Le camion et la poupée : jeux de singes, jeux de vilains

Primate by Marie DocherUn argument est régulièrement invoqué à l’appui de l’idée qu’il existe une différence naturelle entre filles et garçons dans les choix de jouets : la même différence aurait été observée chez les singes. La lecture de la littérature scientifique ayant adressé cette question ne nous apprend pas grand chose sur les singes, et encore moins sur les enfants humains. Elle permet en revanche d’éclairer sous un jour intéressant le comportement des personnes qui ont utilisé cet argument, eu égard à la manière souvent fantaisiste – et toujours fallacieuse – dont ils ont résumé cette littérature. Ce nouvel exemple de vulgarisation scientifique alimentant la naturalisation du genre est aussi l’occasion d’explorer la grande diversité de ses chemins, ainsi que celle des modalités de distorsion des résultats d’études scientifiques.

Chapitres
Introduction
L’étude d’Alexander et Hines de 2002 sur des singes verts (vervets)
L’étude de Kim Wallen de 2008 sur des macaques
La vulgarisation « à chaud » de ces études
Instrumentalisation de ces études par douze « experts »
Cas n°1 : Michel Raymond en septembre 2008
Cas n°2 : Jacques Balthazart en janvier 2010
Cas n°3 : Martine Pérez en décembre 2010 (et à sa suite Boris Cyrulnik)
Cas n°4 : Pierre Barthelemy en avril 2011
Cas n°5 : Lise Eliot en 2011 (en France)
Cas n°6 : Jean-François Bouvet en septembre 2012
Cas n°7 : Peggy Sastre en septembre 2012
Cas n°8 : Alain de Benoist en octobre 2012
Cas n°9 : Sébastien Bohler en novembre 2013
Cas n°10 : Leonard Sax en janvier 2014 (en France)
Cas n°11 : Lucy Vincent en mars 2014
Cas n°12 : Nicolas Gauvrit en mai 2014
Changement de décor

INTRODUCTION

Bien que de profils et de parcours assez différents, les douze personnes suivantes ont en commun d’avoir fait la même chose durant les périodes indiquées entre parenthèses. Saurez-vous deviner quoi ?

1. Michel Raymond (2008), chercheur en biologie évolutive humaine et essayiste grand public ayant proclamé en mai 2013 dans Le Mondel’évidence de la différence des sexes contre « la théorie du genre » selon lui « introduite depuis peu dans les manuels scolaires français »[1];

2. Jacques Balthazart (2010), chercheur en neurobiologie connu du grand public pour un livre sur la « biologie de l’homosexualité », dontLe Nouvel Observateur a publié en mars 2014 une charge contre le « négationnisme scientifique » qui consisterait à nier les « centaines d’études scientifiques méthodologiquement très sophistiquées qui établissent […] de façon irréfutable » trois « faits » : l’éducation différentielle des garçons et des filles ne fait qu’amplifier des « différences d’origine biologique qui sont présentes à la naissance », la « motivation sexuelle » est « sous contrôle hormonal », et il existe des « influences génétiques et hormonales prénatales » sur « l’orientation et l’identité sexuelles »[2];

3. Martine Pérez (2010), gynécologue de formation, journaliste au Quotidien du médecin puis au Figaro depuis la fin des années 1980, où elle est depuis 2008 rédactrice en chef chargée de la Science et de la Médecine, auteure en 2009 d’un vibrant plaidoyer contre l’homoparentalité [3] et en 2013 d’une diatribe pathétique – et fort instructive – contre la « théorie du genre »[4];

4. Pierre Barthélémy (2011), journaliste scientifique indépendant, ancien directeur du service Sciences et Environnement du journal Le Monde où il tient toujours une chronique dans le cahier Sciences & Techno, alimentant à l’occasion la naturalisation de la variabilité interindividuelle du QI (par la génétique comportementale) et celle du genre (par la psychologie évolutionniste) [5];

5. Lise Eliot (2011 en France), docteure en neurobiologie auteure d’un livre grand public sur le sexe/genre du cerveau dans lequel chacun-e peut trouver ce qui lui plait, à savoir des arguments contre le « neurosexisme » par exemple pour Sciences et Avenir [6] et pour une journaliste du Nouvel Observateur [7], ou à l’inverse des arguments anti-gender pour Le Figaro Magazine qui en fit même sa Une [8], repris par l’initiateur de la controverse sur les manuels de SVT [9] et le site de propagande vaticane en matière de bioéthique géré par la Fondation Jérôme Lejeune [10], ou encore pour Alain de Benoist [11], autrement dit un livre refusant « à la fois le “neurosexisme” et le “neuroégalitarisme” de principe » et développant par conséquent un modèle bio-psycho-social du genre n’éludant pas la part de « déterminisme biologique », selon le directeur de publication de Sciences Humaines Jean-François Dortier [12];

6. Jean-François Bouvet (2012), professeur agrégé de sciences naturelles auteur d’un livre du même acabit que celui de Lise Eliot quoique proposant un mix nature-culture plus corsé en nature, censé tenir une position de juste milieu entre les « neuroscientifiques pur(e)s et dur(e)s qui n’hésitent pas à parler du sexe du cerveau, fruit d’un déterminisme biologique » et « celles et ceux qui cantonnent les différences cérébrales entre homme et femme au domaine de la reproduction sexuée », ou plus exactement « les papesses des gender studies – américaines pour la plupart mais ayant essaimé en France – qui, comme Judith Butler, entendent invalider l’idée de sexe pour lui substituer celle de genre » [13];

7. Peggy Sastre (2012), docteure en philosophie, bloggeuse et essayiste transhumaniste-eugéniste engagée dans le dévoilement des acquis supposés des sciences de la vie censément non relayés par les médias français car trop dérangeants [14], depuis 2011 chroniqueuse invitée du Plus du Nouvel Observateur où sous couvert de vulgarisation mâtinée de scepticisme elle sélectionne, reformule et sur-interprète à la louche les études alimentant la promotion « évoféministe » des théories psycho-évolutionnistes du genre qui lui a valu d’être prise sous leurs ailes par une journaliste (psychanalyste) de Sciences Humaines et une autre du Nouvel Observateur [15];

8. Alain de Benoist (2012), penseur de la Nouvelle Droite fustigeant notamment « l’idéologie du genre » développée selon lui par « les grandes prêtresses du neopuritanisme sexuel » qui se reconnaissent à leur « genre neutre » et leur « coupe au carré » [16];

9. Sébastien Bohler (2013), docteur en neurobiologie, journaliste scientifique de métier aux manettes de Cerveau & Psycho depuis sa création, bénéficiant dans ce cadre d’une chronique dans La tête au carré sur France Inter et d’un blog du groupe Pour la Science, positionné sur une ligne proche de celle de Peggy Sastre et mettant comme elle la vulgarisation scientifique au service de son idéologie [17];

10. Leonard Sax (2014 en France), médecin de famille célèbre aux Etats-Unis pour ses livres grand public sur les différences entre les sexes militant pour la mise en place de cursus scolaires non-mixtes ;

11. Lucy Vincent (2014), ex-épouse du neurobiologiste Jean-Didier Vincent, titulaire sous sa direction d’un doctorat sur les cellules lactotropes du rat ayant tâté du journalisme scientifique avant de devenir professionnelle de la communication et d’être consacrée experte en biologie de l’amour par Odile Jacob ;

12. Nicolas Gauvrit (2014), docteur en sciences cognitives diplômé en mathématiques et en psychologie, professeur associé à l’ESPE (ex-IUFM) de Douai et étoile montante du scepticisme scientifique.

Le point commun entre ces personnes est qu’elles ont toutes invoqué, dans l’espace public français aux périodes indiquées, des études menées sur des primates non humains concernant les choix de jouets en leur faisant dire bien autre chose que ce qu’elles permettaient de dire. Pour le formuler autrement, leur point commun est que leur volonté de nous (et se) convaincre qu’il est scientifiquement établi que certaines différences psycho-comportementales entre hommes et femmes sont en partie naturelles est telle qu’à cette occasion au moins, ils ont fait preuve d’une malhonnêteté intellectuelle et/ou d’une inconséquente légèreté méritant d’être portée à la connaissance des personnes susceptibles de tomber sur leur prose et de croire qu’elle reflète l’état des connaissances scientifiques.

Dans ce qui suit, je décris dans un premier temps les deux seules études publiées à ce jour concernant des différences entre les sexes dans les « préférences » pour certains jouets chez des singes, l’une en 2002 et l’autre en 2008 [18]. Je présente leur contexte, leur méthodologie et leurs résultats, et les commente en ajoutant mes remarques critiques à celles déjà faites par d’autres [19]. Je rappelle dans un deuxième temps comment elles avaient été vulgarisées « à chaud », c’est-à-dire au moment de leur publication. Je passe ensuite en revue des exemples de leur instrumentalisation « à froid » dans l’espace public français, en pointant à chaque fois les reformulations plus ou moins fantaisistes, extrapolations abusives et autres arrangements avec la réalité. Pour conclure je serai relativement brève, car les faits présentés parlent d’eux-mêmes.

L’ETUDE D’ALEXANDER ET HINES DE 2002 SUR DES SINGES VERTS (VERVETS)

Contexte de l’étude et de sa publication

La première étude a été menée sur des singes verts, également appelés vervets, par Gerianne Alexander et Melissa Hines, toutes deux docteures et chercheures en psychologie. Elles consacrent toute leur carrière à la tentative de mise en évidence d’effets des hormones gonadiques sur le psychisme humain et de leur rôle dans le développement de différences psycho-comportementales entre hommes et femmes, depuis le début des années 1990 pour la première et celui des années 1980 pour la seconde.

Cette étude n’a été publiée ni dans une revue de primatologie, d’éthologie ou de biologie, ni dans une revue généraliste de psychologie ou d’anthropologie, mais dans Evolution and Human Behavior, journal officiel de la Human Behavior and Evolution Society. Autrefois nommée Ethology and Sociobiology, cette revue dédiée à l’approche évolutionniste des comportements humains a alors pour corédacteurs en chef Margo Wilson et son mari Martin Daly, deux psychologues canadiens cofondateurs de la psychologie évolutionniste dans les années 1990.

L’objectif de l’étude explicité au début de l’article était d’évaluer la possibilité que les différences entre les sexes dans les choix de jouets puissent émerger indépendamment des mécanismes sociaux proprement humains habituellement proposés pour les expliquer : « nous avons par conséquent testé l’hypothèse que les singes vervets, comme les êtres humains, présentent des différences entre les sexes dans les choix de jouets », expliquent les auteures qui ne donnent aucune justification du choix de cette espèce de primate. Il est probable qu’elles n’ont en fait pas eu le choix : il se trouve que l’UCLA, à laquelle Hines est à l’époque affiliée, partage avec le centre médical pour vétérans de Sepulveda un laboratoire de recherche sur les primates non-humains dans lequel de nombreux singes vervets sont élevés depuis des décennies. Ces singes sont couramment utilisés dans la recherche biomédicale car ils sont petits, faciles à manipuler et à élever en captivité, et présentent l’intérêt de développer des pathologies fournissant des modèles d’étude pour l’hypertension et le SIDA.

Echantillon et méthodologie de l’étude

Les 88 singes testés étaient d’âges très divers allant de 2 mois à 15 ans et demi, ce dernier correspondant dans cette espèce à un âge (adulte) avancé. Les 44 mâles étaient en moyenne âgés de 3.3 ans et les 44 femelles de 4.2 ans. Ils vivaient en captivité dans des cages de 25 mètres carrés ou plus, dans sept groupes stables de 17 à 28 animaux. Six étaient constitués de plusieurs adultes des deux sexes et leur progéniture, un était constitué uniquement de mâles adultes. Les auteures ne disent pas comment ont été sélectionnés les singes mais il est certain qu’il y a eu une sélection puisque 7 x 17 font 119 (> 88). Trois groupes ont été testés en automne et quatre le printemps suivant (on ne sait pas lesquels).

Pour chaque groupe, le test a consisté à placer successivement dans la cage six jouets, dans un ordre aléatoire et pendant cinq minutes chacun, et à filmer ce qui se passait. Les vidéos ont ensuite été codées par les auteures pour déterminer deux indicateurs de comportement de chaque animal vis-à-vis de chaque jouet : le temps d’ « approche », défini comme étant le temps passé à moins de 2 mètres du jouet sans le toucher après s’être dirigé vers lui, et le temps de « contact », défini comme étant le temps passé en contact physique avec le jouet après s’en être approché. Afin de les acclimater à la procédure, tous les singes ont été soumis une première fois au test. Les données utilisées pour l’article ont été enregistrées lors de deux tests réalisés respectivement une et deux semaines plus tard pour 56 d’entre eux (les données des deux tests ont alors été moyennées), et lors d’un seul test pour les 32 autres, la pluie ayant empêché de mener à bien le second.

Les jouets avaient été choisis et catégorisés en fonction d’observations faites sur des enfants humains, dont certaines par les auteures : une balle et une voiture de police ont été choisis comme jouets « masculins » car « les garçons s’intéressent plus que les filles aux balles et aux voitures », une poupée en tissu et une casserole comme jouets « féminins » car « les filles s’y intéressent plus que les garçons », et un livre d’images en tissus et un chien en peluche comme jouets « neutres » car « garçons et filles s’intéressent à peu près autant les uns que les autres aux livres et aux animaux en peluche », selon Alexander et Hines.

Résultats des comparaisons entre groupes de sexe

Les auteures expliquent que comme les mâles ont passé substantiellement plus de temps que les femelles (quoique non statistiquement significativement) à proximité (d=0.35) ou au contact (d=0.38) des jouets globalement, il valait mieux comparer les temps en pourcentage plutôt qu’en valeur absolue. Le pourcentage de temps de contact avec un jouet a été calculé en divisant le temps de contact avec ce jouet par le temps total de contact avec l’un ou l’autre des six jouets, et un calcul similaire a été fait pour l’approche. Du fait de ce mode de calcul, 7 femelles sur 44 n’ayant approché aucun jouet ont été éliminées de la comparaison des pourcentages d’approche, et 14 femelles et 11 mâles n’ayant touché aucun jouet ont été éliminés de celle des pourcentages de contact. Les auteures ont comparé les deux sexes par catégorie de jouet et par jouet, pour l’approche et le contact, en valeur absolue et en pourcentage, c’est-à-dire effectué (3 + 6) x 2 x 2 = 36 comparaisons dont j’ai synthétisé les résultats dans la Figure A ci-après.

Figure A

Concernant l’approche, elles n’ont trouvé de différence entre les sexes statistiquement significative ni en valeur absolue, ni en pourcentage quelle que soit la catégorie de jouet ou le jouet, c’est-à-dire pour aucune des 18 comparaisons correspondantes. Concernant le contact en valeur absolue, elles ne rapportent que le fait que les mâles ont passé significativement plus de temps avec la catégorie « masculine » que les femelles, ne disant bizarrement rien des autres comparaisons (on peut raisonnablement supposer que c’est parce qu’elles ne présentaient pas les différences attendues). Elles ne disent pas quelle est l’ampleur de cette différence, mais la valeur F(1, 86) = 5.28 qu’elles rapportent correspond d’après mes calculs à d = 0.5, i.e. un demi écart-type. On peut comprendre que les auteures aient poursuivi l’analyse en construisant un autre indicateur – le contact en pourcentage –, car à ce stade les différences entre les sexes n’étaient guère impressionnantes et leur similarité supposée avec les différences entre filles et garçons loin d’être frappante.

Concernant le contact en pourcentage, les auteures ont trouvé que les mâles avaient en moyenne été autant que les femelles en contact avec les deux jouets « neutres », moins qu’elles avec les jouets « féminins » et plus qu’elles avec les jouets « masculins ». La dispersion des données n’est pas qualifiée ni quantifiée. De même, il n’y a pas moyen de savoir précisément qu’elle est l’ampleur des différences moyennes entre les sexes rapportée à la variabilité (d de Cohen), trois petits histogrammes étalés sur une page presque entière permettant seulement d’en avoir une idée approximative. Les barres d’erreur présentes sur ceux-ci indiquent que cette taille d’effet statistique du sexe était assez modeste pour la balle, la voiture et la casserole (voir la Figure B ci-après).

Figure B

Résultats des comparaisons entre types de jouet dans chaque groupe de sexe

Bien que cette étude ait été conçue, comme on l’a vu, pour tester les différences entre les sexes dans les comportements vis-à-vis de tel ou tel jouet, les auteures rapportent également les résultats d’une analyse faite dans l’autre sens, à savoir les différences entre les jouets à l’intérieur de chaque groupe de sexe. Elles admettent qu’il est délicat d’interpréter ces données en termes de préférence relative pour les jouets « féminins » vs « masculin » dans la mesure où ils ont été présentés successivement et non simultanément (se montrant ici plus rigoureuses que Simon Baron-Cohen, qui a fait fi de ce problème dans sa fameuse étude sur les préférences des nouveau-nés). Elles rapportent néanmoins les deux résultats suivants : en pourcentage, les femelles ont été en contact significativement plus longtemps avec les jouets « féminins » qu’avec les « masculins », alors que les mâles n’ont pas présenté de différence significative de temps de contact entre jouets « féminins » et « masculins » [20]. Par ailleurs, les histogrammes présents dans l’article montrent (voir la Figure B ci-dessus) que chez les mâles, le jouet « préféré » a été la peluche (environ 27.5% du temps de contact), largement devant la balle, la casserole et la voiture (env. 19% à 17% chacun) suivis de la poupée et du livre (env. 8% chacun), et que chez les femelles le jouet « préféré » a été la casserole (environ 28% du temps de contact), devant la peluche et la poupée (env. 23% et 22%) suivis des balle, voiture et livre (env. 10% à 7% chacun).

Autres observations et interprétation des résultats par les auteures

Toujours en utilisant le temps de contact exprimé en pourcentage, les auteures ont également testé deux hypothèses intéressantes eu égard à la façon dont ce type d’observations sur les singes est parfois interprété. La première est que l’intérêt pour les jouets « masculins » et/ou « féminins » différerait en fonction du rang social chez les mâles et/ou chez les femelles, mais elles n’ont pas trouvé d’effet statistiquement significatif de celui-ci.La seconde est que la différence observée serait liée au fait que l’intérêt des singes différerait selon que les jouets ressemblent à des animaux (chien, poupée) ou à des objets (casserole, balle, livre, voiture), or leur analyse réalisée en construisant ces deux catégories de jouets ne fait pas apparaître de différence entre les sexes; leurs données n’étayent donc pas cette hypothèse.

Elles notent cependant que « dans certains cas », les singes (sans précision de sexe) se comportaient avec les jouets d’une manière ressemblant à la façon dont le font les enfants, par exemple en faisant rouler la voiture sur le sol, et qu’ils « interagissaient avec la poupée de manières ressemblant à celle dont les femelles vervet se comportent avec les bébés, par exemple en l’inspectant physiquement ».

Conformément à leur orientation théorique, les auteures concluent que leurs données suggèrent que les différences entre les sexes dans les choix de jouets sont en partie naturelles. Plus précisément, leur scénario est que des préférences « sexuellement dimorphiques » seraient apparues tôt dans l’évolution, avant l’émergence de la « lignée des hominidés », qui contribueraient aux choix de jouets « sexuellement dimorphiques » des enfants humains actuels. Selon elles, le cerveau des primates a en effet évolué de telle sorte qu’il développe naturellement des systèmes spécialisés de reconnaissance de catégories d’objets, ces systèmes pourraient guider les choix d’objets, et certaines caractéristiques des jouets utilisés ici auraient une « signification adaptative » différente pour les mâles et les femelles. La question est alors de savoir quelles caractéristiques joueraient ici et en quoi leur reconnaissance/préférence aurait une fonction adaptative.

Pour ce qui est de la fonction adaptative des « préférences » pour la balle et la voiture plus marquées chez les mâles que chez les femelles, il pourrait selon elles s’agir d’une prédisposition à s’intéresser à des objets avec lesquels on joue de manière « active », sélectionnée au cours de l’évolution car préparant à « la chasse, la recherche de nourriture ou de partenaires ». Pour ce qui est de la « préférence » plus marquée chez les femelles que chez les mâles pour la casserole et la poupée, leur hypothèse est que les femelles sont particulièrement sensibles aux indices déclenchant un « comportement maternel » maximisant la survie des bébés. Comme leur test réalisé en regroupant les jouets « ressemblant à des êtres animés » (poupée, chien) d’un côté et ceux ressemblant à des objets inanimés de l’autre n’a pas montré de différence entre les sexes, elles concluent que ce n’est pas cette caractéristique qui joue ici, d’autant qu’elle laisserait inexpliquée la différence observée pour la casserole. Elles formulent alors l’hypothèse suivante : puisqu’ « il a été observé que les femelles macaque rhésus présentent une préférence pour la couleur ‘rose-rougeâtretypique des visages de bébés singes vervets par rapport au jaune ou au vert » (souligné par moi), la « préférence » plus marquée chez les femelles vervets que chez les mâles pour la casserole (qui se trouve être rouge) et pour la poupée (au visage rose) s’expliquerait par une prédisposition à être réceptives à ces couleurs qui « pourraient signaler des occasions de comportement de soin nourriciers ». D’ailleurs, soulignent-elles, on a justement constaté que les filles sont plus susceptibles que les garçons de préférer les « couleurs chaudes (i.e. rose et rouge) aux couleurs froides (i.e. bleu et vert) ».

Quelques remarques s’imposent, invitant à prendre les résultats de cette étude avec précautions et leur interprétation par les auteures avec une nécessaire distance critique.

Des résultats restant à répliquer et soumis à de nombreux risques de biais

Cette étude a été faite sur un échantillon de taille acceptable en éthologie mais qui reste modeste dans l’absolu (63 singes pour l’indicateur de contact principalement utilisé). La période d’observation était très courte, assez éloignée des standards de l’éthologie : 5 ou 10 minutes par jouet selon les groupes de singes, temps duquel il faudrait en outre retrancher pour chaque singe celui pendant lequel un autre singe l’empêchait d’entrer en contact avec le jouet. C’était la première étude testant ce type de comportement chez des vervets, et elle n’a pas été répliquée. Par conséquent, on ne peut conclure de cette étude que ses résultats sont valables pour les vervets en général, ni même pour les vervets élevés en captivité dans ce centre de recherches.

Indépendamment des biais éventuels liés à la manière dont les auteures ont codé les vidéos et choisi d’exploiter leurs données compte tenu de leurs croyance et paradigme de recherche, de nombreuses sources de biais sont susceptibles d’avoir contribué à créer des différences pouvant n’être que des artefacts du dispositif expérimental ou le fait du hasard : l’échantillon initial a été défini on ne sait comment (peut-être pas au hasard) et a en outre été amputé a posteriori d’un nombre substantiel de singes n’ayant pas touché les jouets ; davantage de femelles que de mâles ont été éliminées par cette procédure; il s’agit de singes vivant en captivité dans de relativement petits enclos, dont les comportements ne sont par conséquent pas représentatifs a priori de ce qui se passe dans la nature; les femelles étaient en moyenne plus âgées que les mâles; certains mâles vivaient dans une cage non mixte et toutes les femelles dans des cages mixtes; certaines femelles avaient eu des petits dont elles s’étaient occupées; les singes n’ont pas tous été testés à la même saison; les singes ont été testés en groupe, or le comportement des uns avait évidemment une influence sur celui des autres (ce que les auteures ont admis dans un commentaire ultérieur [21]); les singes ont pu « s’intéresser » plus ou moins à tel ou tel jouet selon celui ou ceux qui leur avaient été proposés juste avant, or l’ordre de présentation était variable; des interactions particulières ont pu avoir lieu lors de la première présentation des jouets, aux données non utilisées, susceptibles d’influencer les comportements ultérieurs des singes quand on leur a à nouveau présenté les mêmes jouets en présence des mêmes congénères; la procédure de test n’incluait pas de contrôle des conditions initiales, or si un singe était occupé à quelque-chose ou positionné loin de l’endroit où le jouet a été introduit dans la cage, cela a réduit d’autant la probabilité qu’il soit (longtemps) en contact avec lui ; etc.

Si nombre de ces sources de biais sont consubstantielles à un dispositif expérimental mal conçu dès le départ, certains de ces biais auraient du moins pu être contrôlés lors de l’analyse en utilisant des procédures statistiques adéquates. Les auteures auraient ainsi pu procéder à une régression tenant compte au moins de l’âge, de la nulliparité, du rang social, de la saison de test et de l’ordre de présentation des jouets pour dégager l’effet (statistique) propre du sexe. Elles ne l’ont malheureusement pas fait, se contentant d’indiquer que ni le rang social, ni le numéro du test (pour les singes ayant été testés deux fois) n’avaient un effet statistiquement significatif, qu’inclure l’âge comme covariable ne rendait significative aucune des différences non significatives rapportées ni inversement, et qu’il n’y avait pas d’effet statistiquement significatif « de l’âge ni de l’interaction entre sexe et âge sur les données de contact ».

En l’absence de contrôle plus rigoureux des biais possibles et compte tenu de l’ampleur modeste des différences mises en évidence, l’effet statistique du sexe rapporté dans cet article paraît fragile. Il l’est d’autant plus que les auteures ne donnent aucun moyen de savoir si ces différences moyennes résultent de patterns relativement cohérents à l’intérieur de chaque groupe de sexe ou du comportement atypique de quelques individus, et ne disent même pas avoir testé l’hypothèse de normalité des distributions, condition pourtant nécessaire pour que l’analyse de variance qu’elles ont effectuée soit valide sur le plan statistique.

Une interprétation globale discutable

Pour les auteures, ces résultats indiquent que des déterminants génétiques de préférences « sexuellement dimorphiques » ont été sélectionnés tôt au cours de l’évolution, avant l’émergence de la lignée des « hominidés ». Une telle interprétation est discutable à plus d’un titre.

Tout d’abord, rien n’est « dimorphique » dans les données rapportées : les singes d’un même sexe ont différé entre eux bien plus que les singes des deux sexes n’ont différé en moyenne. L’ampleur de la différence moyenne entre les sexes dans le temps de contact en valeur absolue avec les jouets « masculins » correspond ainsi à un demi écart-type, équivalent à une variance dont 94% est indépendant du sexe.

Ensuite, les singes testés étaient loin d’être des nouveau-nés ou même l’équivalent d’enfants humains, nombre d’entre eux étant des adultes y compris âgés. La plupart avaient derrière eux plusieurs années de socialisation par les individus de leur groupe et de vécu sexo-spécifique (ex : femelles ayant eu des petits, mâles vivant dans une cage non mixte). Par conséquent, l’origine génétique innée des différences observées chez ces singes n’a rien d’évident.

Par ailleurs, il aurait en fait fallu parler de lignée des hominoïdes et non des hominidés, ce qui déplace le curseur de quelques millions d’années. Car les singes vervets (désormais classés dans le genre Chlorocebus et non plus Cercopithecus comme indiqué par Alexander et Hines) sont sur le plan phylogénétique assez éloignés de l’être humain, comparativement aux bonobos et aux chimpanzés communs, aux moins proches gorilles faisant du moins partie des homininés, aux encore moins proches orang-outans faisant du moins partie des hominidés, et même aux gibbons faisant du moins partie des hominoïdes. On estime que cette superfamille à laquelle l’humain appartient s’est séparée de la lignée ayant abouti aux vervets actuels il y a environ 30 millions d’années. L’interprétation des auteures repose donc sur l’hypothèse que la programmation génétique supposée d’une différence entre les sexes dans un supposé système de reconnaissance/préférence aurait été sélectionnée, puis conservée depuis environ 30 millions d’années, et ce non seulement dans la lignée des vervets mais aussi dans la lignée humaine puisqu’elles supposent que cette différence seraient la même qui contribuerait aux choix « sexuellement dimorphiques » des enfants humains actuels. Cette hypothèse est pour le moins audacieuse.

Quant à l’interprétation des (pourcentages de) temps d’approche et de contact, elle est plus que délicate. Déjà, l’absence de différence entre les sexes pour l’ « approche » pose question, car il paraît raisonnable de supposer qu’un singe davantage attiré par un objet qu’un autre tendra à s’en approcher davantage (surtout si c’est sa couleur visible de loin qui détermine ce surcroît d’intérêt, comme c’est censé être le cas pour la casserole rouge). De plus, puisque les auteures n’ont apparemment pas constaté de différence entre les sexes dans le temps de contact avec les jouets « féminins » en valeur absolue, si on prend au sérieux l’hypothèse que ce qu’elles ont observé reflète des conditions naturelles, cela indique que les mâles passeraient naturellement autant de temps que les femelles à s’occuper d’objets censés susciter des pulsions maternantes, ce qui n’est pas en phase avec la répartition naturelle des rôles sur laquelle est basée leur interprétation. Par ailleurs, le comportement des singes a à l’évidence été influencé par celui des autres membres du groupe et ne saurait donc être interprété comme l’expression libre d’un choix, d’une « préférence » individuelle. En outre, il n’est pas improbable que certains des contacts avec les objets ne soient pas facilement interprétables dans leur schéma : peut-on interpréter en termes de « préférence » un contact ayant consisté à agresser physiquement la poupée ou la peluche, par exemple ? Peut-on considérer que si un singe a utilisé plus longuement qu’un autre la casserole pour taper sur quelque-chose, cela montre qu’il était davantage enclin à saisir une occasion de prodiguer des soins nourriciers à cette casserole ? Peut-on considérer qu’un singe qui a tenu la voiture en ne bougeant pas ou très peu l’a fait parce qu’il était enclin à saisir une occasion d’être actif ? Les auteures ne fournissent malheureusement aucune description qualitative des contacts, se contentant significativement des deux exemples soigneusement choisis cités plus haut, observés « dans certains cas », et tout ce qu’on sait est donc que dans d’autres cas les contacts ont pris d’autres formes.

Enfin, on peut se demander dans quelle mesure leurs observations sont réellement en phase avec ce qu’on observe chez les enfants humains. Sans rentrer dans la discussion de la variabilité des résultats exposés dans la littérature existant sur cette question, signalons ce qu’en disent dans la revue Hormones and Behavior les auteurs de l’autre étude sur les singes dont je parle plus bas : « Hines et Alexander soulignent que 4 différences potentielles entre les sexes sont à évaluer dans les études sur les différences entre les sexes dans les choix de jouets. […] Comme Hines et Alexander le reconnaissent, ces quatre différences entre les sexes ne sont pas toutes systématiquement trouvées dans les études humaines. Cependant, il y a une différence qui est trouvée dans toutes les études […] qu’elles comme nous avons citées : les garçons préfèrent significativement les jouets masculins aux jouets féminins. Les autres différences entre les sexes sont trouvées dans certaines études, mais pas dans d’autres […]. C’est pourtant précisément cette différence entre les sexes qu’Alexander et Hines n’ont pas trouvée » [22].

Des hypothèses ad hoc

Les hypothèses formulées par les auteures pour expliquer leurs données posent également problème. Pour mémoire, elles formulent l’hypothèse que les femelles ont passé un plus grand pourcentage de leur temps que les mâles avec la casserole et la poupée à cause de leurs couleurs rouge et rose respectivement, et celle que les mâles ont passé un plus grand pourcentage de leur temps que les femelles avec la balle et la voiture car ces jouets inviteraient au mouvement, le livre et la peluche n’ayant pas montré de différence entre les sexes car ne possédant ni l’une ni l’autre de ces caractéristiques. Ces hypothèses constituent une rationalisation post hoc, c’est-à-dire un scénario ad hoc construit sur la base des résultats d’une expérience. Rien ne l’interdit, mais il faut souligner que ça ne relève pas de la démarche scientifique consistant à formuler d’abord une hypothèse puis à la tester, mais d’une démarche de spéculation dont le caractère gratuit peut être mis en évidence par une simple expérience de pensée.

Imaginons par exemple que les femelles aient eu autant (voire plus) de temps de contact que les mâles avec la voiture. Pas de problème : les auteures auraient pu l’expliquer par le fait que comme la casserole, les roues de la voiture étaient rouges comme un visage de bébé singe, ce qu’elles omettent de signaler et qui n’est pas visible dans l’article mais l’est dans les photos en couleurs publiées sept ans plus tard (cf Fig. C ci-dessous). Si les femelles avaient eu plus de temps de contact que les mâles avec les peluches, ça aurait pu s’expliquer par le fait qu’une peluche ressemble à un bébé singe, et l’inverse aurait pu s’expliquer par le fait qu’une peluche en forme de chien marron foncé [23] ressemble à un intrus dont les mâles sont censés protéger le groupe. Si les femelles n’avaient pas eu plus de contact que les mâles avec la poupée, ça aurait pu s’expliquer par les éléments bleus qui l’ornaient et sa coloration pâle, loin du « rose-rougeâtre » censé attirer les femelles (même remarque que ci-dessus, cf Fig. C), ou encore par le fait que ressemblant à un être humain, la poupée a été perçue comme un intrus. Si les femelles avaient été plus intéressées que les mâles par la balle, ça aurait pu s’expliquer par sa couleur orange [24], une couleur faisant partie des couleurs « chaudes » censées attirer préférentiellement les filles/femelles. Etc, etc : avec un minimum d’imagination et d’habileté, on peut toujours s’en sortir avec une explication congruente avec des stéréotypes de genre, et c’est du reste le grand atout de la psychologie évolutionniste dont ce type d’exercice est la spécialité.

Figure C

Outre que ces hypothèses sont post hoc, leur examen montre comme on va le voir qu’elles sont problématiques déjà sur les vervets, et qu’elles le deviennent encore plus quand les auteures discutent des observations faites chez l’être humain afin d’en tirer des conclusions pour notre espèce, dont elles supposent qu’elle a hérité des mêmes « systèmes de reconnaissance de catégories » que les vervets.

Une explication par la couleur plus que fumeuse… et ensuite contredite par Hines

L’hypothèse d’Alexander et Hines concernant le rôle de la couleur pose un problème logique, quand on réfléchit. En effet, un test mené pour la vérifier aboutirait soit à infirmer l’existence d’une différence entre femelles/filles et mâles/garçons de préférence pour le rose-rouge, soit à la confirmer. Mais dans ce dernier cas, cela signifie qu’une expérience menée avec une casserole bleue, une poupée au visage brun foncé et au corps brun aux reflets verdâtres, une peluche au visage rose (et non entièrement brun foncé comme ici) et un livre d’images roses et rouges montrerait que « contrairement aux enfant humains », les femelles vervets n’ont pas de « préférence » plus marquée que les mâles pour les jouets « féminins » que sont une casserole et une poupée (même semblable à un vervet miniature), et ont une « préférence » plus marquée que les mâles pour les jouets « neutres » que sont une peluche et un livre. En clair, la conclusion globale des auteures est incompatible avec l’hypothèse qu’elles formulent pour l’expliquer : l’une des deux (au moins) est nécessairement fausse.

Ajoutons que lorsqu’on examine de plus près les arguments qu’elles avancent à l’appui de cette hypothèse, on s’aperçoit de leur faiblesse. Déjà, on voit qu’elles manquent de données sur les préférences de couleur chez les vervets, ne pouvant citer que des données concernant des macaques rhésus. Ensuite, le visage de la poupée était d’un rose très pâle et non du ‘rose-rougeâtre’ censément préféré par les femelles (macaques). Cette hypothèse tient d’autant moins la route qu’elle n’explique pas pourquoi les femelles comme les mâles ont « préféré » la casserole à la poupée (cf Fig. B) : le « système de détection de catégories d’objet signalant une opportunité de comportement maternel » censément commun aux macaques rhésus et aux vervets serait dans ce cas passablement inadapté en général, aucune espèce de primate n’ayant des bébés entièrement rouges comme l’était la casserole [25], et chez les vervets en particulier dont les jeunes ont un visage plutôt rose très pâle que rouge. Ensuite, je n’ai pas connaissance de données montrant que les filles ont une préférence plus marquée que les garçons pour les jouets rouges, que la différence entre filles et garçons dans la préférence pour les voitures est moins marquée lorsque celles-ci sont rouges plutôt que bleues ou vertes, ou encore que la différence entre filles et garçons dans la préférence pour un service à thé est plus marquée si celui-ci est rouge que s’il est blanc à fleurs bleues, et à vrai dire je serais assez étonnée que ce soit le cas.

Leur affirmation pour le moins osée que les filles sont plus susceptibles que les garçons de préférer les « couleurs chaudes (i.e. rose et rouge) aux couleurs froides (i.e. bleu et vert) » n’est d’ailleurs étayée que par une seule référence, et il s’agit d’un livre publié en 1985 en japonais, qu’elles n’ont pas lu, cité par son auteur en 2001 dans un article de la revue Hormones and Behavior à l’appui de l’idée que lorsqu’ils dessinent, garçons et filles n’utilisent pas les mêmes couleurs [26]. Qui plus est, dans l’article en question les auteurs rapportent une expérience sur 252 enfants de 5-6 ans qui n’étaye pas la formulation d’Alexander et Hines, et rapporte que les quatre couleurs les plus utilisées par les filles pour dessiner étaient le rouge, le noir, la couleur « chair » (beige clair) et le bleu ciel, les filles dessinant plus de personnages, et celles les plus utilisées par les garçons le noir, le rouge, le bleu et le bleu ciel. Enfin, le « système de détection de catégories d’objet signalant une opportunité de comportement maternel » censément commun aux macaques rhésus, aux vervets et aux êtres humains serait encore plus inadapté chez ces derniers que chez les vervets, la couleur de peau des humains variant non pas du rose au rouge mais du beige clair au marron foncé (c’est-à-dire la couleur de la peluche qualifiée ici de jouet « neutre »), léger détail auquel n’ont sans doute pas songé ces deux chercheuses « blanches ».

Quoi qu’il en soit, il se trouve que Melissa Hines a ultérieurement fait un test de cette hypothèse, et il s’est avéré négatif. Dans une étude publiée en 2010 dans la revue Archives of Sexual Behavior, menée avec Vasanti Jadva et Susan Golombok sur 120 enfants âgés de 12, 18 ou 24 mois, elle n’a en effet pas trouvé de différences entre filles et garçons dans leurs préférences de couleurs (ni de formes) : “les garçons comme les filles ont préféré les couleurs rougeâtres au bleu et les formes rondes aux formes angulaires” [28b]. Les chercheuses ont également observé au passage que dans le groupe des enfants âgés de 12 mois, les garçons comme les filles avaient en moyenne préféré les poupées aux voitures, ceci suggérant selon elles que “l’évitement des poupées manifesté par les garçons plus âgés est peut-être acquis”. De même, ajoutent-elles, “la similarité des préférences des très jeunes garçons et filles en matières de couleurs et de formes suggère que toute différence entre les sexes observée ultérieurement en la matière est due à la socialisation ou au développement cognitif lié au genre, plutôt qu’à des facteurs innés”.

Une invocation trompeuse de travaux de Simon Baron-Cohen

Il convient aussi de signaler que conformément à une pratique courante dans ce champ de recherches, les auteures invoquent une autre étude censée appuyer leur théorie en masquant ce qu’elle recèle au contraire de contradictoire et en n’hésitant pas à en inverser le sens. En effet, se référant ici uniquement à Connellan et al (2000), elles indiquent que « les nouveau-nés de sexe masculin semblent préférer les objets inanimés en mouvement, alors que les nouveau-nés de sexe féminin semblent préférer des objets ressemblant par certains aspects (forme, couleur) à des êtres animés » (p. 475). Or non seulement ça n’est pas en phase avec leur observation qu’il n’y avait pas de différence entre objets « inanimés » vs ressemblant à des « êtres animés » selon le sexe des vervets, mais il se trouve que dans cette étude dirigée par Simon Baron-Cohen les nouveau-nés de sexe féminin n’avaient pas regardé significativement plus longtemps le visage d’un vrai « être animé » que ceux de sexe masculin, et ces derniers avaient regardé significativement plus longtemps que les premières l’objet qui leur était montré, à savoir un mobile ayant justement exactement la même forme et les mêmes couleurs que le visage de l’ « être animé » auquel il était comparé (Baron-Cohen privilégiant l’hypothèse que c’est le style de mouvement animant l’objet et le visage qui les différencient aux yeux des nouveau-nés, et non leur forme, leur couleur, ou le fait que l’un bouge et l’autre non) [27].

Une explication par l’activité également problématique… et ensuite contredite par Alexander

Quant à l’hypothèse que les mâles vervets et les garçons ont une préférence plus marquée que les femelles pour les voitures et les balles parce qu’il s’agit de jouets avec lesquels ont joue de manière plus active, comme pour celle concernant la couleur on peut aisément imaginer une expérience qui invaliderait soit cette hypothèse, soit la conclusion des auteures soutenue par celle-ci. Ainsi, une expérience comparant l’intérêt des mâles et femelles vervet pour un jouet constitué d’une poupée (ni rose, ni rouge) placée dans un landau montrerait soit un intérêt égal ou moins marqué chez les mâles, ce qui invaliderait l’hypothèse que le caractère mobile de la voiture expliquait l’intérêt plus marqué des mâles, soit que contrairement aux enfants humains, les mâles vervets sont plus intéressés que les femelles par une poupée dans un landau.

Il se trouve en tout cas que Gerianne Alexander a elle-même testé cette hypothèse, et que ce test s’est avéré négatif. Dans un article publié en 2012 dans la revue Hormones and Behavior avec une de ses étudiantes [28], elle rapporte en effet les résultats d’une expérience destinée à tester « l’hypothèse que les préférences plus marquées pour des styles de jeu actifs contribuent à former des préférences plus marquées pour les jouets typiquement masculins » (p. 500). Placés chacun deux fois huit minutes devant un parterre de jeux divers et invités à y jouer librement, les 49 garçons et 37 filles âgés en moyenne de presque 20 mois ont en moyenne eu les comportements attendus, i.e. les garçons ont joué plus que les filles avec la catégorie de jouets « masculins » (blocs de construction, véhicules, outils), les filles plus que les garçons avec la catégorie de jouets « féminins » (poupon, cosmétiques, service à thé), et la catégorie de jouets « neutres » (livre, puzzle, peluche) n’a pas produit de différence significative. En revanche, l’enregistrement de leur quantité de mouvement par des bracelets électroniques pendant leur interaction avec les jouets a montré une absence de différence de niveau d’activité non seulement entre garçons et filles, mais aussi entre moments de jeux avec une poupée et moments de jeux avec une voiture. De plus, il n’y avait pas de corrélation significative entre le niveau d’activité durant les jeux et le degré de préférence pour les jouets « masculins » que ce soit chez les filles, chez les garçons, ou chez tous les enfants considérés ensemble. D’autres résultats de cette étude permettent à Gerianne Alexander de discuter de manière intéressante d’autres hypothèses de recherche attribuant un rôle à la testostérone, mais on retiendra ici que selon elle, ces résultats « suggèrent que des facteurs autres que des préférences liées au niveau d’activité contribuent à l’émergence précoce de choix de jouets sexotypiques » (p. 500), ou encore qu’ils « remettent en question la suggestion classique que les préférences en matière de niveau d’activité sont un déterminant important des choix de jouets des jeunes enfants » (p. 503).

En synthèse, cette étude de 2002 souffre d’importantes faiblesses méthodologiques et de manque de rigueur dans l’analyse, le fait qu’elle flatte (en apparence) le paradigme de recherche des membres de la société savante éditant Evolution and Human Behavior paraissant être la principale qualité ayant permis sa publication. Les résultats de cette étude sur les singes vervets sont douteux, loin d’étayer la théorie selon laquelle la sexuation des choix de jouets chez les enfants est en partie créée par un mécanisme biologique que nous partagerions avec cette espèce, et les seules hypothèses avancées par les auteures pour expliquer leurs résultats s’avèrent alambiquées, contredites par d’autres données et/ou incompatibles avec leur interprétation globale. A contrario, les phénomènes de socialisation différentielle des filles et des garçons dont l’existence est admise par tous, y compris les chercheurs les plus « biologiquement déterministes », permettraient d’expliquer simplement que « [d]ans la petite enfance, les garçons préfèrent généralement les jouets qui représentent des véhicules, des outils et du matériel de construction tandis que les filles préfèrent généralement les jouets qui représentent des êtres humains et des accessoires domestiques », et que ces différences « émergent au cours de la seconde année de vie » (Alexander & Saenz, 2012, p. 500). Il paraît à ce stade plus rationnel de privilégier cette dernière explication que de supposer l’existence d’un mystérieux mécanisme biologique dont les auteures n’ont même pas réussi à proposer des contours fonctionnels plausibles.

L’ETUDE DE KIM WALLEN DE 2008 SUR DES MACAQUES

Le contexte de l’étude et de sa publication

Le second article scientifique existant sur le sujet est celui signé par Janice Hassett, Erin Siebert et Kim Wallen, publié en 2008 dans Hormones and Behavior, le journal officiel de la Society for Behavioral Neuroendocrinology. Kim Wallen, auteur correspondant de cette étude menée avec l’aide de ses deux jeunes étudiantes Janice et Erin, est avec Emilie Rissman l’un des trois co-fondateurs en 1996 de cette société savante états-unienne « dédiée à l’étude des processus hormonaux et systèmes neurodocriniens qui régulent le comportement » [29]. Au moment où l’article est publié, Emilie Rissman en est présidente et Kim Wallen est l’un des trois rédacteurs en chef adjoints de la revue. Selon ses propres mots, Kim Wallen consacre ses recherches à « l’interaction entre hormones et contexte social dans le développement et l’expression des comportement sexuels et sexués chez les primates humains et non humains » [30]. Comme la plupart des présidents passés de la Society for Behavioral Neuroendocrinology, il est l’un des leaders des recherches de facteurs biologiques de sexuation du système nerveux et des comportements (entre 1997 et 2013 se sont succédé à sa tête pour deux ans chacun Arthur Arnold, Kim Wallen, Michael Baum, Jacques Balthazart, Geert de Vries, Emilie Rissman, Gregory Ball et Jeffrey Blaustein). Sous l’angle de ces éléments de contexte, cet article peut être vu comme une sorte d’auto-publication, par des chercheurs convaincus que les hormones jouent un rôle important dans les comportements humains, de résultats susceptibles d’accréditer leur paradigme de recherche. Une publicité particulière est d’ailleurs faite à cette étude à sa sortie : ce mois-là elle fait la Une de la revue, accompagnée d’une photo prise par Kim Wallen, ainsi que l’objet de deux commentaires invités élogieux.

Il est difficile de reconstituer précisément les prémisses et le déroulement de cette étude, mais voici en quels termes Janice Hassett, alors doctorante en psychologie au sein du laboratoire de Wallen, décrivait en janvier 2005 son projet de recherche : « je cherche à faire la lumière sur la base de l’émergence de différences entre les sexes dans les choix d’objets, tels que les choix de jouets. Utiliser des jouets génériques et travailler sur des singes rhésus vivant en groupe nous permettent d’étudier les bases biologiques potentielles de ces préférences sans les pressions de socialisation de la culture humaine » [31]. Hasset comme Wallen avaient donc la volonté de mettre en évidence d’éventuelles bases biologiques de la sexuation des choix de jouets, et étaient manifestement convaincus que cette question n’avait pas été adressée correctement par l’étude d’Alexander et Hines sur les vervets et qu’elle n’étayait pas vraiment cette hypothèse, ce qu’il est important pour la suite de souligner. Voici en effet ce qu’ils écrivent dans leur introduction :

« La seule étude existant sur les interactions de primates non-humains avec des jouets humains n’a pas fait choisir aux sujets simultanément entre des jouets masculins et féminins, et par conséquent ne pouvait pas mesurer directement leurs préférences. […] quand les préférences ont été comparées à l’intérieur de chaque groupe de sexe, les résultats ont différé significativement des observations faites sur des êtres humains. Contrairement aux garçons, les vervets mâles ont passé un pourcentage de leur temps comparable avec les jouets masculin et avec les féminins. Contrairement aux filles, les vervets femelles ont passé un pourcentage de leur temps significativement plus grand avec les jouets féminins qu’avec les masculins. Ainsi, les différences de préférences chez les vervets étaient en sens opposé à celles observées chez les enfants. Les auteures ont suggéré que l’absence de préférence des vervets mâles pour les jouets masculins impliquait que la préférence marquée des garçons pour ces jouets reflétait une socialisation genrée des choix de jouets plus forte chez les garçons que chez les filles ([…]). Cette explication paraît improbable […]. Une explication plus parcimonieuse est que puisque les vervets n’ont concrètement jamais eu à choisir entre les jouets, les résultats ne reflètent pas fidèlement des préférences mais mettent en évidence une inclination substantiellement partagée par les deux sexes à jouer avec n’importe quel jouet » (p. 360). En fait, leur recherche est basée sur des prémisses assez différentes de celles d’Alexander et Hines. Pour eux, « les différences entre les sexes dans les choix de jouets sont caractérisées par le fait que les préférences genrées sont plus marquées chez les garçons que chez les filles » (p. 359), en d’autres termes que les garçons ont typiquement une préférence marquée pour les jouets « masculins » alors que « les filles ne montrent souvent pas de préférence significative pour un type de jouet ou l’autre ». L’une des ironies de l’histoire est qu’ils citent à l’appui de cette affirmation une étude de 1992 signée par Melissa Hines.

Echantillon et méthodologie de l’étude

L’étude a été faite sur des macaques rhésus vivant en captivité, dans un enclos de 625 mètres carrés assorti d’abris clos, au sein d’un groupe stable établi depuis plus de 25 ans dans un centre national états-uniens de recherche sur les primates. Les auteurs estiment que l’étude de cette espèce est pertinente pour cette expérience car selon les travaux de Wallen, on y observe « des comportements juvéniles sexuellement différenciés hormonalement biaisés » et a contrario on n’a pas de données indiquant l’existence d’une socialisation des activités genrées.

L’hypothèse des auteurs étant que « certains aspects » de la sexuation des choix de jouets reflètent des différences de préférences pour « certaines activités », ils ont choisi des jouets dont « certaines propriétés » permettaient de les classer en deux catégories selon eux comparables aux catégories féminin / masculin traditionnelles bien que non identiques. L’une des catégories était constituée de six jouets à roues, « comparables aux véhicules-jouets masculins », l’autre de sept « peluches », « comparables aux jouets féminins de type poupée et peluche ». Les jouets à roues, longs de 16 à 46 cm, étaient un camion, un camion-benne, un engin de construction, une voiture, un caddie et un chariot (wagon en anglais, qui peut aussi signifier wagon mais au vu de ce qu’une recherche d’images renvoie dans Google sur ce mot et de la vidéo diffusée par Kim Wallen c’était bien un chariot). Les « peluches », de 14 à 73 cm de long, étaient une poupée Raggedy-Ann™, un chien Scooby-Doo™, une marionnette koala, un nounours, une tortue, un ours Winnie-the-Pooh™ et un tatou. Les auteurs n’en donnent pas de photos mais précisent que leurs formes et leurs couleurs variaient considérablement. On peut imaginer que l’ensemble ressemblait aux images ci-dessous trouvées sur le web (Fig. D).

Figure D

L’expérience a consisté à tester sept fois le comportement du groupe dans son enclos en filmant les interactions des singes avec les jouets. Avant chaque session de test, les singes étaient enfermés dans les abris pendant qu’une peluche et un jouet à roues étaient placé dans l’enclos à 10 mètres l’un de l’autre, puis on les libérait pendant 25 minutes (l’un des essais n’a duré que 18 minutes car la peluche avait été déchiquetée), après quoi on retirait les jouets de l’enclos. Le comportement d’interaction avec les jouets a été codé selon 15 modalités précisément définies : 8 modalités « longues » dont la durée a été chronométrée (placer la main ou le pied sur le jouet, le tenir sans se déplacer, s’asseoir dessus, se déplacer avec le jouet en main, avec le jouet sous le bras, avec le jouet dans le bouche, le traîner sur le sol derrière soi), 7 modalités « brèves » dont les occurrences ont été comptées (manipuler une partie du jouet, le faire tourner en entier, le toucher brièvement de la main ou des doigts, le renifler, le toucher brièvement de la bouche, le détruire, s’en approcher puis sauter en arrière, le jeter en l’air). Pour chaque triplet singe-type de jouet-type de modalité, les durées ou nombres d’occurrences de chaque session de test ont été additionnées, puis divisées par le nombre de fois qu’un singe avait participé à un test (tous n’ont pas participé aux sept).

Des 135 singes vivant dans l’enclos, 14 ont été exclus « des analyses » (il n’est pas dit clairement si c’était a priori ou a posteriori, mais cette formulation laisse penser que c’était plutôt a posteriori) « car ils avaient été exposés à des traitements hormonaux prénataux », et 39 nouveau-nés ont été exclus « en raison de la difficulté à les identifier » lors du codage de la vidéo. Restaient alors 82 singes, 61 femelles et 21 mâles. Ont ensuite été exclus les singes n’ayant pas participé aux tests, ainsi que ceux ayant eu moins de cinq interactions codées, sans que les auteurs justifient ce choix, en l’occurrence 14 femelles et 3 mâles. L’échantillon dont l’analyse est rapportée est au final constitué de seulement 34 des 135 singes du groupe, 23 femelles et 11 mâles (les auteurs précisent que la proportion de sujets exclus ne différait pas de façon statistiquement significative selon le sexe). Ces singes étaient d’âges divers, allant de 1 an à plus de 13 ans, et je note que seules 10 femelles sur les 23 étaient des « jeunes » (âgés de 1 à 4 ans) alors que 8 mâles sur les onze appartenaient à cette classe d’âge, i.e. 43.5 % des femelles contre 72.7 % des mâles, et que sur les 6 singes « âgés » (13 ans et plus), 5 étaient des femelles.

Pour l’analyse statistique des données, les auteurs précisent qu’ils ont eu des difficultés car leurs distributions ne satisfaisaient pas l’hypothèse de normalité, du fait que la majorité des animaux avait peu interagi avec les jouets et un petit nombre d’entre eux au contraire énormément interagi. N’ayant pas trouvé de procédure de transformation unique applicable aux deux indicateurs (durée et fréquence) rendant les distributions compatibles avec cette hypothèse, ils ont finalement procédé à une analyse de variance afin de pouvoir du moins identifier l’existence de corrélations sans pour autant les mesurer correctement, et lorsqu’ils ont trouvé une corrélation ils ont vérifié qu’elle était statistiquement significative en utilisant un test ne requérant pas que cette hypothèse soit respectée.

Résultats et interprétation par les auteurs

En ce qui concerne l’indicateur de fréquence, les auteurs rapportent que les mâles ont eu en moyenne significativement plus d’interactions avec les jouets à roue qu’avec les peluches (d=1.14), alors que la différence n’était pas significative chez les femelles. Par ailleurs, les mâles ne différaient pas en moyenne des femelles pour les interactions avec les jouets à roues, mais avaient interagi significativement moins qu’elles avec les peluches (d=0.76). En ce qui concerne l’indicateur de durée, ils trouvent un pattern similaire pour les comparaisons entre type de jouets à l’intérieur de chaque groupe de sexe, les mâles ayant en moyenne interagi plus longtemps avec les jouets à roues qu’avec les peluches (d=0.77) alors qu’il n’y avait pas de différence significative chez les femelles, mais pour les comparaisons entre les sexes ils ne trouvent de différence significative ni pour les peluches, ni pour les jouets à roue (voir Figure E ci-dessous).

Figure E

Les auteurs ont également constaté que la différence entre jouets à roues et peluches, i.e. la « préférence » pour les jouets à roues par rapport aux peluches ou celle pour les peluches par rapport aux jouets à roues, était d’ampleur significativement plus grande chez les mâles que chez les femelles, en fréquence comme en durée des interactions. Par ailleurs, ils indiquent que 73% des mâles ont significativement « préféré » les jouets à roue, 18% n’ont pas eu de préférence significative et 9% ont préféré les peluches, et que 39% des femelles ont significativement « préféré » les jouets à roue, 30% n’ont pas eu de préférence significative et 30% ont préféré les peluches.

Wallen et ses étudiantes concluent qu’ils ont mis en évidence une différence entre les sexes « frappante » et semblable à celle observée chez des êtres humains : comme chez les enfants selon eux, les mâles ont significativement moins interagi avec les peluches que les femelles alors que les deux sexes ont interagi de façon comparable avec les jouets à roue, et seuls les mâles ont manifesté une préférence significative pour un type de jouet. Pour les auteurs, cela « suggère » que les différences entre les sexes dans le choix des jouets « pourraient refléter » des différences de préférences sélectionnées au cours de l’évolution, et refléter en particulier une certaine rigidité des préférences chez les mâles/garçons, plus flexibles et variables chez les femelles/filles.

Sur la base des travaux de Wallen déjà cités en introduction selon lesquels il existe un lien entre niveau prénatal d’androgènes et activités ultérieures chez ces primates, les auteurs proposent l’hypothèse que des préférences pour des activités spécifiques sont modelées par « les hormones », ce qui oriente les choix vers « les jouets qui facilitent ces activités », ce qui au final « crée un marché du jouet sexué ». « Ainsi, en plus de la socialisation des choix de jouets des enfants par les adultes, il est possible que les enfants socialisent les adultes à leur fournir les jouets qui facilitent [la pratique de] leurs activités préférées », et « peut-être » que « ces préférences d’activité divergentes et les expériences qu’elles engendrent finissent par se refléter dans les préférences des adultes pour des modes de vie et des carrières différentes » (p. 363). A titre de conclusion, ils disent penser qu’il existe un principe général selon lequel « des prédispositions biologiques et des processus de socialisation sont tous deux nécessaires pour le complet développement et la complète différenciation des comportements » (p. 363).

Une étude qui constitue un argument très faible en faveur de l’hypothèse biologique

Comme pour l’étude de 2002, bien que la méthodologie de test et d’analyse des données soit plus rigoureuse, les résultats rapportés ici sont soumis à de nombreux risques de biais et ne peuvent être tenus pour acquis en l’absence de réplication : l’échantillon final était composé de seulement 34 singes, il a été amputé d’un nombre (très) substantiel de singes puisqu’ils étaient 135 au départ, un petit nombre de singes a pesé lourd dans les résultats en interagissant avec les jouets beaucoup plus que la majorité des singes, il s’agit de singes élevés en captivité, les femelles étaient nettement plus âgées que les mâles, les singes ont été testés en groupe et non individuellement,… etc. Compte tenu du paradigme de recherche des auteurs, des biais favorisant l’émergence d’un résultat conforme à leurs attentes peuvent avoir été introduits consciemment ou non, par exemple via l’exclusion a posteriori des 39 nouveau-nés dont la justification semble bien légère, celle non justifiée des singes en-dessous d’un nombre arbitraire d’interactions, ou encore le fait que seulement six jouets à roues différents ont été utilisés (vs sept peluches), ce qui signifie qu’un des jouets à roue a été utilisé deux fois et a peut-être tout particulièrement « plu » aux mâles. On ne sait d’ailleurs pas si les observations sont similaires dans toutes les sessions de test ou si certains jouets pèsent particulièrement lourd dans les résultats. On sait du moins qu’une peluche a provoqué une agressivité particulière (dommage qu’on ne sache pas laquelle).

L’interprétation globale, semblable à celle d’Alexander et Hines hormis le fait que Wallen évite quant à lui d’user fallacieusement du terme « dimorphique », est discutable pour les mêmes raisons. Tout d’abord, les singes testés étaient loin d’être des nouveau-nés (ceux-ci ayant même au contraire été exclus), et l’origine biologique innée des différences observées par conséquent non évidente. Les auteurs partent du fait qu’ils n’ont pas connaissance d’indices de socialisation des activités genrées dans cette espèce, ce qui ne signifie pas qu’une telle socialisation est inexistante. Je n’ai pas exploré la littérature sur ce sujet, mais je note en tout cas que dans un article publié ultérieurement, Hasssett et Wallen rapportent que chez les jeunes de moins d’un an, les mâles étaient plus souvent entre eux qu’en groupes mixtes que se soit pendant les jeux brutaux, pendant la toilette ou durant les moments de jeu en parallèle, mais pas les femelles qui quant à elles étaient plus souvent à proximité d’adultes quelle que soit l’activité [32]. Ensuite, la lignée des macaques rhésus s’est comme celle des vervets séparée de la lignée humaine il a environ 25 millions d’années, et l’interprétation des auteurs repose donc sur l’hypothèse pour le moins audacieuse que la programmation génétique supposée d’une différence entre les sexes produisant aujourd’hui une différence comparable dans les choix de jouets s’est conservée depuis tout ce temps dans ces deux lignées. Par ailleurs, le comportement des singes a à l’évidence été influencé par celui des autres membres du groupe et ne saurait donc être interprété comme l’expression libre d’une « préférence » individuelle.

Wallen évite de formuler des hypothèses précises quant aux caractéristiques propres aux jouets à roues et aux peluches qui seraient ici discriminantes, quant aux types d’activité que ces jouets permettraient plus ou moins de développer selon lesdites caractéristiques, et quant à la valeur adaptative différente que la pratique de ces activités aurait eu pour les mâles et les femelles de notre ancêtre commun. C’est prudent de sa part, mais en même temps il est dommage qu’il ne propose pas de scénario susceptible d’expliquer ses observations dans son cadre d’interprétation, et susceptible surtout d’être testé.

On peut aussi regretter qu’alors que les modalités de comportement avec les jouets ont été codées de manière détaillée, il ne fournisse aucune analyse des données faite à ce niveau de détail. Comme il n’en dit mot (tout ce qu’on sait est qu’une des peluches a été déchiquetée), il paraît en tout cas raisonnable de supposer que les femelles ne se sont pas particulièrement montrées « maternelles » vis-à-vis des peluches, car compte tenu de son orientation théorique il l’aurait assurément mentionné.

Regrettons également qu’alors que Wallen propose l’hypothèse que c’est la différence moyenne de niveau d’androgènes reçus in utero par les mâles et les femelles rhésus (et humains) qui crée un bais de sexe inné dans les « préférences » observées ici, il a (finalement ?) exclu de l’analyse les 14 animaux exposés à des traitements hormonaux prénataux au motif qu’il n’y avait « pas assez de sujets dans chaque groupe de traitement pour permettre une analyse systématique des préférences ». Quoi qu’il en soit, soulignons que cette étude n’apporte aucun élément concret à l’appui de cette hypothèse hormonale spécifique.

La suggestion que la même différence entre les sexes génétiquement sélectionnée est agissante chez les macaques rhésus et chez les enfants humains est par ailleurs faite sur la base que les préférences de ces derniers sont similaires, mais le seraient-elles vraiment avec les jouets utilisés ici, et ce de manière transculturelle ? A voir. Je note en tout cas que les auteurs se basent sur une étude de Berenbaum et Hines publiée en 1992 pour affirmer cette similarité, or comme on l’a vu, Hines elle-même donne une autre description de ce qui est censé être typiquement observé dans notre espèce. Je note également que lorsque Janice Hassett a décrit en janvier 2005 son projet de recherche, elle a indiqué ceci : « Une étude pilote menée avec des jouets humains à montré certaines différence chez les singes qui étaient similaires au schéma de préférences observé chez les garçons et les filles. Nous menons notre recherche en collaboration avec des chercheurs qui mèneront une étude similaire sur des jeunes enfants. » (ref. cit.). On peut se demander pourquoi le présent article, soumis pour publication 3 ans plus tard, n’inclut finalement pas la comparaison avec les observations faites sur de jeunes enfants des interactions avec les mêmes jouets…

Enfin, comme les auteurs l’admettent dans leur introduction, « la mise en évidence que de tels animaux non-humains ont des préférences en matière de jouets similaires à celles observées chez les enfants n’éliminerait pas la possibilité que ces préférences chez les enfants sont essentiellement le résultat d’une socialisation » (p. 359), et cette phrase reste valable si on enlève « essentiellement ». Comme ils l’indiquent également dans l’introduction, la plus grande préférence des garçons pour les jouets conformes à leur genre pourrait refléter un plus fort rejet des comportements associés au sexe opposé chez les garçons que chez les filles. Or cette différence apparaît aisément explicable par une pression sociale s’exerçant plus fortement sur les personnes du sexe socialement dominant à ne pas être assimilées à celles du sexe opposé socialement dévalorisé (ceci étant en outre susceptible d’expliquer bien d’autres différences entre les sexes, en dehors des choix de jouets). Ils admettent d’ailleurs l’existence de ce phénomène dans la discussion de leurs résultats : « Il est indubitable que garçons et filles apprennent que certaines activités sont socialement plus appropriées aux individus d’un sexe qu’à ceux de l’autre, et ceci se reflète probablement dans leurs choix stéréotypés de jouets. Cependant, les filles sont moins susceptibles de recevoir des informations négatives concernant les jouets et activités de garçons que les garçons ne le sont concernant les activités et jouets de filles (Kane, 2006). Ainsi, les jouets et activités de filles sont souvent stigmatisés pour les garçons, mais les jouets et activités de garçons ne le sont pas autant pour les filles (Martin, 1990). » (p. 363). Comme pour l’étude de 2002, il paraît à ce stade plus rationnel de privilégier cette explication par un phénomène dont l’existence est admise par tous que de supposer l’existence d’un mystérieux mécanisme biologique qui orienterait les choix des garçons et les rendrait plus rigides que ceux des filles.

Une étude difficilement conciliable avec celle de 2002, quoi qu’en disent les auteures de celle-ci

Comme on l’a vu, Wallen est parti de prémisses assez différentes quant à ce qui caractérisait la différence entre filles et garçons dans les choix de jouets. Outre ce qui déjà été dit, soulignons qu’il tourne au départ explicitement le dos à l’hypothèse (centrale pour Alexander et Hines) d’un rôle fondamental des couleurs et/ou des formes en choisissant quant à lui des jouets dont il précise bien qu’ils étaient de couleurs et de formes très divers. Soulignons également qu’alors que les peluches sont considérées par lui comme des jouets « féminins », pour Alexander et Hines il s’agit typiquement de jouets « neutres ».

Assez logiquement, les résultats de Wallen « contrastent » également avec ceux d’Alexander et Hines, pour reprendre ses termes (p. 363), et ce de quatre manières. Premièrement, la différence significative entre les sexes trouvée chez les macaques rhésus dans le temps passé au contact des peluches n’a pas été observée chez les vervets (où la tendance était même en sens inverse). Deuxièmement, la différence significative entre les sexes trouvée chez les vervets dans le temps passé au contact du jouet à roues n’a pas été observée chez les macaques rhésus avec ce type de jouets. Ensuite, si on prend au sérieux la catégorisation des jouets faite par les auteurs et l’idée que dans les deux cas ce sont des « préférences » qui ont été mesurées, alors on note troisièmement que contrairement aux vervets mâles qui n’ont pas significativement « préféré » les jouets « masculins » aux « féminins », les macaques rhésus mâles ont montré une préférence marquée pour les premiers, et quatrièmement que contrairement aux vervets femelles qui ont significativement « préféré » les jouets « féminins » aux « masculins », les macaques rhésus femelles n’ont pas montré de « préférence » significative entre les deux.

Wallen préfère penser que ces contradictions « reflètent probablement des différences méthodologiques et non entre ces espèces » (p. 363). Il n’a guère d’autre choix, car en supposant que ces études ont mis en évidence de vraies différences entre les sexes dans ces deux espèces, alors prises ensemble elles tendent à réfuter l’hypothèse fondamentale sur laquelle repose la pertinence de cette approche pour éclairer les comportements humains, à savoir qu’une différence génétique entre les sexes a été sélectionnée il y a plus de 25 ou 30 millions d’années, avant que la lignée des vervets et des macaques se sépare de la lignée humaine, qu’elle est depuis restée figée dans ces lignées et cause une différence comportementale comparable, et qu’observer le comportement de ces singes nous informe donc sur ce qui est à l’œuvre dans notre espèce.

Face à ces contradictions, Alexander et Hines ont quant à elles opté pour une solution plus radicale : faire comme si on pouvait les ignorer. « Nous sommes ravies d’avoir une confirmation indépendante de notre observation que les primates non-humains présentent des préférences pour les jouets sexués similaires à celles observées chez les enfants humains », écrivent-elles sans vergogne dans leur commentaire invité annonçant dès le titre que c’est « une confirmation » de leurs travaux qui vient d’être publiée [33]. Elles relèvent bien deux des quatre différences citées ci-dessus entre leurs résultats et ceux de la nouvelle étude, mais elles feignent d’ignorer celle qui porte spécifiquement sur les jouets à roue et expédient le problème en une phrase : c’est parce que Wallen a utilisé des peluches comme jouets féminins alors qu’il s’agit plutôt de jouets neutres. Circulez, il n’y a rien à voir. Elles contestent bien-sûr la suggestion de Wallen qu’elles ont utilisé une moins bonne méthodologie, moins à même de mettre en évidence des différences de préférences correspondant à celles observables chez l’être humain, en arguant que c’est l’inverse qui est vrai, mais en n’évoquant plus que de manière vague ce qui diffère entre les deux études. « Deux études sur des singes étayent désormais l’idée que les primates non-humains présentent certaines des différences (mais pas toutes) liées au sexe observées chez les enfants dans les choix de jouets », concluent-elles. Selon elles il reste seulement à mener de nouvelles études pour déterminer précisément quels sont les mécanismes communs à tous les primates sous-jacents à ces différences, mécanismes de socialisation sexo-spécifiques éventuels compris.

Dans l’autre commentaire laudatif publié par Hormones and Behavior en même temps que l’étude de Wallen, Christina Williams et Kristen Pleil adoptent la même stratégie : selon elles, cette mise en évidence chez les macaques rhésus de différences entre les sexes dans les choix de jouets qui ressemblent à celles observées « dans de nombreuses études » chez des enfants « conforte grandement et étend les travaux précédemment menés sur des humains ([…]) et des singes vervets ([…]), montrant que le dimorphisme sexuel dans les choix de jouets reflète des différences neurobiologiques fondamentales entre les sexes et n’est pas causé uniquement par la socialisation » [34]. La stratégie discursive consistant à citer ensemble plusieurs études comme ayant montré l’existence d’une différence entre les sexes sans considération pour le fait que ce qu’elles rapportent précisément n’est pas congruent est un grand classique des discours de naturalisation du genre. On vient d’en voir deux nouveaux exemple dans la littérature scientifique, et comme nous allons le voir cette logique se retrouve dans la littérature de vulgarisation alimentant la naturalisation du genre.

LA VULGARISATION « A CHAUD » DE CES ETUDES

Malgré le communiqué de presse publié sur Eurekalert! par l’université de l‘auteure correspondante [35], l’étude d’Alexander et Hines laisse globalement indifférents les médias au moment de sa publication en décembre 2002. Est-ce à cause du titre peu accrocheur du communiqué, de son texte trop chargé en conditionnels, ou encore parce que la revue Evolution and Human Behavior est alors perçue comme mineure/suspecte ? Je l’ignore. Toujours est-il que la nouvelle n’est pas relayée par l’AFP et ne fait pas non plus le buzz sur le web anglo-saxon, ce qui est suffisant pour expliquer son absence de l’actualité construite par les médias français.

Très significativement, elle fait cependant l’objet en mars 2003, dans le tout premier numéro du magazine Cerveau & Psycho, d’un article de Sébastien Bohler dans la rubrique consacrée à « L’actualité des sciences cognitives » (« Jeux de filles, jeux de garçons »).

L’étude de 2008 a eu plus de succès, non par la grâce d’un communiqué de presse classique mais par celle d’une communication aux petits oignons concoctée avec l’aide des chercheurs par l’influent site britannique New Scientist, du célèbre magazine hebdomadaire de vulgarisation du même nom. Le 4 avril 2008, soit 10 jours après la publicisation de l’étude, le journaliste spécialisé Ewen Callaway publie sur ce site un article au titre aguicheur (« Les singes mâles préfèrent les jouets de garçons »), de surcroît affublé de l’étiquette « Breaking news » utilisée avec parcimonie par la rédaction. Agrémenté de propos de Kim Wallen et de Gerianne Alexander, l’article est aussi accompagné d’une vidéo de 50 secondes dont les images de singes ont été fournies par Wallen, produite par Sandrine Ceurstemont de New Scientist TV.

La combinaison des images et du commentaire lu par Callaway est plutôt vendeuse : « Ce macaque rhésus est un sujet de sexe masculin typique : il préfère les camions aux peluches [on voit un bébé singe grimper sur le chariot rouge et en manipuler le manche]. Une nouvelle étude au Yerkes National Primates Center a trouvé que la plupart des singes mâles partagent ce goût. Les jeunes mâles jouent parfois avec des peluches, bien qu’ici il semble que le singe empoigne Winnie l’ourson pour le fracasser [image à l’appui]. Les femelles se sont bien amusées avec les charriots [un singe fait tourner la roue bleue de l’espèce de gros véhicule en plastique tricolore], mais ont autant aimé câliner les jouets en peluche, comme ce tatou [un singe tient le tatou dans ses bras avec un plus jeune à ses côtés]. Les chercheurs pensent que ça signifie que les préférences des individus de sexe masculin pour certains jouets ont une base biologique [enchaînement sur une image d’enfant à l’école puis de garçons jouant sur une moto à bascule]. Les psychologues prétendent souvent que les garçons et filles humains [sic] sont influencés par des facteurs sociaux, mais ces singes ont fait leurs choix [retour sur le singe tenant le tatou] sans être exposés aux pressions sociétales [sic]. »[36]

C’est cet article du New Scientist qui provoque l’émission d’une dépêche AFP le 7 avril, plus exactement deux dépêches émises séparément par deux journalistes de l’équipe science/santé/environnement basée à Paris [37]. Une fois n’est pas coutume en matière d’actualité scientifique, les journalistes de l’AFP citent explicitement leur véritable source, ici New Scientist. Comme souvent en revanche, la dépêche AFP en français (et celle en anglais n’est pas en reste) relaie de manière non critique une information erronée et gravement trompeuse (ces nouveaux résultats « confortent » ceux de l’étude de 2002), introduit une information complètement fausse via le résumé-traduction fautif d’un passage de sa source (les singes sont « non influencés par leur environnement social »), caricature et généralise abusivement les résultats (le titre annonce que « chez les singes » etc, et l’étude est censée avoir « montré que les singes […] avaient des comportements identiques » à ceux des « enfants humains »), ignore certains éléments de sa source minimisant la portée de l’étude (il s’agissait de singes vivant en captivité, l’échantillon incluait des singes adultes, l’étude a été publiée dans Hormones and Behavior), et n’ajoute aucune information de contexte pertinente (l’ajout de « évolutionniste » au simple « psychologue » qui qualifie Kim Wallen et Gerianne Alexander, par exemple, aurait été informatif) : voir l’annexe ci-jointe.

C’est ainsi que légitimé par son émission par l’AFP, le résumé fallacieux de la description trompeuse des deux études faites sur les singes, trouvée sur un site de vulgarisation et produite avec l’aide de deux experts engagés dans la promotion de leurs idées et de leurs recherches, devient une « information » digne d’être reprise par divers médias au titre du compte-rendu de l’actualité scientifique. Tous ne s’en saisissent pas, mais citons-en quatre :

Le Point, qui sur sa page web « Flash Sciences et Santé », sans indiquer sa source, publie telle quelle la dépêche AFP (titre compris) le 7 avril ;

Sciences et Avenir, qui sur son site web publie le même jour, accompagné d’un lien vers la vidéo de New Scientist, un résumé de la dépêche AFP caricaturant encore les résultats censés ébranler le « dogme » selon lequel le choix des jouets « est influencé par la pub, l’entourage et la crainte de moqueries » [38];

– la radio de service public RFI, qui le 10 avril en fait une chronique de l’actualité des sciences également diffusée sur le web, résumant la dépêche AFP en réinterprétant les résultats, en inventant que les chercheurs ont « démontré » que les singes mâles préfèrent jouer à la petite voiture plutôt qu’à la poupée et ne sont pas influencés par leur environnement ni leur éducation, et en présentant le magazine de vulgarisation New Scientist comme étant la « très sérieuse revue » dans laquelle l’étude a été publiée [39];

Science & Vie dans son numéro de juin 2008, qui dans la rubrique « Actualité – En direct des labos » publie également ce qui n’est qu’un mauvais résumé de la dépêche AFP refilé par une pigiste [40].

Avant d’en venir à l’instrumentalisation à froid de ces études sur les singes, signalons que l’étude de Wallen est également vulgarisée à chaud dès le 8 avril 2008 sur un blog de Peggy Sastre et Charles Muller, qui en profitent pour ironiser sur la lutte de Mix-Cité contre la sexuation commerciale des jouets [41]. Voici comment ils en résument les conclusions : « Résultat : les mâles ont montré une préférence pour les jouets en acier, les femelles ont joué indifféremment avec les deux catégories. […] En 2002, Gerianne M. Alexander et Melissa Hinesa [sic] avaient abouti au même résultat chez le singe vervet […] ». Sans commentaires.

INSTRUMENTALISATION « A FROID » DE CES ETUDES PAR DOUZE « EXPERTS »

Je suis tombée au fil de mes lectures sur de nombreux cas d’instrumentalisation mensongère de ces études sur les singes, et c’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle j’ai décidé de consacrer un long texte à ce sujet. Les douze exemples qui suivent me paraissent intéressants non seulement parce qu’ils concernent des personnes dont le discours est susceptible d’avoir un impact non trivial sur les croyances du grand public, mais aussi parce qu’ils permettent d’explorer une grande variété de contextes et de modalités de falsification de l’état des connaissances. Ces cas d’instrumentalisation « à froid » sont à distinguer de la vulgarisation « à chaud », où des personnes doivent dans une relative urgence choisir ce qui mérite d’être porté à la connaissance du grand public et en rendre compte à ce titre : hormis Alain de Benoist, il s’agit ici de personnes s’exprimant en tant qu’experts sur un sujet donné, censés rendre compte avec un certain recul de l’état des savoirs sur telle ou telle question relative à ce sujet.

Cas n°1 : Michel Raymond en septembre 2008

En septembre 2008 sort dans la collection « Sciences » du Seuil le premier livre de Michel Raymond, directeur de recherches en biologie évolutive humaine, Cro-magnon toi-même ! Petit guide darwinien de la vie quotidienne [42]. Dans son chapitre « Femme-homme, quelles différences ? », le paragraphe intitulé « Les origines des différences » du sous-chapitre « Quelles performances cognitives ? » commence par une affirmation qui a le mérite d’exposer clairement les convictions de l’auteur, sinon l’état des connaissances : « L’influence hormonale est incontestable dans un certain nombre de traits ». Voici ce qu’on peut y lire un peu plus loin :

« Quoi qu’il en soit, chez l’Homme, certaines différences s’observent très tôt : quelques heures après la naissance, les filles sont – déjà – davantage attirées par les visages, et les garçons par des objets physiques ou mécaniques. Cette différence, qui préfigure la plus grande sociabilité des filles, est ici nécessairement biologique ; elle préfigure également la préférence des garçons pour les camions, et celle des filles pour les poupées : essayez d’intéresser les jeunes garçons aux poupées, vous échouerez certainement. Incidemment, on retrouve ce type de préférence différentielles entre les sexes chez un autre primate : les jeunes femelles cercopithèques préfèrent les poupées, et les jeunes mâles les camions. Ces préférences chez les primates sont le signe d’une différence assez profonde dans les structures du cerveau. On en déduit que la tradition sociale qui attribue les jouets suivant le sexe ne fait que renforcer une préférence préexistante, sans la créer. Sans doute la préférence des filles pour la couleur rose, que l’on retrouve dans diverses cultures, suit-elle également ce schéma. » (p. 110)

Sa démonstration (« on en déduit que ») commence bien mal, car ce qu’il décrit comme s’observant très tôt dans notre espèce est profondément mensonger : c’est tiré d’une étude publiée en 2000 souffrant de multiples faiblesses, non répliquée, menée sur des bébés britanniques âgés en moyenne d’un jour et demi et avec un visage et un objet très spécifiques, ne permettant en aucun cas de tirer de conclusions ni sur l’intérêt de ces bébés pour « les visages » et « les objets physiques ou mécaniques » en général , ni sur « les filles » et « les garçons » nouveau-nés en général ; les chercheurs ont constaté dans cette étude l’absence de différences statistiquement significatives entre filles et garçons dans l’ « intérêt » pour le visage d’une part et entre « intérêt » pour le visage et l’objet chez les garçons d’autre part, et trouvé que 64% des filles n’avaient pas de « préférence » pour le visage et 57% des garçons n’en avaient pas pour l’objet ; les subtiles différences moyennes entre filles et garçons observées sur cet échantillon de bébés n’étaient pas « nécessairement biologiques » [43].

L’enchaînement avec « la plus grande sociabilité des filles », « la préférence des garçons pour les camions » et « celle des filles pour les poupées » est pour le moins osé, surtout sachant que la littérature scientifique n’autorise pas l’expression de telles généralités et en particulier que non seulement il est facile « d’intéresser les jeunes garçons aux poupées », mais que les recherches menées entre autres par Gerianne Alexander indiquent que durant les premiers mois de la vie, les garçons sont au moins autant intéressés par les poupées que par les camions [44].

Mais venons-en à la présentation pour le moins expéditive que fait Michel Raymond des seules recherches menées sur des singes dont il a connaissance au moment où il écrit ces lignes, à savoir celles d’Alexander et Hines publiées en 2002. Notons d’abord le fallacieux « Incidemment », masquant le fait que loin d’avoir été faite par hasard, l’observation à laquelle il fait allusion est comme on l’a vu le résultat, éminemment construit, d’une démarche expérimentale et d’analyse des données précisément conçue par ses auteures dans le but de mettre en évidence chez des primates un phénomène comparable à ce qu’on observe chez les enfants.

Lorsqu’il affirme ensuite sans ambages que « les jeunes femelles cercopithèques préfèrent les poupées, et les jeunes mâles les camions », il fait passer pour acquis les résultats fragiles d’une étude restant à répliquer, ce qui est gravement fautif bien qu’habituel dans la littérature de vulgarisation scientifique ; il extrapole aux « cercopithèques » une observation faite sur des individus en captivité appartenant à une espèce particulière (en outre de chlorocèbes, distingués des cercopithèques bien que rangés avec eux parmi les cercopithécinés) ; il extrapole aux poupées en général une observation faite avec une poupée particulière, et aux camions en général une observation faite avec une voiture particulière ; last but not least, il feint d’ignorer que dans cette étude le jouet qu’ont « préféré » les femelles était la casserole et non la poupée, et le jouet qu’ont « préféré » les mâles était la peluche, loin devant la balle, la casserole puis la voiture, et non cette dernière.

Les arrangements de Michel Raymond avec la vérité sont à ce stade déjà considérables, mais le bougre ne s’arrête pas là : ces préférences supposées chez les cercopithèques deviennent des préférences « chez les primates » (on n’en est plus à une extrapolation près), et il affirme tranquillement qu’elles « sont le signe d’une différence assez profonde dans les structures du cerveau ». D’où sait-il que ces différences constatées en moyenne seulement, avec une grande diversité intrasexe, sont le signe d’ « une différence » ? Que celle-ci est « profonde » ? Qu’elle se situe au niveau des « structures » du cerveau ? Sa déduction qu’il existe donc une « préférence préexistante » chez les enfants est tout autant époustouflante, opérant un double saut d’une espèce éloignée de primate à l’être humain et de l’idée d’une différence dans le cerveau à celle d’une différence innée. Quant à la suggestion concernant la préférence des filles pour la couleur rose qui clôt le paragraphe, il y aurait beaucoup à en dire outre la contradiction ultérieurement apportée par Mélissa Hines elle-même évoquée plus haut, mais je laisse ici la parole à d’autres [45].

Cas n°2 : Jacques Balthazart en janvier 2010

En janvier 2010 sort dans la collection « PSY » des éditions belges Mardaga un livre au titre ambitieux, Biologie de l’homosexualité, et au sous-titre choc : On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être. Il est écrit par Jacques Balthazart, grand nom de la neuroendocrinologie comportementale, entre autres membre éminent et ancien président de la Society for Behavioral Neuroendocrinology, la société savante internationale dédiée à ce champ de recherches. Après des études de zoologie à l’Université de Liège et un bref passage à l’équivalent belge du CNRS, il a intégré l’Université de Liège en 1980, où il mène depuis trois décennies les travaux qui lui ont permis de signer plusieurs centaines d’articles scientifiques. Dans la droite ligne de son doctorat sur « le contrôle hormonal du comportement chez le canard domestique mâle » (1977), il s’est spécialisé dans l’étude de la modulation des comportements et de leur substrat cérébral par la testostérone, directement ou une fois transformée en œstrogènes. Son champ d’investigation principal est le comportement reproducteur mâle et son modèle d’étude de prédilection la caille du Japon, espèce sur laquelle il a publié dès 1977 un article sur le « contrôle hormonal du comportement et de la croissance testiculaire » et à laquelle ont été consacrées en quasi-totalité ses recherches expérimentales durant 35 ans.

Jacques Balthazart n’a pas consacré sa vie à ces recherches dans le but de parfaire la connaissance de la caille du Japon : tout l’intérêt de ses travaux repose sur l’idée que ce qu’ils mettent en évidence chez les oiseaux qu’il étudie est utile pour comprendre la modulation hormonale des comportements sexuels et sexués en général, et humains en particulier. C’est en tout cas ainsi qu’il le conçoit, et c’est dans cette optique qu’il avait déjà cosigné en 1991 le chapitre modestement intitulé « Le comportement sexuel » d’un ouvrage collectif sur La reproduction chez les mammifères et l’homme (INRA). Dans le présent livre, il se propose de démontrer que deux des « caractéristiques de la sexualité humaine » que sont selon lui « l’orientation et l’identité sexuelles » ont des bases biologiques qui expliquent d’une part que la plupart des êtres humains soient hétérosexuels et développent une « identité sexuelle correspondant à leur morphologie génitale », et d’autre part qu’il « existe néanmoins une minorité de la population chez qui il y a discordance entre sexe morphologique (et génétique) et orientation ou identité sexuelle » (p. 26).

Ce livre dont Philippe Brenot a assuré la publicité et vanté la grande rigueur scientifique du haut de son autorité de « Psychiatre et Anthropologue [sic] » [46] bénéficie en France d’une réception favorable, à mon avis pour trois grandes raisons. D’abord parce que comme Balthazart l’écrit en introduction (p. 9-10), contre l’intolérance envers l’homosexualité « largement suscitée par la pensée judéo-chrétienne » et son attribution par « divers courants de pensée d’inspiration freudienne ou post-freudienne […] à l’attitude des parents envers le jeune enfant », l’idée que « [l]’origine de l’homosexualité est davantage à chercher dans la biologie des individus que dans l’attitude de leurs parents ou dans des décisions conscientes des sujets concernés » est un argument propre à « déculpabiliser les homosexuels et leurs parents ». Ensuite parce qu’il prétend dévoiler aux lecteurs francophones une vérité bien connue dans le monde anglo-saxon mais qui leur est cachée : « [u]ne abondante littérature scientifique en langue anglaise confirme l’existence d’une base biologique à l’orientation sexuelle humaine », mais ils l’ignorent par manque de « documents résumant ces données en langue française » (p. 9-10), alors qu’a contrario « la littérature en langue française regorge d’ouvrages attribuant, essentiellement sur base d’analyses de types psychanalytiques, des origines éducationnelles ou sociales à l’homosexualité » (p. 22). Un troisième élément favorable à la bonne réception de ce livre, non revendiqué par son auteur à la différence des deux précédents mais à mon avis essentiel, est qu’il conforte des croyances sexistes très répandues, particulièrement bien ancrées lorsqu’il est question de comportements sexuels. Quoi qu’il en soit, il n’est pas indifférent que son livre ait été apprécié par Olivier Postel-Vinay et au sein de la rédaction du Nouvel Observateur [47].

Selon Balthazart, les facteurs biologiques « semblent jouer un rôle déterminant » dans la formation de « l’identité sexuelle » et de « l’orientation sexuelle », que celles-ci soient ou non en « discordance », comme il dit, avec le « sexe morphologique (et génétique) », mais ils sont très difficiles voire impossibles à mettre en évidence chez l’être humain, d’où l’intérêt des études animales. « Elles démontrent en effet l’existence chez l’animal de mécanismes neurobiologiques déterminant le comportement et l’orientation sexuelle qui se retrouvent mutatis mutandis dans l’espèce humaine » (p. 13). La logique de l’ensemble du livre est assez bien résumée par cette phrase : des résultats d’études animales sont sélectionnés (sous couvert de procéder à une revue objective, en tant qu’expert, de la littérature pertinente), généralisés (« chez l’animal »), caricaturés (« déterminant »), reformulés de façon à laisser croire qu’on parle d’un phénomène unique commun à l’ensemble du règne animal (« le comportement et l’orientation sexuelle »), et grâce à cette identité de façade permise par une encore plus grande caricature des résultats des études humaines (favorisée par le fait qu’il n’a jamais étudié lui-même notre espèce), il prétend démontrer ce qui n’est qu’une pétition de principe de sa part (les mécanismes neurobiologiques observés dans telle ou telle espèce « se retrouvent mutatis mutandis dans l’espèce humaine »). C’est dans ce cadre qu’on peut lire dans le chapitre intitulé « Les effets des stéroïdes sexuels chez l’Homme : effets organisateurs » ce passage dans lequel il invoque les fameuses études sur les singes :

« Si on introduit individuellement des garçons ou des filles dans une salle contenant divers types de jeux, les filles choisissent spontanément des poupées alors que les garçons prennent de préférence des voitures ou des trains. […] On pourrait croire que cette différence sexuelle dans le comportement des enfants est entièrement culturelle et induite uniquement par le traitement différentiel des enfants des deux sexes par les parents et la société. En fait, il n’en est rien. » (p. 135)

Arrêtons-nous un instant pour relever le caractère fallacieux de la première phrase concernant les choix censément spontanés des enfants, nullement valable en général et en particulier avant l’âge de deux ans (voir plus haut), et même contredite par l’étude de Berenbaum & Snyder (1995) qu’il invoque pourtant dans ce passage [48]. Notons aussi l’emploi de « sexuelle » pour « sexuée », réitéré lorsqu’il parle un peu plus loin de « différence sexuelle d’utilisation » des jouets et de « préférences sexuellement différenciées ». C’est une composante essentielle de sa rhétorique : l’observation d’une variabilité corrélée avec le sexe et/ou le genre dans n’importe quelle espèce est reformulée en termes de « différence sexuelle », c’est-à-dire de dimorphisme se rapportant fondamentalement aux deux positions possibles dans la reproduction sexuée, qu’elle soit humaine ou non, ce qui l’aide à créer l’illusion que des résultats divers et contradictoires dans le détail sont en fait convergents et communs à l’ensemble du règne animal humain compris.

Poursuivons notre lecture et voyons comment il instrumentalise les études sur les singes pour étayer l’idée qu’ « [e]n fait, il n’en est rien» : « De façon intéressante, si on offre les mêmes choix de jouets à de jeunes singes vervets (Cercopithecus aethiops sabaeus), on retrouvera dans cette espèce les mêmes différences de choix entre sexes. Les mâles sont plus intéressés par des voitures ou des ballons alors que les femelles sont plus intéressées par les poupées (Alexander & Hines, 2002 ; Hassett, Siebert & Wallen, 2008 ; voir Figure 7.7a). Des expériences récentes viennent de confirmer ce résultat chez une autre espèce de singe : le rhésus (Macaca mulatta). » (p.136).

Remarquons que le résultat d’une observation non répliquée faite sur un petit échantillon bien particulier de singes vervets se transforme en affirmation de la prédictibilité des comportements dans cette espèce, que les singes d’Alexander et Hines dont certains étaient fort âgés deviennent des « jeunes », que la poupée se transforme en « les poupées » et que la voiture et la balle orange deviennent « des voitures ou des ballons ». Remarquons aussi qu’Alexander et Hines n’ont pas du tout observé « les mêmes différences de choix entre les sexes » : au contraire des filles censées choisir « spontanément des poupées » parmi divers types de jouets, les femelles n’ont non seulement pas « choisi » la poupée mais lui ont en moyenne « préféré » la casserole, et au contraire des garçons censés prendre « de préférence des voitures ou des trains », les mâles ont en moyenne « préféré » la peluche, loin devant le balle, la casserole puis la voiture. Notons également la manipulation grossière consistant à citer l’étude de 2002 et celle de 2008 à l’appui de cette affirmation puis à invoquer « des expériences récentes » censées l’avoir confirmée chez le rhésus : le lecteur a ainsi l’impression que ce « résultat » est étayé par au moins deux études sur les vervets et au moins deux autres sur les macaques. Rappelons enfin que l’expérience en question sur le macaque rhésus n’a pas « confirmé ce résultat » : elle a abouti à des conclusions différentes et contredisant partiellement celles de 2002, et contrairement aux filles qui « choisissent spontanément des poupées » parmi divers types de jouets selon Bathazart, les femelles rhésus n’ont pas montré de préférence significative pour les peluches-poupée par rapport aux jouets à roues. Ce qui est assez gonflé, c’est que Balthazart l’explique lui-même ensuite, faisant une description globalement correcte de l’étude de Wallen (hormis le fait que sous sa plume les singes deviennent à nouveau « jeunes »), et ponctue celle-ci par l’affirmation que « [l]a comparaison avec les données humaines est ici frappante » (p. 137).

Après avoir suggéré que la différence observée pourrait s’expliquer par le fait, selon lui (en réalité simple hypothèse émise par Alexander et invalidée par elle en 2012 comme on l’a vu), que les jouets munis de roues « permettent, par exemple, des jeux plus actifs », voici comment Balthazart conclut sa présentation/instrumentalisation des deux études sur les singes : « Quoi qu’il en soit, ces données suggèrent que les préférences sexuellement différenciées pour les caractéristiques des objets (couleur, forme, mouvement) sont apparues très tôt dans la lignée conduisant à l’hominisation. Elles pourraient avoir été sélectionnées par des pressions évolutives liées aux rôles différentiels joués par les hommes et les femmes et elles contribueraient toujours actuellement au déterminisme du choix des jouets montré par les petits enfants. L’idée selon laquelle ces préférences sont imposées uniquement par la société est donc en contradiction avec ces observations. » (p. 138)

Est-il besoin de préciser que l’idée qu’il entend contredire est parfaitement compatible avec les résultats de l’étude sur les vervets de 2002 et de celle sur les rhésus 2008, quand bien même ils seraient l’un et l’autre un jour répliqués ?

Cas n°3 : Martine Pérez en décembre 2010 (et à sa suite Boris Cyrulnik)

Dans son encadré « Histoire du jour » à la Une, LeFigaro du 22 décembre 2010 annonce tout de go : « Les jeunes chimpanzés femelles jouent à la poupée comme les filles » (« comme les filles » est absent dans la version web). Cet encadré signé par Martine Perez commence ainsi :

« Les petites filles adorent s’amuser avec leurs poupées. Elles en profitent pour y projeter toutes sortes d’actes de la vie quotidienne de l’ordre du maternage, avec amour, éventuellement domination, parfois sadisme. Les petits garçons, eux, font vrombir leur camion et bâtissent les plus grands univers possibles avec leurs Lego. Cette vision ne traduit-elle que des stéréotypes sociaux ? Les étalages de jouets pour Noël illustrent en tout cas ces divergences irréductibles. Les filles jouent-elles à la poupée sous la seule pression sociale qui les façonne dans ce sens? Existe-t-il un déterminisme biologique qui impose si jeune déjà une mésentente en termes de jeux entre les deux sexes ? Dans ce débat, un élément intéressant vient d’être apporté […] ».

On appréciera cette entrée en matière qui situe bien le point de vue de Martine Perez : caricaturant ce qu’elle appelle les « stéréotypes sociaux » par des projections très personnelles et reformulant la différence entre filles et garçons en « mésentente » apparaissant « si jeune déjà », elle nous fait comprendre que le débat qu’elle évoque est déjà plié puisqu’il s’agit de « divergences irréductibles ».

Dans la suite de l’article, elle reformule et réinterprète allègrement une observation faite sur la façon dont les jeunes chimpanzés d’un parc national ougandais utilisent les bâtons qu’ils trouvent dans la nature. Je ne m’étendrai pas sur cette manipulation qui mériterait un long développement, me contentant de souligner deux différences entre les propos des chercheurs et les siens. D’une part, alors que la journaliste prétend que ces résultats « montrent clairement que si les jeunes primates jouent tous avec des bâtons, les femelles aiment les porter, les bercer, comme des poupées, de manière maternelle sans équivoque », les auteurs de l’article scientifique écrivent quant à eux que « les jeunes tendent à porter les bâtons d’une manière évoquant un jeu à la poupée rudimentaire », et que « ce comportement est plus fréquent chez les femelles que les mâles ». D’autre part, alors que le titre à la Une du Figaro extrapole cette observation aux chimpanzés en général et que Martine Perez la présente comme un indice de l’existence d’une sexuation biologique non seulement des comportements des singes en question, mais des choix de jouets humains, l’auteur correspondant de l’article soulignait ceci dans le communiqué de presse annonçant sa publication : « Chez les êtres humains il existe à l’évidence un rôle énorme de l’influence des pairs, des parents et autres sur les préférences d’un enfant pour différentes sortes de jouets, et il pourrait bien en être de même chez les chimpanzés. […] L’une des choses qui rend notre observation fascinante est qu’il n’existe guère d’indices de quoi que ce soit de comparable dans d’autres communautés de chimpanzés, ce qui soulève la possibilité que ces chimpanzés copient une tradition comportementale locale » [49].

Ce qui m’intéresse ici est la conclusion de l’article de Martine Perez, points de suspensions suggestifs compris : « Il y a quelques années, des jeunes singes en captivité s’étaient vu offrir des monceaux de jouets de toutes sortes. Les femelles s’étaient précipitées vers les poupées, les mâles vers les tracteurs… ».

Pour mémoire, dans les deux études les singes n’étaient pas tous « jeunes », il n’y avait pas de tracteur, il y avait une et non plusieurs poupées, seuls six jouets dans l’une et des jouets de deux sortes dans l’autre ont été proposés et non « des monceaux de jouets de toutes sortes », et les chercheurs n’avaient pas rapporté que les singes s’étaient « précipités » sur quoi que ce soit. Dans celle de 2002 les auteures avaient au contraire constaté l’absence de différence entre les sexes dans le comportement d’approche de la poupée comme de la voiture, elles n’avaient observé aucun dimorphisme entre femelles et mâles (leur comportement vis-à-vis des jouets ne différait qu’en moyenne et faiblement, avec un recouvrement des distributions des deux sexes), seules 68% des femelles avaient touché au moins un des jouets proposés et elles avaient en moyenne « préféré » la casserole (et la peluche) à la poupée, et seuls 75% des mâles en avaient touché un et avaient en moyenne « préféré » la peluche (et la balle et la casserole) à la voiture. Dans celle de 2008 qui ne donnait le choix qu’entre jouets à roue et peluches-poupée, seuls 73% des mâles avaient significativement « préféré » les jouets à roue, les femelles n’avaient en moyenne pas eu de « préférence » significative pour l’un ou l’autre de ces types de jouets, et plus de la moitié des femelles ayant manifesté une « préférence » l’avait fait en faveur des… jouets à roue.

Tout cela est déjà fort affligeant, mais il y a pire : David Pujadas a jugé cette découverte annoncée à la Une du Figaro digne d’être traitée au JT de 20h le lendemain sur France 2. Les téléspectateurs de la chaîne publique apprennent donc par sa bouche qu’une étude menée sur des jeunes chimpanzés à trouvé que « les femelles utilisent plutôt les bâtons comme des poupées, les mâles comme des outils », et par celle de Boris Cyrulnik, dont l’expertise de soi-disant éthologue est sollicitée pour la commenter, que « probablement, les hormones orientent les bébés, les enfants, vers un jeu, et la culture augmente ce choix de jouets pour les préparer à leur futur rôle social et sexuel » [50]. Le reportage se conclut par l’affirmation que lorsque deux ans auparavant, des chercheurs avaient proposé des jouets d’enfants à des singes, « les mâles s’amusaient alors avec des voitures, mais les femelles n’avaient pas de préférences ».

Cas n°4 : Pierre Barthelemy en avril 2011

Avant de transférer en novembre 2011 sur le site du Monde son activité freelance de vulgarisation tout terrain, Pierre Barthelemy effectuait celle-ci sur le blog sciences et environnement de Slate.fr repris depuis par Michel Alberganti. Ce qui lui a donné l’idée d’aborder le sujet sur ce blog en avril 2011, c’est à ses dires le déménagement au cours duquel il s’est aperçu que les jouets de ses deux garçons et deux filles avaient été rangés dans des cartons étiquetés « Jeux de garçons » et « Jeux de filles » sous l’effet d’un « sexisme tout autant inconscient qu’assumé »[51]. Après une introduction dans laquelle un détail biographique illustre le sexisme inconscient qu’il est tout à son honneur d’assumer publiquement (« je me suis rendu compte que je n’avais toujours pas appris à jouer [aux échecs] à ma fille de huit ans alors que ses frères connaissaient la marche des pièces et les règles du jeu bien avant cet âge-là »), il en vient au vif du sujet.

« […] l’attirance pour tel ou tel type de jouet fait partie des comportements sexués les plus robustes de l’espèce humaine », affirme-t-il sans ambages, en contradiction notamment avec ce qu’a écrit Kim Wallen lui-même (voir plus haut). On pourrait croire que « c’est sous l’effet d’un conditionnement social intensif et permanent », écrit-il, « [m]ais il n’y a peut-être pas que cela et cet article serait bien trop consensuel et trop attendu s’il s’arrêtait là. ». On est prévenu : attention, ce qui suit est politiquement incorrect.

«Le meilleur moyen de savoir jusqu’à quel point s’exerce l’influence culturelle et sociétale sur le choix des jeux consiste à présenter ces mêmes jeux à des individus sans aucune référence de ce type. C’est ce qu’a fait une équipe américaine en offrant deux familles de jouets (jouets à roues d’un côté, peluches de l’autre) à… une tribu de macaques rhésus, le tout sous l’œil d’une caméra. […] En moyenne, les mâles ont beaucoup plus tripoté les camions, voitures et autres wagons que les Winnie l’ourson et les Scoubidou en peluche (9,77 interactions contre 2,06 !). Les femelles ont “évidemment” préféré les peluches mais la différence est bien moins marquée : 6,96 interactions avec les jeux à roues et 7,97 avec les peluches. Pour expliquer ces préférences des macaques rhésus pour des objets qui n’ont à priori aucune connotation sexuée pour eux, les auteurs de l’étude émettent l’hypothèse que les hormones sexuelles mettent en place “des préférences pour des activités spécifiques, qui à leur tour structurent une préférence pour des jouets qui facilitent ces activités”. Pour caricaturer, les petits mâles primates, qu’ils soient humains ou macaques, sont conditionnés par leur testostérone pour faire des courses de monster trucks, tandis que les petites femelles des mêmes espèces sont programmées par leurs ovaires pour coiffer leurs poupées. Je vous laisse méditer cela, j’ai d’autres cartons à déballer. »

On notera en particulier l’affirmation saisissante que ce que Kim Wallen a fait en 2008 est selon lui « [l]e meilleur moyen de savoir jusqu’à quel point s’exerce l’influence culturelle et sociétale sur le choix des jeux », la mention que les femelles « ont “évidemment” préféré les peluches » alors que la différence entre peluches et jouets à roues, non statistiquement significative chez les femelles, était à juste titre décrite par les chercheurs comme une absence de préférence pour les peluches, et l’invisibilisation complète de l’étude de 2002 dans laquelle les mâles avaient au contraire davantage « tripoté » la peluche que la voiture.

Suite aux protestations causées par sa conclusion, mises par lui sur le compte d’une mauvaise compréhension de ses deuxième « ou troisième » degrés, il a le jour même exprimé ses regrets de n’avoir pas été plus explicite mais a laissé inchangés les « sont conditionnés » et « sont programmées » qu’il aurait pourtant suffi de passer au conditionnel. Il a également ajouté ceci : « De mon point de vue, l’explication est multifactorielle : on se trompe sans doute en ne retenant que le contexte socio-culturel, et on se trompe tout aussi sûrement en ne retenant que le biologique. C’est ce que montrent à la fois l’exemple des joueuses d’échecs et celui des macaques rhésus… ». Voilà qui finit de nous éclairer sur deux choses : primo, Pierre Barthelemy est convaincu que le processus de sexuation des choix de jeux et jouets (expliquant selon lui au moins en partie pourquoi « si peu de femmes brillent aux échecs ») est en partie biologique ; deuxio, son désir de voir scientifiquement confirmée sa croyance qu’il existe une différence psycho-comportementale d’origine biologique entre hommes et femmes est assez puissant pour lui faire perdre toute rigueur journalistique lorsqu’il rend compte d’études susceptibles d’accréditer cette croyance.

Cas n°5 : Lise Eliot en 2011 (en France)

Début septembre 2011 sort chez Robert Laffont, sous la direction de Dominique Leglu par ailleurs directrice de la rédaction de Sciences et Avenir, la traduction d’un livre publié aux Etats-Unis en 2009 chez un éditeur spécialisé dans les questions d’éducation (Houghton Mifflin Harcourt). Ecrit par la « chercheuse en neurosciences » américaine Lise Eliot, il a connu un grand succès dans sa version originale : réédité en Grande-Bretagne en 2010, il a déjà été réimprimé et est sorti en poche la même année. La commission « Littérature scientifique et technique » du Centre national du livre – dont il n’est pas inintéressant de se pencher sur la composition – a jugé qu’il méritait une subvention de 7 310 € versée en 2011 à l’éditeur pour sa traduction en français, soit 9.4 % du total alloué à ce titre par le CNL cette année-là [52].

Lise Eliot n’a publié aucune recherche en neurosciences sur les différences entre les sexes, les effets des hormones sexuelles ou quoi que ce soit d’autre en rapport avec ce sujet, ni sous l’angle cognitif ni sous l’angle neurobiologique. Toutes ses publications en neurosciences, concentrées entre 1993 et 1995, sont issues de ses recherches de doctorat et post-doctorat sur la modulation de l’influx des ions calcium dans les neurones. Aucune publication signée de son nom (après exclusion d’une homonyme) n’est référencée dans le Web of Science entre 1995 et juillet 2010, date à laquelle est signalé son « We are all from Alpha Centauri » publié dans le magazine de vulgarisation New Scientist. Elle enchaîne ensuite avec « The myth of pink & blue brains » dans la revue Educational leadership en 2010, puis l’éditorial « The pseudoscience of single-sex schooling » cosigné entre autres avec Diane Halpern dans la revue Science en septembre 2011.

Ces remarques préliminaires n’ont pas pour but de disqualifier en bloc le discours de Lise Eliot, mais de souligner que son livre a été légitimé par une étiquette de « chercheuse en neurosciences » qui n’était pas pertinente en l’occurrence. Lise Eliot tient en fait sa « légitimité neuroscientifique » de sa formation initiale au sein du laboratoire du prix Nobel Eric Kandel, qui avait déjà gratifié d’un commentaire élogieux son premier livre grand public publié en 2000 (sur le développement du cerveau durant les cinq premières années de la vie, aux éditionsBantam), et du poste de maîtresse de conférence obtenu après cette publication (et qu’elle occupe toujours) au département de neurosciences de la Rosalind Franklin University. Sur la question du développement des différences comportementales entre les sexes, elle se prévaut également de son expérience de mère de deux fils et d’une fille.

En version originale Pink brain, blue brain. How small differences grow into troublesome gaps – and what we can do about it, le titre du livre devient en français Cerveau rose, cerveau bleu : les neurones ont-ils un sexe ?. En autorisant toutes les réappropriations, cette modification drastique facilite grandement l’instrumentalisation du livre dont le message clé est pourtant sans ambiguïté : il existe bel et bien des différences innées, mais en changeant les pratiques éducatives on peut éviter de les amplifier comme c’est le cas actuellement, et même peut-être les compenser. Comme on va le voir, d’autres glissements plus subtils mais non sans conséquences sont intervenus dans la traduction. Voici le paragraphe dans lequel Lise Eliot évoque les expériences sur les singes, où j’ai ajouté entre crochets la version originale des traductions fautives mises par moi en italiques :

« Une autre preuve [evidence for] frappante du caractère partiellement inné de la préférence pour certains types de jouets nous vient de la recherche sur les singes, lesquels grandissent de toute évidence sans l’endoctrinement à la “Toys ‘R’ Us” auquel nos enfants sont soumis. Deux études récentes – une sur les jolis petits vervets, l’autre sur les singes rhésus (plus couramment étudiés) – ont révélé [found] que les mâles et les femelles se différenciaient comme les garçons et les filles [exhibited a similar sex difference] en matière de choix de jouets. La première étude, menée à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) par Gerianne Alexander et Melissa Hines, s’est penchée sur les préférences de vervets âgés d’un an pour divers jouets humains conventionnels. Les mâles consacrèrent davantage de temps à manipuler la balle ou la petite voiture de police qu’aux autres jouets, tandis que les femelles préférèrent [spent more time exploring] une poupée de chiffon et, plus mystérieusement, une casserole rouge. Cependant, les deux sexes passèrent autant de temps à examiner deux jouets unisexes (un chien en peluche et un livre d’images). Les résultats sont similaires dans l’étude de singe rhésus menée au Centre Yerkes de recherche sur les primates de l’université Emory. Dans les deux études, les singes n’avaient aucune expérience préalable des jouets qui leur étaient présentés – et ils ignoraient sans aucun doute le sens du concept de “jouet de garçon” ou de “jouet de filles”. Aussi, ces résultats donnent bien à penser que ces préférences ont quelque-chose d’inné [such preference are innately biased]. Si ce n’est pas l’apprentissage social [gender indoctrination], donc, quelle est précisément la cause de l’attirance des garçons et des filles pour des jouets de types différents ? […] Les garçons, plus actifs, sont peut-être davantage séduits par les objets mobiles, comme les ballons et les véhicules, qu’ils peuvent manipuler et contrôler en utilisant leur corps. Les filles trouvent peut-être les poupées plus plaisantes parce qu’elles ont davantage propension à nouer des liens avec les personnes de leur entourage – voire, parce qu’elles ont une attirance véritablement instinctive pour les bébés. A vrai dire, il s’agit là d’une différence entre les sexes qui a été observée non seulement chez les singes rhésus et les vervets, mais aussi chez les babouins, les macaques… comme chez nos propres enfants. (Nous allons très bientôt réexaminer cette question de près). L’attirance des femelles vervets pour les bébés pourrait aussi expliquer leur intérêt bien étrange pour la casserole de l’étude […]. Il se trouve simplement que le rouge de cette casserole était proche de celui de la peau [the facial hue]des nourrissons vervets. Cela dit, ce qui est étonnant chez les garçons, c’est que jusqu’à l’âge d’environ douze mois, ils sont aussi intéressés que les filles par les poupées. (Les singes des études citées étaient pour la plupart adultes, donc nous ignorons comment les jeunes mâles réagissent face aux poupées.) […] Il est donc indéniable que garçons et filles s’orientent naturellement vers des objets [playthings] différents. Mais cela ne signifie pas que les facteurs sociaux ne façonnent pas leurs préférences. » (p. 160-161)

Pour ce qui est des traductions fautives, sachant que Pierre Reignier est traducteur professionnel depuis 1993 et qu’il se présente lui-même comme un « admirateur inconditionnel des 3 grands “D” : Dawkins, Dennett, Diamond » [53], il ne me semble pas déraisonnable de supposer que certaines d’entre elles au moins résultent d’une volonté de forcer le trait en faveur des théorisations évolutionnistes auxquelles il adhère.

D’abord « evidence » qui devient « preuve » alors que ce mot n’a jamais ce sens dans ce contexte, et « found » qui devient « révélé », deux glissements non rares dans la vulgarisation scientifique traduite de l’anglais et néanmoins très problématiques : alors qu’en VO une étude a mis en évidence des faits ou trouvé des indices ou en faveur d’une hypothèse, en VF elle en a révélé la preuve, ce qui change tout.

Les autres fautes de traduction sont moins graves mais tordent le texte dans une direction bien particulière : une différence entre les sexes « similaire » entre vervets et humains tend à devenir la même différence ; la formulation précise de l’observation que les femelles « ont passé plus de temps à explorer » certains jouets devient l’affirmation, qui n’est qu’une interprétation en l’occurrence très discutable de cette observation, qu’elles les « préférèrent » ; l’idée qu’il existe un biais de sexe inné dans les préférences devient celle que les préférences elles-mêmes ont quelque-chose d’inné, ce qui n’est pas la même chose ; Pierre Reignier n’a pas aimé que Lise Eliot qualifie d’endoctrinement lié au genre ce qu’il préfère quant à lui décrire comme un « apprentissage social » ; alors qu’elle indique que c’est le visage des bébés vervets qui a une teinte proche de celle de la casserole il préfère dire que c’est leur peau, ce qui incidemment rend l’explication par la couleur plus plausible car le lecteur peut s’imaginer à tort que la casserole peut évoquer le corps entier d’un bébé ; enfin, l’orientation censément naturelle des enfants vers des jouets différents est généralisée en orientation vers des objets différents.

Cela étant dit, le texte de Lise Eliot comportait déjà pas mal de problèmes avant que le traducteur n’en rajoute une couche : les vervets n’étaient pas « âgés d’un an » mais en moyenne âgés de 3.3 ans pour les mâles et 4.2 ans pour les femelles ; les mâles vervets n’ont pas consacré plus de temps à la balle ou la voiture qu’aux autres jouets puisque celui auquel ils ont en moyenne (pas tous) consacré le plus de temps était la peluche ; les femelles vervets n’ont pas consacré le plus de temps à la poupée et à la casserole puisque les deux jouets auxquels elles ont en moyenne (pas toutes) consacré le plus de temps étaient la casserole et à la peluche ; le chien en peluche et le livre d’image ne sont des jouets unisexes que selon la classification d’Alexander et Hines pour cette étude, et ce qualificatif méritait donc des guillemets ; les résultats n’ont pas été « similaires » dans l’étude de singe rhésus puisqu’on n’a retrouvé ni la différence de « préférence » entre peluches-poupée et jouet à roues chez les femelles, ni la différence entre les sexes dans l’intérêt apparent pour les jouets à roues, ni l’absence de différence entre les sexes dans l’attitude vis-à-vis des peluches ; dans l’étude de 2002 au moins les singes avaient eu une expérience préalable des jouets présentés ; compte tenu de la fragilité et du caractère partiellement contradictoire de ces deux résultats non répliqués, un comportement honnête et responsable aurait été de signaler leur faiblesse et d’inviter à la prudence plutôt que d’écrire au contraire qu’ils donnent bien à penser que ces préférences ont quelque-chose d’inné ; l’affirmation que les garçons sont « plus actifs » (sous-entendu naturellement) est très discutable, et celle que les filles ont davantage propension à nouer des liens voire qu’elles ont une attirance instinctive pour les bébés l’est plus encore ; rien ne permet de penser que le rouge de la casserole en plastique brillant était proche de la teinte du visage des bébés vervets si ce n’est ce qu’en ont dit Alexander et Hines, dont Lise Eliot reprend ici sans distance critique les propos en les déformant légèrement (ce dont on se rend facilement compte en tapant ‘vervet infant’ dans le moteur de recherches d’images de Google) ; il est tout à l’honneur de Lise Eliot de nuancer ses propos précédents en précisant que « jusqu’à l’âge d’environ douze mois » les garçons « sont aussi intéressés que les filles par les poupées » et que les singes des études citées « étaient pour la plupart adultes », mais sa première assertion mériterait d’être formulée plus prudemment car il ne s’agit pas d’un fait établi, et la seconde est non seulement inexacte mais contredit son affirmation plus haut que les vervets étaient « âgés d’un an », ce qui révèle un manque de rigueur certain (qui du reste caractérise son livre de manière générale). Sa conclusion qu’il est donc « indéniable » que garçons et filles s’orientent « naturellement » vers des jouets différents n’engage qu’elle : il ne s’agit pas d’un consensus scientifique.

Ce passage du livre de Lise Eliot fait évidemment partie des « meilleurs extraits » publiés en exclusivité par Le Figaro Magazine le 20 août 2011, qui s’est toutefois arrêté à « des nourrissons vervets » pour ne pas semer le trouble dans l’esprit de ses lecteurs. Dans l’article de The Observer publié par Courrier international en septembre 2011, c’est à nouveau au titre de ce passage que Lise Eliot est citée à l’appui de l’idée que le choix différentiel de jouets, « l’une des plus grandes marques de différenciation entre les sexes à l’échelle d’une vie », prend sa source dans des « propensions naturelles » renforcées ensuite par l’environnement [54]. Le très fréquenté blog quotidien d’actualité catholique traditionnaliste proche de l’extrême droite Le Salon Beige n’a pas manqué de s’en servir contre « les idéologues du gender »… [55]

Cas n°6 : Jean-François Bouvet en septembre 2012

Le passage correspondant du livre de Jean-François Bouvet, dont j’ai déjà présenté brièvement l’auteur et les grandes lignes en introduction, mérite d’être cité in extenso ne serait-ce que pour montrer que son auteur est ici plus rigoureux non seulement que Lise Eliot, mais que tous les autres vulgarisateurs cités dans le présent article (ça n’est peut-être pas sans rapport avec le fait que ce sont justement ces histoires de camions et de poupées qui ont donné son titre au livre) :

« Mais que se passe-t-il lorsqu’on procure à des primates non humains des jouets humains ? Une première étude de ce type, publiée en 2002, a été réalisée sur les vervets (des singes originaires d’Afrique) par Melissa Hines et Gerianne Alexander. Ces deux chercheuses de l’Université de Californie à Los Angeles ont entrepris de proposer à des vervets – en l’occurrence 33 mâles et 30 femelles – une sélection de jouets. Il s’agissait d’objets “neutres” (chien en peluche, livre d’image), ou considérés comme traditionnellement préférés par les filles (poupée de chiffon, casserole rouge) ou par les garçons (balle orange, voiture de police bleue avec des roues rouge et blanc). Résultat ? Alors que les deux sexes s’intéressaient de manière équivalente aux objets “neutres”, les mâles consacraient plus de temps que les femelles à manipuler les objets considérés comme masculins – la balle orange et la voiture bleue -, tandis que les femelles s’intéressaient surtout à la poupée et à la casserole. Quelques remarques à propos de ladite casserole : d’abord il apparaît qu’elle attire aussi les mâles, lesquels y consacrent un temps important ; ensuite, cet ustensile est de couleur vive – rouge en l’occurrence –, ceci pouvant peut-être expliquer cela ; enfin, si la voiture roule et si la balle rebondit – bref s’il y a du mouvement –, quid de la casserole ? Que peut-elle bien évoquer pour un singe, qu’il soit mâle ou femelle ? Simple curiosité, peut-être. En revanche, la poupée qui attire les femelles ressemble, bien sûr, à un bébé. Dans l’étude de Hines et Alexander, on voit d’ailleurs une photo de femelle plongée dans l’examen attentif de l’entrejambe d’une poupée, comme si elle cherchait à déterminer son sexe. Un travail du même type a été publié en 2008 par Kim Wallen, du Centre américain de recherche sur les primates Yerkes à Atlanta, et ses collègues. L’étude portait cette fois sur des macaques rhésus (11 mâles et 23 femelles), des singes originaires d’Asie. Là encore leur était proposé un choix d’objets : des jouets munis de roues (deux camions [dont un à benne], une voiture, un Caddie, etc) et des peluches (Winnie l’ourson, une tortue, un tatou, etc.). Résultat ? Les mâles avaient une nette préférence pour les jouets à roue, qu’ils pouvaient faire bouger, alors que les femelles partageaient leur temps entre les deux types d’objets. Dans la mesure où nous partageons avec nos cousins singes un ancêtre commun, les résultats de ces deux études semblent indiquer que les préférences respectives des garçons et filles pour tel ou tel type d’objet ont une part ancestrale, et qu’elles se sont manifestées précocement au cours de l’évolution. Ce qui revient à avancer qu’il y a quelque-chose d’inné… et nous amène à dire quelques mots de la psychologie évolutionniste, déjà évoquée […] »

Le mode de présentation adopté ici par Jean-François Bouvet consiste à fournir aux lecteurs une description précise afin qu’ils puissent se faire une idée par eux-mêmes tout en ajoutant quelques éléments qui lui paraissent pertinents pour guider leur interprétation. Je ne peux qu’approuver la démarche, dont je partage l’intention mise en œuvre dans la première partie du présent article. Je note aussi la prudence de son « semblent indiquer », la précision de sa description des jouets et des tailles d’échantillons de singe, ou encore l’absence de reprise de la suggestion mensongère d’Alexander et Hines d’un rapport entre la couleur de la casserole et celle des visages des bébés vervets.

Reste qu’il est mensonger d’affirmer que les femelles vervets « s’intéressaient surtout à la poupée et à la casserole » dans la mesure où elles se sont (en moyenne) plus « intéressées » à la casserole d’abord et à la peluche ensuite, avant la poupée. En outre, affirmer concernant les rhésus que « les mâles avaient une nette préférence pour les jouets à roue […] alors que les femelles partageaient leur temps entre les deux types d’objets » revient à reformuler abusivement les résultats en termes dichotomiques : pour mémoire, selon les termes mêmes des auteurs, 18% des mâles n’ont pas eu de « préférence » et 9% ont au contraire « préféré » les peluches, et seules 30% des femelles n’ont pas eu de « préférence », 39% d’entre elles ayant « préféré » les jouets à roue comme la plupart des mâles et 30% « préféré » les peluches. Il est par ailleurs trompeur de laisser croire que les deux études étaient concordantes concernant les jouets à roue : pour mémoire, les mâles vervets ont certes (en moyenne) passé plus de temps que les femelles à manipuler la voiture mais les mâles rhésus n’ont pas passé significativement plus de temps qu’elles à manipuler les jouets à roue. Utiliser les termes « s’intéressaient » et « préférence » sans guillemets est également trompeur dans la mesure où il ne s’agit que d’interprétations soumises à caution, comme on l’a vu à plusieurs titres en particulier pour l’étude de 2002. « Là encore leur était proposé un choix d’objets » laisse aussi croire à tort que les deux études ont utilisé une méthodologie similaire alors que dans celle de 2002 on n’a pas « proposé un choix » aux vervets.

Reste aussi que Jean-François Bouvet dérape dans l’interprétation de l’étude sur les vervets en précisant « la voiture roule », « la balle rebondit » et « il y a du mouvement », et dans celle de l’étude sur les rhésus en précisant « qu’ils pouvaient faire bouger » alors que rien ne permet dans ces deux articles d’étayer l’idée que les singes ont fait rebondir la balle ni qu’ils ont davantage mis en mouvement les jouets à roue, la voiture et la balle que les autres jouets (c’est d’autant plus dommage que comme on l’a vu, Gerianne Alexander a elle-même considéré ultérieurement que cette hypothèse du mouvement n’était a priori pas la bonne). Il dérape également en affirmant que la poupée « ressemble, bien sûr, à un bébé », alors qu’au vu des photos disponibles en ligne de bébés vervets et de la photo de ladite poupée il est loin d’être évident que cette dernière ressemblait davantage que le chien en peluche à un bébé vervet, chien en peluche qui a autant voire plus « intéressé » les mâles que les femelles.

Reste enfin que pour que les lecteurs aient vraiment les moyens de savoir à quel point ces deux études constituent un argument de poids en faveur de l’idée que « les préférences respectives des garçons et filles pour tel ou tel type d’objet ont une part ancestrale », il manque bien d’autres précisions qui auraient été nécessaires : l’orientation très particulière des auteurs des deux études et des revues dans lesquelles elles ont été publiés, l’âge des singes, le fait qu’ils vivaient en captivité, les biais de sélection des échantillons, l’absence de réplication de ces deux études, les contradictions dont elles sont porteuses, le fait que ces singes sont parmi les primates les plus éloignés de l’être humain, et bien d’autres choses que j’ai indiquées au début de cet article. On peut bien-sûr comprendre que vu le périmètre couvert par son livre, Jean-François Bouvet ne pouvait pas fournir autant d’informations pour chacune des études qu’il a choisi d’évoquer. Mais dans ce cas l’honnêteté intellectuelle aurait commandé, en plus d’éviter les reformulations fallacieuses mentionnées ci-dessus, de supprimer quelques détails peu utiles de leur description au profit d’une invitation à ne pas prendre leurs résultats pour acquis et à les interpréter avec précautions. Peut-être cela aurait-il dissuadé LePoint.fr et Science Humaines, oùson discours a été légitimé en tant que constat de l’état des connaissances scientifiques sur la question du sexe du cerveau, de présenter ces études sur les singes parmi le petit nombre d’éléments retenus par les journalistes à l’appui de sa naturalisation du genre en les caricaturant encore… [56]

Cas n°7 : Peggy Sastre en septembre 2012

Le 2 septembre 2012, Peggy Sastre publie dans sa rubrique « sexe, science et al. » du Plus du Nouvel Observateur un article intitulé « Jouets sexués : et les hormones dans tout ça ? ». Il est précédé du chapeau suivant ajouté par la rédaction : « Les poupées pour les filles et les camions pour les garçons ? C’est un thème qui fait souvent polémique, et qui amène généralement à s’interroger sur les conditionnements genrés. Pourtant, au-delà même des comportements socialement induits, souvent incriminés en la matière, les hormones jouent un rôle non négligeable. Peggy Sastre revient sur les études scientifiques qui le prouvent. »

Pourquoi publier soudain un article sur l’influence supposée des hormones sur les préférences pour les poupées et les camions ? C’est simple : Gerianne Alexander vient de publier dans Hormones and Behavior de nouveaux résultats à haut potentiel médiatique, et le site de vulgarisation Live Science en a rendu compte en avant-première dans un article dont le titre donne ceci en français : « les hormones expliquent pourquoi les filles aiment les poupées et les garçons aiment les camions » [57]. Ni une ni deux, Peggy Sastre s’inspire de l’histoire pour en publier quelques jours plus tard une version à sa sauce.

Comme son inspiratrice de Live Science qui s’est elle-même contenté de recycler les arguments de Gerianne Alexander, Peggy Sastre cite les deux études sur les singes, une étude de Gerianne Alexander de 2009 sur le lien entre niveau supposé de testostérone prénatale et choix de jouets chez les garçons, des observations faites sur les filles souffrant d’hyperplasie congénitale des surrénales, ainsi que le tout nouvel article de Gerianne Alexander. Toutes ces études sont comme il se doit supposées avoir montré des effets nets du sexe ou du niveau de testostérone, avoir mis en évidence des faits désormais solidement établis, et être remarquablement convergentes entre elles. Il faudrait un long développement pour mettre en évidence tout ce qu’il y a de fallacieux, manipulatoire, trompeur dans cet article que je n’analyserai ici que pour son mésusage des études sur les singes.

Comme dans l’article de Live Science, elles constituent le premier des arguments invoqués par Peggy Sastre contre l’hypothèse alternative que les jouets « miment le “partage des tâches” auquel ces enfants seront socialement soumis une fois devenus grands », hypothèse « la plus connue» selon elle, qui caricature ainsi au passage les explications socioculturelles autrement plus riches et subtiles développées dans la littérature scientifique sur le sujet. Après l’intertitre en gras « Chez les primates aussi : preuves scientifiques à l’appui » (extrapolation abusive aux primates en général d’une observation non répliquée qui n’est même pas celle sous-entendue dans le titre), elle proteste hypocritement de son absence d’avis a priori sur la question, prétendant n’avoir cédé que devant l’évidence des « données scientifiques actuellement disponibles », et présente celles sur les singes en ces termes :

« En particulier, depuis quelques années, plusieurs équipes de chercheurs observent [lien vers l’abstract de l’étude de 2008] des préférences ludiques comparables [lien vers le commentaire élogieux de Williams et Pleil accompagnant l’étude de 2008] chez… des primates non-humains [lien vers l’abstract de l’étude de 2002], a priori libres des déterminations et autres pressions sociales que connaissent nos congénères [lien vers le commentaire élogieux de Hines et Alexander accompagnant l’étude de 2008] (“Tu seras un camionneur bien burné, mon fils” / “Tu seras une aide-soignante fan de sacs à mains, ma fille” / “Et gare à la mornifle si tu t’éloignes de ce droit chemin”). Par exemple, dans cette expérience résumée dans cette vidéo bien rigolote [lien vers la vidéo de New Scientist sur l’étude de 2008], des scientifiques avaient présenté deux types de jouets (le “camion” et la “peluche”) à des macaques rhésus, avant de scrupuleusement noter leurs réactions. Le verdict fut relativement clair : si les femelles s’intéressaient de façon plutôt équivalente aux deux types de jouets (avec une légère préférence tout de même pour le type “peluche”) les mâles, eux, préféraient nettement le type “camion”. Et s’il leur arrivait de jouer avec le type “peluche”, c’était souvent pour le mordre, lui arracher les pattes et lui taper dessus. »

Pour ce qui est de la description de l’étude de Wallen de 2008, relevons le fait qu’elle n’est pas « résumée » mais décrite de manière fantaisiste dans la vidéo de New Scientist ; que « les femelles » ne « s’intéressaient » pas toutes de façon équivalente aux deux types de jouets puisque 70% d’entre elles ont montré une « préférence » soit pour les jouets à roue, soit pour les peluches ; qu’on ne peut parler de « légère préférence » des femelles pour les peluches alors que d’une part la différence moyenne entre peluches et jouets à roues n’était pas statistiquement significative chez elles et a (à juste titre) été considérée comme inexistante par les chercheurs, et que d’autre part 39% d’entre elles ont montré une « préférence » pour les jouets à roue contre seulement 30% pour les peluches ; qu’on ne peut dire que « les mâles » ont préféré le type “camion” puisque seuls 73% d’entre eux ont manifesté cette « préférence » ; et enfin que l’idée que lorsque les mâles jouaient avec un jouet de type peluche, « c’était souvent pour le mordre, lui arracher les pattes et lui taper dessus » n’est que pure invention de Peggy Sastre, inspirée sans doute par le commentaire de la vidéo de New Scientist.

Outre cette prise de liberté vis-à-vis des faits, Sastre use ici de plusieurs procédés d’exposition trompeurs. Le premier consiste, via son « En particulier, depuis quelques années, plusieurs équipes de chercheurs », son « Par exemple » et son inclusion de pas moins de cinq liens hypertextes à l’appui de ce court paragraphe, à donner l’impression qu’il existe une multitude d’études sur les préférences des primates non-humains pour les jouets humains « féminins » ou « masculins » alors qu’il n’en existe que deux, en faisant en outre croire qu’elle connait bien toutes ces études.

Le second consiste à passer sous silence les spécificités du contexte et de la méthodologie de ces études qui en limitent la portée. Elle nous dit que des chercheurs « observent » chez « des primates non-humains » des préférences « comparables » à celles observées chez les humains, comme s’il s’agissait d’équipes d’éthologues sans idée préconçue qui faisaient de manière récurrente et par hasard cette observation, et sans préciser la (petite) taille des échantillons, les risques de biais, l’âge des animaux, le fait qu’ils vivaient en captivité, qu’il s’agit d’espèces de primates très éloignés de l’être humain, etc, bref sans prendre au contraire les précautions nécessaires contre leur surinterprétation.

Le troisième consiste à invisibiliser le caractère préliminaire des deux études en question, or tant que ni l’une, ni l’autre n’aura été répliquée et étendue, on ne pourra pas prendre pour acquis que les vervets se comportent de telle manière et les macaques rhésus de telle (autre) manière vis-à-vis des jouets humains.

Le quatrième consiste à invisibiliser le caractère contradictoire des études existantes en faisant, avec son évasif « comparables », comme si l’effet du sexe sur l’opposition camion/peluche chez les macaques rhésus était observé dans toutes les espèces de primates observées et correspondait évidemment à celui du sexe sur l’opposition camion/poupée chez les enfants humains. On remarque d’ailleurs qu’elle fournit les liens vers les deux commentaires élogieux publiés avec l’article de Wallen dans Hormones and Behavior, mais non celui vers le commentaire de Wallen publié dans le même numéro dans lequel il réfute l’interprétation de ses travaux par Hines et Alexander et réaffirme que les siens contredisent les leurs.

Que le Nouvel Observateur mette à la disposition de Peggy Sastre un porte-voix pour la propagation d’idées sexistes et de théories psycho-évolutionnistes foireuses déjà abondamment diffusées ailleurs est étonnant, mais c’est un choix de ligne éditoriale comme un autre. Après tout, si pour certains Peggy Sastre est une « bouffée d’oxygène »[58]… Qu’il laisse croire que sa prose procède d’une démarche d’enquête et relève d’une forme de journalisme scientifique est en revanche éthiquement intenable. De deux choses l’une : soit le rédacteur en chef ne réalise pas que Peggy Sastre manipule son lectorat et répand depuis des mois une propagande mensongère parce qu’il ne s’est pas donné les moyens de s’assurer de la qualité de ce qu’il publie, soit il en est conscient mais la garde parce que ça sert ses intérêts, et dans les deux cas c’est grave. Ce qui est encore plus grave c’est que dans la cas présent (comme souvent), la rédaction rajoute sans vergogne à l’article de Peggy Sastre une grosse couche de désinformation, en affirmant dans le chapeau d’une part que dans la préférence supposée des filles pour les poupées et des garçons pour les camions « les hormones jouent un rôle non négligeable », et d’autre part que Sastre expose les études qui le « prouvent ». Le Nouvel Obs est décidément tombé bien bas.

Cas n°8 : Alain de Benoist en octobre 2012

Dans le numéro d’octobre 2012 de sa revue Elements, l’intellectuel ultraconservateur Alain de Benoist publie un article de huit pages à charge contre le gender intitulé « Vive la différence ! », dont il développera l’argumentaire dans son livre Non à la théorie du genre ! publié en février 2014 aux éditions Mordicus. Les études sur les singes y sont particulièrement mises en avant, faisant l’objet de l’un des trois extraits du texte répétés en gros caractères (« Dès la petite enfance, dans toutes les cultures du monde, les filles préfèrent les poupées et les garçons les voitures. Il est remarquable que ces préférences ont aussi été constatées chez les grands singes. »). Voici le paragraphe correspondant en troisième page :

« L’expérience a été tentée d’innombrables fois : on peut bien, dès la naissance, s’efforcer de combattre tous les “stéréotypes”, habiller les garçons avec des jupes et donner aux filles de voitures de pompiers, les invariants anthropologiques reprennent rapidement le dessus. […] Dès la petite enfance, dans toutes les cultures du monde, les filles préfèrent les poupées, les ustensiles de cuisine ou les trousses de maquillage, tandis que les garçons préfèrent les voitures et les ballons. Il est remarquable que ces préférences ont aussi été constatées chez les grands singes. Plus tard, à tous les stades de leur vie, les femmes préfèrent travailler avec des personnes vivantes, tandis que les hommes préfèrent travailler avec et sur des objets. »

La manipulation se passe je crois de commentaires. Signalons juste que ni les vervets, ni les macaques rhésus ne font partie de ce qu’on appelle les « grands singes ». Soulignons également que dans cet article qui concentre un nombre considérable de contre-vérités du même tonneau que ce qu’on peut lire dans ce bref passage, Alain de Benoist invoque non seulement « la biologie, la neurobiologie et la psychologie évolutionnaire » sur lesquels il prétend dans l’introduction se fonder, mais aussi Claude Lévi-Strauss, Michel Schneider, Sylviane Agacinski et Xavier Lacroix. Cela montre une fois de plus combien les arguments biologiques pseudo-scientifiques invoqués à l’appui de la naturalisation du genre, légitimés sous couvert d’expertise scientifique par les éditeurs peu scrupuleux et/ou idéologiquement orientés qui ont publié les livres qu’il invoque ici (à savoir notamment Susan Pinker [Les Arènes], Jean-Albert Meynard [L’Archipel], Jean-Paul Mialet [Albin Michel], Lise Eliot [Robert Laffont], Alain Braconnier [Odile Jacob], Doreen Kimura [Odile Jacob], Louann Brizendine [Grasset], Simon Baron-Cohen et Melissa Hines), sont en France aisément articulés avec des notions issues de l’anthropologie structuraliste, de la psychanalyse et de la doctrine catholique, susceptibles de former sur ce sujet un tout remarquablement – et non fortuitement – cohérent.

Cas n°9 : Sébastien Bohler en novembre 2013

Dans l’espace web mis à la disposition de Sébastien Bohler par le groupe Pour la Science qui l’emploie (dont je note, en forme de clin d’œil au paragraphe précédent, qu’il l’a baptisé « L’actu sur le divan »), le journaliste scientifique spécialisé en neurosciences, psychologie sociale et psychologie cognitive publie le 6 novembre 2013 un article intitulé « Quand Super-U applique la théorie du genre », titre dans lequel l’absence de guillemets autour de « théorie du genre » signe déjà l’idéologie de l’auteur et/ou son ignorance crasse des sciences sociales.

C’est à l’occasion d’une polémique au sujet du catalogue de Noël d’une enseigne de la grande distribution que Sébastien Bohler publie cet article que je vous engage à lire en entier pour en saisir toute la saveur, en espérant qu’il n’aura pas été rectifié d’ici là [59]. Illustré notamment par la belle photo en couleurs des singes de l’étude d’Alexander et Hines, il contient le passage suivant censé convaincre toute personne faisant preuve d’intelligence que le combat féministe contre certains stéréotypes est non seulement vain mais dangereux, car ils ont l’intérêt de montrer qu’il faut accepter dès le début certaines déterminations si on ne veut pas faire des enfants des coquilles vides :

« Prenons le cas d’une fille qui demande un camion de pompier. Là, ce seront ses parents qui vont peut-être s’inquiéter pour sa féminité. Mais qu’ils ne s’inquiètent pas. Les filles ne sont pas de petites guenons, comme le montrait un article (http://biososial.org/wpcontent/uploads/2010/03/Alexander-Hines-2002.pdf) des éthologues Gerianne Alexander et Melissa Hines. Dans ces expériences, des petits singes à qui on laissait le choix entre jouer avec des poupées ou des petites autos, le faisaient en fonction du sexe : les singes mâles choisissaient les voitures, et les guenons les poupées. Si Super U devait faire un catalogue pour les babouins, ils feraient bien de ne pas s’écarter des recettes traditionnelles. Tous les parents de petites filles voudraient que leurs filles puissent s’ouvrir aux activités qu’elles souhaitent. Vive ce genre d’initiative. Mais faisons preuve d’intelligence. Les expériences sur les petits singes, si elles prêtent à sourire, introduisent malgré tout la possibilité que les petites femelles ont plus d’intérêt pour les soins prodigués aux bébés. […] L’être humain n’est évidemment pas un babouin, mais il serait également irresponsable scientifiquement de prétendre qu’il ne partage rien avec lui au niveau des structures cérébrales et du comportement ([…]). En fait, vouloir prétendre que les hommes et les femmes sont identiques est sans doute plus dangereux pour le féminisme que pour ses opposants. […] Strenger montre de façon magistrale dans son ouvrage comment la croyance selon laquelle il s’agirait de maintenir en permanence tous les potentiels ouverts jusqu’au dernier moment nous conduit à n’en concrétiser aucun et à n’être, au bout du compte, que des coquilles vides. En ce sens, poupée ou camion, c’est évidemment une caricature, mais une caricature qui nous montre qu’il faut accepter dès le début certaines déterminations, sachant que l’exercice de la liberté se situe sans doute ailleurs. »

Rappelons que ni Alexander, ni Hines ne sont éthologues, ce que Sébastien Bohler n’ignore sans doute pas. Je suppose que cela relève de la stratégie consistant à faire passer de la psychologie évolutionniste pour de la biologie dont j’ai déjà relevé la récurrence chez lui [60]. Rappelons aussi que les petits singes en question étaient des singes vervets et non des babouins, mais Sébastien Bohler n’a cure de ce genre de détails sans doute insignifiants pour lui. Rappelons encore que dans l’expérience qu’il évoque on n’a pas laissé aux singes « le choix » entre plusieurs jouets, qu’il y avait une poupée et une voiture et non plusieurs, que le jouet qui a le plus « intéressé » les mâles, en moyenne, était la peluche (avant la balle, la casserole puis la voiture), et que le jouet qui a le plus « intéressé » les femelles, en moyenne, était la casserole (avant la peluche puis la poupée). Seule la formulation suivante aurait été correcte : « les singes mâles ont en moyenne passé un peu plus de temps que les femelles au contact de la voiture, et les femelles en moyenne plus de temps que les mâles au contact de la poupée », et non la transformation de ce résultat particulier de l’étude en dichotomie opérée par : « les singes mâles choisissaient les voitures, et les guenons les poupées ». Cette reformulation mensongère est redoublée par l’affirmation que les singes faisaient leur choix « en fonction du sexe », alors que loin d’être une simple fonction du sexe le niveau d’intérêt apparent pour tel ou tel jouet avait montré une variabilité dont un très grand pourcentage était statistiquement indépendant du sexe. Rappelons enfin que « ces expériences » d’Alexander et Hines en sont une seule. On note que comme à son habitude, Sébastien Bohler ressort pour servir son propos une vieille étude isolée sur laquelle il a eu l’heur de tomber sans signaler sa faiblesse ni son absence de réplication, ni visiblement même se demander si ses résultats ont été confirmés depuis.

L’absence de réplication est d’ailleurs en elle-même une information intéressante dans la mesure où elle invite à se demander comment il se fait que douze ans après cette première étude et six ans après la seconde, rien n’a été publié sur ce sujet. Sachant qu’elles n’étaient conclusives ni individuellement, ni a fortiori conjointement puisqu’elles n’étaient pas univoques, ça ne peut être parce qu’on considère qu’elles répondent définitivement à la question posée. N’est-ce pas alors plutôt parce que personne n’est prêt à consacrer des ressources à cette recherche jugée vaine, sans intérêt scientifique ? Ou parce que les chercheurs qui ont tenté de les répliquer n’ont pas voulu ou pas pu publier dans une revue scientifique le compte-rendu de leur échec ? Voilà une enquête proprement journalistique qu’il serait intéressant de mener, mais on a bien compris que ça n’est pas pour ça que Sébastien Bohler est payé : vendre les histoires fascinantes, les certitudes scientifiques et les explications simplistes que son employeur pensent attendues par le grand public, voilà ce qui justifie son salaire. Et s’il peut en profiter pour faire passer ses idées à chaque fois que c’est possible, quitte à prendre résolument ses distances avec toute éthique journalistique, pourquoi s’en priverait-il puisqu’on continue à le payer pour ça ?

Cas n°10 : Leonard Sax en janvier 2014 (en France)

En 2001, Leonard Sax, licencié en biologie en 1980 et docteur en psychologie et en médecine en 1986, alors médecin de famille depuis 1990 dans le Maryland, las du déni politiquement correct de l’évidence des différences cognitives et comportementales innées entre les sexes, conforté dans ses convictions par sa lecture du récent livre de Diane Halpern sur ce sujet et inquiet des conséquences de ce déni sur les garçons qu’il voit défiler dans son cabinet, passe à l’action. Il fait en quelques mois trois publications dans des revues scientifiques : un petit commentaire reprochant à Jared Diamond sa trop grande considération pour Freud, un plaidoyer pour la mise en place d’un cursus de fin d’école maternelle spécifique pour les garçons (après lequel ils poursuivraient leur scolarité avec les filles mais avec un an de différence devant compenser leur décalage de développement), et un commentaire contre d’une part le fait d’appeler « stéréotypes » des différences entre les sexes constatées dès la petite enfance « dans toutes les cultures et toutes les races », et d’autre part celui de qualifier de « sexiste » l’affirmation qu’hommes et femmes sont complémentaires alors qu’il s’agit à la fois de « l’un des plus forts et plus clairs messages du Talmud » et d’un « truisme biologique d’un point de vue évolutionniste » [61]. Il crée en 2002 un fantomatique « centre de recherche sur le développement de l’enfant et de l’adolescent » qui lui sert désormais d’institution de rattachement, et publie entre 2005 et 2010 trois livres sur les différences entre les sexes et comment les prendre en compte dans l’éducation des enfants [62].

Son succès commercial aux Etats-Unis et son discours devenu en phase avec l’air du temps hexagonal ne pouvaient laisser longtemps indifférent le monde de l’édition française. Le 15 janvier 2014 sort ainsi aux éditions JC Lattès, par le « Dr Leonard Sax », Pourquoi les garçons perdent pied et les filles se mettent en danger, une traduction-adaptation de ses deux derniers livres transformés en un. A sa sortie, L’Express et La Vie publient à quelques jours d’écart deux interviews du bon docteur Sax, la première intitulée « “Nier ce qui distingue les sexes nuit à l’enfant” » et la seconde « Filles et garçons : l’égalité dans la différence ».

L’un des arguments avancés dans le livre par Sax est le suivant : « Les garçons préfèrent de beaucoup les camions, tandis que les filles préfèrent un peu les poupées. […] Quand, en 2008, Kim Wallen et ses collègues du centre national de recherches sur les primates de Yerkes, à Atlanta, ont décidé de reproduire cette expérience bien connue, ils lui ont ajouté leur touche personnelle : au lieu de proposer à des enfants humains de choisir entre les poupées et les camions, ils ont offert le même choix à des jeunes singes. Leurs résultats sont présentés dans le graphique suivant. Comme vous pouvez le constater, ils sont semblables à ceux déjà commentés. Les femelles ont un faible pour les poupées plutôt que pour les camions. Les mâles préfèrent nettement, et de beaucoup, jouer avec un camion plutôt qu’avec une poupée. Difficile d’invoquer la construction sociale du genre pour expliquer ce résultat […] La construction sociale du genre tient peut-être un rôle dans notre espèce, puisque les différences de préférences obtenues pour chaque sexe sont significativement plus élevées chez les enfants humains que chez les singes, mais elle n’apparaît pas centrale. […] La préférence des mâles pour les camions est forcément innée parce que constatée au sein de plusieurs espèces. »

Résumons : Sax choisit d’ignorer l’étude de 2002 ; il omet de préciser que l’expérience non répliquée a été faite sur 135 macaques rhésus en captivité en ne retenant in fine que les données de 34 d’entre eux ; les singes qui étaient loin d’être tous jeunes le deviennent sous sa plume par magie, de même que les peluches deviennent des poupées et les jouets à roues, chariot et caddie compris, deviennent des camions ; il reformule en « faible pour les poupées plutôt que pour les camions » des femelles rhésus leur absence moyenne de différence entre temps passé à manipuler les deux types de jouets, et alors même que plus de la moitié des femelles ayant exprimé une « préférence » l’ont fait pour les jouets à roue ; la « préférence » de 8 des 11 mâles rhésus pour les jouets à roues devient la « préférence des mâles pour les camions […] constatée au sein de plusieurs espèces » ; et c’est ainsi qu’un faible indice de différence existant peut-être chez une espèce de primate très éloignée de la nôtre et pouvant évoquer une différence observée dans certaines populations d’enfants mais ni dans toutes, ni vraiment la même, et seulement à partir d’un certain âge, devient une preuve du caractère inné de ces préférences chez les enfants. Très fort.

Cet argument étant décidément un must pour clouer le bec à tous ceux qui refusent de regarder la réalité en face, Sax ne se prive pas de l’invoquer dans ses interviews. Voici comment il le fait dans L’Express :

« Votre livre paraît en France au moment où notre gouvernement vient de lancer une campagne contre les stéréotypes fille-garçon dans les rayons jouets des grands magasins. Qu’en pensez-vous ? A la fac, pendant mes études de psychologie, j’étais convaincu, comme tout le monde, que le choix d’un jouet était une construction sociale. Le garçon prend plutôt le camion et la fille la poupée parce qu’il ou elle sent qu’on lui en intime l’ordre. Il y a du vrai, mais cela n’explique pas tout. Des chercheurs de l’université de Yale ont donné ces mêmes jouets à des petits singes, nos plus proches cousins. Ces primates ignorent le signifiant masculin ou féminin de ces objets. Or, une large majorité des mâles a choisi les camions. Voilà pour l’inné : des recherches démontrent qu’en raison de petites différences cérébrales les garçons sont plus intéressés par le mouvement d’un objet, et les filles, par sa texture et sa couleur. »

… et dans La Vie :

« Du point de vue pédagogique, il est convenu de gommer les différences entre garçons et filles. En avançant le contraire, vous relancez la polémique. Ne craignez vous pas de passer pour un réactionnaire ? Tout le monde est d’accord pour dire qu’il n’y a aucune différence entre les facultés intellectuelles, les capacités d’apprentissage, des filles et des garçons. Mais dans le domaine de la motivation, il en va différemment. Des recherches scientifiques font observer des différences comportementales chez les singes et les chimpanzés [sic !]: les petits singes mâles préfèrent nettement jouer avec des camions plutôt qu’avec des poupées, les petits singes femelles marquent une légère préférence pour les poupées, par rapport aux camions. Ces différences sont encore plus marquées chez les enfants humains, à un âge où ils n’ont pas encore conscience du sexe auquel ils appartiennent. De la même façon, les modes d’apprentissage chez les filles et les garçons ne sont pas similaires. La culture et la construction sociale du genre, si elles amplifient la biologie, ne peuvent être les seules responsables de ces différences. Or nous éduquons nos enfants comme si ces différences n’existaient pas. »

Il est assez amusant de voir comment des couches d’instrumentalisation s’empilent les une sur les autres pour aboutir à des positions opposées : Lise Eliot s’oppose de manière virulente et nominative à Leonard Sax sur les questions d’éducation, mais ils partent de la même prémisse (une différence supposée innée car présumée constatée aussi chez les primates non-humains, seulement amplifiée ensuite par la société) ; La Vie introduit l’interview en rappelant que les ABCD de l’égalité que le gouvernement vient de présenter visent à déconstruire les stéréotypes alors même que Sax « montre qu’il est vain de nier les différences entre les deux sexes, cette attitude renforçant même les stéréotypes », et quelques mois plus tard l’Inspection générale de l’Education nationale citera le bouquin de Lise Eliot en référence pour tenter de sauver les ABCD… [63]

Cas n°11 : Lucy Vincent en mars 2014

Je dois vous avouer quelque-chose : j’ai un gros dossier sur Lucy Vincent, dont j’ai dépouillé divers livres, apparitions télévisées ou radiophoniques et citations par des journalistes. Je me disais qu’il fallait absolument faire quelque-chose pour tenter de réduire un peu sa surface médiatique, rechignant devant l’ampleur de la tâche et ne sachant par quel bout attaquer la critique de ses affabulations basées sur un mélange de psychologie évolutionniste et d’extrapolation d’observations faites sur des rongeurs. Et puis le scandale du Mediator est arrivé, et les médias ont tout à coup semblé découvrir qu’elle n’était pas chercheuse en neurobiologie mais plus prosaïquement, et ce depuis 2005 au moins, responsable de la communication des laboratoires Servier. Je me suis sentie soulagée. Elle allait enfin cesser d’être présentée et promue pour ce qu’elle n’était pas, et j’espérais même secrètement qu’on n’entendrait plus parler d’elle. Mes vœux ont été exhaussés pendant un temps : hormis dans le cadre de sa défense de Servier, on ne l’a guère plus entendue comme neurobiologiste de l’amour hétérosexuel (et donc du genre) que dans l’émission de Brigitte Lahaie sur RMC. Mais voilà qu’elle est réapparue pas n’importe quel jour et pas n’importe où : le 8 mars dernier, journée internationale des droits des femmes, sur la chaîne publique France 5.

Franz-Olivier Giesbert (FOG) présente ce jour-là un nouvel épisode de son émission « Les grandes questions » produite par Téléparis, multi-diffusée sur France 5 et TV5 Monde. Intitulée « Femmes : le nouveau sexe fort ? », l’émission de 55 minutes est enregistrée le 28 février et diffusée la première fois le samedi 8 mars 2014 à 19h. Ça commence assez fort : après avoir expliqué que l’émission est une spéciale « journée de LA femme », FOG présente ses intervenantes et intervenants, dont le distingué auteur de l’Eloge littéraire d’Anders Breivik Richard Millet. Je ne sais s’il a pour fonction de remplacer Yves Coppens ou Olivier de Kersauson initialement prévus, mais il remplira en tout cas admirablement son rôle de vieux mâle dominant quelques minutes plus tard. En attendant, ce sont les femmes qui assurent, et tout d’abord Adèle Van Reeth.

Invitée dans le cadre de la promotion du livre sur la jouissance qu’elle vient de codiriger (son intervention est accompagné d’un zoom sur la couverture d’une maquette erronée fabriquée pour l’occasion), elle nous refait le coup du féminisme à la française revendiqué par Irène Théry à l’occasion de l’affaire DSK, celui qui « veut les droits égaux des sexes et les plaisirs asymétriques de la séduction » (voir Le Monde 29 mai 2011) : « j’insiste là-dessus dès à présent, il y a deux domaines qui sont vraiment distincts dans… dans, dans l’affrontement entre ce qu’on peut appeler les hommes et les femmes. Il y a un domaine public politique, où là il faut à tout prix une égalité, […], et il y a le domaine, disons privé, intime, où là, […] chacun a pu en faire l’expérience, homme comme femme, la domination peut avoir un sens, à condition que cette domination soit équilibrée, mais personne ne voudrait d’une égalité totale, euh, disons, euh, au lit, par exemple, l’érotisme est basé sur une inégalité, […] ». Bénédicte Lanot, présentée indûment comme « philosophe » au titre de son appartenance à l’Université populaire de Caen de Onfray, enfonce le clou : « Je suis tout-à-fait d’accord pour dire que la première chose, c’est d’abord de refuser cette espèce d’indifférenciation, hein, mais ça dépend dans quel domaine on se situe. J’entends par exemple que les femmes et les hommes exercent professionnellement avec les mêmes compétences et les mêmes exigences, donc lorsqu’on parle, si vous voulez, de… de, de… disons de… du travail, je crois qu’il faut arriver à cette espèce de neutralité. En revanche, dans la vie privée, il est très important, effectivement, de différencier ».

Justement, quelles sont-elles, ces différences ? FOG : « Alors, on va maintenant d’intéresser aux différences biologiques entre hommes et femmes. C’est Jérémy Collado qui va essayer de répondre à cette question en images, on regarde. »

Les Grandes Questions

La séquence vidéo, sobrement intitulée « Sommes-nous déterminés biologiquement ? », traite bien évidemment de la grande question qui taraude nos contemporain.e.s, celle des différences dans le cerveau. Comme les absents ont toujours tort, la position de Catherine Vidal est (mal) résumée en une phrase : « pour la neurobiologiste Catherine Vidal, il n’y a aucune différence entre un cerveau féminin et un cerveau masculin ». Voici l’échange qui suit cette séquence :

FOG : « Merci Jérémy. Alors là on va passer à la biologie, à la neurobiologie, avec une grande spécialiste, Lucy Vincent, spécialiste de l’amour, aussi, elle a beaucoup écrit là-dessus [zoom sur FOG montrant son dernier livre publié chez Odile Jacob puis sur le livre seul]. Alors, d’abord, à la naissance, on naît homme ou femme ? » […] « Vous, donc, vous faites passer la biologie avant tout, vous pensez pas que l’homme ou la femme sont des constructions culturelles ? »
Lucy Vincent : « Non, je ne crois pas du tout, non, non et ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas de différence entre le cerveau des hommes et le cerveau des femmes. Il y a des différences, mais seu… »
FOG [l’interrompant] : « Alors dites lesquelles. Lesquelles ? Il est plus petit, d’abord, euh, ce qui veut rien dire, hein, mais le cerveau de la femme est plus petit… Ca ne veut rien dire, hein, rassurez-vous ! »
Lucy Vincent : « Vous savez ce qui est plus grand qu’un cerveau d’homme ? Un cerveau d’éléphant. »
FOG : « Oui, absolument. »
Lucy Vincent : « Donc, et, est-ce que ça veut dire quelque-chose ? »
FOG : « Non mais les éléphants sont pas cons, en tout cas… Les éléphantes non plus, d’ailleurs…»
Lucy Vincent : « Non, mais il y a beaucoup plus de… euh »
FOG [l’interrompant] : « Alors c’est quoi ? Racontez les différences entre les deux cerveaux. »
Lucy Vincent : « Les différences ? Ben, en gros, la femme est plus douée pour tout ce qui est langues, communication, empathie, et l’homme est plus doué pour, euh, se retrouver dans l’espace, et pour se battre, c’est vrai que l’amygdale est plus développée chez l’homme que chez la femme, c’est le centre de l’agressivité. […] Ca c’est la moyenne, et quand on a pris un petit garçon et qu’on l’a élevé que dans une maison où il y a des filles avec des chatons, ben il ne va pas développer un taux d’agressivité comme un autre, cela étant, même chez des singes, si on prend des petits singes, qui n’ont pas d’éducation sociale pour leur dire ce qu’ils doivent faire, on les met devant des jouets, eh bien les singes mâles vont choisir des jouets comme les petits garçons les choisissent, alors je ne sais pas comment on explique ça de manière…»
FOG [l’interrompant] : « C’est-à-dire ? »
Lucy Vincent : « Mais c’est-à-dire tout ce qui est voitures, avions, fusées, euh, des trucs angulaires, qui bougent, euh, c’est… »
FOG [l’interrompant] : « Ouais, ouais. » [sur ces mots, l’animateur change de sujet]

Ces histoires de singes sont décidément perçues comme très convaincantes : c’est le seul argument « biologique » avancé par Lucy Vincent à part celui de l’amygdale (qui n’est pas plus le « centre de l’agressivité » que celui de la peur, ce qui pourrait aussi bien l’amener à conclure que les hommes sont naturellement plus peureux que les femmes). Puisque Lucy Vincent fait manifestement allusion à l’étude de Wallen, la seule dans laquelle des singes ont été placé devant des jouets entre lesquels ils pouvaient « choisir », rappelons deux ou trois choses : les jouets à roues aux coins manifestement arrondis n’étaient pas des « trucs angulaires » de type avions ou fusées ; les mâles ont juste en moyenne interagi moins longtemps avec les jouets à roue qu’avec les peluches et non « choisi » tous en chœur les premier, 3 d’entre eux n’ayant au contraire pas manifesté de « préférence » pour ceux-ci ; cette étude non répliquée ne portant in fine que sur 11 mâles macaques rhésus en captivité ne permet aucunement de prédire que « si on prend des petits singes », « les mâles vont choisir des jouets comme les petits garçons les choisissent » ; dans l’hypothèse où l’observation de Wallen sur les macaques rhésus s’avérait confirmée, sa pertinence pour expliquer ce qu’on observe dans notre espèce resterait d’autant plus douteuse que l’explication par une préférence des mâles humains pour les « trucs qui bougent », loin d’être étayée, est comme on l’a vu plutôt compromise.

Mais voilà, le mal est fait : grâce à Franz-Olivier Giesbert, le message est maintenant aussi passé sur « la chaîne du savoir » et à une heure de grande écoute.

Cas n°12 : Nicolas Gauvrit en mai 2014

Nicolas Gauvrit, membre depuis 2007 du comité de rédaction du magazine Science et pseudo-sciences édité par l’Association française pour l’information scientifique (comme le fut Peggy Sastre avant lui), a une fâcheuse tendance à se livrer au pseudo-scepticisme sous couvert de zététique [64]. Dans le cadre d’une critique légitime de certains arguments avancés en faveur de l’idée que les différences psychologiques entre hommes et femmes n’ont rien de naturel, il a ainsi récemment mis en œuvre sa volonté (pseudo-sceptique) de convaincre qu’il existe de telles différences naturelles. Pour ce faire, il a instrumentalisé plusieurs études en les décrivant de manière erronée, parmi lesquelles nos fameuses études sur les singes. Dans une conférence mise en ligne sur le site Scepticisme Scientifique (« Le balado de la Science et de la Raison ») le 4 mai 2014, intitulée « Épisode #239: A propos des arguments de Catherine Vidal (5. la plasticité cérébrale) », c’est le tout premier argument qu’il invoque à l’appui de l’idée qu’il existe bel et bien des différences comportementales entre hommes et femmes qui sont en partie naturelles. Voici en quels termes (minutes 30:00 à 33:55, accédé le 25 juin 2014, hésitations retranscrites par des points de suspension) :

« Si on retrouve chez des singes, par exemple, le même genre de différences que ce qu’on trouve chez les humains, et de manière régulière, c’est quand même un argument fort en faveur de cette idée que, ben, chez nous aussi, il y a un dimorphisme sexuel, différence entre mâles et femelles, entre garçons et femmes… et filles. Et c’est ce qui a été… démontré, par exemple, pour les préférences pour les jouets. Je sais pas si je vous avais déjà parlé de ça, en tout cas j’en avais parlé l’année dernière dans la petite conférence à l’université d’été de l’Observatoire zététique. Une expérience de 2002, de Alexander et Hines, a consisté à donner des jouets à de jeunes singes, je crois que c’était des singes capucins, si je me souviens bien, et donc on leur a donné des jouets, c’était soit des petites voitures, soit des balles, soit des poupées, des choses comme ça, et ce qu’ont… ce qu’ont fait les chercheurs, c’est mesurer le temps passé par chacun des jeunes singes à jouer avec chacun des jouets, voilà. Et ils ont observé le même tableau qu’on trouve chez les humains, à savoir que les femelles, par rapport aux mâles, ont… passent un peu plus de temps à jouer avec les poupées, et un peu moins de temps à jouer avec les voitures et les balles. En réalité, c’était même un peu… moins net que ça, en gros… en gros les femelles jouaient autant avec les voitures et les poupées, alors que les mâles avaient une nette préférence pour les voitures et les balles, par rapport aux poupées. Et puis il y a avait d’autres jouets, comme un livre en mousse par exemple, qui semblait attirer ni plus spécifiquement les mâles, ni plus spécifiquement les femelles. Alors quand on entend un résultat comme ça, évidemment ça fait rire au début. Il y a plein de commentaires amusés de lecteurs qui disent que c’est n’importe quoi. Pourquoi ça fait rire ? Parce qu’on imagine que la seule raison pour laquelle on pourrait apprécier une petite voiture, c’est parce que ça représente une grosse voiture et qu’on s’imagine la conduire. Les chercheurs ont quand même trouvé une explication autre. En fait, quand on observe ce que font les singes avec les voitures, très vite ils comprennent que ça roule, et donc ils poussent les voitures et ils courent après, ce que font d’ailleurs les mâles comme les femelles. Par contre avec les poupées, qu’est-ce qu’ils font ? Ben ils les… ils les… ils font tout de suite le lien avec des… des humains ou des singes, puisque ce qu’ils font, c’est les cajoler, ils les prennent dans leurs bras, ils font des bisous, et ils regardent sous la jupe, quand il y a une jupe, ou ils enlèvent le pantalon quand il y a un pantalon. Voilà, pour regarder ce qui se passe en-dessous. Et… voilà, donc tout ça, ça suggère qu’une explication toute simple serait simplement que les mâles ont un petit peu plus envie de jeux physiques que… sont plus intéressés, peut-être, par les… les choses physiques, donc ils ont envie de courir après la balle, courir après la petite voiture, et sont un tout petit peu moins intéressés que les filles… que les femelles en l’occurrence, par des objets… sociaux, entre guillemets, hein comme on appelle ça en psychologie, donc en l’occurrence des congénères ou des humains. Voilà, ça pourrait expliquer la différence sans passer par la supposition que les singes identifient les voitures et ont envie d’avoir une Porsche. Alors, comme c’est quand même étonnant, cette étude, d’autres chercheurs l’ont répétée, et donc c’est pas une étude isolée, celle-ci, elle a été répétée plusieurs fois, et plusieurs fois on a retrouvé la même chose. Notamment, il y a une réplication de Hassett et Siebert en 2008, je vous mettrai les références sur le… sur le blog du balado, donc voilà, c’est une expérience de Hassett, Siebert et Wallen qui trouve le même résultat, publié en 2008, six ans plus tard, donc. Voilà, il y a donc, comme ça, au moins pour la préférence pour les jouets sexués, quelque-chose d’assez étonnant, c’est qu’on retrouve chez des singes la même chose, le même profil que ce qu’on a chez les humains. »

Non content d’introduire sa présentation par un mensonge (on a retrouvé « de manière régulière » chez des singes, « démontré », qu’il existait un « dimorphisme sexuel » dans « les préférences pour les jouets »), il enfonce singulièrement le clou dans sa conclusion : il affirme que l’étude a été « répétée plusieurs fois » alors qu’elle ne l’a jamais été, il invente que ces « répétitions » imaginaires ont « retrouvé la même chose », et il qualifie l’étude de 2008 de « réplication » ayant trouvé « le même résultat » alors qu’une étude menée sur une autre espèce de singes et en utilisant un dispositif expérimental bien différent peut d’autant moins être qualifiée de « réplication » qu’elle a trouvé des résultats différents, ainsi que l’avaient souligné ses auteurs.

A côté de ça, nombre de ses reformulations paraissent assez dérisoires (passons sur les chercheuses transformées en chercheurs et les vervets en capucins), mais il faut tout de même les souligner car l’accumulation finit par induire un glissement conséquent. D’abord l’étude n’a pas utilisé « des » petites voitures, balles, poupées, etc, mais une voiture bien particulière, une poupée bien particulière, etc. Ensuite il ne s’agissait pas spécifiquement de « jeunes » singes, des adultes y compris âgés étant inclus. Enfin, il est plus que délicat d’affirmer que « les femelles jouaient autant avec les voitures et les poupées, alors que les mâles avaient une nette préférence pour les voitures et les balles » : ni toutes les femelles, ni tous les mâles n’ont manifestement eu un comportement typique de leur sexe ; rien ne permet a priori de qualifier de « jeu » les contacts dont la durée a été mesurée par les chercheuses ; elles invitaient à interpréter avec prudence les comparaisons entre jouets à l’intérieur de chaque groupe de sexe car leur dispositif expérimental rend cette interprétation incertaine, et les seules comparaisons de ce type qu’elles rapportent sont le plus long temps passé en moyenne par les femelles au contact des jouets « féminins » que « masculins », et le temps en moyenne équivalent passé par les mâles au contact des jouets « féminins » et « masculins ».

Soulignons aussi une autre modalité de présentation biaisée de l’étude d’Alexander et Hines qui consiste à donner des détails manifestement sans importance aux yeux de Nicolas Gauvrit, puisqu’il ne s’assure même pas qu’ils sont corrects (singes capucins, livre en mousse), tout en omettant de donner :
– des informations qui permettraient à son auditoire de se faire une idée des limites de l’étude (sa non réplication à ce jour, le faible nombre de singes testés, encore plus faible après exclusion de ceux qui n’ont touché aucun jouet, le fait qu’il s’agissait d’animaux élevés en captivité, qu’il s’agit d’une espèce dont la lignée s’est séparée de la nôtre il y a au moins 25 millions d’années, qu’ils ont été testés en groupe et non individuellement, par exemple) ;
– des informations que les chercheuses avaient jugées importantes pour comprendre les résultats de leur étude (la couleur de la poupée et de la casserole) mais qui ne collent pas avec l’interprétation qu’il a envie d’en faire ;
– les résultats de l’étude qui risqueraient de la rendre moins convaincante aux yeux de son auditoire (comme jouet « neutre » il y avait aussi une peluche, et les femelles n’ont en moyenne pas passé plus de temps à son contact que les mâles, qui s’y sont en moyenne plus « intéressés » qu’à la voiture si on prend comme lui au sérieux les comparaisons intrasexe, et comme jouet « féminin » il y avait aussi une casserole, et c’est en moyenne le jouet auquel les femelles se sont le plus « intéressées »).

Ca fait déjà beaucoup, mais Nicolas Gauvrit va encore plus loin lorsqu’il présente son explication des comportements des singes et entreprend de (se) convaincre qu’elle constitue une explication également plausible chez l’être humain, le lapsus qui lui fait dire « filles » au lieu de « femelles » étant ici révélateur :
– il invente que les singes poussent les voitures et « courent après », précisant même que tous le font quel que soit leur sexe (même en imaginant qu’il s’est emmêlé les pinceaux avec l’étude de Wallen ça ne colle ni avec ce qu’on voit sur la vidéo, ni avec ce qu’on peut lire dans l’article) ;
– il invente que les singes cajolent, prennent dans leurs bras les poupées, les embrassent (rien de tout cela ne figure dans l’article), et « regardent sous la jupe, quand il y a une jupe » ou « enlèvent le pantalon quand il y a un pantalon » (ça m’a paru tellement énorme que pour en avoir le cœur net j’ai demandé à Gerianne Alexander si la poupée avait une jupe non visible sur la photo ou un pantalon amovible, et elle m’a répondu par retour de mail que non) ;
– il présente comme des faits ses trois suppositions que « très vite » les singes « comprennent que ça roule », qu’ils « font tout de suite le lien » entre les poupées et « des humains ou des singes », et que s’ils soulèvent les jupes ou enlèvent les pantalons c’est « pour regarder ce qui se passe en-dessous » ;
– il présente comme étant l’explication que « les chercheurs ont […] trouvé » celle que les singes font le lien entre les poupées et « des humains ou des singes », c’est-à-dire des « objets sociaux », or non seulement ça n’est pas l’explication que proposent Alexander et Hines, mais comme on l’a vu elles l’ont testée et rejetée explicitement dans l’article ;
– il propose l’explication « toute simple » (entendez : « conforme au stéréotype de genre dont je suis convaincu de la pertinence ») que les mâles ont simplement plus envie de jeux physiques que les femelles, or comme on l’a vu Gerianne Alexander a publié en 2012 un test de cette hypothèse et conclu qu’il fallait chercher une autre piste d’explication.

Comme Nicolas Gauvrit fait allusion à sa conférence organisée par l’Observatoire zététique durant l’été 2013, je me suis demandé s’il avait parlé de ces études sur les singes dans les mêmes termes, et je n’ai pas été déçue. Jugez plutôt (conférence en ligne datée du 6 juillet 2013, intitulée « Nicolas Gauvrit, les différences femmes-hommes ») :

[54:08 à 55:03] « Sur cette histoire-là il y a un autre argument qui est… qui m’a complètement scié, qui est l’expérience de Melissa Hines, un des deux bouquins dont je vous ai parlé. Elle, elle s’est demandé si ces préférences, ben si c’est vraiment inné, est-ce que ça marcherait pas avec euh… d’autres animaux. Elle a essayé avec des singes, des bébés singes, elle leur a balancé des camions et des poupées, elle a filmé, et elle a trouvé une différence. C’est assez curieux, en gros les… les femelles ont pas de… aiment autant les poupées que les… que les camions, et les garçons [sic] ont une préférence pour les camions, donc ils jouent un peu plus longtemps avec les camions qu’avec la poupée. Alors après elle s’est posé la question : comment on pourrait expliquer un truc aussi délirant, puisqu’a priori c’est culturel, un camion ça représente rien, et elle a trouvé une piste (c’est qu’une hypothèse), c’est que très vite, en fait, les singes comprennent qu’avec les camions, on peut les faire rouler, comme ça [joint le geste à la parole]et courir après, et donc elle dit peut-être que, en fait, la préférence c’est pas le camion en soi, c’est simplement le fait qu’on peut le lancer et courir après. Bon, ça c’est qu’une hypothèse, mais enfin voilà, le genre d’expériences qu’on peut faire. » [1:01:23, question d’un homme dans la salle] : « le camion, ça a des formes très géométriques, alors que la poupée non, donc il y a déjà des distinctions entre les deux objets. […] Est-ce que l’enfant ou le singe peut faire l’assimilation entre la poupée et un être vivant, et un camion et un objet pur ? […] » [Nicolas Gauvrit] : « Alors, l’assimilation poupée / être vivant, oui. Parce que les singes, quand ils jouent avec les poupées, ils les prennent dans les bras, comme ça, et ils soulèvent la jupe pour regarder comment c’est dessous. » [1 :08:16] « […] oui, chez les humains, mais chez les singes, non. Mais chez les humains, oui, non mais c’est pour ça que moi, je suis vraiment convaincu par le… les histoires d’Halpern, là, je pense que pour les… je suis vraiment convaincu par les résultats, là, sur les préférences pour les jouets, par exemple. Mais je suis aussi absolument convaincu que c’est énormément renforcé par la culture. »

Vous avez dit « zététique » ?

CHANGEMENT DE DECOR

L’observation chez les singes d’une différence dans les choix de jouets comparable à celle qui est censée exister universellement entre filles et garçons revient régulièrement dans la bouche ou sous la plume des personnes convaincues que les différences biologiques naturelles entre filles et garçons y sont pour quelque-chose. C’est un argument qui fait mouche, car le sexuation des choix de jouets est un phénomène massif observable par tous, visible chez de très jeunes enfants, en parfaite conformité avec les stéréotypes de genre (par construction), et parfaitement compatible avec l’idée dominante d’égalité dans la différence : filles et garçons sont naturellement autant capables les uns que les autres sur le plan intellectuel (en tout cas au départ), mais ils n’ont pas les mêmes envies, les mêmes désirs, et c’est là que réside leur différence (qui à force de pratique d’activités choisies distinctes se transforme en différences moyennes de capacités).

A force de mensonges grossiers, de reformulations, d’extrapolations, de surinterprétations ou simplement d’accumulation de petites manipulations qui mises bout à bout finissent par tromper profondément le lecteur, surtout en combinaison avec d’autres résultats de recherche soigneusement choisis et également présentés de manière fallacieuse, on donne l’impression que cette idée concernant les singes est solidement étayée par la science.

Or quand on prend la peine d’aller voir de plus près cet édifice scientifique, on se rend compte qu’il ne s’agit que d’un décor de cinéma soutenu par deux planches pourries mal clouées ensemble. Et ce décor sert à raconter encore et toujours la même histoire : celle des différences comportementales naturelles entre les sexes. Combien de ces faux-semblants faudra-t-il dévoiler, combien de ces faussaires de la science faudra-t-il démasquer pour que les medias qui les fabriquent et les légitiment se rendent compte que c’est grave et se décident à réformer en profondeur leur façon de traiter l’information scientifique, de manière générale et sur cette question en particulier ?

Odile Fillod

Article modifié :
– le 25/07/2014 pour retirer l’adjectif “catholique” qui n’avait rien à faire au début du cas n°8 (erreur née d’une confusion momentanée entre Alain de Benoist et Alain Soral),
– le 17/11/2019 pour introduire la mention de l’étude de 2010 sur les préférences de jouets selon leurs couleurs chez les enfants (note 28b).

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Notes

[1] Cf HUSTON Nancy, RAYMOND Michel, 18 mai 2013, « Sexes et races, deux réalités », Le Monde.

[2] Cf 18 mars 2014, « A Catherine Vidal, par le professeur Jacques Balthazart », Le Nouvel Observateur – Parole des lecteurs, lettre ouverte faisant la publicité de son livre de 2010 et accompagnée d’un lien vers une vidéo dans laquelle il développe ses thèses. Cette rubrique est dirigée par Guillaume Malaurie, l’auteur de l’inoubliable scoop-intox sur la nocivité des OGM qui avait été proposé par le Pr Séralini à nombre de journalistes scientifiques et qu’il fut le seul à accepter de publier. L’événement avait fait la Une du Nouvel Obs et est resté dans les annales de la profession comme l’un des manquements à l’éthique journalistique marquants de cette année-là.

[3] Cf Martine PEREZ, 5 mars 2009, « Couples homosexuels : le débat politique relancé », Le Figaro. Extraits : « Nicolas Sarkozy, lors de la campagne électorale, avait annoncé que jamais il ne légaliserait le mariage ou l’adoption par des homosexuels [sic]. La reconnaissance du beau-parent pourrait créer une brèche dans cette position. […] Le vrai enjeu d’une reconnaissance de l’homoparentalité est symbolique. Il concerne les fondements même de notre société. L’homo­parentalité est une réalité qui n’a pas de base légale. En lui offrant éventuellement un support législatif, le risque est de mettre sur le même pied le couple homosexuel et celui hétérosexuel. Comme si tout se valait. Comme si l’on pouvait être indifféremment homo ou hétérosexuel. Comme si l’identité sexuelle ne conditionnait pas la structure de base universelle ou presque de la société, c’est-à-dire la famille hétérosexuelle. La controverse n’est pas simple à trancher. Car si la société n’a pas le droit d’interdire la vie en couple pour les personnes de même sexe qui en font le choix, peut-elle cependant les y autoriser légalement, en prenant le risque d’imposer une nouvelle lecture de l’organisation du monde ? ». On reconnaît ici le mélange de notions de psychanalyse, d’anthropologie structuraliste et de doctrine catholique caractéristique du discours d’un Tony Anatrella sur l’homosexualité.

[4] Cf Martine PEREZ, 10 juin 2013, « Quand la théorie du genre bute sur la biologie et la génétique », Le Figaro. Extraits : « La biologie est têtue. N’en déplaise aux théoriciens du genre, qui voudraient gommer toute distinction entre les sexes, […] Les avancées en génétique, en imagerie et en hormonologie, démontrent (puisqu’il faut désormais en avoir des preuves, au-delà de l’évidence), que les comportements féminins/masculins, ont des caractéristiques spécifiques non façonnées uniquement par des stéréotypes d’ordre social. […] Mais aujourd’hui, certains voudraient s’affranchir du réel […] Certes, l’enseignement de la théorie du genre à l’école a été recalée à l’Assemblée nationale de justesse la semaine dernière, mais l’affaire est loin d’être close. […] Cette théorie est aujourd’hui sortie d’un cercle fermé d’intellectuels pour venir se coltiner à [sic] la réalité. […] Par exemple ils aimeraient démontrer que si on leur en donne la possibilité, les petites filles abandonneront vite leur poupée au profit des garçons qui leur laisseront volontiers, eux, leur camion et leurs soldats de plomb pour dorloter une Barbie… L’objectif est une nouvelle révolution culturelle pour faire émerger l’être nouveau, libre de tout choix, professionnel, culturel, sexuel. [ …] Cette théorie du genre […] devient cocasse lorsqu’elle se pique de vouloir passer aux travaux pratiques. Dans certains pays du nord de l’Europe, malgré près de 20 ans d’efforts denses dans les crèches et les écoles pour asservir cette théorie au réel [sic], le constat est sombre : 80 % des infirmières sont toujours des filles et 80 % des ingénieurs toujours des garçons [rem : référence implicite à la vidéo dont j’ai parlé ici]. […] La biologie nous dit autre chose. Certes, les différences féminin/masculin restent subtiles. Mais elles sont inaliénables. […] La testostérone, hormone mâle par excellence, est responsable de la pilosité, de la voix, de la musculature, mais aussi de l‘agressivité, de la libido [sic !]. Les femmes, elles, n’ont pas de testostérone (ou très peu) et cela fait toute la différence en matière de comportement. […] Dans une société qui à juste titre plaide en permanence pour l’égalité, mais aussi l’altérité, au nom de quel bien faudrait-il éliminer l’autre, celui que nous ne sommes pas, au profit d’un être unique et désincarné ? ». Soulignons qu’alors que le titre de l’article laisse penser que Martine Pérez va expliquer en quoi la « théorie du genre bute sur la biologie et la génétique » et qu’elle y commente longuement les tenants et aboutissants supposés d’une théorie inventée, elle ne fournit aucune référence à l’appui de ses affirmations pour le moins audacieuses, et pour cause : ni « la biologie », ni « la génétique », ni l’ « imagerie », ni l’ « hormonologie » n’ont apporté la preuve de ce qu’elle assène, bien au contraire. Sa référence à « l’évidence », ainsi que l’énormité de sa phrase concernant la testostérone (« responsable de » la voix, etc !), achèvent de montrer que le point de départ – et d’arrivée – de sa « réflexion » sur le sujet est son adhésion à la croyance très répandue selon laquelle à cause de la testostérone, les hommes ont naturellement une agressivité et une libido plus développées que les femmes et que là réside l’essence de leurs différences comportementales. Son invocation paradoxale de la biologie – elle serait responsable de différences « inaliénables » entre les sexes, et pourtant la « théorie du genre » menacerait d’éliminer « l’altérité » – est également caractéristique de ces discours de naturalisation du genre fondés sur la peur : on veut désespérément croire que la science biologique confirme que la-différence-des-sexes ne va pas disparaître. Le fait qu’elle prête aux partisans de la « théorie du genre » la revendication de la liberté de « tout choix, professionnel, culturel, sexuel » me paraît également signifiante : au-delà de la seule différenciation des sexes, c’est bien un certain ordre social – professionnel, culturel, sexuel – qu’il s’agit de maintenir.

[5] Voir les deux exemples de sérieux dérapages commis sur son (très lu) blog invité « Passeur de sciences » du Monde analysés dans O. Fillod, 16 février 2012, « Intelligence et génétique : qui s’y frotte… », en ligne sur https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/02/16/intelligence-et-genetique/ et O. Fillod, 25 avril 2012, « Les faux nez biologistes de la psychologie évolutionniste », en ligne sur https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/04/25/psychologie-evolutionniste-et-biologie/.

[6] Voir Dominique LEGLU, février 2012, « “Stéréotypes” », Sciences et Avenir, n°780, p.3 et Elena SENDER, février 2012, « Pour en finir avec le neurosexisme », Sciences et Avenir, n°780, p.44-48.

[7] Dans Véronique RADIER, 21 novembre 2013, « Notre cerveau a-t-il un sexe ? », Le Nouvel Observateur, n°2559 (interview de Lise Eliot publiée à l’occasion de la parution chez Marabout de l’édition de poche de son livre), et dans Véronique RADIER, 6 mars 2014, « Hommes-femmes. Ce que dit la science », Le Nouvel Observateur, n°2574, p. 76-81. Dans ce dernier article particulièrement affligeant par la manipulation grossière et par conséquent contreproductive qu’il fait des discours critiques de la naturalisation du genre (dont le mien : voir dans https://allodoxia.odilefillod.fr/apropos/ la copie du rectificatif que j’ai réussi à grand mal à faire publier dans le n°2582), au détour d’une nouvelle promotion du livre de Lise Eliot dont les deux éditions françaises sont signalées, on peut notamment lire l’énormité suivante : « Ce qui a le plus d’influence sur les performances d’un candidat à une épreuve, c’est ce qu’on lui dit auparavant sur ces chances de réussite, en fonction de son sexe », propos attribués à Lise Eliot ainsi que l’appellation supposée de ce phénomène, « l’effet préjugé ». On aura reconnu à travers cette affirmation ridicule et évidemment fantaisiste une caricature du concept de menace du stéréotype.

[8] Le 20 août 2011, la couverture du Le Figaro Magazine montre une petite fille rêveuse allongée et un petit garçon en train sauter sur un lit, avec le gros titre suivant : « Garçons, filles, pourquoi sont-ils si différents ? “Cerveau rose, cerveau bleu”, le livre événement du Dr Lise Eliot ». A l’intérieur, le dossier est constitué d’une introduction signée par Sophie Roquelle intitulée « Garçons, filles : pourquoi sont-ils si différents ? », d’un premier article (« Les neurones ont-ils un sexe ? ») contenant « les meilleurs extraits du livre événement de la neurobiologiste Lise Eliot » entrecoupés d’intertitres ajoutés par la rédaction («Déjà, dans le ventre de la mère… », « A la naissance : si semblables… et si différents », « Jouets : Barbie vs camion-benne », « L’école : elles écrivent, ils comptent »), d’un second article signé par Sophie Roquelle qui enfonce le clou via une interview du pédopsy-expert de service Stéphane Clerget (« Stéphane Clerget : “Il faut sauver les garçons !” »), et d’un troisième article soutenant la bataille contre « l’enseignement de la “théorie du genre”, une discipline née aux Etats-Unis dans les milieux féministes radicaux » (« La bataille du “genre” s’invite au lycée »). Le dossier a également été publié en ligne sur le site du Figaro.

[9] Cf Pierre-Olivier ARDUIN, 27 août 2011, « La science invalide la théorie du gender », en ligne sur Liberté Politique. Extrait : « Oui, garçons et filles sont différents. Ils ont des centres d’intérêt différents, des niveaux d’activité différents, des seuils sensoriels différents, des forces physiques différentes, des styles relationnels différents, des capacités de concentration différentes et des aptitudes intellectuelles différentes ! . Ce que tous les parents du monde savent d’expérience en vivant au quotidien avec leur progéniture, l’Américaine Lise Eliot, neurobiologiste aguerrie, l’écrit noir sur blanc dans un livre événement Cerveau rose, cerveau bleu. Les neurones ont-ils un sexe ? qui sort ces jours-ci en France. Le Figaro Magazine y consacre un dossier passionnant et publie en exclusivité les meilleures feuilles d’un livre dont il faut reconnaître qu’il tombe à pic en pleine polémique sur l’introduction du gender dans les nouveaux programmes de sciences de la vie et de la terre (SVT) de 1ere ». Sur le rôle d’Arduin dans le déclenchement de la controverse sur la « théorie du genre », voir O. Fillod, 2014 (sous presse) « L’invention de la “théorie du genre” : le mariage blanc du Vatican et de la science », Contemporary French Civilization, vol.39(3).

[10] Cf 30 août 2011, « La science dément les présupposés de la théorie du gender », en ligne sur Genethique.org, où sont cités l’article de Pierre-Olivier Arduin et de larges extraits du livre de Lise Eliot repris du Figaro Magazine. Le créateur du site genethique.org et président de la Fondation Jérôme Lejeune qui le gère est l’un des gendres de Jérôme Lejeune, Jean-Marie le Méné. Arduin a été le directeur fondateur du Master de bioéthique créé en 2007 par la Fondation Jérôme Lejeune dans la perspective de la révision à venir des lois de bioéthique. Les neuf enseignants dont les noms étaient annoncés au moment de sa création étaient Tony Anatrella, Jean-Marie Gomas, Fabrice Hadjadj, Alain Lejeune, Marguerite Peeters, Jean Paillot, Emmanuel Sapin, Monette Vacquin et Pauline de Vaux. Jean-Marie le Méné, ainsi qu’Alain Lejeune, Michel Schooyans et Birthe Lejeune, veuve de Jérôme Lejeune et vice-présidente de sa Fondation, sont membres de l’Académie Pontificale pour la Vie, organe de la Curie Romaine fondé en 1994 par Jean-Paul II sur l’initiative de Jérôme Lejeune (qui en fut le premier président) à l’occasion de l’élaboration en France des premières lois de bioéthique. Comme le président actuel de l’Académie Pontificale pour la Vie, Jérôme Lejeune était ouvertement membre de l’Opus Dei et l’une de ses filles au moins l’est également.

[11] Dans Alain DE BENOIST, octobre 2012, « Vive la différence ! », Elements, n° 145 : « “Oui, garçons et filles sont différents, reconnaît de son côté Lise Eliot, spécialiste de neurosciences à l’Université Rosalind Franklin de Chicago. Ils ont des centres d’intérêt différents, des niveaux d’activité différents, des seuils sensoriels différents, des forces physiques différentes, des réactions émotionnelles différentes, des capacités de concentration différentes et des aptitudes intellectuelles différentes”6. ». Note 6 : « Lise Eliot, Cerveau bleu, cerveau rose. Les neurones ont-ils un sexe ?, Robert Laffont, Paris 2011, p 10 ».

[12] Dans Jean-François DORTIER, 2014, « Cinq questions sur le sexe, le genre, et ceux qui les étudient », Sciences humaines, n°261, p. 30-33, il classe « les neuroscientifiques » en trois groupes : les « différencialistes », citant Melissa Hines avec son livre Brain Gender (2005) et Simon Baron-Cohen avec The Essential Difference (qu’il date de 2009, mais il s’agit d’une réimpression du livre paru en 2003), les « égalitaristes », qui « s’emploient à réfuter les différences en invoquant la faiblesse des preuves scientifiques de différences », citant Cordelia Fine avec Delusion of gender (2010), Rebecca Jordan-Young avec Brain Storm (2011) et Catherine Vidal avec Cerveau, sexe et pouvoir (2005), et « [l]es approches bio-psycho-sociales, comme celle défendue par Lise Eliot (Cerveau rose, cerveau bleu. Les neurones ont-ils un sexe ? 2011) », qui « refusent à la fois le “neurosexisme” et le “neuroégalitarisme” de principe, et s’attachent à faire la part des choses entre déterminisme biologique et environnement. »

[13] Les trois premiers passages entre guillemets sont issus de la quatrième de couverture du livre de Jean-François Bouvet, Le Camion et la Poupée. L’homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? Flammarion, 2012. Le quatrième et dernier est tiré de la formulation plus crue qu’en donne Bouvet lui-même en p. 10 : « À ma droite, des neuroscientifiques pur(e)s et dur(e)s, qui, comme la psychologue canadienne Doreen Kimura, voient des différences. Et voient dans ces différences – qu’elles soient structurales ou fonctionnelles – le fruit d’un incontournable déterminisme biologique. Ils nous proposent un modèle de cerveau-nature, précâblé sous l’empire des gènes et des hormones sexuelles… Bref, un cerveau qui a un sexe. À ma gauche, les papesses des gender studies – américaines pour la plupart mais ayant essaimé en France – qui, comme Judith Butler, entendent invalider l’idée de sexe pour lui substituer celle de genre. Un genre socialement construit, fruit des schèmes dominants de nos sociétés, de la pression culturelle dont celle de l’éducation. Elles nous proposent un modèle de cerveau-culture, qui ne s’intéresse pas à sa structure… Bref, un cerveau qui a un genre. »

[14] Ex-collaboratrice du « journaliste scientifique » Charles Muller pour les livres Des Plantes pour votre cerveau (2006) et Sexe Machines (2007), ainsi que pour les sites disparus www.hyperdarwin.net (site d’une association dont l’objet déclaré en 2003 au JO était notamment la « communication scientifique et stratégique autour de l’évolution ») et www.mutagenes.net (créé en mars 2007 et disparu en 2008, dont elle était la principale auteure déclarée, accompagnée de Charles Muller et d’Olivier Goulet), Peggy Sastre écrivait également (mais anonymement) sur www.lesmutants.com, site toujours en ligne dont le nom de domaine a été enregistré par elle en novembre 2006, où l’on peut par exemple lire le manifeste des mutantes dont elle a fait un livre en 2009 : http://www.lesmutants.com/totamulier.htm. Le 6 février 2008, www.mutagenes.net a publié cet avis de déménagement : « Retrouvez-nous désormais aux adresses suivantes : http://lamutationestenmarche.blogspot.com http://we-the-mutants.blogspot.com ». Peggy Sastre est l’unique auteure du blog http://lamutationestenmarche.blogspot.fr, sur lequel elle se livre (beaucoup) depuis le 6 février 2008. Le 23 janvier 2010 a été annoncée sur http://we-the-mutants.blogspot.com la création de http://obssex.blogspot.com (devenu http://obssex.blogspot.fr), site qui avait déjà attiré mon attention en 2012 pour son concentré vertigineux de foutaises psycho-évolutionnistes concernant le genre et la sexualité, sur lequel est publié un miroir des articles de http://we-the-mutants.blogspot.com et dont la rubrique « Publications » fait toujours à ce jour la publicité de deux (seuls) livres : Sexe machines de Charles Muller et Peggy Sastre et Ex utero de Peggy Sastre. On pouvait lire sur www.lesmutants.com/BCF.htm le 14 novembre 2007 ce texte précisant une posture qu’elle exprime régulièrement sur Le Plus du Nouvel Obs : « Bousculant depuis plus d’un siècle les préjugés des religions et des idéologies, les sciences de la vie subissent régulièrement un certain nombre de falsifications. La vulgarisation médiatique, qui façonne les opinions occidentales et mondiales, est le nœud stratégique de ces manœuvres. La technique privilégiée des falsificateurs est l’omission volontaire des travaux scientifiques les plus dérangeants pour la doxa. Mais, lorsque la pression de la vérité devient trop forte et que l’on ne peut plus passer sous silence les conclusions de la recherche, des méthodes plus subtiles apparaissent : trahison discrète des textes originaux, travestissement des données, déplacements d’interprétation, survalorisation de travaux secondaires, arguments d’autorité issus de sommités scientifiques sans expertise réelle sur le champ concerné, insinuations malveillantes, condamnations morales, procès d’intention, etc. Les falsificateurs profitent de la rareté des traductions et de la difficulté d’accès des sources, le plus souvent anglo-saxonnes. Le Bureau des contre-falsifications (BCF) a été créé par les Mutants en vue de lutter contre cette déformation médiatique des vérités scientifiques ».

[15] C’est dans une collection dirigée par Sarah Chiche, journaliste qui se décrit aussi comme « écrivain, psychanalyste et psychologue clinicienne » et n’hésite pas à citer Peggy Sastre dans Sciences Humaine en tant qu’experte scientifique, que cette dernière a publié en 2009 le livre Ex utero. Pour en finir avec le féminisme qui l’a fait connaître (cf https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/03/12/maternite-science-feminisme/#note2). Sur Le Plus du Nouvel Obs, Peggy Sastre est officiellement « parrainée » par Mélissa Bounoua, journaliste de la rédaction. Toutes ses contributions sont éditées par la rédaction, qui décide de leur titre et y ajoute un chapeau. Voir https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/06/20/genre-evolution-testosterone/ dédié à l’une de ses manipulations, et https://allodoxia.odilefillod.fr/2014/02/22/connectome-stereotypes-genre/ pour sa contribution à la vulgarisation désastreuse de l’étude sur les connectome qui avait fait grand bruit fin 2013. J’ai également relevé ici son dézingage grossièrement mensonger, toujours sur le Plus du Nouvel Obs , du livre de Rebecca Jordan-Young qu’elle n’a pas lu. Le rythme de sa production d’intox est malheureusement beaucoup trop rapide pour qu’il soit possible de toutes les déconstruire au fil de l’eau, et je continue à espérer naïvement que quelques exemples suffiront pour que la direction du Nouvel Observateur prenne la décision qui s’impose. Avant de disposer du confortable accès au public que lui offre celle-ci, Peggy Sastre a été membre du comité de rédaction du magazine Science et pseudo-sciences à partir de mai 2006, et élue membre du Conseil d’administration de l’AFIS (Association française pour l’information scientifique) en 2007.

[16] Cf Alain DE BENOIST, octobre 2012, « Vive la différence ! », Elements, n°145 : « Le genre neutre et la coupe au carré, c’est l’uniforme obligatoire chez les grandes prêtresses du neopuritanisme sexuel. De gauche à droite : Caroline Fourest, Christine Delphy, Judith Butler, Joy Sorman, Caroline De Haas, Natacha Chetcuti, Fiametta Venner […] L’idéologie du genre, c’est le grand retour du cache-sexe. »

[17] S’ils sont loin d’épuiser la liste des billevesées répandues par Sébastien Bohler sous couvert de vulgarisation scientifique depuis des années dans Cerveau & Psycho, à la télévision et la radio publiques (y compris sur Arte, où il semble heureusement devenu persona non grata comme sur Arrêt sur images) et dans ses livres publiés aux éditions Aubanel et Dunod, les deux articles que je lui ai consacrés permettent du moins de s’en faire une idée ainsi que de ses procédés rhétoriques : voir https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/12/22/arret-sur-mirages/ et sa suite, https://allodoxia.odilefillod.fr/2013/01/12/arret-sur-lenvers-dun-mirage/. Je cite également Sébastien Bohler dans https://allodoxia.odilefillod.fr/2014/02/22/connectome-stereotypes-genre/, où l’on voit qu’il s’est précipité encore plus aveuglément que Peggy Sastre dans l’instrumentalisation de la fameuse étude sur les connectomes qui a fait les délices des médias fin 2013.

[18] Les deux articles en question sont ALEXANDER Gerianne M, HINES Melissa, 2002, Sex differences in response to children’s toys in nonhuman primates (Cercopithecus aethiops sabaeus), Evolution and Human Behavior, vol.23(6), p.467-479, et HASSETT Janice M, SIEBERT Erin R, WALLEN Kim, Sex differences in rhesus monkey toy preferences parallel those of children, Hormones and Behavior, 2008, vol. 54(3), p. 359-364. Ce sont les deux seules références données à chaque fois que ces études sur les singes sont évoquées, que ce soit dans la littérature scientifique produite par les promoteurs de l’hypothèse des différences innées (ex : Simon Baron-Cohen, Melissa Hines, etc) ou dans celle de vulgarisation que j’ai dépouillée. J’ai également fait dans le Web of Science une recherche par mots-clés d’une part, et un passage en revue de tous les articles citant ces deux études d’autre part afin de m’assurer qu’il n’y en avait pas eu d’autre publiée.

[19] Sont ici prises en compte les critiques faites dans JORDAN-YOUNG Rebecca, 2010, Brain Storm. The flaws in the science of sex differences, Harvard University Press (p. 234-236 et notes 36 à 38 p.334-336), ainsi qu’une partie de celles exprimées dans MEYNELL Laetitia, 2012, Evolutionary psychology, ethology, and essentialism (because what they don’t know can hurt us), Hypatia – A journal of feminist philosophy, vol.27(1), p.3-27.

[20] Elles rapportent aussi que sur les 30 minutes de test, les 44 mâles ont passé en moyenne 14.5 secondes (+/- 91 secondes) de plus au contact des jouets « masculins » que des « féminins », et les 44 femelles en moyenne 10.7 secondes (+/- 21 secondes) de plus au contact des « féminins »que des « masculins », mais si la différence entre les sexes est statistiquement significative celle de 14 .5 secondes entre catégories de jouets chez les mâles ne l’est pas. C’est la même chose pour le temps de contact en pourcentage calculé sur les 33 mâles et 30 femelles concernés, pour lequel les auteures trouvent chez les mâles en moyenne 9 % (+/- 61) de plus en faveur des jouets « masculins » et chez les femelles en moyenne 31 % (+/- 62) de plus en faveur des jouets « féminins ».

[21] Cf dans HINES Melissa, ALEXANDER Gerianne, 2008, Monkeys, girls, boys and toys: A confirmation, Hormones and Behavior, vol.54, p.478-479 : “the animal enclosures included stimuli that are typically not present in studies of children, notably other animals who can be engaged socially, […]”.

[22] WALLEN Kim, HASSETT Janice M., 2008, Determining preference requires measuring preference, Hormones and Behavior, vol.54, p. 480–481

[23] Précision apportée par Gerianne Alexander à ma demande le 11 juillet 2014 : le chien en peluche était entièrement brun foncé et pourvu d’un pelage plutôt long et réaliste quoiqu’en fourrure synthétique.

[24] Sa couleur est signalée une fois dans l’article en passant. Gerianne Alexander m’a précisé par mail le 11 juillet 2014 qu’il s’agissant d’une balle souple entièrement orange, d’un orange non vif, pourvue de grosses indentations la rendant facile à saisir par un bébé. Comme les autres jouets utilisés ici, il s’agissait d’un jouet vendu comme étant adapté aux bébés et acheté dans les années 1993-1994. Gerianne Alexander m’a indiqué avoir tenté sans succès il y a quelques années de retrouver une balle similaire pour mener une autre recherche, et précisé que les balles de ce type semblaient maintenant pour la plupart pourvues d’un dispositif électronique destiné à produire des bruits lorsqu’on joue avec. Cette balle devait en somme ressembler à la balle orange visible ici.

[25] Précision apportée par Gerianne Alexander à ma demande le 11 juillet 2014 : la casserole était entièrement rouge, en plastique brillant.

[26] Alexander et Hines renvoient à « Minamoto, 1985 cité dans Iijima, Arisaka, Minamoto, & Arai, 2001 ». Minamoto, 1985 est le livre Male–female differences in pictures cité dans Iijima et al, 2001, Sex differences in children’s free drawings: a study on girls with congenital adrenal hyperplasia, Hormones and Behavior, vol.40, p.99-104. Dans cet article publié par des auteurs qui partagent l’orientation théorique d’Alexander et Hines (citant trois articles de cette dernière), il est précisé que le livre est écrit en japonais, ce qui n’est pas indiqué dans la bibliographie d’Alexander et Hines.

[27] Voir O.Fillod, 4 octobre 2013, « Sexes, mensonges et vidéo : Baron-Cohen et le modèle norvégien », en ligne sur https://allodoxia.odilefillod.fr/2013/10/04/sexes-mensonges-et-video-baron-cohen/.

[28] ALEXANDER Gerianne M., SAENZ Janet, 2012, Early androgens, activity levels and toy choices of children in the second year of life, Hormones and Behavior, vol.62(4), p. 500-504. Comme pour l’article de 2002 sur les singes vervets, Gerianne Alexander est l’auteure correspondante de cet article. Janet Saenz est une étudiante qui vient alors de faire sous sa direction un master en psychologie clinique sur ce sujet.

[28b] JADVA Vasanti, HINES Melissa, GOLOMBOK Susan, 2010, Infants’ preferences for toys, colors, and qhapes: sex differences and similarities, Archives of Sexual Behavior, vol.39(6), p. 1261–1273.

[29] Cf www.sbn.org/purpose/index.php (dernier accès le 14 juillet 2014).

[30] Cf www.psychology.emory.edu/nab/wallen/research.html (dernier accès le 14 juillet 2014).

[31] Traduit par moi, extrait de Janice Hassett, 5 janvier 2005, « Where’s Janice Hassett? – Update » http://people.carleton.edu/~jneiwort/monkeys/janicehassett.html (accédé le 6 juillet 2014).

[32] HASSETT Janice M, RUPP Heather A, WALLEN Kim, 2010, Social Segregation in Male, but not Female Yearling Rhesus Macaques (Macaca mulatta), American Journal of Primatology, vol.72(2), p. 87-92. Manuscrit des auteurs en accès libre sur http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2797555/pdf/nihms148499.pdf.

[33] Hines et Alexander 2008 (art. cit.), p. 478.

[34] Williams Christina L., Pleil Kristen E., 2008, Toy story: Why do monkey and human males prefer trucks?, Hormones and Behavior, vol.54, p. 355-358.

[35] Ryan A. GARCIA, « Toy choice among boys, girls a matter of monkey business », rendue publique en ligne le 10 décembre 2002 sur www.eurekalert.org/pub_releases/2002-12/tau-tca121002.php.

[36] Traduit par moi comme tous les autres extraits de discours en anglais du présent article. J’ai choisi de traduire par « individus de sexe masculin » le substantif anglais « males » lorsqu’on ne peut pas savoir si le locuteur désigne les mâles humains uniquement (auquel cas je traduis par « garçons » ou « hommes » selon le contexte), les mâles non humain uniquement (auquel cas je traduis par « mâles »), ou les deux confondus.

[37] La dépêche en anglais a été écrite par Marlowe Hood, un vieux de la vieille de l’AFP qui sévit alors au sein de cette équipe (dont j’espère avoir le temps de reparler sur ce blog). La dépêche en français l’a été par Guy Clavel, alors membre de la même équipe ayant débuté en 1996 à l’AFP comme correspondant à Washington, spécialisé dans les sujets sciences/santé de 1996 à 2001 puis de 2004 à début 2009 (devenu correspondant à Toulouse en 2009).

[38] Mélanie BOURDON, 10 avril 2008, « Le camion ou la poupée, un choix inné ? », Sciences et Avenir.com (en ligne sur sciencesetavenir.fr, accédé le 26/03/2014). Chapeau de l’article : « Vous pensez que le choix d’un jouet (de garçon ou de fille) par un enfant est influencé par la pub, l’entourage et la crainte de moqueries ? N’en soyez pas si sûr. Kim Wallen publie cette semaine, dans NewScientist, un rapport qui ébranle ce dogme bien connu. » Extraits de l’article : « Le psychologue et son équipe […] ont placé de jeunes singes rhésus (de 1 à 4 ans) face à deux lots de jouets […]. […] Rapidement, les mâles se sont rassemblés autour des jeux de garçons tandis que les femelles jouaient, indifféremment, avec tous les objets. Sans subir le poids des pressions sociales, les singes ont réagi comme les petits humains. […] La même expérience, menée en 2002 […] sur des singes Vervet avait abouti aux mêmes résultats. […] »

[39] Cf Caroline LACHOWSKY, 10 avril 2008, « Quand les singes jouent… », en ligne sur http://www.rfi.fr/sciencefr/articles/100/article_64891.asp (accédé le 05/11/2010). La page contient un court résumé signé par Caroline Lachowsky et un lien vers un fichier audio d’un peu plus d’une minute contenant sa chronique. Caroline Lachowsky est alors journaliste au pôle Sciences / Environnement de RFI depuis 2007. Elle co-produit et anime depuis 2009 une émission de vulgarisation scientifique quotidienne sur RFI, « Microméga », devenue « Autour de la question » en novembre 2010. Texte du résumé : « Des chercheurs américains viennent de démontrer dans une étude publiée sur le site de la très sérieuse revue New Scientist que les singes mâles préféraient jouer aux petites voitures qu’à la poupée… ». Texte de la chronique audio : « Quand on leur donne le choix entre des peluches et des jouets avec des roues, du genre petites voitures ou camions en plastique, les jeunes macaques rhésus mâles sont nettement plus attirés par les jouets à roues, les jouets dits ‘de garçons’, tandis que leurs congénères du sexe opposé, les femelles rhésus, elles, ne montrent pas de préférences et s’amusent aussi bien à câliner les peluches qu’à faire rouler les petites voitures. Voilà ce qui ressort de cette expérience menée par le professeur Kim Wallen sur 11 mâles et 23 femelles macaques rhésus de moins de 4 ans, au centre national de recherche sur les primates d’Atlanta. Mais si ce psychologue, qui travaille sur les différences de comportements entre les sexes, a effectivement démontré que l’on ne pouvait reprocher à ces singes d’être influencés ni par leur éducation, ni par leur environnement, ni non plus par la publicité, il n’en tire pas pour autant des conclusions trop rapides. Selon lui, les femelles macaques seraient probablement plus curieuses que les mâles, qui eux préféreraient apparemment des jouets plus physiques. Reste que ces résultats corroborent une autre étude, menée sur des singes verts dans une université du Texas : elle aussi démontre que les différences entre les sexes commencent dès le plus jeune âge et qu’elles sont ensuite, chez les singes aussi, renforcées par la société. »

[40] Valérie BURON,juin 2008, « Le sexe orienterait le choix des jouets », Science & Vie, n°1089, p.28, rubrique « Actualité – En direct des labos », catégorie « Evolution ». Valérie Buron est alors journaliste scientifique indépendante, travaillant occasionnellement pour Science & Vie, Sciences Humaines et Ça m’intéresse. Elle est plus tard devenue membre de la rédaction du magazine Le Monde de l’intelligence. La rédaction a accompagné l’article d’une photo de singe jouant avec un camion de pompier, légendée : « Comme les garçons, les singes rhésus mâles jouent plus avec les jouets à roues ». Texte de l’article : « C’est bien connu : les garçons préfèrent les petites voitures aux poupées, tandis que les filles jouent indifféremment avec les deux. D’après une étude américaine, c’est aussi le cas chez les singes rhésus. Kim Wallen et ses collègues de l’université d’Emory, à Atlanta, ont observé 11 mâles et 23 femelles âgés de 1 à 4 ans, à qui l’on confia un jouet ‘de garçon’ et un jouet ‘de fille’. Les chercheurs ont filmé et comptabilisé le temps que chacun passait avec l’un et l’autre jouet. Tandis que les petits mâles se dirigeant plus vers les jouets à roues, le femelles ne présentaient pas de préférence marquée. N’étant pas sous influence sociale ni publicitaire, ces comportements posent la question de la prédisposition biologique à s’orienter vers certains jouets selon le sexe. Même si, par la suite, elle est probablement amplifiée par la vie en société ». Remarque : le passage « ont observé 11 mâles et 23 femelles âgés de 1 à 4 ans » permet de comprendre que la source de l’auteure est la dépêche AFP et non l’article scientifique (ni même celui de New Scientist).

[41] « De la construction du genre chez le singe rhésus », 8 avril 2008. L’article (anonyme) est publié sur http://we-the-mutants.blogspot.com, avant d’être republié à l’identique (date inchangée, et les trois commentaires postés dans les jours qui ont suivi compris) sur http://obssex.blogspot.fr. Il est significativement pourvu d’un lien vers le blog http://lamutationestenmarche.blogspot.com pour consulter la vidéo de New Scientist . Sur ces trois blogs, cf la note [14]. Voici ce qu’on peut lire sur Mix-Cité dans cet article : « « Chaque année, au moment de Noël, la section féministe de l’association Mix-Cité fait des descentes dans les grands magasins pour mettre en garde les parents sur la nature sexuée des jouets. Voyez-vous, acheter des poupées pour sa fille et des soldats pour son fils les inscrit à tout jamais dans un genre socialement déterminé. En décembre prochain, Mix-Cité devra aussi manifester dans les zoos. […] La suite à venir : babouins, chimpanzés, bonobos et gorilles auront-ils besoin de Mix-Cité pour les aider à déconstruire l’assignation des rôles sociosexuels ? ».

[42] Directeur de recherche CNRS, Michel Raymond dirige à l’université de Montpellier 2 l’équipe de recherche Biologie Evolutive Humaine. Après son livre au Seuil, il a codirigé avec Frédéric Thomas et Thierry Lefèvre un manuel de biologie évolutive paru aux éditions De Boeck en 2010, dans lequel il s’est chargé avec Charlotte Faurie (membre de son équipe) du chapitre consacré à la biologie évolutive humaine, puis publié en 2012 un second livre grand public toujours sur l’évolution humaine, cette fois aux éditions Odile Jacob.

[43] Voir O. Fillod, 4 octobre 2013, « Sexes, mensonges et vidéo : Baron-Cohen et le modèle norvégien », en ligne sur https://allodoxia.odilefillod.fr/2013/10/04/sexes-mensonges-et-video-baron-cohen/.

[44] Dans Alexander (2009), Gerianne Alexander et ses co-auteures reconnaissent que si l’existence de différences entre les sexes dans les choix de jouets est claire à partir de la deuxième année de vie, savoir si ces différences « sont présentes durant la première année de vie, cependant, reste une question empirique non résolue » (p. 428). Dans le cadre de cette étude menée afin d’avancer sur cette question, les auteures ont observé chez les 17 garçons testés, âgés en moyenne de 5.5 mois, qu’entre le camion et la poupée qui leur étaient proposés (en vrai, pas en images), les garçons n’avaient pas montré d’ « intérêt » supérieur pour le camion, la tendance (non statistiquement significative) étant au contraire à un « intérêt » supérieur pour la poupée (les auteures ont préféré ignorer ce résultat pour ce concentrer sur les autres conformes à leurs attentes, à tel point qu’elles sont allées jusqu’à écrire p. 430 l’inverse de ce que montrait leur figure 1, la phrase fautive ayant été corrigée ultérieurement via un erratum). Elles citent trois études dont les résultats vont dans le même sens et aucune allant dans l’autre : l’étude longitudinale de Campbell et al. (2000) a trouvé chez les 29 garçons observés aux âges de 3, 9 et 18 mois que leur « préférence » pour les jouets typiquement masculins n’était présente qu’à 9 et 18 mois ; « dans l’autre étude (Serbin et al., 2001), on a présenté à 8 garçons et 12 filles âgés d’environ un an des images de poupées et de camions », et « le codage des temps consacrés par les enfants à les regarder durant 24 sessions de test de 5 secondes a mis en évidence chez les deux sexes une préférence visuelle pour les poupées comparativement aux camions » (Alexander 2009 p. 428) ; « Les bébés des deux sexes ont une préférence pour les stimuli ressemblant à des visages (Johnson & Morton, 1991) et il semble raisonnable de penser qu’une poupée, objet pourvu d’un visage, était attirante pour les bébés dans notre [présente] recherche pour cette raison » (Alexander 2009 p. 431). J’ajoute qu’en employant une méthodologie similaire à celle de Serbin et al. (2001) particulièrement précautionneuse, Escudero et al. (2013) ont observé sur un échantillon de 12 filles et 12 garçons âgés de 4 mois exactement (à quelques jours près) que comme les filles, les garçons avaient en moyenne « préféré » (i.e. davantage fixé leur regard sur) les photos de visages de poupées à celles de voitures-jouets, et les photos de visages de femmes aux photos de vraies voitures. Références citées :
– ALEXANDER Gerianne M., WILCOX Teresa, WOODS Rebecca, 2009, Sex differences in infants’ visual interest in toys, Archives of Sexual Behavior, vol.38, p. 427-433
– ALEXANDER Gerianne M., WILCOX Teresa, WOODS Rebecca, 2010, Erratum to: Sex differences in infants’ visual interest in toys, Archives of Sexual Behavior, vol.39, p. 816
– CAMPBELL Anne, SHIRLEY Louisa, HEYWOOD Charles, CROOK Charles, 2000, Infants’ , children, toys and activities: A longitudinal study, British Journal of Developmental Psychology, vol.18(4), p. 479-498
– ESCUDERO Paola, ROBBINS Rachel A., JOHNSON Scott P., 2013, Sex-related preferences for real and doll faces versus real and toy objects in young infants and adults, Journal of Experimental Child Psychology, vol.116, p. 367-379
– JOHNSON, M. H., & MORTON, J. , 1991, Biology and cognitive development:The case of face recognition, Blackwell
– SERBIN Lisa A., POULIN-DUBOIS Diane, COLBURNE Karen A., SEN Maya G., EICHSTEDT Julie A., 2001, Gender stereotyping in infancy: Visual preferences for and knowledge of gender-stereotyped toys in the second year of life, International Journal of Behavioral Development, vol.25(1), p.7-15.

[45] Je recommande en particulier la lecture de « Rose et bleu : les couleurs du genre », publié par l’anthropologue Priscille Touraille dans Décors des Corps (CNRS Editions, 2010) pour se faire une idée de la pertinence de ce qu’écrit ici Michel Raymond. On y croise à nouveau Gerianne Alexander, et ça n’est pas par hasard.

[46] La moitié de la quatrième de couverture du livre est occupée par le texte suivant : « “Si pour le sens commun l’homosexualité semble relever d’un choix, pour tous les professionnels, tant biologistes que psychologues, l’orientation sexuelle n’en est pas un. II n’est que d’entendre le témoignage des hommes et des femmes qui disent la certitude du sens de leur attirance sexuelle ou de la découverte qu’ils en ont fait à un moment donné de leur vie. Les hypothèses psychanalytiques dominantes n’expliquent pas à elles seules l’homosexualité, et n’en ont jamais fait de démonstration scientifique. Le livre de Jacques Balthazart a le mérite de faire un point très complet sur des notions peu connues de la biologie de l’orientation sexuelle qui entrent à part entière dans l’explication “des” homosexualités, car l’homosexualité ne peut se réduire ni à une forme particulière ni à une seule hypothèse explicative. Ce livre très rigoureux et largement documenté apporte une contribution essentielle à la connaissance des bases biologiques de l’orientation sexuelle et de l’homosexualité. Il n’a aucun équivalent en langue française. Il est d’une lecture indispensable pour tous les professionnels de la psychiatrie, de la psychologie, de la sexologie.” Philippe Brenot, Psychiatre et Anthropologue. Directeur du DIU de sexologie, Université Paris Descartes » (Mardaga, 2010, gras et italiques dans le texte). J’ai déjà eu l’occasion de parler de Philippe Brenot dans https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/04/25/psychologie-evolutionniste-et-biologie/#ref12, https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/08/15/genre-svt/#ref43 et https://allodoxia.odilefillod.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/. Chercheur freelance en sexologie plutôt qu’anthropologue, Philippe Brenot a surtout bénéficié de la publication de pas moins de huit livres aux éditions Odile Jacob depuis 1998 et de son amitié de longue date avec (et soutien de) Boris Cyrulnik pour asseoir sa légitimité médiatique, ici recyclée par les éditions belges Mardaga.

[47] Cf Olivier Postel-Vinay, 28 novembre 2013, « Jacques Balthazart : « L’homosexualité a une composante biologique », Books, en ligne et dans le n°49 (décembre 2013). Le livre dont la publicité est faite tout au long de l’entretien est alors sorti depuis trois ans, mais on est en pleine guerre contre la « théorie du genre » et Olivier Postel-Vinay, lui-même auteur d’un livre dans lequel il a exprimé ses convictions sur le sujet, entend bien y contribuer. L’entretien a été publié en ligne le 28 décembre 2013 sur le site du Nouvel Observateur en partenariat avec Books, avec un titre différent (« L’homosexualité est-elle biologique ? » et un chapeau encore plus corsé que celui de Books : « La plupart des ouvrages disponibles en français présentent l’homosexualité comme la résultante d’une enfance ou d’un environnement particulier voire d’un choix, et ce, au mépris des données scientifiques. Tous les livres sauf un, celui de Jacques Balthazart, à la tête du Groupe de recherches en neuroendocrinologie du comportement à l’université de Liège. Pour lui l’homosexualité a une composante biologique importante. Nos confrères de «BoOks» l’ont rencontré. A lire aussi dans leur numéro de décembre. ». Le site du Nouvel Observateur a à nouveau fait la publicité de son livre récemment pour contrer ce qui avait été publié dans l’Obs par une journaliste dont l’opinion est minoritaire au sein de la rédaction (voir [2]).

[48] Balthazart présente dans un encadré de la page suivant cette affirmation (p. 136) les résultats de l’étude de Berenbaum & Snyder (1995) sur des filles et garçons souffrant d’hyperplasie congénitale de surrénales et des enfants non atteints (témoins) âgés de 2 ans et demi à 12 ans. Il se trouve que les filles témoins n’ont pas « choisi spontanément des poupées » entre divers types de jeux, mais passé en moyenne, sous le regard d’un observateur dont les auteures admettent que la présence a pu influencer leurs choix (p. 34), un petit peu plus de temps à jouer avec les jeux « de fille » proposés (des poupées, des vêtements de poupée et une dînette) qu’avec les jeux « de garçon » (des voitures, des blocs de construction et un transformer), cette différence n’étant apparemment pas statistiquement significative. Les garçons ont en revanche presque complètement ignoré les jouets « de fille » au profit de ceux seyant à leur sexe. Les auteurs ne rapportent aucune donnée sur les poupées, les voitures ou les autres types de jouets pris individuellement pour cette partie de l’expérience correspondant à la situation décrite par Balthazart (« Si on introduit individuellement des garçons ou des filles dans une salle contenant divers types de jeux, les filles choisissent spontanément des poupées alors que les garçons prennent de préférence des voitures ou des trains »), seule une analyse groupée des jouets de chaque catégorie (“fille”, “garçon”, “neutre”) étant rapportée. En raison de l’influence probable de l’observateur, les auteurs ont également proposé aux enfants de sélectionner en privé un jouet qu’ils pourraient conserver, parmi cinq jouets « représentant des points dans un continuum allant du typiquement masculin au typiquement féminin en passant par le neutre » (p. 34), à savoir un véhicule (voiture ou avion), un ballon, un puzzle, des marqueurs et une poupée. Si la grande majorité des garçons a choisi la voiture ou l’avion, ce sont les marqueurs qui ont été le plus souvent choisis par les filles, deux fois plus souvent que la poupée.

[49] Propos de Richard Wrangham dans le communiqué de presse de l’université d’Harvard du 20 décembre 2010, en ligne sur http://www.fas.harvard.edu/home/content/young-female-chimpanzees-appear-treat-sticks-dolls (accédé le 31 décembre 2010), traduits par moi. La citation précédente est un extrait traduit par moi de l’article scientifique : KAHLENBERG Sonya M., WRANGHAM Richard W., 2010, Sex differences in chimpanzees’ use of sticks as play objects resemble those of children, Current Biology, vol.20(24), p. R1067-R1068.

[50] 23 décembre 2010, journal de 20h de France 2. Lancement de la séquence de près d’une minute trente au début de la seconde partie du journal (20h20) : « [David Pujadas] D’abord, donc, les sciences, et cette étude forcément controversée qui vient alimenter le débat entre l’inné et l’acquis. Elle a été menée par des chercheurs américains sur de jeunes chimpanzés en Ouganda. Résultat, les femelles utilisent plutôt les bâtons comme des poupées, les mâles comme des outils. Explications Laurence Decherf et Philippe Maire, avec notre bureau à Nice. ». Reportage : « [Voix off] Sous le sapin de Noël, en 50 ans, rien n’a vraiment changé : des camions pour les gars, des poupées pour ces demoiselles. Aujourd’hui encore, dans les magasins, on ne mélange pas les genres. Alors pourquoi ? D’où vient cette attirance ? Dans le parc national de […], des chercheurs américains se sont penchés sur la question en étudiant les jeux des chimpanzés. Des bâtons avec lesquels ils jouent, les femelles auraient tendance à les bercer comme fait une mère, les mâles à attaquer ou à se défendre. L’explication pourrait être d’origine génétique ou hormonale. [Boris Cyrulnik] Probablement, les hormones orientent les bébés, les enfants, vers un jeu, et la culture augmente ce choix de jouets pour les préparer à leur futur rôle social et sexuel. [Voix off] Car la société a aussi une influence en orientant le choix des jouets des enfants, quitte selon certaines femmes à renforcer les stéréotypes sexistes. [Clémence Armand, association Mix-Cité ] Le discours qui sous-tend, derrière, c’est de nous faire croire que finalement, les hommes et les femmes ont des différences naturelles, biologiques, qui expliquent un certain nombre de choses. Moi je crois pas aujourd’hui qu’il y a un gène du ménage. Je pense que culturellement, les hommes ont totalement délaissé l’intérieur du foyer, le laissant aux femmes [Voix off] Il y a deux ans, d’autres chercheurs avaient proposé des jouets d’enfants à des singes. Les mâles s’amusaient alors avec des voitures, mais les femelles n’avaient pas de préférences. [FIN] »

[51] Cf Pierre BARTHELEMY, 19 avril 2011, « Comment le sexe vient aux jouets », Globule et téléscope, en ligne sur http://blog.slate.fr/globule-et-telescope/2011/04/19/comment-le-sexe-vient-aux-jouets/ (accédé le 20 mai 2011, toujours en ligne et inchangé au 17 juillet 2014).

[52] Le montant total alloué en 2011 au titre d’aide à la traduction en français d’ouvrages étrangers relevant de la « littérature scientifique et technique » a été de 77 490 €, répartis sur douze livres dont celui de Lise Eliot (cf Centre national du livre, Bilan annuel des aides 2011, p. 105). Les membres de la commission chargée de cette littérature, dont le président a été nommé en octobre 2010 par le Ministère de la culture et de la communication sont Jean AUDOUZE (président, astrophysicien, « ancien élève d’Hubert Reeves, avec qui il a publié un article fondamental en 1971 »), Marie Bellosta (« Editrice scientifique aux Éditions du CNRS »), Jean-Michel BESNIER (« Agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques »), Georges CHAPOUTHIER (« Philosophe des sciences »), Gilbert CHARLES (« Journaliste scientifique), Nicolas CHEVASSUS-AU-LOUIS (« Docteur en biologie, journaliste »), Roger DACHEZ (« Médecin et historien. Président de l’Institut Alfred Fournier et chargé d’enseignement à l’Université Paris-Diderot »), Antoine DANCHIN (« Biologiste (génétique microbienne), directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Institut Pasteur »), Roger MANSUY (« Enseignant de mathématiques et d’informatique »). Source : site web du CNL consulté le 12 juillet 2014, dans lequel seul le nom de la seule femme de cette commission est en minuscules, les autres étant en majuscules.

[53] Cf http://pierrereignier.wordpress.com/bio-francais/ accédé le 20 juillet 2014. Il fait référence à Richard Dawkins, Daniel Dennett et Jared Diamond.

[54] Cf Peggy ORENSTEIN, 22 septembre 2011, « Contre la dictature du rose », Courrier international, n°1090, article traduit et adapté de The Observer donnant lieu cette semaine-là à l’un quatre titres mis à la Une de Courrier international : « Petites filles. Contre la dictature du rose »). Extrait : « C’est dans le choix des jouets que la différenciation des sexes est le plus marquée, explique Lise Eliot. Les garçons poussent des voitures, les filles des poussettes. On le constate même chez les primates. Dans une étude de 2002, des chercheurs ont donné deux jouets typiquement masculins (une voiture de police et un ballon), deux jouets typiquement féminins (une poupée et une casserole) et deux jouets non sexués (un livre d’images et un animal en peluche) à 44 singes vervets mâles et 44 femelles. Les singes n’avaient jamais vu ces objets auparavant et, de toute évidence, ils ignoraient leurs connotations. Résultat ? Si les mâles et les femelles ont été attirés de la même manière par les objets neutres, les mâles se sont mis à tourner autour des jouets de garçons, tandis que les femelles se sont intéressées à la poupée et – grrr ! – à la casserole. Hasard ? Peut-être mais, six ans plus tard, un deuxième groupe de chercheurs a obtenu un résultat identique avec des macaques rhésus. Le choix des jouets reste l’une des plus grandes marques de différenciation entre les sexes à l’échelle d’une vie. Elle surpasse toutes les autres, à l’exception de la préférence de la plupart des humains pour l’autre sexe dans les relations sentimentales. L’intensité de cette différenciation et le moment où elle survient confortent toutes nos hypothèses et stéréotypes, occultant le fait que ces propensions naturelles sont très fortement renforcées par l’environnement de l’enfant. »

[55] Cf Michel JANVA, 3 octobre 2011, « Même les singes et les macaques rejettent les idéologues du gender », en ligne sur lesalonbeige.blogs.com (accédé le 28/03/2014). Ce billet posté dans la catégorie « Culture de mort : idéologie du genre » cite explicitement sa source (Courrier international) et en reprend sans commentaires l’extrait cité note précédente jusqu’à « avec des macaques rhésus ». Selon http://www.la-croix.com/Culture/Nouvelles-technologies/Les-blogs-catholiques-s-organisent-_NG_-2011-01-26-562520, Le Salon Beige faisait en 2011 partie du « top ten » de la blogosphère catholique et revendiquait 20 000 visiteurs par jour.

[56] Sur LePoint.fr, voir https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/12/10/habemus-sex-suite/. Sur Sciences Humaines, voir Lisa FRIEDMAN, octobre 2012, « Le camion et la poupée », Sciences Humaines, n° 242/Novembre 2012 : « L’homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? Pour tenter de répondre à cette question fort discutée, Jean-François Bouvet, biologiste, fait le bilan des études menées sur le sujet. De nombreuses observations mettent en évidence […] des dissemblances structurelles et fonctionnelles entre cerveau masculin et cerveau féminin adultes. Mais la cause de ces variations reste difficile à établir […] À l’appui de l’hypothèse socioculturelle, […]. Ces résultats ne permettent cependant pas d’expliquer les différences précoces : il s’avère ainsi que, dès le premier jour de vie, les filles fixent plus longtemps un visage humain que les garçons, qui préfèrent eux porter leur regard sur un objet mobile [pas du tout, comme je le l’ai montré ici]. La comparaison avec les singes est également intéressante, propre à tester l’existence de dispositions innées léguées par l’évolution. Or, on a pu constater ce fait étrange que des jouets masculins comme une voiture ou une balle intéressent plus les singes mâles que les femelles, qui elles seront plutôt attirées par la casserole ou la poupée… ». Voir a contrario Lucien FAUVERNIER, juin 2014, « Les jouets ont-ils un sexe ? », Sciences Humaines, n°261/juillet 2014, p. 46-47 : « Plusieurs expériences montreraient selon lui [Jean-François Bouvet] que les jouets dits masculins comme une voiture ou une balle intéresseraient plus les singes mâles que les femelles, qui seraient, elles, plus attirées par une casserole ou une poupée. Les études du chercheur anglo-saxon Simon Baron-Cohen menées dans le même domaine laissent penser, quant à elles, que les nouveau-nés masculins seraient plus intéressés par un objet mobile que par un visage humain et inversement chez les petites filles. Reste que ces études sont fortement critiquées ». Ce changement de cap de Sciences Humaines est sans doute imputable au fait que cet article fait partie d’un dossier dirigé par Xavier Molénat, nettement plus circonspect que ses collègues et employeurs sur ces sujets, et sans doute un peu (j’ose le croire) aux critiques que j’avais déjà publiées sur le présent blog.

[57] L’article dont Gerianne Alexander est l’auteure correspondante, cosigné par l’étudiante qui vient alors de faire sous sa direction un master en psychologie clinique sur le sujet (ALEXANDER Gerianne M., SAENZ Janet, 2012, Early androgens, activity levels and toy choices of children in the second year of life, Hormones and Behavior, vol.62(4), p. 500-504) a été mis sous presse le 22 août 2012 et rendu publiquement accessible (en ligne, sur abonnement) le 30 août. La journaliste scientifique Natalie Wolchover a publié dès le 24 août « Hormones Explain Why Girls Like Dolls & Boys Like Trucks » sur le site de vulgarisation Live Science (http://www.livescience.com/22677-girls-dolls-boys-toy-trucks.html).

[58] Je fais ici allusion à l’article d’Alexis Mandre intitulé « Les macaques mâles aussi préfèrent jouer aux petites voitures ! », publié le 12 novembre 2012 sur son blog Homo Fabulus (« Un regard évolutionnaire curieux sur le plus passionnant des singes ») relayé par le Café des sciences. Extrait (en gras dans le texte) : « Que se passe-t-il chez les primates non-humains, pour le coup complètement exempts de pressions sociales à utiliser un certain type de jouet, mais avec qui nous partageons tout de même une grande partie d’histoire évolutive ? Chez le singe vervet, les mêmes préférences que chez les humains sont retrouvées. Le temps de contact avec une balle et une petite voiture est significativement plus élevé chez les mâles que chez les femelles, tandis que le temps de contact avec une poupée et un pot est significativement plus élevé chez les femelles que chez les mâles. Cette première étude de 2002 fut accueillie avec scepticisme (à raison, à la lecture de l’article, plusieurs problèmes méthodologiques peuvent être soulevés) mais vla-t-y pas que six ans plus tard elle est reproduite plus rigoureusement sur des singes rhésus. A nouveau, les singes mâles montrent des préférences plus fortes pour les jouets à roues, tandis que les femelles montrent une plus grande variabilité dans leurs préférences (jouets à roues et peluches). Une vidéo en anglais sur cette expérience : http://www.newscientist.com/video/1489847316-male-monkeys-prefer-boys-toys.htmlSerait-ce que l’intérêt des femelles pour les voitures est restreint car elles seraient plus enclines naturellement à être sociales et maternelles ? Cette hypothèse, même s’il est politiquement incorrecte, doit être envisagée : nous faisons de la science et pas de la politique. Mais rassurez-vous, elle ne colle pas tellement avec les dernières données […] Peut-être alors qu’il serait plus utile d’étudier les caractéristiques précises qui font qu’un jouet plaît plus aux mâles ? Par exemple, seuls les jouets à roues possèdent un mouvement interne, or un intérêt pour les objets en mouvements semble se développer très tôt chez les mâles, avec les garçons montrant une préférence pour le mouvement mécanique tandis que les filles préfèreraient le mouvement biologique. […] Ce qui est sûr, c’est que le biologique a son rôle à jouer ! Evidemment, par dessus ces préférences biologiques s’inscrit un processus de socialisation fort : depuis des dizaines d’années on sait que les pères ont tendance à donner moins de poupées à leurs fils qu’à leurs filles, que les environnements créés à la maison sont différents pour les garçons et les filles… […] Voilà ce que j’avais à dire ! Et sinon : ce sujet a été traité très récemment par la bouffée d’oxygène Peggy Sastre et le renommé Pierre Barthélémy, mais vu le nombre de commentaires aigris sur le billet de ce dernier, je me suis dit que ça ne pourrait pas faire de mal d’en remettre une couche ». Un encadré intitulé « A emporter » synthétise en quatre points ce qu’il faut retenir de son long article : « Même chez les très jeunes enfants, pour lesquels la contamination culturelle est limitée, les garçons préfèrent jouer à des jeux typiquement décrits comme masculins / Les hormones pré-natales auxquelles est en contact un fœtus jouent un rôle important dans la détermination des préférences et activités post-natales. / Déjà deux types de primates non-humains sont connus pour avoir les mêmes préférences que les humains : les mâles préfèrent les jouets durs à roues aux jouets plus mous. / Ce qui ne veut pas dire que ces préférences sont entièrement déterminées biologiquement, mais le biologique a certainement un rôle à jouer… ».

[59] Cf Sébastien BOHLER, 6 novembre 2013, « Quand Super-U applique la théorie du genre », en ligne sur www.scilogs.fr/l-actu-sur-le-divan/poupees-pour-les-garcons-camions-pour-les-filles-super-u-applique-la-theorie-du-genre/ (accédé le 8 novembre 2013, copie disponible sur demande).

[60] Voir «Les faux nez biologistes de la psychologie évolutionniste » en ligne sur https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/04/25/psychologie-evolutionniste-et-biologie/, où je le cite à ce titre aux côtés de Jean-Didier Vincent, Lucy Vincent et Pascal Picq, et « Arrêt sur mirages » en ligne sur https://allodoxia.odilefillod.fr/2012/12/22/arret-sur-mirages/ où je relève la qualification trompeuse des disciplines scientifiques invoquées.

[61] Les extraits cités sont tirés de SAX Leonard, 2002, Maybe men and women are different, American Psychologist, vol.57 (6-7), p. 444-444. Outre le sens commun et le Talmud (dont il cite des extraits), ses deux autres arguments pour refuser que l’idée de complémentarité soit qualifiée de sexiste sont le fait qu’en Corée une personne n’est pas considéré comme entière tant qu’elle n’est pas mariée, et que dans la France médiévale un homme restait désigné comme un « garçon » tant qu’il n’était pas marié. Les deux autres références évoquées sont SAX Leonard, 2001, Analyzing Freud, 2001, Natural History, vol.110(3), p.16-16, et SAX Leonard, 2001, Reclaiming kindergarten: making kindergarten less harmful to boys, Psychology of Men and Masculinity, vol.2(1), p. 3-12.

[62] Leonard Sax a créé en 2002 le Montgomery Center for Research in Child and Adolescent Development, qui lui a servi d’institution de rattachement pour sa publication dans American Psychologist cette année-là, devenu en 2009 The Montgomery Center For Research In Child & Adolescent Development Inc dont le site internet sert à faire la promotion de ses livres et qui n’a à ce jour officiellement qu’un employé. Son premier livre Why Gender Matters: what parents and teachers need to know about the emerging science of sex differences a été publié en 2005 aux éditions Doubleday (réédition augmentée publiée en poche en 2006 chez Random House), le second Boys Adrift: The five factors driving the growing epidemic of unmotivated boys en 2007 par Basic Books (réédition augmentée publiée en poche en 2009), et le troisième Girls on the Edge chez le même éditeur en 2010 (réédition augmentée publiée en 2011).

[63] Inspection générale de l’Education nationale, juin 2014, Évaluation du dispositif expérimental « ABCD de l’égalité » – Rapport n° 2014-047, p. 30.

[64] Le pseudo-scepticisme a été décrit par le sociologue Marcello Truzzi, l’un des fondateurs de la première société savante de scepticisme scientifique (ou zététique) dans les années 1970 et de sa première revue, dont il s’est ensuite démarqué en raison de qu’il percevait comme un dévoiement de la démarche sceptique. Dans un éditorial de Zetetic Scholar publié en 1987, il définit le pseudo-scepticisme comme une attitude consistant, plutôt que d’en rester à la formulation de doutes concernant la force des éléments de preuve avancés à l’appui d’une théorie (caractérisant le scepticisme véritable), à affirmer que cette théorie est fausse. Alors que le sceptique se contente d’arguer que la validité d’une théorie n’est pas démontrée par les données avancées à son crédit, le pseudo-sceptique prétend trancher le débat scientifique. Le pseudo-scepticisme de Nicolas Gauvrit a été plusieurs fois dénoncé sur http://pseudo-scepticisme.com/spip.php?page=recherche&recherche=gauvrit, et j’en donne ici un nouvel exemple. Nicolas Gauvrit tient également un blog sur la plateforme Scilogs de Pour la science hébergeant celui de Sébastien Bohler.

43 réflexions sur « Le camion et la poupée : jeux de singes, jeux de vilains »

  1. Bonjour Mdme Fillod, j’attendais votre article avec impatience et voilà, je ne suis pas déçu. Un tableau intéressant de ces 12 apôtres de la psycho-évolutionniste qui me navre.

    L’étude de 2008 est un véritable gag statistique. Comment peut-on conclure quoique ce soit sur 30 individus (10 pour les mâles) ? Les effets observés étant à priori dû uniquement à une poignée d’outsider ? Une étude qui a dû coûter cher (travailler avec des macaques demande une sacré infrastructure) pour des résultats clairement inexistants (car en étant honnête c’est exactement ça) : Pas étonnant que peu de scientifiques se risquent à investir dans ce domaine.

    La psychologie évolutionniste me dépasse de plus en plus, ses prémisses deviennent invraisemblables, les hypothèses émises sont indémontrables avec les moyens actuels donc on peut lui faire raconter ce que l’on veut. D’un côté on parle du rôle de l’évolution biologique sur le comportement et de l’autre coté on s’attend à ce que ce comportement n’est pas changé entre les espèces qui se sont différenciées sur d’autres caractères ? C’est faire fi de toute plausibilité.

    Je suis d’ailleurs tombé là dessus (en retard car cela date de 2011) : http://www.dan.sperber.fr/wp-content/uploads/MercierSperberBBS.pdf
    Une étude de psycho-évolutionniste cherchant à montrer que la capacité de raisonnement de l’humain à évoluée de manière biologique (oui il existe des traits génétique du raisonnement apparemment, ne me demandez pas lesquels) pour avoir toujours raison et non pas pour établir la vérité (le fait d’avoir raison permettrait entre autre de mieux dominer j’imagine). Il est assez ironique de dire que si cette étude est vraie, alors on peut penser qu’elle est biaisée par l’hypothèse elle-même : les auteurs subissent leurs biais évolutionnistes (puisqu’ils n’ont aucunes expériences concrètes à disposition). Blague à part, comme la psycho-évolutionniste n’est pas à une contradiction près j’en ai quand trouvé une savoureuse dans ce long article : Il est affirmé que l’enfant incapable de parler et que les animaux sont incapables de raisonnement autres qu’inférences purement inconscientes, en effet pour qu’une “sélection évolutionniste” puisse s’exercer sur le raisonnement il faut qu’il y ‘est un échange de paroles pour sélectionner les “meilleurs arguments”. Mais alors comment expliquer qu’il s’agisse d’un trait biologique si les nouveaux nés ne le possèdent pas (ils sont incapables de raisonnement) ? Encore une perle de cette science de la contradiction.

    Comment je suis arrivé sur cette étude ? J’en reviens à l’un des douze apôtres : Nicolas Gauvrit et l’AFIS.

    J’ai ardemment défendu l’AFIS pendant un moment avant que la qualité du journal ne se dégrade, et récemment un article (http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2299) citait plusieurs papiers (et livres) de psycho-évolutionnistes pour expliquer certains comportement humain (notamment à tricher, comme si l’appât du gain n’était pas suffisant) m’a achevé. L’absence d’objectivité scientifique est incroyable : on annonce le papier ci dessus comme incontesté alors qu’il a longuement enflammé les discussions sans parvenir à s’imposer. L’ensemble des psychologues évolutionnistes semblent adopter ce genre de comportement : faire passer du vent pour du solide, j’arrive à me demander si il en existe des sérieux ? On note qu’une fois de plus, la partie “psycho-évo” de l’article de l’AFIS est accolée à une partie “neuroscience” comme si les deux marchaient main dans la main… Comme vous le dites “les faussaires de la science” sont là et bénéficient d’une grande visibilité dû au caractère “scoopesque” de leur intervention.

    Richard Feynman disait que le seul juge de la vérité est l’expérience, le reste n’étant que conjecture. La psychologie évolutionniste ferait peut-être bien de s’en inspirer… Malheureusement ses apôtres sont trop enfoncés dans leurs mensonges pour revenir en arrière, votre travail colossal peut alors sembler vain face à leur attitude expéditive du problème : pour eux tout est démontré. Mais il est bon de constater que vous continuez avec la rigueur qui vous caractérise.

    Une remarque cependant sur la quotation 64 et le pseudo-scepticisme. Certes Gauvrit raconte des bêtises, mais le site “linké” en question est un gag. Il est tenu par les étudiants de l’IMI qui ont tout à gagner à défendre la position de la parapsychologie. Parapsychologie qui tient sur des prémisses invraisemblables et indémontrables : échappement aux lois de la physique connues malgré des effets soit disant observés à l’échelle macroscopique donc normalement quantifiables, obéis à un “principe élusivité” qu exclu la réplication de l’expérience (???) probablement reliquat de la physique quantique et de l’incertitude de mesure bien que l’on puisse parfaitement mesurer des effets quantiques aujourd’hui et autres… Champs morphogénétiques etc… Aux études qui possèdent tellement de biais que le seuls arguments de la parapsy face à la non-publication étant le fameux “tabou universitaire”… Bien qu’on est accepté la physique quantique alors qu’à sa découvert elle tenait de la magie pour une majorité de physiciens. Bref je digresse, mais tout ça pour dire que je trouve que c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité : c’est un peu limite d’essayer de dévoiler le “pseudo-scepticisme” de Gauvrit via l’IMI (et Sheldrake) qui ne sont pas vraiment objectif.

    Je vous souhaite la détermination de continuer.

    1. Merci pour votre commentaire. Je précise deux choses :
      – l’hypothèse que la capacité de raisonnement humaine a évolué “de manière biologique (oui il existe des traits génétique du raisonnement apparemment […]) pour avoir toujours raison et non pas pour établir la vérité” que vous évoquez est l’hypothèse evo-psy de sélection d’un trait génétique de raisonnement biaisé-pour-avoir-toujours-raison, et non l’hypothèse de sélection de traits génétiques de raisonnement en général formulée par des psychologues évolutionnistes pour avoir toujours raison (je préfère reformuler car ça m’a paru ambigu) ;
      – au sujet de ma note 64, je suis d’accord avec vous quant au fait qu’il s’agit d’un site pour le moins “orienté” et dans lequel tout n’est pas bon à prendre (loin s’en faut !); si je l’ai cité dans ce cadre précis c’est parce qu’indépendamment de la question de fond (l’existence de phénomènes parapsychologiques), c’est la pente pseudo-sceptique de Nicolas Gauvrit qu’il mettait en évidence de manière à mon avis pertinente. Il aurait sans doute été préférable que je m’abstienne de le citer pour éviter de déplacer le débat sur un mauvais terrain, mais en même temps il me paraît intéressant de savoir que ses dérapages pseudo-sceptiques ne sont pas confinés au sujet des différences hommes-femmes.

  2. Point 1 : Oui votre formulation est meilleure.
    Point 2 : Je comprends bien votre idée. Mais ça revient un peu à citer un homéopathe fervent pour décrédibiliser un médecin qui se trompe de diagnostique. Se faire traiter de “pseudo-sceptique” par un mouvement incapable de voir l’énorme poutre présente dans leurs yeux fait doucement rigoler. Ils dénoncent Gauvrit comme “pseudo-sceptique” de part son avis expéditif sur la parapsycho (et uniquement parapsycho sur ce site), mais si on lit en détail plusieurs articles dudit site on comprends l’agacement de Gauvrit face à l’utilisation fantasque des statistiques (test choisi à postiori des résultats, prémisses invraisemblables, etc). Je voulais le préciser car j’estime (enfin j’espère) que l’AFIS (qui est la cible de l’IMI) n’est pas encore un cas désespéré (en comparaison S. Bohler) et qu’il faut remettre les choses dans leur contexte pour relativiser. Oui ce n’est plus tout à fait le sujet mais je ne trouve rien à redire sur le reste.

  3. Bon j’ai mis une semaine pour ingérer ce magnifique travail. Vous en parlez indirectement, mais dans les objets avec roues, en quoi ces roues sont-elles déterminantes dans la mesure où on n’a pas fait le test entre les objets avec roues et les mêmes sans les roues. Franchement comment pouvoir s’assurer en une seule expérience du critère déterminant du choix. Entre couleurs, formes… Et en plus quand on l’aura déterminé comment s’assurer que la raison pour laquelle ce choix a été fait est celui que l’on pense dans notre cerveau d’homme avec notre culture. Bref tout cela m’a mis en rogne. Je ne sais pas si c’est justifié, mais vraiment c’est ahurissant.
    Pour ce qui est de votre modèle économique qui vous permet de vivre et produire ces articles, c’est vrai comme dit le commentaire précédent, cela mériterai une juste rétribution. Mais vos articles qui sont plus scientifiques qu’une vulgarisation et qui pourtant s’adresse à ceux qui lisent les articles de vulgarisation vont avoir du mal de ce fait à trouver leur public. En fait cet article s’adresse plutôt au vulgarisateur, pour circonscrire la propagation des fausses informations. Une position que vous avez créé. J’espère qu’elle trouvera sa place.

  4. Je commente alors que je finis juste l’introduction, juste pour vous remercier parce que je crains d’oublier sinon. J’avais lu le bouquin de Lise Eliot à sa sortie en français, et j’avais fait un blocage sur l’expérience des singes. Ça m’était resté en travers de la gorge cette façon de dire “bon, en fait, c’est quand même évident qu’il y a des différences câblées de naissance parce que l’expérience des singes blabladequelqueslignes”. Pouf, expédié, comme ça. Depuis, j’ai vu cette expérience resurgir ici et là sans la moindre source ou données un tant soit peu consistante et je n’arrivais pas à mettre la main dessus par moi-même.

    Donc maintenant je retourne lire, et merci encore pour cet article (qui ne devrait pas me décevoir vu les autres que j’ai lu ici).

  5. J’avoue que je peux éventuellement adhérer à certains points de vue de la théorie évolutionniste. Cependant, il me semble évident que non seulement ces études décrites ne prouvent rien, mais qu’en plus nous avons dépassé le stade “singe” depuis longtemps (peut-être pas pour tout le monde, c’est vrai).
    En même temps, nous pourrions retourner leurs arguments :
    Depuis le temps que la femme et l’homme sont conditionné.e.s à un comportement qui serait spécifique à leur sexe, il pourrait sembler normal qu’ils suivent ce comportement dès la plus tendre enfance.
    Évolutionnisme il y aurait alors, mais avec intervention ancienne, inconsciente, d’un conditionnement culturel.
    Mais nous observons que nos “scientifiques” partent toujours d’un principe : ce sont nos hormones qui provoquent nos réactions, nos comportements et donc notre manière de penser. N’ont-ils jamais essayé de faire les tests contraires; de partir des pensés pour arriver à la fabrication des hormones qui nous aideraient à mettre en pratique nos ambitions qui resteraient des vues abstraites sans elles ?
    De plus je constate que depuis quelques années, alors qu’à l’origine, au temps des Lumières, la science tentait de se départager de la religion en développant des notions de “raison”, de “morale”, laïques, elle devient désormais l’instrument privilégié de la reconquête des dogmes religieux dans l’esprit des foules naïves.
    N’est-ce pas intéressant ?

    1. Votre proposition de retourner l’argument des psychologues évolutionnistes ne fonctionne pas, ou en tout cas pas de la façon dont vous l’exprimez. La théorie évolutionniste sur laquelle ils se basent repose sur l’idée de sélection dans notre espèce, au fil du temps, des variantes génétiques optimisant le succès reproductif. On peu bien “dresser” les filles et les garçons à adopter tel ou tel comportement pendant des millions d’années, ça n’inscrira pas pour autant ce comportement dans leur génome de telle sorte qu’il se transmette à leur descendance. Pour qu’une évolution due à un conditionnement culturel spécifique à chaque sexe se soit opérée dans l’espèce humaine, il faut que la plus ou moins bonne adaptation à ce conditionnement ait d’une part entraîné un plus ou moins grand succès reproductif, et d’autre part varié en fonction de la possession de certaines variantes génétiques. C’est ainsi qu’on peut par exemple imaginer que les femmes sont devenues en moyenne plus petites que les hommes suite à un conditionnement culturel : être plus ou moins grand dépend(ait) en partie de la possession de certaines variantes génétiques, et les femmes génétiquement “programmées” à être suffisamment petites pour survivre et avoir des enfants dans un contexte de rationnement alimentaire spécifique culturellement imposé aux femmes (et pour être choisies comme compagnes par des hommes désireux pour des raisons culturelles d’être plus grands qu’elles) auraient eu plus de descendants que les femmes génétiquement “programmées” pour être au moins aussi grandes que les hommes.
      Pour ce qui est des hormones, les chercheurs ne partent heureusement pas toujours du principe que vous indiquez, loin de là. Il existe au contraire nombre d’études sur les variations hormonales (de la testostérone, de la prolactine et de l’ocytocine entre autres) consécutives à des comportements.

  6. Il est d’ailleurs, à mon avis (ça reste à prouver bien sûr) plus logique que nos comportement conditionnent nos sécrétions hormonales plutôt que l’inverse. Il serait étonnant d’imaginer que les “impulsions” hormonales coordonneraient nos pensées et donc nos actes, tout en permettant une adaptation à l’environnement. Par définition l’adaptation provient d’une réaction à l’environnement (je ne parle pas de sélection naturelle, mais d’adaptation réfléchie, comportementale), si les hormones dirigeaient les comportements alors elles apparaîtraient comme un handicap en limitant nos comportements possibles (une sorte de conditionnement préalable). Par contre, si nos décisions ou nos expositions à certains environnements catalysent la sécrétions de certaines hormones facilitant ainsi certains métabolismes/réactions propres à l’acte voulu, on voit bien l’avantage adaptatif que cela peut procurer. C’est une des raisons pour laquelle je ne crois pas au comportement par les hormones.

    Du reste je ne sais pas si comparer la science des “lumières” et celle d’aujourd’hui est forcément relevant, comme il est toujours difficile de comparer des choses dans des contextes complètement différents. Aujourd’hui on peut dire que les politiques instrumentalisent régulièrement la science (généralement la mauvaise science avec beaucoup de cherry picking) pour soutenir certaines de leur positions de manière sophiste. Ce procédé passe naturellement par les médias, et c’est en ça que ce type de blog est très important, on ne peut qu’en regretter le manque de rayonnement comme contrepoids médiatique.

  7. Bref les féministes Odile Fillod et Catherine Vidal on raison contre touts les autres scientifiques qui eux ne sont que des guignols et des idéologues face aux partisans du béhaviorisme (l’acquis) et le concept de genre est du même niveau de crédibilité scientifique que la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin. Butler est le Newton de notre temps. Amen !

    1. Bref vous n’avez pas lu l’article, vous ne savez pas de quoi vous parlez, vous n’avez rien à dire et vous tenez absolument à le faire savoir. Amen !

  8. Merci pour votre travail salutaire. Le luxe de détails donne le vertige, mais il est vital pour que la démonstration soit complète.

    Une illustration de l’utilité pratique de vos textes : sur une liste de diffusion universitaire, un scientifique (dont ce n’est pas le domaine de compétence) s’en est pris au discours de Catherine Vidal, en citant des arguments donnés par Peggy Sastre. Les bras nous en tombent, mais une fois remis de notre stupeur, que faire ? La possibilité de répondre en pointant sur ce blog est alors essentielle. Merci encore.

  9. Article remarquable

    J’aimerais demander à Odile Fillod ce qu’elle pense de la génomique de la domestication et en particulier des expériences menées par Dmitri Belyaev sur les renards ainsi que les conclusions, à mon sens bien péremptoires, qu’elles ont amené

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Dmitri_Belia%C3%AFev

    Sur ce blog, on peut lire des choses très curieuses qui me font singulièrement penser aux sophismes Cum hoc ergo propter hoc particulièrement en vogue chez les psychologues évolutionnistes

    http://www.automatesintelligents.com/echanges/2009/nov/genedomestication.html

    <>

    Ou encore

    <>

    Mon interrogation ne se porte pas sur la nature idéologique de ces écrits mais sur leurs validité scientifique.

    Peut-on réellement appliquer une expérience qui a été faite sur des renards à l’humanité ?

    Comment être sûr que l’origine de la docilité des renards élevés par Belyaev est d’origine génétique voire épigénétique ? Comment distinguer la part environnemental et mimétique de la part biologisante ?

    Un autre lien très intéressant évoque une expérience accomplie sur des souris dans la construction de leur nid qui serait partiellement sous contrôle génétique.

    Ce qui est très intéressant, c’est la note qui explique que ce pourrait être simplement la “perception” qu’ont les souris de leur nid qui conditionne le nombre de grammes de coton amassés pour les construire. Cette nuance est importante car on pourrait penser à mille autre facteurs qui expliquerait cette tendance à faire des nids plus gros.

    Ce qui nous renvoie à l’expérience de Belyaev, quels autres facteurs non pris en compte auraient pu expliquer que des lignées de renards sélectionnés pour leur docilité produisent des changements phénotypiques aussi rapides (couleur de pelage, oreilles tombante, queue recourbée) ? A partir de quel moment on peut accuser le facteur génétique ou environnemental et à partir de quand ces deux facteurs s’entremêlent sans qu’il soit possible d’émettre d’hypothèse Ad Hoc ?

    http://ethologie.unige.ch/etho1.12/par.date/2013.03.13.htm

    <>

    1. Je ne connais ni ces expériences sur les renards, ni le blog auquel vous faites références, et je ne saurais donc exprimer un avis à leur sujet. Je suis en revanche allée jeter un coup d’œil à la page consacrée à l’éthologie du site web de l’Université de Genève à laquelle vous renvoyez également, qui ressemble malheureusement à tant d’autres… Puisqu’il y est fait référence aux études sur les singes évoquées ici, je me contente de copier/coller ce qui en est dit, sans commentaires :

      Les rôles sexuels ont sûrement un fond biologique
      Et pour ce qui est des différences entre hommes et femmes? Il n’y a pas si longtemps que cela, dans certains milieux, on prétendait encore que les rôles sexuels (“de genre”) étaient entièrement déterminés socialement […]. Peut-être ne tient-on plus des positions si caricaturales; mais on affirme encore souvent [37] que si les garçons préfèrent jouer avec des camions et les filles, avec des poupées, cela tient à des facteurs culturels uniquement: l’influence des modèles parentaux et des stéréotypes sociaux notamment. […] Mais ce n’est pas parce qu’on reconnaît l’influence massive de l’environnement socio-culturel qu’on est amené à nier l’existence probable de colorations biologiques sur l’identité sexuelle et les rôles de genre: il n’y a pas d’incompatibilité entre ces deux hypothèses. Lorsque des chercheurs, Gerianne Alexander et Melissa Hines [39] , en 2002, se sont amusées à mettre dans la cage de singes vervets des voitures et des poupées et d’autres jouets [40] , ce sont les mâles qui se sont intéressés aux voitures, et les femelles qui ont joué avec les poupées : plus généralement, les jouets “masculins” étaient manipulés deux fois plus par les mâles que par les femelles, et vice versa pour les jouets “féminins”. Ces résultats sont certes à prendre avec un grain de sel… Mais en ce qui concerne les mâles, cette préférence peut s’interpréter par exemple comme un intérêt inné pour les objets colorés, mobiles; la préférence des femelles pour un stimulus de type poupée peut se comprendre par l’existence de mécanismes proximaux de l’investissement parental (ce sont les vervets femelles qui s’occupent des petits).”
      Notes de bas de page :
      “[37] Le milieu des “études genre” est très favorable à l’observation de ce phénomène…
      […]
      [39] Alexander G.M., Hines, M. (2002). Sex differences in response to children’s toys in nonhuman primates (Cercopithecus aethiops sabaeus). Evolution and Human Behavior, 23, 467-479: Résumé : [… : copie de l’abstract]
      [40] Les jouets avaient été sélectionnés sur la base d’études antérieures sur l’humain comme suscitant plutôt l’intérêt des petits garçons, des petites filles, ou indifféremment des deux.”

  10. Merci pour votre réponse

    J’ai parlé de l’expérience de Beliaïev pour sortir de la polémique fatigante qui est faite autour de l’attribution des aptitudes entre hommes et femmes, débat dont vous avez déjà largement démontré les faiblesses et les partis pris quelque peu aventureux avancés par les tenants d’une spécialisation strictement génétique entre les sexes

    Ce qui m’interroge dans cette expérience de renards et plus largement, dans l’hypothèse de l’existence d’une génomique de la domestication, c’est qu’on puisse transmettre des “caractères” de docilité d’une lignée à l’autre.

    Si je ne dis pas de bêtise, il me semble qu’aucun généticien n’a encore trouvé de gènes qui stimulerait l’agressivité ou la défiance de certains animaux envers l’homme.

    Comment peut-on expliquer alors que ces renards soient plus dociles que les autres s’il s’avérait que le facteur génétique n’est que partiel dans la transmission voire la culture de cette docilité envers l’homme ?

    Plus largement, l’hypothèse qu’il existerait des gènes de la socialité et de la gentillesse est-il totalement farfelu ?

    Merci pour vos éclaircissements

    1. S’agissant de l’hypothèse qu’il existe des variantes génétiques qui favorisent, dans telle lignée animale, un comportement moins agressif que dans telle autre de la même espèce possédant d’autres variantes des mêmes gènes, elle me paraît plus que raisonnable. Si je ne m’abuse il en existe des exemples clairs chez les souris de laboratoire.
      En revanche, l’hypothèse qu’il existe des “gènes de la sociabilité et de la gentillesse” est certainement totalement farfelue. Je n’ai cependant ni la place ni le temps d’en faire la démonstration ici.

      1. Merci pour votre réponse

        Ce qui me dérange chez les psychologues évolutionnistes, c’est la facilité déconcertante avec laquelle il calquent des observations rigoureuses qui ont été faites sur les animaux et les insectes pour les appliquer ensuite chez l’homme. Cet article de Léo Grasset nous donne quelques exemples de ces grossières mises à l’échelles

        http://danslestesticulesdedarwin.blogspot.fr/2013/03/melanine-et-racisme-scientifique.html

        Vous reconnaissez-vous dans le portrait que Ullica Sergerstral fait des psychologues évolutionnistes et de leurs critiques ?

        Pour elle, les scientifiques se répartissent entre les “planteurs” qui lancent de nouvelles idées, et les “désherbeurs”, qui passent leur temps à s’assurer qu’il n’y a pas d’erreurs dans les théories. Les psychologues évolutionnistes étant plutôt de la première catégorie et les anti de la deuxième.

  11. Merci pour votre commentaire. Je tiens plus généralement à vous remercier de prendre la peine d’intervenir dans ce type d’espace de débat, et en particulier de vous colleter à la lutte contre les pseudo-journalistes et autres faussaires de la science du style de Peggy Sastre. J’aimerais que davantage de scientifiques descendent de leur tour d’ivoire pour dénoncer les discours de ce genre, surtout lorsqu’ils instrumentalisent la pseudo-vulgarisation au service d’une idéologie pour le moins toxique.

    Je réponds d’abord à votre 1er point.
    Je ne discuterai pas du sens que Lewontin donnait à cette expression, ma critique portant seulement sur les usages qui en sont faits par d’autres.
    En l’occurrence, je conviens que ce qui suivait dans votre critique de Peggy Sastre (“Cette phrase résume à merveille […]”) oriente la compréhension de cette expression dans un sens auquel on ne peut que souscrire. Cependant, ce qui précédait votre citation de Lewontin reprenait la rhétorique dont j’ai tenté de montrer qu’elle était fallacieuse, ou tout au moins confusante, dans mon billet sur le caractère soi-disant “dépassé” du débat “inné/acquis” cité plus haut. Vous écrivez en effet : “P.Sastre se complaît dans un discours sociobiologique complètement caduque au XXIe s, etc. où elle oppose son innéisme excessif à ses adversaires fantômatiques, ces épouvantails qu’elle croit combattre et qu’elle caricature comme des environnementalistes dépassés. En fait, cette opposition n’est plus de mise, on parle de nos jours de co-variance, ce qui expédie dans le dogmatique les discours excessifs des uns comme des autres.”

    Lorsque j’écrivais que P. Sastre avait raison de dire qu’elle ne défend pas des thèses déterministes aussi grossières que celle que vous lui attribuez, je faisais référence à ce passage de votre commentaire : “Je crains que toute la portée de la réflexion et compréhension de Peggy Sastre à ce sujet ne s’arrête à ceci, en caricaturant à peine, j’ose me le permettre pour terminer : « – if l’encéphale humain a été façonné par/et sous supervision des gènes,
    – if les comportements sont régis par/dans l’encéphale humain
    conclusion = tout est génétique et déterminé.”

    Pour le dire simplement, d’un côté Sastre attaque un homme de paille pour qui “tout” serait acquis, et vous prenez soin de vous distinguer de cet homme de paille, et de l’autre vous attaquez un autre homme de paille pour qui “tout” serait inné, et Sastre prend soin de s’en distinguer. A mes yeux la discussion est stérile car chacun prête à tort à l’autre un “extrémisme” dont il ne fait pas preuve, et la formulation du débat en termes d’innéisme plus ou moins “excessif” ne permet pas d’avancer (cf mon article déjà cité ; je pense qu’il serait plus judicieux de poursuivre cette discussion sous ce dernier, le cas échéant).

  12. Concernant vos “points contestables passés”, je pensais à un passage en particulier de l’article de vulgarisation que vous avez cosigné en 1989 dans La Recherche : « L’homme descend du sexe », n°213 (numéro spécial sur la sexualité), p.994-1007. Cet article commence à sérieusement dater, mais il n’est pas passé inaperçu (certains sociologues s’appuient encore dessus, pour le meilleur ou pour le pire…). Le voici (souligné par moi):
    “La sexualisation par la testostérone concerne même les comportements puisque le rat, castré précocément, développe des comportements femelles, tandis que l’exposition de l’hypothalamus (partie inférieure du cerveau) à la testostérone induit des comportements mâles. […] La testostérone agit en particulier sur l’hypothalamus, centre cérébral essentiel de la régulation des comportements. Dans les périodes précoces, c’est cette action qui permet, chez le rat, la mise en place ultérieure des répertoires de comportement sexuel, et en particulier des comportements de cour et d’agression. On peut donc dire que le cerveau du jeune mammifère, homme compris, est sexué dès la naissance, et ne saurait être considéré comme une cire vierge à laquelle l’éducation et l’environnement attribueraient un sexe, ainsi qu’on le pensait parfois au Siècles des lumières.”

    1. Oui, je lis souvent sous votre plume “cela ne fait pas avancer le débat”… et en effet, caricaturer Peggy Sastre ne le fait pas avancer d’un pouce. Je lui renvoyais la baballe comme un garnement.
      Pour vous dire franchement, discuter posément avec Mlle Sastre ne m’inspire pas grand chose. Je voulais l’entraîner quelque part mais elle s’est défilée – et je pense que le débat le plus constructif avec Sastre (pour ce qui me concerne) serait de lui tirer les couettes et lui dire “Voilà pour toi, méchante counasse !” Rien d’autre à argumenter avec elle, ce comportement fictif et infantile est à considérer comme mon meilleur argument envers son auguste personne.
      ______________

      Pour moi, le débat inné-acquis est loin d’être clos – bien entendu il reste primordial et endémique à toute discussion et tentative de compréhension des origines et patata de traits/caractères géno-phénotypiques. C”est bien l’ambition de quantification stricte (du genre 20/80 d’inné/acquis p.e.) que voulait réfuter Lewontin, avec son analogie du rectangle. si nous sommes en phase avec ça, n’en parlons plus.
      Je reviendrai peut-être plus tard – dans l’autre topic où vous m’invitez – sur des points plus sérieux, ainsi que les paragraphes/phrases qui ont dû vous faire tiquer dans l’article en question.

  13. Faute de temps, je n’ai pas l’intention d’intervenir dans ce débat avec Quark (que je suis contente d’accueillir ici : faites comme chez vous :)).
    Je voudrais juste souligner que pour moi :
    – d’accord avec vous, bien-sûr il y a de l’ “inné” dans les comportements humains, et ce réflexe en est un bon exemple,
    – tenter de quantifier son “importance” par rapport à celle de l’ “acquis” n’a aucun sens (c’est cette version du “débat inné/acquis” qui est dépassée),
    – une autre question qui a quant à elle un sens, et qui est porteuse d’immenses enjeux politiques, est de savoir quelle est l’importance de l’ “inné” par rapport à l’ “acquis” dans les différences entre êtres humains et entre groupes humains (de sexe, ethniques…).

    1. Là Odile je ne vous suis plus quand vous dites :
      Tenter de quantifier [l’« importance » de l’innée] par rapport à celle de l’ « acquis » n’a aucun sens [mais] savoir quelle est l’importance de l’ « inné » par rapport à l’ « acquis » [aurait beaucoup du sens]…
      Je reste sans voix

  14. Bonjour,

    Bien c’est un peu un énorme homme de paille tout de même, car je n’ai a aucun moment écrit la proposition ‘homme versus animal’ en sous-entendant que l’homme est supérieur aux autres espèces ou qu’il n’est pas un animal. Mon point était qu’il y’a un distingo à faire au niveau comportemental entre l’homme et d’autres d’espèces, et même entre n’importe quelle espèce et une autre (comme le chien et le rat, ou bien la méduse et ce que vous voulez qui a un certain niveau de cognition pour que l’on puisse parler de comportement, je choisis l’homme et le rat car c’est de cela dont on parle, non ?). Je me cite pour remettre en évidence ce point :

    “Bien sûr qu’il y a un gros distingo à faire entre l’homme et l’animal, mais aussi potentiellement entre les nombreuses et très différentes espèces animales”.

    Donc libre à vous de ne retenir uniquement la première partie, mais avec la suite ça n’a plus le même sens. Bien que j’aurais dû écrire entre les ‘comportements’ mais je pensais que l’implicit était assez clair.

    Le corollaire de cette proposition était qu’il est du coup très difficile (voir presque impossible) de généraliser des comportements observés chez un animal à un autre animal comme l’homme (souvent en essayant de corréler cela une sécrétion hormonale ou autre paramètres physio/structurel dans ce type d’étude).

    “Vous avez parfaitement le loisir, c’est votre liberté et votre conscience, de considérer que les différence comportementales entre un rat et un humain sont Enoooormes ”

    Tout comme vous considérez qu’il y’a de grandes homologies de manière tout aussi subjective; enfin je vous accorde un point, ce n’est pas très intéressant.

    “Mais la question pertinente ici est, est-ce que les différences comportementales entre un rat et une méduse, ou une abeille, sont moindres pour vous qu’entre un humain et un rat ?”

    Non et c’est exactement ce que je veux dire lorsque j’écris “Bien sûr qu’il y a un gros distingo à faire entre l’homme et l’animal, mais aussi potentiellement entre les nombreuses et très différentes espèces animales” peut-être aurais-je du quadrupler l’emphase sur la seconde partie de la phrase ! Mon point est que, si vous voulez étudier le comportement humain vous utilisez l’humain, si vous étudiez le comportement de la méduse ça ne vous viendrez pas à l’esprit d’utiliser l’abeille, si ? Les problèmes qui en découlent (autres qu’éthiques) sont exposés plus loin.

    “Si non, quelle est la pertinence philosophique ou scientifique de pareille comparaison paraphylétique ”

    Absolument aucune, et c’est ce que je défends tout au long de mon message. Il est inutile de comparer les comportements entre les espèces car elles sont potentiellement trop différentes en terme d’inné biologique et/ou d’acquis, et qu’en plus de cela nous n’avons pas assez de connaissance sur le mécanismes fondamentaux d’émergences des comportements. Donc les généralisations du type ‘la testostérone chez le rongeur peut induire tel ou tel comportement alors c’est pareil chez l’homme’ sont très, très capillotractés. (recitation pour l’exergue “Et c’est bien là un des GROS problèmes de ces ‘sciences’ qui veulent évaluer l’inné vs l’acquis : comment rester relevant en réalisant une étude sur le comportement du rat pour ensuite essayer de le généraliser à l’homme ? Ces tests sont pratiquement impossibles à mener : soit vous utilisez l’homme et vous entrez en conflit avec l’aspect acquis des comportements, soit vous utilisez une autre espèce et vous perdez toute relevance car vous n’êtes même pas sûr que l’inné biologique soit le même -nous avons aucuns indice de leur fonctionnement ou de leur origine-. ” vous pouvez remplacer rat et homme par les espèces que vous voulez.)

    2nd partie

    Du reste, j’admets que cette phrase n’était pas ce que je voulais exprimer et bien peu claire (‘C’est pour cela qu’aujourd’hui il n y a aucune étude solide appuyant l’importance des mécanismes biologiques innés dans le comportement chez l’homme.’), ça m’apprendra à écrire en faisant autre chose. Oui il y a des comportements innés chez l’homme ou chez d’autres espèces c’est indiscutable, en fait je voulais rejoindre le sujet du blog en général, c’est à dire : qu’il n’y a pas d’étude solides montrant des différences comportementales innées entre les hommes/femmes (ou même homme/homme, femme/femme ayant un matériel génétique similaire) (ça ne veut pas dire qu’il n y en a pas).

    Pour résumer, mes 2 points principaux sont :

    – Il y a des différences comportementales entre toutes les espèces (humaine, non-humaine…), et nous avons aucune idée précise des mécanismes à l’origine de ces différences (ni même à l’origine des comportements en général).

    Donc

    – Faire des études comportementales chez une autre espèce pour essayer comprendre (voir de quantifier) nos propres comportements me paraît inutile, et les parallèles/généralisations qui découlent de ces études ne sont que des sur-interprétations. Cela peut donc mener à des dérive quand cela entre en conflit avec des débat de société du type homme/femme etc comme le montre régulièrement ce blog.

    1. Bonjour,

      “il est très facile d’écrire l’homme comparé au rat lorsqu’on parle du rat, au lieu de l’ »Animal ».
      Pourquoi ne pas adopter cette très saine habitude de précision dans toutes les vectorielles;-attitude qui évacue tant de malentendus et de grossiers amalgames, dans un forum où – des sujets que j’ai lus – le traitement et l’approche sont scientifiques ? ”

      Certes une de mes phrases n’étaient pas claire dans ma seconde partie, je l’ai reconnu, mais le reste c’est un procès d’intention.

      “Excusez-moi mais des homologies objectives entre le rat et l’humain, si on se proposait d’en faire une liste non exhaustive ici, on saturerait l’hébergeur rien que pour les pathologies ou la génétique, ou la sexualité…”

      Oui mais non, je parle d’homologies en terme de comportement, bien sûr qu’en terme de génétique il y’a des similarités etc… Et encore qu’aujourd’hui on remet de plus en plus en question la pertinence de ces ‘similarités’ en termes de pathologies/génétiques mais c’est un autre sujet. Une fois de plus vous me prêtez des choses que je n’ai pas dites (d’autant plus que vous parliez vous-même de similarités comportementales au départ, donc je ne vois pas ce que viennent faire les pathologies ou la génétique ici).

      ‘Et rien que pour les comportements homologues les plus basiques, on n’en finirait pas de remplir des pages et des pages HTML à perte de vue…’

      Peut-être, mais on pourrait aussi remplir des pages au sujet de ce qui diffère, bref, ce n’est pas le cœur du problème. Il existe des similarités ‘comportementales basiques’ (du type ‘les mammifères allaitent’ etc) mais ces observations évidentes macroscopiques ne sont plus ce ce qui est recherché aujourd’hui, et lorsque l’on veut essayer de caractériser des comportements plus complexes et tenter de les généraliser entre les espèces ça coince.

      Donc les questions auxquelles vous n’avez pas répondu et sont celles qui me chagrine : Est-ce que vous pensez qu’un modèle animal autre qu’humain, est un bon modèle pour étudier l’origine des comportements chez l’homme ?
      Tout comme, en général, est-ce que vous pensez que les observations comportementales faites aujourd’hui chez une espèces sont généralisables à une autre espèce ? (Ex : est-ce qu’il est sensé et sain de généraliser une observation comportementale chez le rat du type ‘effet x de la testostérone’ -> humain pareil car espèce ‘proche’) ?
      Y’aurait-il donc un distingo à faire entre les espèces ? Y comprit entre l’espèce humaine et n’importe quelle autre espèce ? Et que toute observation chez une espèce reste très fragile étant donné que les mécanismes fondamentaux des comportements sont inconnus et donc que ce genre de phrase :

      “Bien entendu, à l’époque tout un faisceau de récentes publications pointaient sur le rôle multiple de la testostérone inondant le foetus puis bébés, enfant humains comme rats, et leurs conséquences « observées » sur les rats/souris. Et cet article se devait d’en parler. Il l’a fait rapidement, tout en glissant la phrase « homme compris »”

      -> Glissant un ‘homme compris’ est une profonde erreur (pour ne pas dire autre chose de plus grossier) étant donné qu’absolument rien ne permet de l’affirmer ?

  15. Bonjour, je me permets de vous soumettre un petit documentaire s’attachant à mettre à jour les fondements biologiques de l’homosexualité: http://pluzz.francetv.fr/videos/infrarouge_,119955382.html

    Je me suis dit que ça tombait parfaitement dans la thématique du blog. L’étude sur les vervets y étant, bien sûr, évoquée 🙂 J’aimerais savoir ce que vous pensez des divers arguments mis en avant, notamment le rôle de l’épigénétique, du
    chromosome XQ28, de la place dans la fratrie ou de l’influence des hormones in utero.

    Dans tous les cas, félicitations pour votre blog !

    1. Ce que je pense des arguments mis en avant dans ce documentaire se lit en filigrane dans mes commentaires sur l’article que Le Monde lui a consacré : voir http://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2015/03/24/homo-ou-hetero-la-cle-scientifique-du-mystere_4600350_1655027.html.

      Ce documentaire s’inscrit dans l’une des logiques de demande sociale que j’ai décrites dans cet article : http://gss.revues.org/3205, à savoir la naturalisation de l’ “orientation sexuelle” en tant qu’argument en faveur de la reconnaissance sociale de l’homosexualité (un reviewer anonyme voulait me faire enlever ce passage – que j’ai malheureusement du raccourcir à cause de cela – en arguant que ça n’existait pas en France…).

      Sur les singes, en effet Jacques Balthazart déclare ceci dans le documentaire : “Par ailleurs, on a pu montrer que chez deux espèces de singes différentes, si on exposait des mâles et des femelles à ces jouets, on retrouvait cette différence sexuelle, c’est-à-dire que les mâles utilisent des jouets mobiles de type garçon, et les femelles utilisent des poupées et des peluches. Et donc, on se retrouve dans une situation où là, l’influence culturelle est impossible, puisque ces singes n’avaient jamais vu les objets qu’on leur présentait avant, et malgré tout on retrouve la même différence sexuelle qu’on retrouve chez l’homme“. No comment.

      J’ai déjà parlé de la région Xq28 du chromosome X (et de l’histoire du noyau INAH3 évoquée par Simon Levay dans le documentaire) dans l’un des premiers articles de ce blog (http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/02/09/luc-ferry-biologie-du-genre/) mais il faudra sans doute que j’y revienne car ces mythes savant sont régulièrement réactivés. J’ai malheureusement pas mal de choses à faire en ce moment, et ma priorité pour le prochain article de ce blog sera de traiter l’épouvantable émission “Les pouvoirs extraordinaires du corps humain” diffusée sur France 2 une semaine avant ce documentaire Infrarouge.

  16. Et alors ? Si on vous disait “on a prouvé scientifiquement qu’il y a des maladies dans la nature” vous vous indigneriez immédiatement de ces sales idéologues “maladistes” qui justifient qu’on abandonne toute idée de médecine ?

    Vous vous rendez coupable de sophisme naturaliste. Parce que vous ne souhaitez pas d’inégalité sexistes dans la société (ce qui est louable) vous vous sentez obligée de nier les preuves scientifique de différences innées. C’est stupide et ça vous discrédite. Pourquoi un tel acharnement à nier les faits ?

    Au contraire, si on démontre que “naturellement” les femmes aiment moins que les hommes faire carrière en politique, accumuler du pognon à l’infini, travailler au fond des mines ou mourir à la guerre, alors, si on souhaite l’égalité, il faudra prendre des mesures pour la mettre en œuvre, au lieu de s’attendre passivement à ce que ça vienne tout seul sous prétexte que “vous aimeriez” qu’il n’existe aucune différence innée. Vous n’obtiendrez rien de bon par le déni scientifique, même et surtout si vous intentions sont louables.

    C’est le sophisme naturaliste, que vous devriez combattre. Pas la science. Au contraire, vous défendez implicitement l’idée que nos sociétés devraient être basées sur des lois naturelles, si bien que si des inégalités innées sont un jour formellement démontrées, vous serez obligée d’accepter les inégalités sociales en conséquence. Mais vous êtes un danger public !

    En ce qui me concerne, la science peut prouver absolument ce qu’elle veut sur la nature, je ne suis pas créationniste, donc je ne considère pas que la nature est un modèle divin parfait pour nos sociétés. Quand je voudrai prendre une décision sur l’organisation sociétale, je voudrai la fonder sur des faits, pas sur votre mythe du bon sauvage. Et à chaque fois que la science prouvera qu’il existe des infériorités naturelle d’un sexe sur l’autre, je voudrai prendre des décisions pour les compenser, car je souhaite l’égalité, plutôt que de toutes les nier bêtement en bloc comme vous le faite, comme si tout le monde avait tort sauf vous, ce qui est à la fois épistémologiquement suicidaire et socialement contreproductif.

    1. Encore vous ? J’ai déjà répondu à vos accusations idiotes ici : http://allodoxia.odilefillod.fr/2013/10/04/sexes-mensonges-et-video-baron-cohen/#comment-1693
      Est-il besoin de (re)dire que s’il était prouvé scientifiquement que X (replacez X par ce que vous voulez), alors je prendrais en compte cette réalité ? Et je n’hésiterais pas, bien évidemment, à soutenir des mesures susceptibles de compenser des inégalités naturelles entre les sexes si je le jugeais éthiquement souhaitable. Et je ne combats pas la science, bien au contraire !

  17. J’ai eu du mal à retrouver le commentaire auquel vous répondiez alors je donne le lien pour éviter que d’autres s’y perdent comme moi : c’est http://allodoxia.odilefillod.fr/2014/07/23/camion-poupee-jeux-singes/#comment-1794.
    Je n’ai pas l’impression que la position de Quark était aussi radicale que celle que vous lui prêtez, et parler de crise d’hystérie simplement parce qu’il vous reproche d’avoir écrit “homme compris” me semble pour le moins déplacé. Ne peut-on pas, tout en admettant que les recherches sur l’animal peuvent nous éclairer y compris sur les comportements humains (je ne sais pas si c’est la position de Qark, mais c’est la mienne en tout cas), souligner qu’il n’est pas correct d’affirmer que tel mécanisme biologique constaté dans telle ou tell espèce existe aussi chez l’humain quand on est loin d’être sûr que c’est le cas ?

  18. Je rappelle l’extrait de l’article en question ayant donné lieu à cette discussion : « La sexualisation par la testostérone concerne même les comportements puisque le rat, castré précocément, développe des comportements femelles, tandis que l’exposition de l’hypothalamus ([…]) à la testostérone induit des comportements mâles. […] La testostérone agit en particulier sur l’hypothalamus, centre cérébral essentiel de la régulation des comportements. Dans les périodes précoces, c’est cette action qui permet, chez le rat, la mise en place ultérieure des répertoires de comportement sexuel, et en particulier des comportements de cour et d’agression. On peut donc dire que le cerveau du jeune mammifère, homme compris, est sexué dès la naissance, et ne saurait être considéré comme une cire vierge à laquelle l’éducation et l’environnement attribueraient un sexe, ainsi qu’on le pensait parfois au Siècles des lumières ».

    Je suis contente que vous soyez comme moi arrivé à la conclusion qu’il n’est nullement établi que le “bain hormonal” que subit le cerveau des fœtus humains a le moindre impact sur le devenir de l’humain ni de ses comportements, ni n’induit de différences cognitives ou comportementales entre les sexes. Il me paraît difficile de soutenir que le passage cité ci-dessus ne suggère pas très fortement qu’il est au contraire clair que le “bain” de testostérone “masculinise” au moins certains comportements y compris chez l’être humain… mais bon, comme vous dites c’est un point de vue.

    Comme ce sont les rats et l’hypothalamus qui sont cités dans cet extrait, je voudrais quand même aussi souligner deux choses qui montrent que même si on reste sur le plan de la “sexuation” du cerveau lui-même sans en inférer de “sexuation” des comportements, le “donc” et le “y compris” ci-dessus étaient pour le moins inappropriés :

    – alors que tout indique que la “sexuation” prénatale du cerveau du rat par la testostérone (qui ne produit pas des différences comportementales aussi larges et aussi claires que le laisse entendre cet extrait, mais passons) se produit non sous l’effet direct de la testostérone, mais après transformation de celle-ci en oestrogènes (le cerveau des femelles étant quant à lui “protégé” contre cette “masculinisation” par l’alpha-foetoprotéine se liant à leurs oestrogènes), tout indique que si d’aventure il existe un phénomène de “sexuation” prénatale du cerveau par le testostérone chez l’être humain, ça ne peut pas être par le même mécanisme (le cas échéant, l’action de la testostérone ne passerait pas par sa transformation prélable en oestrogènes – en tout cas c’est ce que pensent les chercheurs qui continuent à explorer ce type d’hypothèse chez l’humain) ;

    – il n’existe à ma connaissance aucune différence neuroanatomique entre hommes et femmes dans l’hypothalamus qui soit à ce jour identifiée comme apparaissant durant la vie prénatale.

  19. Je parle bien de la “sexuation” prénatale du cerveau du RAT, et du rat seulement. Pour répondre à votre question, il me semble clairement établi que DANS CETTE ESPECE :
    – cette “sexuation” du cerveau existe,
    – les hormones sont impliquées dans ce phénomène,
    – ça a ultérieurement une influence sur certains comportements.

    La testostérone est transformée en oestrogènes par l’aromatase. Les chercheurs du domaine considèrent qu’à la différence de l’action sur d’autres tissus, qui passe en effet par la réduction en dihydrotestostérone, dans le cerveau du rat c’est après aromatisation en oestradiol (le principal oestrogène) que la testostérone “masculinise” (ou “déféminise”, pour reprendre leur terminologie) certaines structures. C’est loin d’être un détail sans importance quand on veut souligner que l’extrapolation du rat à l’humain est pour le moins délicate, car ces mêmes chercheurs ont de très bonnes raison de penser que si d’aventure il existe une “sexuation” prénatale du cerveau humain, elle ne peut résulter du même mécanisme. L’une de ces raison est que dans le cas du syndrome d’insensibilité complète aux androgènes, les personnes XY concernées développent non seulement un corps féminin bien que leurs testicules (situés à l’interieur de l’abdomen) produisent de la testostérone, car leurs cellules ne répondent ni à la testostérone, ni à la dihydrotestostérone, mais aussi une “psychologie” dite “féminine” (elles ne développent pas plus que d’autres une identité de genre ou une orientation sexuelle atypique, par exemple). S’il existait une “masculinisation”/”déféminisation” du cerveau, avec conséquences comportementales, induite chez l’humain après aromatisation des androgènes, on devrait logiquement voir plus souvent chez ces personnes des tendances “masculines” malgré leur corps féminin car l’aromatisation des androgènes en oestrogènes fonctionne normalement chez elles.

  20. Par ailleurs je ne comprends pas bien la fin de votre commentaire car j’ignore le sens que vous donnez à l’expression “différenciation sexuelle”. L’utilisez-vous ici comme synonyme de puberté ? Si c’est le cas, alors il me faut peut-être repréciser que l’hypothèse de chercheurs tels que Simon Baron-Cohen ou bien Melissa Hines (puisqu’il est question de ses recherches à elle dans le présent billet) est que garçons et filles ont des cerveaux différents dès leur naissance, du fait de leur exposition prénatale différente à la testostérone, et que cela cause entre eux des différences cognitives et comportementales dès le départ, donc bien avant la puberté. En particulier, du fait de cette sexuation prénatale supposée du cerveau, les petites filles seraient de manière innée plus intéressées et plus sensibles aux stimuli “sociaux” que les garçons, plus attirées par les poupées, et les garçons plus attirés qu’elles par les objets, les jeux un peu brutaux ou nécessitant un plus haut degré d’activité. Du coup je ne vois pas ce que vous entendez par “remettre la théorie biomédicale dans le bon sens”… ?

  21. Je ne re-rentrerais pas dans cette histoire presque 1 an plus tard (ce n’est plus tout frais !)

    Mais pour éclaircir un peu les choses car j’ai les oreilles qui sifflent maintenant :

    “Mais votre manière radicale de NIER catégoriquement que l’étude d’un sujet animal mammifère puisse permettre de comprendre le fonctionnement commun de l’humain (et d’autres mammifères, ou vertébrés, etc.) au prorata de leurs similitudes, est assez caractérielle, trop radicale.”

    Je n’ai jamais écris une chose pareille… J’ai reconnu qu’il existait des similarités biologiques, au niveau génétique/physiopathologiques. Alors bien sûr, à partir de là, certains modèles animaux peuvent être utiles. J’ai aussi ajouté que la PERTINENCE de ces similarités étaient de plus en plus mises en doute (on a l’habitude de dire, en neuro dégénerative, qui est mon domaine, qu’on sait très très bien soigner la souris… Mais pour l’homme c’est une autre histoire ! Et c’est valable pour beaucoup d’autres conditions). Ces modèles sont utiles en première approche mais ont des limites, donc les conclusions/généralisations à partir d’une observation dans une étude, ne sont pas forcément une bonne idée (et peuvent mener à des culs de sac et beaucoup d’argent/temps perdu).

    Et c’est la même chose pour l’aspect comportemental. Vous dites qu’il y a des similarités, oui, je dis qu’il y a aussi des différences et que c’est pour cette raison qu’on ne peut généraliser aussi simplement. Il n y a pas de “négation catégorique”, juste un questionnement sur la pertinence de ces résultats – généralisations “un peu” abusives.

    Après si vous prenez les questions que je vous pose comme un procès, alors c’est un malentendu, j’essayais juste de bien comprendre votre point de vue sur la chose, point barre.

    “Ne peut-on pas, tout en admettant que les recherches sur l’animal peuvent nous éclairer y compris sur les comportements humains (je ne sais pas si c’est la position de Qark, mais c’est la mienne en tout cas), souligner qu’il n’est pas correct d’affirmer que tel mécanisme biologique constaté dans telle ou tell espèce existe aussi chez l’humain quand on est loin d’être sûr que c’est le cas ?”

    -> C’est exactement ça, merci.

  22. Bonjour,

    Je ne sais pas quel est le passage que vous avez trouvé très intéressant, et donc quelle est l’argumentation qui est pour vous non valable, car comme dans vos précédents commentaires ce que vous avez copié/collé n’est pas restitué (j’ignore pourquoi). Je suppose que vous faites référence à mon invocation du cas du syndrome d’insensibilité complète aux androgènes (AIS).

    Vous dites que je plaide (b) [= l’absence de différence comportementale associée à un facteur biologique lié au sexe] pour démontrer (a) [= l’absence de sexuation prénatale du cerveau, que celle-ci entraîne des différences comportementales ou non]. Or ça n’est ce que je fais ni de manière générale, ni dans ce passage en particulier.

    De manière générale, je ne cherche pas à démontrer (a). Comme vous, ce qui importe à mes yeux est la question de savoir s’il existe des différences comportementales induites par des phénomènes de type (a), et pas celle de savoir quels phénomènes de ce type existent ou non. Comme vous également, je “laisse les écoutilles ouvertes” concernant (a). J’irai même plus loin : il y a toutes les raisons de penser que de même qu’il existe une différence moyenne de poids à la naissance, il en existe une de volume du cerveau, par exemple, et donc qu’il existe bien une forme de “sexuation” prénatale du cerveau – même si ce vocable n’est pas nécessairement approprié en l’occurence, mais passons.

    Simplement, lorsque certain-e-s affirment que telle différence comportementale entre hommes et femmes est au moins en partie naturelle parce qu’on a découvert telle différence cérébrale entre eux, si je constate soit que ladite différence cérébrale n’est pas avérée, soit que rien ne permet d’affirmer qu’elle est naturelle (i.e. induite par des différences biologiques endogènes), alors je ne manque évidemment pas de le pointer puisque ça montre le caractère fallacieux de ce qu’affirment ces personnes. De même, lorsque certain-e-s affirment que telle différence comportementale entre hommes et femmes est au moins en partie naturelle parce qu’on a découvert, chez le rat ou chez la caille du Japon, qu’elle découle au moins en partie de telle différence cérébrale naturelle, je ne manque pas de pointer (le cas échéant) qu’on dispose d’éléments qui invalident la tentation d’extrapoler à l’humain cette découverte.

    Dans ce passage en particulier, quand j’invoque le cas des personnes avec AIS, c’est uniquement dans cette dernière logique. Ce cas invite simplement à penser, comme je l’ai dit, que s’il existe une sexuation prénatale du cerveau humain ayant des conséquences comportementales, elle ne repose certainement pas sur le même mécanisme identifié chez le rat et d’autres espèces (donc méfiance vis-à-vis de la notion de sexuation prénatale “vestigiale”…). De plus, je rappelle que ça n’est pas mon argument mais celui de leaders de ce champ de recherches, tels que Roger Gorski par exemple, qu’on ne peut pas soupçonner de chercher à démontrer qu’il n’existe pas de sexuation naturelle du cerveau puisque toutes leurs recherches visent à démontrer le contraire et à en élucider les mécanismes.

    Par ailleurs, contrairement à vous si je vous ai bien compris, pour ma part je ne pense pas qu’il existe le moindre élément (et encore moins des “éléments clairs”) permettant de penser que chez l’être humain :
    – les mouvements opérés lors du coït sont sous l’influence d’une sexuation prénatale du cerveau
    – l’existence du cycle menstruel est déterminée par une sexuation prénatale du cerveau.

  23. J’ai regardé la diffusion sur Arte d’un documentaire mal fichu sur les différences au niveau du cerveau entre hommes et femmes ; et votre article était cité dans les commentaires sur la vidéo, “pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin et avoir une meilleure information”.
    Eh bien, c’est tout à fait le cas et je vous remercie d’apporter de la lumière dans l’obscurantisme qui règne autour de la question du genre.

  24. Quelle mine d’or que cet article, et quelle joie que de savoir qu’un blog tel que le votre existe ! Votre attention au détail et votre façon d’expliquer précisément à quel moment les vulgarisateurs prennent des libertés par rapport aux études sur lesquelles ils/elles s’appuient est incroyable. Merci d’aider des personnes telles que moi, qui n’ont pas de culture scientifique dans les sciences “dures”, à ne pas tomber dans le panneau d’une mauvaise vulgarisation. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il est fâcheux que les médias se fassent le relai d’affirmations scientifiques erronées, surtout quand ces affirmations viennent appuyer des préjugés sexistes déjà trop bien ancrés dans les mentalités. Bravo encore, et merci !

  25. Merci pour votre analyse. J’avoue que ça va me faire regarder d’un autre œil les journaux et autres supports de vulgarisation scientifique…
    Comme par un fait exprès, en même temps que votre article, je tombe sur celui-ci : http://www.psypost.org/2017/12/study-finds-robust-sex-differences-childrens-toy-preferences-across-range-ages-countries-50488
    qui mène à l’étude en question : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/icd.2064/abstract
    N’ayant pas accès à la version complète (payante) ni une culture scientifique suffisante pour identifier les biais éventuels, je ne saurais dire ce qu’elle vaut…

    1. Je ne peux pas faire en quelques minutes une analyse approfondie de l’article scientifique pour répondre à vos interrogations, mais voici des éléments de réponse (NB : je n’ai pas lu l’article de vulgarisation sur psypost.org).

      Déjà, vous avez dans l’abstract un élément d’information qui permet de comprendre que vis-à-vis de la question de savoir si le sexe génétique prédispose les enfants à préférer certains jouets à d’autres (puisque c’est cela qui est en question ici), l’intérêt de cette étude est à peu près nul. En effet, elle porte sur les préférences de jouets entre les âges d’1 an et 8 ans, or au cours de la première année de vie, les enfants ont eu mille fois le temps d’être socialisés à jouer avec certains jouets plutôt que d’autres.

      Par ailleurs, on peut remarquer que l’abstract donne une indication d’effet culturel : selon les auteurs de cette méta-analyse, plus les études qu’ils ont prises en compte étaient récentes, moins la préférence des enfants pour les jouets “sexués” était marquée. Les auteurs indiquent également dans l’abstract que le temps passé par les garçons à jouer à des jouets “masculins” augmente en moyenne lorsqu’ils grandissent, alors que le phénomène équivalent n’a pas été trouvé chez les filles. Ils l’interprètent ainsi : “Ceci indique que les effets des normes sociales persistent plus longtemps chez les garçons, ou bien qu’il existe une prédisposition biologique plus forte chez les garçons à préférer certains styles de jeux”. Les auteurs rapportent aussi avoir trouvé que les garçons jouaient moins avec les jouets “masculins” quand ils étaient observés chez eux que quand ils l’étaient en laboratoire (la tendance symétrique a été observée chez les filles mais moins marquée, non statistiquement significative). [paragraphe corrigé le 5/1]

      Je signale aussi qu’un paragraphe de l’introduction donne une bonne indication de l’état des connaissances en la matière : “Les différences entre les sexes en termes de préférences d’objets des enfants proviennent peut-être de prédispositions biologiques qui sont ensuite influencées par des processus sociaux. Il est aussi possible qu’elles soient uniquement ou principalement attribuables à des facteurs sociaux. Dans les deux cas, l’impact de la socialisation est susceptible d’être modifié à mesure que la cognition se développe et que garçons et filles prennent conscience de leur appartenance à un groupe de sexe et des normes qui y sont associées.” Bien que ces auteurs indiquent clairement dans l’article (et dans l’abstract) qu’ils pensent qu’il y a une part de prédisposition biologique, ils reconnaissent donc qu’en l’état actuel des connaissances :
      – il est possible que ces préférences sexuées soient entièrement socialement construites,
      – ces préférences sont au minimum influencées par des processus sociaux.
      Les auteurs en donnent plusieurs exemples au long de l’article, tels ce passage : “Par exemple, à l’époque où Benjamin (1932) a trouvé que les filles jouaient aussi longtemps que les garçons avec un avion-jouet, on parlait d’aviatrices dans les journaux ; Amy Johnson a volé d’Angleterre en Australie en 1930, et Amelia Earhart a survolé seule l’Atlantique en 1932.”

      Pour info aussi, voici comment ils résument les études sur les singes qui selon eux, indiquent l’existence de prédispositions biologiques sexuées en termes de préférences d’objets : “les singes vervet femelles ont plus de contacts avec une poupée et une casserole que les mâles, alors que les mâles passent plus de temps que les femelles à manipuler une voiture et un ballon (Alexander & Hines, 2002), et les macaques rhésus mâles préfèrent les jouets à roues aux jouets en peluche sans roues (Hassett, Siebert, & Wallen, 2008).” Je vous laisse apprécier le degré de pertinence de ce résumé.

      Par ailleurs :
      – seules 16 études (portant en tout sur 1600 enfants) ont été incluses dans cette méta-analyse ; 15 d’entre elles (dont trois faites par des auteurs de la présente méta-analyse) ont été conduites dans des pays de culture occidentale (selon les termes de auteurs), à savoir aux USA, au Canada, en Europe ou en Israël, une l’ayant été à Hong Kong sur des enfant “d’ethnie chinoise” ; les auteurs écrivent d’ailleurs eux-mêmes (p. 22) : “une limitation de cette méta-analyse, et de ce champ de recherches de manière générale, est que la plupart des recherches ont été menées dans des pays occidentaux et que leurs résultats ne peuvent pas être extrapolés à ce qui se passe ailleurs” ;

      – les statistiques sont faites à partie des construits “jouets de type masculin” vs “jouets de type féminin” de chacune de ces 16 études, sans le détail de ce qu’étaient concrètement ces jouets et la cohérence des classifications, ce qui est quand même très embêtant si on veut en faire une interprétation en termes de prédispositions biologiques. Ils disent seulement que l’une des études, Schau et al. (1980), “incluait à la fois une maison de poupée et un mixeur en tant que jouet féminin”, que les études incluses “ont typiquement et de manière relativement systématique utilisé des poupées, du maquillage et du matériel de cuisine en tant que jouets féminins”, que “les jouets habituellement choisis comme neutres comprennent les livres et les puzzles, mais il y a un certain chevauchement entre les catégories ; par exemple, Turner, Gervai et Hinde (1993) définissent comme jouet fémninin un puzzle”, et que les études les plus anciennes ont plus volontiers que les récentes utilisé comme jouets “masculins” des objets associés à l’agression, par exemple “un fusil à fléchettes et une chemise de l’armée (Doering et al., 1989) et des figurines de combat (Servin et al., 1999)”. C’est l’une des limitations qu’ils soulignent eux-mêmes en fin d’article : “L’un des problèmes auxquels les chercheurs sont confrontés est le choix des jouets à inclure en tant que jouet sexué ou en tant que jouet neutre, ainsi que le nombre de jouets proposés aux enfants. Les jouets sexués les plus populaires sont les poupées et les véhicules, mais chacun d’entre eux se présente sous de nombreuses formes différentes ; par exemple, une poupée peut représenter un bébé, ou bien un garçon ou une fille, ou bien un homme ou une femme, et peut aussi être souple ou rigide, et être variable en termes de couleurs.”

    2. PS1 : l’âge moyen des enfants inclus dans cette méta-analyse est de presque 4 ans (43.25 mois), avec un minimum de 12 mois ; seule une étude porte sur des enfants âgés de seulement de 12 mois, menée sur 38 enfants ;

      PS2 : les tailles d’effets des différences entre filles et garçon (mesurées par le d de Cohen) trouvées dans cette méta-analyse sont d = 1.03 (g > f) pour les jeux “masculins” et d = -0.91 (g < f) pour les jeux "féminins". Sous l'hypothèse que les distributions suivent une loi normale et ont le même écart-type, ça donne pour un binôme fille-garçon pris au hasard :
      – 23 % de probabilité que la fille joue davantage avec les jouets "masculins" que le garçon,
      – 26 % de probabilité que le garçon joue davantage avec les jouets "féminins" que la fille.
      Voir par ex http://rpsychologist.com/d3/cohend/ pour le calcul de ces % et une représentation graphique des distributions.
      Au-delà du problème de définition des jouets "féminins"/"masculins"/"neutres" signalé plus haut, cela signifie notamment que dans une situation où plusieurs types de jouets sont proposés, on est loin de pouvoir dire que (toutes) "les filles" jouent plus que (tous) "les garçons" avec les jouets "féminins", ni que (tous) "les garçons" jouent plus que (toutes) "les filles" avec les jouets "masculins".

      PS3 : Les tableaux de données utilisées dans cette méta-analyse sont disponibles sur https://figshare.com/articles/Toy_Choice_Meta-analysis_Data_Table_1a/5047660 (temps passé à jouer avec les jouets "masculins") et https://figshare.com/articles/Toy_Choice_Meta-analysis_Data_Table_1b/5047663 (temps passé à jouer avec les jouets "féminins"). Des incohérences apparaissent, lorsqu'on compare les deux tables, entre certaines colonnes qui devraient normalement être identiques. Indépendamment de cela, on peut aussi remarquer que dans 5 des 16 études, les garçons ont en moyenne joué plus longtemps avec les jouets "féminins" qu'avec les "masculins", et dans 2 (autres) des 16 études, les filles ont en moyenne joué plus longtemps avec les jouets "masculins" que les "féminins".

  26. Merci pour ces analyses critiques détaillées des études tentant de justifier la «théorie du binarisme sexuel strict». Ce serait bien le seul phénomène biologique n’obéissant pas à la courbe de Gauss.
    Je ne sais pas ce qu’est la théorie du genre mais il me semble que Mme Fausto-Sterling a bien argumenté l’aspect continu du sexe (et du genre?), le tout confirmé par ce qu’on sait de la variété des effets des facteurs génétiques, chromosomiques et hormonaux.

    1. Pour mémoire, “la théorie du genre” n’existe pas : c’est l’invention de Monseigneur Anatrella, lorsqu’il était à la pointe du combat du Vatican contre la progression dans le monde des droits des femmes à disposer librement de leur corps et de l’égalité des droits entre couples homosexuels et hétérosexuels.

      C’est plutôt par Daphna Joel que l’argumentaire que vous évoquez est bien développé. Elle vient justement de publier (avec Cordelia Fine) dans le NYT une tribune allant en ce sens, s’appuyant sur ses recherches : https://www.nytimes.com/2018/12/03/opinion/male-female-brains-mosaic.html
      NB : je suis critique vis-à-vis de cette tribune (je n’ai pas l’intention d’expliquer pourquoi ici et maintenant mais tiens à le dire afin de ne pas laisser penser que j’endosse son contenu).

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