y compris les plus substantielles, ne sont nulle part réfutées par Odile. Mais l’affirmation selon laquelle ce sont des stéréotypes infondés reste, et ne fait que conforter les croyances préalables des lecteurs de ce blog.
Bref, de la même manière qu’Odile fouille à juste titre les études scientifiques pour vérifier si les données disent véritablement ce qu’on veut leur faire dire, j’examine ses arguments et je vérifie s’ils viennent à l’appui ou pas de son discours général. Lorsque ce n’est pas le cas, je le dis. Cela n’enlève rien à l’intérêt plus global de ce blog, qui exerce une pression sur les médias ne pouvant qu’améliorer la qualité de la vulgarisation scientifique (sur le sujet restreint des différences entre les sexes).
1) “si vous reprenez la liste des affirmations citées dans la partie 1, vous constaterez que 90% d’entre elles, y compris les plus substantielles, ne sont nulle part réfutées ” :
Ben, le truc c’est que je n’ai abordé que quelques points parce que mon dossier sur cette émission comportera bien plus que trois parties, tout simplement ! Lisez mon post d’hier. À bientôt.
2) “Cela n’enlève rien à l’intérêt plus global de ce blog, qui exerce une pression sur les médias ne pouvant qu’améliorer la qualité de la vulgarisation scientifique (sur le sujet restreint des différences entre les sexes)” :
Merci pour le compliment, mais pourquoi faire cette précision entre parenthèses ? Vous ne trouvez plus, finalement, que ma critique de la théorie du lien entre risque de dépression et variantes du gène du tansporteur de la sérotonine – et surtout de la manière dont elle a été vulgarisée – était pertinente, par exemple ? (voir http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/03/19/serotonine-races-et-civilisations/)
J’avais pourtant salué votre honnêteté sur ce sujet. Comme j’avais critiqué (en passant ) votre participation à la diffusion de cette théorie dans des termes bien trop imprudents, vous étiez en effet venu écrire sur mon blog : “Effectivement, ayant mis à jour ma biblio récemment, j’ai pu constater que l’interaction 5HTT-traumatismes-dépression n’était pas bien répliquée, et je m’abstiens désormais d’en faire état” ; ça n’était pas rien de l’admettre sachant que vous aviez écrit ceci en 2010 : “La variabilité interindividuelle relative à la dépression a des sources diverses, […], mais tout aussi plausiblement dans des différences génétiques. Cette hypothèse a été récemment confirmée par toute une série d’études portant sur l’influence des variations de plusieurs gènes, en particulier celui du transporteur de la sérotonine (5HTT). Plus spécifiquement, l’influence d’une variation dans la partie régulatrice de ce gène (allèle court ou long d’une séquence de répétitions) a été étudiée. […] l’hypothèse d’une interaction gène-environnement, selon laquelle l’allèle de ce gène affecterait la réponse de l’individu à des événements stressants, a été amplement confirmée.”
Pour les personnes qui n’auraient pas encore exploré ce blog, je signale que j’ai également publié des billets critiquant la façon dont on avait rendu compte de certaines recherches sur la schizophrénie, la maladie d’Alzheimer, la “génétique de l’intelligence” ou encore les différences entre roux et non-roux dans la perception de la douleur. Si j’ai publié sur ces sujets qui sortent du domaine que je connais le mieux, à savoir effectivement celui des différences entre les sexes, c’est justement parce qu’à l’occasion des mes recherches sur ce sujet, j’ai cherché à voir s’il y avait un problème de qualité de la vulgarisation qui lui était spécifique. Or je me suis aperçue que les distorsions opérées sur ce sujet précis, bien qu’ayant certaines spécificités, s’inscrivaient dans un problème bien plus large de manque de qualité de la vulgarisation des sciences biomédicales et psychologiques. J’en ai notamment parlé ici : https://gss.revues.org/3205#tocto2n8.
3) “Ce que j’ai critiqué, c’est principalement le fait qu’il y a un fossé important entre les points spécifiques que critique en détail Odile, et le discours plus général qui transparait et que semble avaler sans réserve le lectorat de ce blog. Par exemple, le fossé qu’il y a entre la dénonciation de l’omission de variations circadiennes de la testostérone, et l’idée plus générale qu’il n’y a pas de différence fiable entre les sexes dans les variations hormonales à l’échelle mensuelle”
Passons sur le manque de considération pour mon lectorat (un internaute vous avait répondu sur ce point d’une manière assez bien sentie, mais la modération du Monde n’a semble-t-il pas aimé ; j’ai repêché 3 fois le commentaire dans la corbeille et à chaque fois elle l’y a remis, j’ai donc laissé tombé).
Pour revenir sur votre exemple, une fois de plus vous attaquez un homme de paille. Je n’ai jamais écrit, ni suggéré, ni pensé, ni cherché à faire croire qu’il n’y avait “pas de différence fiable entre les sexes dans les variations hormonales à l’échelle mensuelle”. Bien-sûr qu’il y en a, c’est très clair ! C’est absurde de me faire un tel reproche. Mon point était de souligner qu’alimenter une fois de plus l’idée que les femmes seraient soumises à leurs variations hormonales endogènes alors que les hommes, eux, n’auraient pas ce types de variations hormonales, comme l’a fait cette émission, relevait de la reproduction d’un stéréotype sexiste et n’était pas conforme à l’état des connaissances. Les hommes “varient” eux aussi, ce que je souligne ici c’est tout.
Une dernière précision sur la raison pour laquelle je dis que la vulgarisation faite dans l’émission de France 2, si elle n’est pas brillante, est loin d’être la pire. C’est parce que malgré toutes ses imprécisions, elle ne trahit pas le consensus scientifique international sur le sujet, c’est-à-dire l’état des connaissances tel qu’il est compris par l’immense majorité des scientifiques les plus compétents du monde sur ce sujet. Vous pouvez penser que ce consensus scientifique est erroné, voire scandaleux, qui est le fruit d’une conspiration sexiste mondiale, peu importe. Ce consensus scientifique international existe et il est ce qu’il est. Il est normal qu’une émission de vulgarisation scientifique de grande audience s’efforce de communiquer au grand public l’état de ce consensus. Or c’est loin d’être garanti, surtout à la télévision dans les émissions de grande audience, qui sur bien des sujets (la psychologie de manière générale, les risques environnementaux sur la santé, les pseudomédecines, le paranormal et bien d’autres), accordent parfois une surreprésentation à des points de vue totalement minoritaires, voire ésotériques, le consensus scientifique international étant au mieux évoqué comme un point de vue parmi d’autres, déformant ainsi considérablement la perception par le public de l’état des connaissances. Cette émission de France 2, malgré toutes ses limites, ne commet pas cette erreur. Mais vous n’en saurez rien en lisant le blog d’Odile Fillod.
Comme je l’ai déjà indiqué, les 3 premières parties de ce dossier ne sont qu’un début (voir http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2015/08/13/intermede-plagiaire/), et la suite arrivera dans quelques mois, quand j’aurai à nouveau du temps à y consacrer.
Ca va vous laisser le temps de réfléchir à ce que vous venez d’écrire et que je vais préciser. Donc selon vous, non seulement les théories que j’ai déconstruites dans les parties 2 et 3 de mon dossier reflètent “le consensus scientifique international sur le sujet, c’est-à-dire l’état des connaissances tel qu’il est compris par l’immense majorité des scientifiques les plus compétents du monde sur ce sujet”, à savoir sur les “véritables différences” entre hommes et femmes, c’est-à-dire celles qui “découlent de leur différence génétique”, mais les théories suivantes également (d’autres ont été véhiculées dans cette émission mais je fais ici une petite sélection) :
1. Durant la grossesse d’une femme, « une zone très précise » de l’hypothalamus « qu’on considère comme étant impliquée dans le comportement maternel » grossit
2. Cette augmentation de volume est due à l’action des hormones « sexuelles » sur le cerveau, via les récepteurs de ces hormones dont il est « bourré ».
3. Cette augmentation de volume « prépare » les femmes à « s’occuper du bébé »
4. Les mères (pas les pères) « se réveillent pendant la nuit avant que le bébé pleure » ; c’est une “partie animale” qui est en nous
5. Avant la fin de la grossesse (de qui ? à quel moment ? vous nous le préciserez, donc), il y a une diminution du taux de testostérone chez le père (biologique ? social ?)
6. Après l’accouchement (de qui ? à quel moment ?), le taux de testostérone subit une « chute libre » de 30% chez le père (mêmes questions)
7. La baisse du taux de testostérone chez le père va « favoriser la prise en charge affective du bébé »
8. La baisse du taux de testostérone chez le père provoque une baisse de sa libido
9. « Chez l’homme », les faisceaux de fibres nerveuses « sont un peu plus développés » au sein de chaque hémisphère qu’entre les deux
10. « Chez la femme », les faisceaux de fibres nerveuses sont « un peu plus développés » entre les hémisphères qu’au sein de chacun
11. Les femmes ont « une meilleure mémoire » que les hommes
12. Pour se repérer dans l’espace, « les femmes ont un peu plus tendance à se baser sur des repères » que sur des directions
13. Pour se repérer dans l’espace, les hommes ont au contraire un peu plus tendance à se baser sur des directions », ce qui mobilise le « cortex entorhinal »
14. Les hommes ont en moyenne des performances supérieures dans la rotation mentale d’un objet en 3D
15. « Les femmes obtiennent des performances supérieures » à celles des hommes « dans le domaine du langage »
16. « Les femmes, quand on leur présente des odeurs, vont identifier plus d’odeurs que les hommes »
17. Les femmes « ont la température du corps qui est supérieure à celle des hommes »
18. Les femmes « ont les extrémités plus froides que les hommes »
19. Cette différence de température est due aux œstrogènes, les « hormones de la femme »
20. Chez la femme, il y a « plus de coordination » entre les deux hémisphères que chez l’homme
21. Chez la femme, il y a « plus de coordination » entre les deux hémisphères « à partir de l’ovulation et pendant la deuxième partie du cycle »
22. « Les femmes fixent beaucoup plus longtemps les images [véhiculant des émotions] positives que les hommes »
23. Les femmes sont plus attentives aux différences de contenu émotionnel des images que les hommes
24. Le « ressenti émotionnel » des femmes face à des images à contenu émotionnel est plus fort
25. Les femmes ont « une sphère affective plus étendue que celle des hommes », i.e. plus de personnes suscitent chez elles des émotions
26. « Les filles reconnaissant déjà mieux les émotions quelques jours après la naissance »
27. Le cerveau des filles et des garçons, du moins pour ce qui touche au traitement des émotions, est déjà différent « à la naissance »
28. Ces différences dans la cognition liée aux émotions sont « liées à l’imprégnation hormonale »
29. A la puberté, « l’étape clé » de la différenciation du cerveau selon le sexe, celle-ci se fait sous l’effet des « hormones sexuelles », œstrogènes chez les filles, testostérone chez les garçons
30. A la puberté, il se produit un processus d’élagage neuronal différencié selon le sexe (sous l’effet desdites hormones)
31. Chez la femme, lorsqu’elle tombe amoureuse, il y a une augmentation du taux de testostérone
32. Chez l’homme, lorsqu’il tombe amoureux, il y a une diminution du taux de testostérone
33. Les phéromones, qui attirent entre eux les partenaires sexuels (mâle et femelle) agissent chez toutes les espèces y compris chez l’être humain
34. Quand « l’homme » a un infarctus, il a une douleur dans le bras gauche et se met à transpirer
35. Quand « la femme » a un infarctus, elle « va avoir une douleur dans le cou, elle va vomir, elle va avoir une nausée »
36. Il y a « 4 à 5 fois plus » d’hommes que de femmes autistes, l’hyperactivité « c’est typiquement masculin », la dépression touche « à peu près deux
fois plus » de femmes que d’hommes (et « à la puberté c’est trois fois plus »), et tout ça « a un fondement génétique »
37. La testostérone c’est « l’hormone clé » du désir sexuel / de la libido, aussi bien chez la femme que chez l’homme
38. La testostérone est un “frein à l’empathie”
Merci, c’est une liste intéressante que vous avez produite là. Je ne m’attends évidemment pas à ce que vous traitiez tous les points. Mais si je peux me permettre, j’aimerais vous suggérer de modifier un peu votre méthodologie.
Cette liste est extrêmement hétérogène. Il y a là des affirmations qui sont à peu près justes (par exemple 12-13-14), des affirmations qui sont justes à propos d’au moins une étude, mais formulée de manière trop générale (par exemple 22-25), des affirmations incorrectes par manque de précision (11), des affirmations qui sont formulées de manière beaucoup trop générale par rapport aux données qu’il y a derrière, d’autres qui sont purement spéculatives et certaines qui sont vraiment grotesques. Un premier travail intéressant serait donc de faire un tri.
Deuxièmement, il serait intéressant de faire la part des choses entre 1) les affirmations qui ont été formulées telles quelles par un chercheur intervenant dans l’émission, et qu’il/elle serait prêt à défendre, données à l’appui, si on lui en donnait l’occasion; 2) les affirmations qui ont été formulées telles quelles par un chercheur, mais dont il n’est pas satisfait et qu’il aurait aimé formuler mieux si les conditions de production le lui avait permis; 3) les affirmations qui ont été presque formulées telles quelles par un chercheur, mais qui ont été altérées d’une manière ou d’une autre au montage; 4) les affirmations qui n’ont pas été formulées par des chercheurs, mais qui sont des extrapolations des journalistes sur la base de ce qu’ils ont compris de ce qu’ils ont lu ou de ce qu’ils ont entendu des chercheurs.
Une démarche intéressante serait donc de contacter les intervenants de l’émission et de leur demander de se positionner par rapport à chacune des affirmations, et pour celles qu’ils sont prêts à défendre, de les reformuler si besoin, et de citer les données à l’appui. Ainsi, d’une part on y verrait un peu plus clair sur la part de responsabilité entre les chercheurs et les journalistes, et d’autre part pourrait s’engager un véritable débat scientifique autour de ces sujets, qui permettrait à chacun d’y voir un peu plus clair.
Je suis d’accord avec vous pour dire qu’une émission de vulgarisation ne doit pas présenter les points de vue minoritaires quand il y a un consensus net réglé depuis des lustres (e.g. non-validité de l’astrologie, de l’homéopathie..) ou par des instances internationales de type GIEC, HAS.
Maintenant, il ne faut pas non plus faire croire que dans le domaine dont nous parlons ici il existe un consensus de ce type. O. Fillod n’est pas Roudinesco, Séralini ou Allègre (ou alors il faut que vous le disiez clairement). Dans ce cas il me parait plus honnête de dire aux spectateurs qu’ils existent des études divergentes.
C’est ce qu’a fait l’émission de la BBC consacré au même sujet (“Horizon: is your brain male or female” (vu en 2014)).La présentation détaillée des expériences était également discutable, mais cette émission montrait par exemple des tests de rotation spatiale classique avec les conclusions de type “les femmes sont moins bonnes dans ce domaine que les hommes” et d’autres tests de rotation spatiale présentés par le Pr Rippon qui ne montraient pas de telles différences.
Au final, cette émission se refusait de conclure dans un sens ou dans l’autre. On peut le regretter, mais si les téléspectateurs n’ont pas eu de réponses définitives sur le sujet ils ont pu apprendre de nombreuses choses sur l’existence de biais, et leurs conséquences, dans les protocoles expérimentaux. Et cette dernière information me semble plus importante pour l’éducation à la démarche scientifique que le discours univoque d’un “expert”.
A voir un film qui apporte de bonnes pistes sur le sujet:http://boutique.arte.tv//f9477-pourquoi_femmes_plus_petites_hommes
C’est un film à voir, mais il ne porte pas sur le même sujet que ce dont je parle dans le présent billet (cf le commentaire suivant)
Et si les différences de stature entre les hommes et les femmes s’expliquaient par un déficit d’accès aux protéines socialement imposé aux filles?
La différence actuelle de stature, observable dans toutes les populations humaines, ne peut être expliquée ainsi. Si vous nourrissez de manière parfaitement identique des filles et des garçons d’une population donnée dès leur naissance, vous observerez une différence moyenne de stature. En ce sens, cette différence peut être dite naturelle.
La théorie à laquelle vous faites référence, dont j’ai déjà parlé ailleurs sur ce blog car je la trouve très intéressante et bien argumentée, est celle proposée par Priscille Touraille dans sa thèse soutenue en 2006 (qui a donné lieu à un livre en 2008, celui-ci étant à l’origine du documentaire que vous avez évoqué). Elle porte sur la question de l’origine évolutive de cette différence aujourd’hui naturelle au sens ci-dessus. C’est expliqué de manière syntéhtique ici : http://mediatheque.seine-et-marne.fr/priscille-touraille
Euh à moi il me semblait bien que l’origine “naturelle” (hormonale) du “dismorphisme sexuel de stature” était bien le sujet de la controverse qui vous opposait ici à M. Ramus.
D’autre part quand vous dites: “Si vous nourrissez de manière parfaitement identique des filles et des garçons d’une population donnée dès leur naissance, vous observerez une différence moyenne de stature.” Je suis surpris, mais vous êtes surement mieux renseignée que moi, je n’ai en tout cas jamais entendu parle d’un telle expérience.
Pour finir dans le lien que vous avez fourni vous-même je trouve: “Si « la valence différentielle des sexes », (pour reprendre le concept de Françoise Héritier) est universelle, (l’idée que les hommes sont conçus partout supérieurs aux femmes), on doit s’attendre à avoir des inégalités alimentaires également partout. Ce qui sous-entend aussi que ces inégalités perdurent depuis aussi longtemps que l’institution des régimes de genre eux-mêmes. Pour l’anthropologie évolutive, des inégalités alimentaires sur le long terme sont théoriquement interprétées comme des pressions qui contre sélectionnent les grandes tailles chez les femmes plus que chez les hommes, et cela pourrait, effectivement, expliquer l’écart de taille dans notre espèce. La conclusion principale de ma recherche est qu’il s’agirait de l’hypothèse la plus plausible dans l’état actuel de la recherche. ”
Et comme elle le dit un peu plus loin si on ajoute à cela les critères de choix du conjoint: “Une autre hypothèse existe, publiée au début des années 2000. Cette étude, qui porte sur un échantillon européen, montre que les hommes plus grands que la moyenne et les femmes plus petites que la moyenne se mettent plus souvent en couple, et font davantage d’enfants.
Pour les chercheurs, ces choix de conjoint constituent des pressions de sélection disruptives sur la stature capables de créer et ou de maintenir le dimorphisme sexuel de stature dans les populations européennes.
Cette étude vient corroborer bien des études en sociologie et en psychologie sociale qui montrent de leur côté que les femmes disent préférer les hommes plus grands et les hommes les femmes plus petites qu’eux, et qu’il existe une discrimination sociale/matrimoniale portant sur les hommes petits et des femmes grandes.
(…)Ces préférences découlent bien plutôt de l’idée que les hommes doivent être supérieurs, plus grands que les femmes, qui participe typiquement des idéologies du genre. Cette idée créerait donc un phénomène biologique d’écart moyen de taille, phénomène qui est utilisé en retour pour justifier les idéologies, (…)”
Mais bon je ne veut pas vous ennuyer plus longtemps avec mes “hors-sujet”.
Non, Franck Ramus et moi sommes d’accord pour dire qu’il existe bien un différence moyenne de stature naturelle entre hommes et femmes, “naturelle” étant à comprendre dans le sens défini plus haut. Il est même manifestement d’accord avec moi pour dire que l’explication donnée sur France 2 (= parce que les garçons grandissent plus vite pendant la puberté) est fausse. Ce qu’il me reproche, c’est de souligner ce qui est à ses yeux un détail insignifiant et de laisser entendre (selon lui) que les différences hormonales entre filles et garçons n’ont aucun rôle dans l’histoire, ce qui est un procès d’intention car ça n’est pas ce que j’ai écrit.
Mon “si […]” correspondait à une expérience de pensée. Je me suis permis d’écrire cela car d’une part il existe des données scientifiques permettant de soutenir que cette différence est au moins en grande partie naturelle (au sens ci-dessus), et d’autre part il n’existe aucune donnée scientifique permettant de penser que cette différence pourrait être entièrement expliquée par des facteurs sociaux.
Priscille Touraille ne défend absolument pas une telle hypothèse. Au contraire, tout sa thèse vise à tenter d’expliquer comment il se fait que l’être humain a évolué de telle façon qu’aujourd’hui, son patrimoine génétique cause cette différence “naturelle” de stature. Lorsqu’elle parle de “pressions de sélection” elle parle bien de l’histoire évolutive de notre espèce et d’une sélection s’étant opérée sur la patrimoine génétique de celle-ci. La différence entre le sujet du présent billet et la réflexion de Priscille Touraille, dont j’ai parfaitement connaissance et dont j’ai loué à maintes reprises l’intérêt (je trouve sa thèse tout-à-fait plausible et très bien argumentée), est expliquée d’une autre manière ici : https://gss.revues.org/3205#ftn2. J’espère que ça vous permettra de comprendre. Et ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas le/la seul-e à n’avoir pas compris : des sociologues et des journalistes font le même contresens que vous.
Bonjour,
Après France 2, Arte ?
Je ne sais pas si vous avez vu le documentaire diffusé sur Arte hier soir: “le cerveau a-t-il un genre ?”. J’imagine qu’utiliser le mot genre rend plus moderne, plus populaire que d’utiliser le mot sexe…
En tout cas il est assez exaspérant, après avoir lu avec passion la rigueur de vos développements sur ces résultats fumeux, de voir Arte leur offrir une telle tribune.
On a le droit à Mélissa hines, Simon Baron Cohen, les connectomes, les différences dans la douleur…
Et évidemment la trame principale est: inné ou acquis, comme si on avait pas deviné quelle serait la réponse à la fin, la chèvre et le chou, etc…
S’ils avaient moins passé de temps au début à enfoncer des immenses portes ouvertes (“oui, il semblerait qu’il y ait des différences de comportement entre les hommes et les femmes”), ils auraient peut être eu plus de temps pour vérifier les sources et la véracité des informations qu’ils balanceront ensuite…
Bref, au moins avec France 2, on savait que ça allait pas voler haut. Je crois que je suis victime des stéréotypes sur la qualité de l’info diffusée sur Arte.
Je vous remercie en tout cas pour les immenses efforts que vous déployez pour corriger les horreurs méthodologiques et mettre à jour la non neutralité des personnes qui effectuent ces études.
Une partie un peu plus compliquée à comprendre pour moi, qui ait un bagage littéraire… Je vais tenter d’en faire une critique constructive, à mon humble niveau.
Je suis en désaccord avec Franck Ramus sur le fait que vous seriez trop pointilleuse ; à mon sens, on n’est jamais assez pointilleux. L’exactitude doit être la règle de conduite absolue de toute vulgarisation, et non le sensationnalisme. Si l’exactitude n’est pas possible parce que les données manquent ou sont contradictoires, il est malhonnête de balancer une hypothèse sans préciser que s’en est une : il faut savoir admettre parfois que la Science tâtonne, recherche, se contredit, et ne possède pas la Vérité absolue.
Là où je rejoins Franck Ramus, c’est lorsqu’il dit que : “Alors quand vous parlez de « mythe savant » « clairement démenti par la réalité », de quoi parlez-vous? Il me semble qu’il y a un trou béant dans votre argumentation sur la croissance.” A vrai dire, j’ai eu exactement le même sentiment que lui en lisant le passage en question. En effet, même si l’émission semble un peu trop prompte à affirmer que la testostérone (ou son “absence”) explique à peu près tout, vous semblez vous-même dire que l’on ne sait pas pourquoi les garçons débutent leur croissance plus tardivement, et pourquoi cette dernière est plus prolongée que chez les filles. En soit, puisqu’il n’y a pas d’explication actuellement, on pourrait très bien découvrir dans le futur que cette différenciation se fait grâce aux hormones, comme cela pourrait tout à fait être expliqué par autre chose. L’émission donne une explication (la testostérone) en la faisant passer pour une vérité, alors qu’il s’agit d’une hypothèse : c’est donc une inexactitude. Mais, à ce que vous dîtes, rien ne prouve que la testostérone n’est pas impliquée dans ce processus. J’aurais aimé que vous détailliez les hypothèses actuelles sur la croissance plus tardive et plus longue des garçons (j’en demande beaucoup, désolée…).
Une autre réflexion que je me suis faite concerne justement l’action de la testostérone et des autres hormones sur la voix. Si j’ai bien compris votre article, rien ne permet actuellement de dire que la testostérone en particulier soit responsable de la voix grave chez les garçons (ce serait dû à un larynx positionné différemment, à des cordes vocales plus longues et plus épaisses, etc.). A ce sujet, j’ai deux questions :
– n’a-t-on vraiment jamais prouvé l’impact des hormones sur la hauteur de la voix ? Il semble évident pour moi comme pour beaucoup de personnes non informées que la testostérone qui joue un grand rôle. Sinon, comment expliquer que les castrats gardent leur voix d’enfant, plus aiguë ? Comment expliquer que les personnes transexuelles qui se traitent aux hormones voient leur voix évoluer avec le traitement hormonal ? Ou comment expliquer que les garçons XY ayant une insensibilité à la testostérone aient une voix “typiquement féminine” ? Une voix plus grave chez une femme n’est-elle pas le signe d’un plus haut taux de testostérone ? J’ai du mal à croire que la testostérone ne joue aucun rôle dans la hauteur de la voix. En même temps, cela semble tellement “évident” que je me dis que si cela l’était vraiment, des scientifiques l’auraient déjà prouvé. J’admets que je ne comprends pas.
– la taille des cavités respiratoires ne joue-t-elle pas un rôle déterminant dans la hauteur de la voix ? La taille du nez et celle de la bouche par exemple, n’a-t-elle aucune influence ? Si une différence moyenne de taille des cavités respiratoires existe entre les sexes (existe-t-elle ?), cela n’expliquerait-il pas les différences de hauteur de voix ? Vous n’en parlez pas, l’émission non plus, et je me pose la question.
Je réponds d’abord sur la différence de stature. Le mythe savant clairement démenti par la réalité auquel je fais référence, exposé par la voix off dans l’émission, est précisément le suivant : la différence moyenne de stature entre hommes et femmes découle entièrement de la croissance plus rapide des garçons pendant la puberté (1) – dont il est expliqué qu’elle dure 4 ans chez les deux sexes -, et ce différentiel de vitesse de croissance à la puberté vient des différences hormonales évoquées juste avant par la voix off en termes de production principalement de testostérone côté garçons vs d’oestrogènes côté filles (2).
La partie (1) est clairement et définitivement fausse puisque le différentiel de vitesse de croissance (qui existe) ne peut expliquer qu’une (modeste) partie de la différence finale de stature. La partie (2) ne l’est pas, même s’il est possible de douter que ce différentiel s’explique entièrement ainsi, mais là n’est pas mon point. Dans la mesure où la partie (1) est fausse, mon point est que le récit “testostérone => croissance plus rapide => stature supérieure au final” est clairement et définitivement faux.
Je rebondis enfin sur votre “vous semblez vous-même dire que l’on ne sait pas pourquoi les garçons débutent leur croissance plus tardivement, et pourquoi cette dernière est plus prolongée que chez les filles” :
– J’insiste à nouveau sur le fait que la croissance pubertaire dont il est question ici n’est pas plus prolongée chez les garçons. La fin de la puberté étant marquée par une chute rapide de la vitesse de croissance puis l’achèvement de celle-ci, avoir une puberté qui démarre plus tard allonge la durée de croissance pré-pubertaire, et induit mécaniquement une plus grande stature au final. L’âge de la puberté est d’ailleurs considéré comme une source importante des différences de statures inter-individuelles, indépendamment du sexe des personnes.
– On ne sait en effet pas bien pourquoi les garçons débutent leur puberté, puis leur sursaut de croissance pubertaire, plus tardivement. De manière plus générale, les mécanismes du déclenchement de la puberté restent mal connus. Concernant le délai plus grand chez les garçons entre le début de la puberté et celui du sursaut de croissance pubertaire, il est très probable que les différences hormonales jouent un rôle important, bien que là encore le scénario soit sans doute plus complexe que “c’est parce que les garçons produisent de la testostérone et les filles des oestrogènes”. Concernant le “retard” du début de la puberté elle-même en revanche, il me semble difficile d’invoquer des différences hormonales qui son justement mises en place par la puberté…
J’espère que c’est plus clair maintenant !
Concernant la différence de hauteur de la voix, si vous relisez bien mon billet vous verrez que je n’y explique pas ce que vous indiquez.
Tout d’abord, je n’y développe pas du tout une critique de l’idée que la testostérone est déterminante dans la différence moyenne de hauteur de la voix entre les sexes. De fait, c’est indubitable : indépendamment des facteurs sociaux qui font que les filles/femmes ont tendance à placer leur voix plus haut que ne le font les garçons/hommes (un phénomène assez amusant à noter avec certains enfants, chez qui on peut entendre une différence qui ne repose nullement sur une différence physiologique à leur âge…), ou encore que des pratiques susceptibles de changer les propriétés mécaniques des cordes vocales telles le tabagisme puissent être inégalement réparties selon le sexe, la fréquence fondamentale de base est pour des raisons physiologiques plus basse en moyenne chez les hommes, et les différences physiologiques impliquées sont imputables en très grande partie au moins à la testostérone. Vous avez donc raison d’avoir “du mal à croire que la testostérone ne joue aucun rôle dans la hauteur de la voix”, et bien loin de moi l’idée de tenter de vous en persuader !
Ensuite, je ne dis pas que la différence de hauteur de voix est notamment due “à un larynx positionné différemment” : je critique au contraire le lien implicite fait dans l’émission entre la position plus basse de celui-ci dans la trachée et la voix plus grave. Je critique par ailleurs l’affirmation faite dans l’émission que le larynx descend plus bas durant la puberté sous l’effet de la testostérone.
Pour répondre à vos dernières questions :
– une voix plus grave chez une femme n’est pas nécessairement le signe d’un plus haut taux de testostérone. Indépendamment de cette hormone, divers facteurs interviennent dans l’explication des différences inter-individuelles à l’intérieur de chaque groupe de sexe ;
– la taille du nez, de la bouche, et plus généralement celle des cavités par lesquelles transite le son, n’a pas d’influence sur ce qu’on appelle usuellement la hauteur de la voix, c’est-à-dire le fondamental, autrement dit la fréquence de base de vibration des cordes vocales ; la taille et d’autres propriétés de ces cavités ont en revanche un impact sur l’intensité et sur le timbre de la voix.
PS : c’est un peu comme pour un instrument à cordes ; la note (< => hauteur de la voix) jouée quand on frotte l’archet sur une corde correspond à la fréquence de vibration principale de celle-ci, qui dépend notamment de sa longueur, mais la même note jouée sur un violon ou un alto, ou bien sur deux violons différents, n’aura pas la même sonorité (< => timbre de la voix).
D’accord, c’est plus clair maintenant que vous me le ré-expliquez.
Pour être franche, mon compagnon et moi-même lisons vos posts sur l’émission de France 2, et cette partie 3 nous a tous les deux semblé moins brillante que les parties précédentes. Est-ce parce que cette partie est plus complexe ? Est-ce parce que les propos de France 2, bien que faux, semblaient ici moins en contradiction totale avec la réalité que les propos des parties précédentes ? Est-ce parce que cette partie 3 était moins argumentée (et est-ce vraiment le cas ?) ? Difficile à dire.
PS : mon compagnon avance l’hypothèse que, dans cette partie 3, les trois sections différentes ne sont pas assez clairement délimitées :
– ce qui est dit de faux dans l’émission
– ce qui est une hypothèse non encore validée, présentée comme une vérité par l’émission
– ce qui est dit de vrai dans l’émission
Il explique que le sentiment global de cette partie 3, c’est que tout ce qui est dit par l’émission est entièrement incorrect. Pour lui, votre argumentation ne permettait pas de comprendre que la testostérone agissait sans conteste sur la voix, par exemple.
Merci pour tous vos commentaires, qui me donnent l’occasion de préciser certains points et m’aideront peut-être à faire mieux la prochaine fois.
Je tiens cependant à souligner que l’objet des billets que je publie sur ce blog n’est pas de “dire le vrai sur” : je vous invite à (re)lire la page “A propos” du blog pour bien comprendre ce que j’essaie de faire ici. Par conséquent, je n’ai pas l’intention de passer en revue tout ce qui est dit en le ventilant comme vous le proposez en faux/hypothétique/vrai. C’est pour cette raison que dans la partie sur la voix, je n’ai pas traité la question générale “est-ce que la testostérone agit sur la voix ?” mais simplement critiqué ce qui posait problème dans la manière dont l’action de celle-ci était présentée (entre autres).
Revenant ici après plusieurs semaines, je vois que je ne suis finalement pas le seul à trouver que vos articles laissent parfois entendre au lecteur que vous remettez en cause plus de points que ce n’est le cas.
Le fait est que c’est tout de même délicat de dénoncer le faux sans dire le vrai, car du coup quand vous dénoncez le faux le lecteur a du mal à cerner les limites du faux et risque de sur-généraliser. Ce n’est qu’en précisant le vrai que les limites du faux peuvent apparaître clairement. Ce serait donc vraiment utile, lorsque vous critiquez une affirmation, que vous vous astreigniez aussi à formuler l’affirmation alternative qui, elle, aurait été (selon vous) compatible avec les connaissances scientifiques.
Que faire alors lorsqu’on ne sait pas ?
La réalité n’est pas toujours dichotomique vrai/faux. Souvent (surtout en Science) on peut juste dire que telle ou telle hypothèse est fausse relativement aux données connues, dans ce cas nul besoin de faire des interprétations ‘sauvages’ sur ce qui pourrait être vrai.
Formuler une ‘alternative’ implique qu’il y en ait une. Et ce n’est pas parce qu’il n y en a pas que l’originale est vraie. Bien sûr, faire une émission en disant ‘on ne sait pas’ je doute que cela fasse beaucoup d’audience.