Le café, antidépresseur pour les femmes ?

IllustrationIntriguée par une brève parue dans le numéro de décembre 2011 du magazine Clés, j’ai comparé le contenu de l’article scientifique qui en était la source à celui de cette brève, ainsi qu’à celui des 8 premiers billets sur le sujet ramenés par une recherche dans Google des termes femmes+café+dépress : la comparaison s’avère édifiante.

Voici ce que la brève de Clés nous annonce :

« Le petit noir du matin est un excellent antidépresseur, en particulier pour les femmes. Une étude menée sur cinquante mille personnes, sous l’égide du nutritionniste Alberto Ascherio, de l’Ecole de santé publique de Harvard, montre que celles qui boivent du café trois fois par jour ont moins de risques de tomber en dépression que celles qui en consomment une tasse ou moins, la caféine influant à long terme sur les récepteurs du cerveau responsables de l’humeur. Mais attention : le déca ne sert à rien… et trop de café augmente l’anxiété. »

… et voici ce qu’on aurait dû y lire, en restant dans un format et un langage proches :

« Avoir bu en moyenne plus de 2 tasses de café caféiné par jour durant au moins 14 ans pourrait être lié à une légère réduction du risque de faire une dépression entre 2 et 4 ans plus tard. C’est ce qu’indique une étude menée sur 50 000 (ex)infirmières américaines âgées de 50 ans et plus (63 ans en moyenne). Mais attention : comme les auteurs le soulignent, ce lien reste à confirmer par d’autres études, et pourrait le cas échéant s’expliquer autrement que par un effet du café, d’autant qu’on ignore si la caféine agit sur les fonctions cérébrales impliquées dans la modulation de l’humeur.»

Que rapporte en effet, en synthèse, l’article publié fin 2011 [1] par les auteurs de cette étude ? Parmi une cohorte de plus de 97 000 (ex)infirmières américaines ayant répondu par courrier, tous les deux ans jusqu’en 2006, à un questionnaire sur leur mode de vie et leur état de santé, les auteurs ont choisi a posteriori d’analyser les données de celles qui n’étaient pas dépressives en 1996 (soit près de 51 000 femmes âgées de 50 ans au moins et de 63 ans en moyenne). Ils les ont considérées comme devenues dépressives au cours des 2 ans écoulés si elles déclaraient avoir été dûment diagnostiquées comme telles et avoir commencé à prendre régulièrement des antidépresseurs.

Sur cette base, ils ont mis en évidence un lien entre risque d’apparition d’une dépression entre les années X et X+2 et consommation de café caféiné cumulée de 1980 à l’année X-2. Ce lien n’était statistiquement significatif que chez les femmes ayant bu en moyenne au moins 2-3 tasses par jour, et non significatif si on excluait les femmes fumeuses à X+2. Par ailleurs, l’analyse statistique n’a pas fait apparaître de lien similaire avec la consommation de café décaféiné, mais pas non plus avec celle d’autres produits caféinés (thé, coca…). Le taux annuel d’apparition d’une dépression fut de 5,91 pour 1000 chez les femmes ayant bu une tasse ou moins par semaine, contre 5,34 chez celles ayant bu 2 à 3 tasses par jour et 5,29 chez celles ayant bu au moins 4 tasses. Cela correspondait, avec le modèle statistique le plus favorable testé par les auteurs, à une réduction moyenne du risque de dépression de 15% chez les premières (intervalle de confiance à p=0,05 : 5%-25%) et de 20% chez les secondes (intervalle de confiance à p=0,05 : 1%-36%).

Les auteurs concluent que compte tenu de la nature même de l’étude, des biais qu’ils soulignent (et il y en a d’autres), mais aussi du fait qu’on ne sait pas si ni comment la caféine agit à long terme sur l’humeur, d’autres études sont nécessaires non seulement pour déterminer si la consommation de café pourrait éventuellement aider à prévenir la dépression, mais ne serait-ce que pour confirmer qu’il existe un lien entre consommation de café et risque de dépression. Ils relèvent que le cas échéant, ce lien pourrait s’expliquer autrement : par exemple, les personnes dormant mal ou anxieuses, plus à risque de développer une dépression, pourraient boire moins de café compte tenu de ses propriétés excitantes connues.

Comme on le voit, la brève vue ci-dessus distord singulièrement les résultats et extrapole très largement les conclusions pouvant être tirées de l’étude, mais c’est aussi le cas dans les autres articles de vulgarisation, pourtant beaucoup plus longs, que j’ai analysés : reformulation d’une corrélation en lien de causalité, suggestion non étayée d’une spécificité féminine, oubli de mentionner qu’il s’agissait exclusivement de personnes âgées, que la corrélation n’était pas significative chez les non-fumeuses, que la définition retenue pour la dépression était bien particulière, reprise seulement des chiffres les plus frappants, sans fournir les intervalles de confiance (très larges), et non de ceux donnant une idée plus claire de l’impact éventuel de la consommation de café (voir plus haut : environ 5,3 vs 5,9 cas pour 1000 personne*années), absence de reprise des propos des auteurs invitant à ne tirer aucune conclusion hâtive, etc. Le tableau qui suit indique, pour quelques informations importantes, celles qui étaient mentionnées. On notera qu’alors qu’étaient mis en exergue les éléments indiquant la solidité présumée de l’étude (université prestigieuse, gros échantillon, suivi sur une longue durée), des informations critiques pour en comprendre la portée réelle étaient passées sous silence.

Synthèse (cliquer pour agrandir)

On peut également prendre la mesure des distorsions opérées dans la vulgarisation en lisant quelques-unes des affirmations péremptoires trouvées dans les 8 articles analysés, sans grand rapport avec les commentaires des chercheurs dont un extrait est fourni ensuite : je laisse le lecteur intéressé en tirer les conclusions qui s’imposent.

Extraits

Santé log :
« CAFÉ: Les Femmes ont leur antidépresseur [titre] […] En buvant du café, vous diminuerez votre risque de dépression jusqu’à 20%. Mais attention, ce bénéfice est réservé aux femmes. »

Atlantico :
« Une étude affirme que la consommation de café réduirait les risques de dépression chez la femme. Une nouvelle étude vante les mérites du café. »

CareVox :
« Le café réduirait la dépression chez les femmes [titre] […] Et voici donc encore une bonne nouvelle pour les femmes amatrices de petit noir : En buvant deux tasses de café par jour, complétées si possible par un petit jogging, les dames auraient moins de risques de tomber dans la dépression. Concrètement, le café préserverait de la déprime dans 15% des cas. […] En tout état de cause, pour le Docteur Ascherio, auteur principal de l’étude et professeur d’épidémiologie et de nutrition à la Harvard School of Public Health à Boston, il est maintenant certain que “la caféine affecte la dopamine et la sérotonine, impliquées dans la régulation de l’humeur et de la dépression” [citation (erronée) en gras dans le texte]. »

LePoint.fr :
« Ne déprimez pas, buvez du café [titre] […] Boire du café préserverait de la dépression. C’est la surprenante conclusion d’une étude publiée par la revue scientifique Archives of Internal Medicine. »

Santé news :
« Le café réduit le risque de dépression chez les femmes [titre] Si vous voulez passer une bonne journée et bien remplissez votre tasse de café. C’est ce que vient de révéler une étude réalisée par la Harvard School of Public Health. L’équipe de chercheurs a démontré que quatre tasses de café pouvaient réduire le risque de dépression chez les femmes. »

Psychologie au quotidien :
« Le café pour contrer la dépression chez les femmes [titre] Selon une étude conduite par la Harvard Medical School, la prise de deux tasses de café au quotidien réduit les risques de dépression chez la femme. Boire du café diminue les risques de déprimer [inter-titre en gras] Les recherches conduites ont démontré que, dans 15% des cas, le café empêche la femme de tomber dans la déprime. Selon les chercheurs responsables de cette étude, la caféine contribue à une modification des échanges chimiques dans le cerveau. D’ailleurs, tous les scientifiques reconnaissent que le café raffermit le sentiment de bien-être et produit de l’énergie dans l’organisme. Ceci est dû à un effet physique sur les fonctions cérébrales obstruant quelques récepteurs chimiques, telle l’adénosine. »

National Geographic France :
« Les femmes qui boivent du café sont moins dépressives [titre] La consommation de café réduit le risque de dépression chez les femmes, selon une nouvelle étude américaine.»

Quelques limitations et incertitudes mentionnées par les auteurs dans l’article source (souligné par moi) :

« caffeine may antagonize the adverse effects of smoking on depression through still-unknown mechanisms […] Caffeine affects brain function mainly by its antagonist action on the adenosine A2A receptor and, therefore, plays a role in the modulation of dopaminergic transmission. The antagonist effect of caffeine on adenosine also might imply nondopaminergic mechanisms, such as modulation of the release of acetylcholine and serotonin. […] This study also has limitations; thus, the results should be interpreted with caution. First and foremost, because of its observational design, this study cannot prove that caffeine or caffeinated coffee reduces the risk of depression but only suggests the possibility of such a protective effect. […] ; yet, we cannot exclude the possibility that mild depressive symptoms were the common reason for low caffeine consumption and incident depression. […] It is possible that sleep-sensitive or anxious women are aware of the stimulatory effects of caffeine and lower their consumption accordingly. Thus, a similar behavior among depressed women or women predisposed to depression in our cohort might explain our results because most late-life depression occurs among women who have already had previous episodes; lacking a lifetime history of depression, we cannot exclude this possibility […] We tried to maximize the specificity of case definition, accepting as incident cases of depression only those cases that occurred in women who reported a diagnosis of clinical depression and the use of antidepressants. This definition excludes women with untreated depression, as well as women who used antidepressants for a short period and were not regular users at the time of completing a biennial questionnaire. […] During 10 years of follow-up, we noted an incident rate of clinical depression of 5.6 per 1000 person-years. This incidence is not directly comparable to that observed in unselected populations because to minimize reverse causation, we excluded women with severe depressive symptoms at baseline, thus eliminating a group at higher risk of depression. […] Further investigations are needed to confirm this finding and to determine whether usual caffeinated coffee consumption may contribute to prevention or treatment of depression. »

Odile Fillod
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Références

[1] LUCAS et al, 2011, Coffee, Caffeine, and Risk of Depression Among Women, Archives of Internal Medicine, vol.171(17), p.1571-1578

3 réflexions sur « Le café, antidépresseur pour les femmes ? »

  1. merci! tous les jours la presse nous sert ce genre d’inepties, ça fait du bien de voir que je ne suis pas la seule à bondir en les lisant

  2. A t-on pense à l’effet convivial d’un café partage? Bien chaud,le matin,en famille,puis
    Avec des collègues ou amis,au travail,ou dans un…Café ,restau,chez soi tranquille?
    C’est chaud,cela sent bon et aide à digérer comme toute boisson chaude.
    Mais trop de café,et trop fort,ça m’empêche de dormir,sauf…avant d’aller dormir.
    La je prends un Nescore,ok,c’est “nul” mais chacun ses sales manies.

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