Genre et SVT : copie à revoir

Loin de propager une « théorie du genre » fantasmatique, les programmes de SVT de première fournissent le cadre d’une naturalisation du genre aussi discrète qu’incontrôlée, un cadre en outre incohérent. Suite à une surprenante réécriture du programme, des discours pour le moins ambigus, discutables, voire contraires à l’état des connaissances se sont immiscés dans les supports pédagogiques.

De nouveaux programmes en sciences de la vie et de la Terre (SVT) arrêtés en juillet 2010 sont en vigueur depuis septembre 2011 en classes de première de la filière générale [1]. Ils ont suscité une controverse liée à leur mention, dans un thème dédié à l’étude du « féminin/masculin », de la distinction entre identité et orientation sexuelles d’une part, et de l’existence de rôles et stéréotypes sexués d’autre part.

Ce sont plus exactement les développements faits dans certains manuels sur la base de ces mentions qui ont provoqué l’ire des milieux catholiques conservateurs, et à leur suite de nombreux parlementaires de droite. Convaincus que le féminin/masculin et l’orientation sexuelle sont sous le contrôle du sexe biologique, et soucieux que l’ « altérité sexuelle » et l’hétérosexualité ainsi fondées en nature restent des principes fondamentaux d’organisation de la société, ils avaient réclamé le retrait de manuels remettant partiellement en cause cette vision [2].

Leur focalisation sur l’entrée de la « théorie du genre » au lycée, dont ils avaient pour l’occasion inventé nom et contenu, a masqué un tout autre aspect des choses : somme toute établis sous l’autorité d’un ministre manifestement sensible à leur vision [3], les nouveaux programmes avaient de quoi leur plaire.

Des formulations ambigües autorisant des interprétations discutables

Remarquons tout d’abord que l’intitulé du thème (« Féminin/masculin » en 1èreS) pose d’emblée comme pertinentes, y compris du point de vue des sciences de la vie, à la fois les notions de féminité et de masculinité elles-mêmes et la dichotomie qu’elles supposent. Un intitulé tel que « Sexe, genre, procréation, sexualité » aurait été plus ouvert et moins tendancieux, d’autant que sont aussi abordés dans ce thème le « comportement sexuel humain », voire « l’influence des hormones sur le comportement sexuel des mammifères », qu’il n’est pas indifférent de présenter dans ce cadre. Ce caractère à la fois réducteur et tendancieux de l’intitulé avait été pointé par le SNES, le principal syndicat d’enseignants du second degré, mais la demande de sa modification a été rejetée [4]. Ce refus s’avère cohérent au regard du détail du programme.

En effet, il faut tout d’abord souligner que l’idée que la « féminité/masculinité » et l’« orientation sexuelle » d’un individu ne découlent pas naturellement de son sexe biologique n’y figure aucunement [5]. Au contraire, l’intitulé et le contenu du sous-thème « Devenir homme ou femme » renforcent l’amalgame entre sexe, genre et sexualité, les seules notions au programme de ce sous-thème étant « la mise en place des structures et de la fonctionnalité des appareils sexuels ». Plutôt qu’utiliser une terminologie évoquant le « on ne nait pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir en en trahissant le sens, pourquoi ne pas avoir donné à ce sous-thème un intitulé plus conforme à son contenu, tel que « Sexe biologique et différenciation anatomique et physiologique » ? Cela aurait au moins évité d’encourager les auteurs de manuels à inclure du psychologique ou du comportemental dans la description du processus biologique du « devenir homme ou femme » [6]. Car en ne distinguant pas le « sexe biologique » de l’identité de genre, voire en les confondant à travers le vocable « identité sexuelle », en n’employant jamais le terme « genre », ni les notions de « normes de genres » ou de « rôles sociaux de sexe » pour leur préférer les expressions inhabituelles et ambigües de « rôles sexuels dans la société » et « rôles en tant qu’individus sexués », le texte du programme est pour le moins compatible avec une conception naturalisante du genre, et n’est de fait pas toujours interprété dans le sens qu’on croit dans les manuels [7].

Un document destiné à éclairer les enseignants de l’académie de Strasbourg sur « ce que veut faire le programme » indique quant à lui qu’il faut informer les élèves de l’influence de facteurs non-biologiques, mais en les informant au passage de l’influence de facteurs biologiques. Il y est en effet indiqué que le comportement sexuel humain « y compris l’orientation » résulte en partie de « facteurs biologiques », et qu’il s’agit de montrer aux élèves non seulement que « ce qui détermine que l’on devient mâle ou femelle est d’ordre strictement biologique et déterminé » (l’étude des mécanismes correspondants étant au programme), mais aussi que « devenir homme ou femme repose sur un déterminisme partiellement biologique (même si ses mécanismes ne sont pas étudiés en détail) mais que ce déterminisme biologique est complété par d’autres déterminismes (dont on constate l’existence mais que l’on n’étudie pas puisqu’ils sortent du champ scientifique) : influence du milieu et de l’histoire personnelle (même chose pour presque n’importe quelle dimension du phénotype). » [8].

On doute que l’auteur-e de ce document soit bien au fait de l’état de la littérature scientifique exposant ces fameux mécanismes « pas étudiés en détail » en classe, et autres « facteurs biologiques » de l’orientation sexuelle. Car l’effectivité des hypothétiques mécanismes biologiques orientant vers certaines préférences sexuelles ou guidant le développement, selon le sexe biologique, d’un « être homme ou femme » (à définir) au-delà du simple « être mâle ou femelle » reste à démontrer [9]. Par ailleurs, même des neurobiologistes travaillant ardemment à la mise au jour de tels mécanismes admettent que l’influence (majeure) de l’environnement, loin de sortir du champ scientifique, doit être mieux prise en compte dans leurs travaux [10]. En clair, la conception du développement du genre et de l’orientation sexuelle dont l’enseignement est promu ici va dans le sens d’une naturalisation qui repose sur des aprioris plutôt que sur un consensus scientifique. Elle est pourtant parfaitement conforme au nouveau programme, de même que les propos de Luc Ferry qui avait défendu « l’enseignement du genre » en SVT en arguant que les professeurs de biologie étaient bien placés pour enseigner aux élèves que la génétique « a sa part » dans « la distorsion qui peut se produire entre l’identité et l’orientation sexuelles », ou encore que c’est « notamment » à cause de la testostérone qu’ « aucune femme ne viole un garçon de trois ans » [11].

On n’ose imaginer ce que des enseignants aux croyances et niveaux de connaissances variables, insuffisamment cadrés par un texte flou et propice au développement d’idées reçues, peuvent être amenés à raconter à leurs élèves lorsqu’ils travaillent à développer la compétence exigible indiquée au programme consistant à « différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales ce qui relève : de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société […]; de l’orientation sexuelle […]. ».

Du caractère public ou privé du sexe, du genre et de l’orientation sexuelle

Les auteurs du programme ont par ailleurs jugé bon d’introduire l’idée que l’orientation sexuelle relève de la sphère privée, de l’intimité, par opposition à l’identité sexuelle et aux « rôles en tant qu’individus sexués » relevant de la sphère publique, de l’espace social. Cette mention, qui sonne comme un rappel à l’ordre décourageant la réactualisation du slogan « le privé est politique » si productif il y a 40 ans, visait prétendument à spécifier que l’orientation sexuelle n’était « pas le sujet » du programme et à s’assurer que l’orientation sexuelle des élèves ne serait pas discutée en classe [12]. Le cas échéant, il est pour le moins maladroit d’avoir voulu transmettre ce message aux enseignants en insistant dans le programme sur le fait qu’il convenait d’inculquer cette idée aux élèves [13]. Sans préjuger des intentions réelles qui ont conduit à formuler cette idée dans le programme, on peut en effet constater :

1. qu’elle est suffisamment floue pour être interprétée, en combinaison avec les compétences exigibles formulées au programme, comme une invitation à présenter l’homosexualité comme sortant de la trajectoire normale du « devenir homme ou femme » qu’il convient de ne pas afficher dans l’espace public, et/ou dont la révélation publique est une atteinte à la dignité de la personne concernée, ou encore à poser que le sexe biologique d’une personne relève de l’espace social [14];

2. qu’elle définit une répartition public/privé et social/intime peu pertinente alors qu’en se mariant ou en se pacsant, un individu fait sortir son orientation sexuelle de la sphère intime, que chacun est censé être libre d’afficher publiquement son orientation hétéro-, homo- ou bisexuelle, et que l’orientation sexuelle est bel et bien prise en compte dans l’espace social puisque les droits des couples homo- et hétérosexuels ne sont pas les mêmes;

3. que sa présence dans un enseignement de SVT fait d’autant moins sens que la possibilité d’adopter une identité de sexe sociale (sphère publique) indépendante de son sexe anatomique (sphère privée), voire de n’en adopter aucune, relève non pas d’un donné biologique mais d’un choix de société (déjà fait dans plusieurs pays [15]).

Si l’idée était de profiter des cours de SVT pour aider à lutter contre les discriminations, conformément à la lettre de cadrage de la réforme des programmes [16], pourquoi ne pas s’en être tenu à un énoncé clair et factuel, tel que la mention du fait que les discriminations fondées sur le sexe ou sur l’orientation sexuelle sont passibles de poursuites en droit français, ou encore (ce qui mériterait d’être su davantage) que la diffamation et l’injure à caractère sexiste ou homophobe le sont aussi, au même titre que celles à caractère raciste ou antisémite ?

Un traitement questionnable de la PMA et une ouverture mal cadrée sur des questions glissantes

Le programme de 1èresL et ES prévoit également que soient abordées les techniques de procréation médicalement assistée (PMA). Notons d’abord que l’intégration de ce sujet à un thème nommé « Féminin/masculin » pose à nouveau question. Notons aussi que :
– seule la PMA utilisant des molécules de synthèse agissant sur les mécanismes hormonaux est au programme (exit donc l’insémination artificielle avec donneur, l’ICSI, ou encore la gestation pour autrui, les deux premières étant en revanche au programme de 1èreS),
– la PMA n’est présentée qu’en tant que technique s’adressant à un couple stérile [17],
ce qui pose d’emblée comme évident le choix pourtant contingent, vivement débattu en France et non partagé par nos voisins européens, de limiter la PMA au cadre de la famille « naturelle » constituée d’un couple hétérosexuel et ses enfants biologiques.

Il est en outre indiqué dans le programme que le « cadre éthique » de la PMA doit être discuté, et que les élèves doivent être capables de « discuter les limites des méthodes de maîtrise de la procréation » en s’appuyant notamment sur « l’éthique ». Comment une telle discussion concernant l’AMP peut-elle être développée correctement sur ces bases ? Le respect du programme crée dans les manuels des biais de présentation de l’AMP au regard du sexe/genre et de l’orientation sexuelle, et amène la discussion sur le terrain glissant des opinions religieuses [18]. Au-delà de ces remarques, on peut se demander s’il est vraiment judicieux de mêler à la présentation des technologies de la reproduction la discussion du « cadre éthique » de leur emploi, s’agissant non seulement de l’AMP mais aussi de la contraception et de l’IVG [19]. On peut également douter que les enseignants de SVT disposent du temps et des ressources conceptuelles et pédagogiques nécessaires à un traitement correct de ces questions aussi complexes que sensibles. Si l’on tient vraiment à initier les élèves à ces débats, les enseignants de philosophie (et les auteurs de manuels de philosophie) paraissent mieux placés pour ce faire, comme cela est suggéré dans le programme de 1èreS, mais curieusement pas dans celui de 1èresL et ES [20]. Encore faudrait-il que la présentation en SVT des techniques de PMA et des techniques de contraception [21] ne soit pas biaisée de telle sorte que la discussion ne porte que sur les bases « éthiques » d’une limitation du droit des femmes, et d’elles seules, à disposer de leur corps pour éviter ou tenter de procréer.

Sexualité et « bases » ou « influences » biologiques

Dans les séries ES et L comme en S, le thème féminin/masculin est divisé en trois sous-thèmes. Les deux premiers traitent des notions de sexe biologique, de physiologie de la reproduction, des technologies de la reproduction et des IST, avec des contenus similaires (quoique sous des intitulés distincts, significatifs des différences d’approches des auteurs respectifs des programme de ES-L et de S [22]). Le troisième sous-thème adresse quant à lui la sexualité, mais sous deux angles différents qui n’ont pas du tout les mêmes implications.

En effet, on se contente en 1èreS de mettre en lien « sexualité et bases biologiques du plaisir » (c’est l’intitulé du sous-thème), en expliquant seulement que « l’activité sexuelle est associée au plaisir », celui-ci reposant « notamment sur des phénomènes biologiques, en particulier l’activation dans le cerveau des “systèmes de récompense” ». L’intégration au programme de ce sujet inédit en SVT et sans rapport avec le reste du thème « Féminin, masculin » paraît surprenante. Elle s’explique au moins en partie par la volonté de rectifier l’éducation des adolescents utilisant la pornographie pour se renseigner sur ce qui donne du plaisir aux femmes, et ainsi de contribuer peut-être à réduire la fréquence des agressions sexuelles subies par les jeunes filles, l’idée étant d’expliquer que le plaisir sexuel naît en dernier lieu non pas mécaniquement de la stimulation de telle ou telle région périphérique mais d’une élaboration cérébrale [23].

Si l’intention est louable, on peut regretter le parti-pris ayant conduit à focaliser l’enseignement sur le circuit cérébral de la récompense, et ce bien que les enseignants aient signalé que c’était difficilement abordable même en 1èreS [24]. Car outre le fait que ce circuit peut être présenté dans les manuels comme le substrat biologique d’un processus très mécanique et automatique de production du plaisir et du désir sexuels [25], connaître son existence n’empêchera aucun adolescent de constater qu’une stimulation sensorielle très localisée peut suffire à procurer du plaisir, ou encore de croire les experts médiatiques rabâchant à l’envi que tout cela fonctionne de manière plus automatique chez les hommes que chez les femmes.

Dans une optique de lutte contre les idées reçues concernant les bases biologiques du plaisir sexuel, il aurait peut-être été plus utile de parler aux élèves de l’anatomie méconnue du clitoris (très mal représenté dans les manuels, voire absent [26]), de son fonctionnement érectile similaire à celui du pénis, de son rôle en général central dans l’accès à l’orgasme, et pourquoi pas de l’effet positif de la masturbation, chez les filles comme chez les garçons, sur le développement de capacités orgasmiques.

Mais passons : ce qui m’intéresse ici plus particulièrement est le contenu bien différent du programme de 1èresL et ES. Dans ce dernier en effet, le troisième sous-thème est intitulé « Vivre sa sexualité » et traite non pas des bases biologiques du plaisir sexuel, mais des facteurs notamment biologiques influençant le comportement sexuel. L’objectif est donc ici d’expliquer aux élèves non pas comment naît le plaisir, mais ce qui fait qu’on adopte tel ou tel comportement sexuel. On peut légitimement se demander ce qui justifie une telle différence de logique entre les deux programmes, mais aussi et surtout s’étonner de la différence de contenu associée à laquelle je viens maintenant.

L’influence des hormones sur les comportements sexuels enseignée (ou pas)

L’ancien programme de SVT de la série S traitait de l’œstrus et du rut chez les mammifères non hominidés, ainsi que de la dissociation partielle entre comportement sexuel et activité hormonale chez l’Homme [27]. Le nouveau programme de la série S ne contient plus aucune mention de l’influence des hormones sur les comportements sexuels, et les manuels ont été adaptés en ce sens [28]. A l’inverse, le programme des 1èresL et ES voit l’introduction des notions suivantes : « Le comportement sexuel chez les mammifères est contrôlé, entre autres, par les hormones et le système de récompense. Au cours de l’évolution, l’influence hormonale dans le contrôle du comportement de reproduction diminue, et corrélativement le système de récompense devient prépondérant dans la sexualité de l’Homme et plus généralement des primates hominoïdes. »

On peut se demander en quoi la connaissance du contrôle du comportement sexuel des mammifères par les hormones est indispensable à un élève de 1èresL et ES (mais pas de 1èreS) pour « parfaire [son] éducation à la sexualité » et ainsi permettre la « prise en charge de façon responsable de sa vie sexuelle », objectif du thème « Féminin/masculin » selon le programme. Apparemment, le but était non pas de faire étudier en détail l’influence des hormones, mais au contraire de mettre en lumière le fait qu’elles n’étaient plus importantes dans la sexualité humaine [29]. Le cas échéant, c’est encore une fois bien maladroitement que cette idée a été insérée dans le programme. Car les seules compétences exigibles associées au sous-thème « Vivre sa sexualité » sont « Etablir l’influence des hormones sur le comportement sexuel des mammifères », et « Identifier les structures cérébrales qui participent aux processus de récompense à partir de données médicales et expérimentales ». De ce fait, ces deux facteurs biologiques sont autant développés l’un que l’autre dans les manuels, qui ont interprété à leur façon la notion de diminution de l’influence hormonale au cours de l’évolution et le rapprochement fait entre l’Homme et les primates hominoïdes.

Des digressions fantaisistes sur l’influence des hormones

Disons-le tout net : sur ce sujet, le contenu des manuels est loin d’être en phase avec l’objectif fixé par le programme de « fournir à l’élève des connaissances scientifiques clairement établies, qui ne laissent de place ni aux informations erronées sur le fonctionnement de son corps ni aux préjugés ».

Le cas le plus extrême est sans doute celui du manuel Nathan, qui affirme que chez l’Homme :
– les œstrogènes exercent une influence sur le système de récompense et par conséquent sur nos « comportements instinctifs », dont la « genèse » est localisée dans l’hypothalamus, parmi lesquels figurent « la faim, la soif et la reproduction »,
– le cortex, « siège » du langage, du raisonnement, de la conscience et de l’imagination, ne fait que « gouverner » ces « comportements primitifs », et est d’ailleurs lui-même aussi sous l’influence des œstrogènes (moins importante, mais quand même) [30].
Est-il utile de signaler que cette description associant théorie modulaire de l’esprit, concepts d’un autre temps et extrapolation libre de données relatives au rat femelle est plus que spéculative ? Elle est en outre complétée par une présentation ultra-minimaliste de l’influence du contexte culturel et éducatif, celui-ci n’étant cité qu’en tant qu’un des déterminants des facteurs affectifs et cognitifs qui influencent le comportement sexuel humain, dont les auteurs du manuel cherchent manifestement à faire croire que sans influence culturelle ou intervention éducative contraire, il se développe naturellement en un comportement instinctif de coït hétérosexuel [31].

Bien que moins fantaisiste, le manuel Bordas présente également des contenus discutables. Dans le chapitre « Vivre sa sexualité », après une page consacrée au contrôle hormonal des comportements sexuels chez les mammifères non primates, une page regroupe deux encadrés sous le titre « Une influence hormonale modérée chez les primates ». Le premier encadré (Doc.3, p. 181) explique qu’il existe un lien entre testostérone et fréquence des actes sexuels chez les mâles bonobo, et entre ovulation et pic d’activités sexuelles chez les femelles bonobo, précisant que le bonobo est « proche de l’Homme ». L’encadré suivant (Doc. 4, p.181) présente le rôle des hormones chez l’Homme de manière très semblable à ce qui est décrit chez le bonobo : deux graphiques tirés d’études scientifiques présentent d’un côté un lien entre testostérone et fréquence des fantasmes et rapports sexuels « chez l’homme », de l’autre un lien entre ovulation et fréquence des rapports sexuels « chez la femme ». Concernant le premier graphique, disons a minima qu’il aurait nécessité un commentaire car son interprétation n’est pas du tout évidente. Le second graphique mérite qu’on si penche d’autant plus qu’il est accompagné d’une suggestion de « piste d’exploitation » concernant « l’action des hormones sexuelles dans le déclenchement des comportements sexuels chez l’Homme » : « Pour l’étude faite chez la femme (doc. 4), on mettra en relation les résultats présentés ici avec les courbes hormonales de la page 152 ».
Il est déjà lamentable de suggérer que la mise en relation de ces deux courbes permet de dire quoi que soit concernant l’action des hormones, alors qu’il conviendrait au contraire d’alerter les élèves sur le fait que les conclusions hâtives (fréquemment) tirées de ce type de corrélation sont nulles et non avenues (une corrélation ne permet pas de conclure à l’existence d’un lien de causalité, et encore moins d’en déterminer le sens). Mais c’est d’autant plus grave qu’en l’occurrence :
– le graphique de l’article scientifique d’origine a été simplifié de telle sorte qu’il ne représente pas ce qu’indique sa légende, ce qui le fausse et oriente son interprétation [32],
– les auteurs de cette étude scientifique avaient souligné qu’elle ne permettait pas de conclure à une influence des hormones sur l’appétence sexuelle des femmes, et qu’au moins deux hypothèses alternatives pouvaient expliquer leurs observations [33],
– cette étude ne traduit pas l’état (non consensuel) des connaissances sur ce sujet [34].

Cerise sur le gâteau, dans le Thém@doc « vivre sa sexualité » mis en ligne par le Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP) pour aider les enseignants à traiter ce sous-thème du programme, un graphique similaire est utilisé et commenté de manière extrêmement peu rigoureuse, invitant les enseignants à en faire l’interprétation incorrecte qui n’était que suggérée par le manuel. En effet, dans ce document :
– ce graphique indûment simplifié est encore plus mal présenté que dans le manuel Bordas, sans préciser qu’il porte sur 68 femmes seulement, avec pour seule légende « Hormones et activités sexuelles chez la femme » et servant à affirmer que « la fréquence des activités sexuelles de la femme est plus importante durant la période périovulatoire »;
– il est affirmé à tort qu’il « met en évidence » l’existence d’une influence de « la variation de concentration hormonale » sur « les activités sexuelles de la femme » (or outre le fait que la corrélation n’implique pas causalité, une abondante littérature scientifique a montré qu’une corrélation avec le jour du cycle n’est pas équivalente à une corrélation avec la variation de concentration hormonale);
– il n’est pas fait mention de l’existence de données contradictoires et d’un débat scientifique sur cette question, pourtant bien mis en évidence dans une des sources citées [35].
L’auteur de ce document et ceux de ce passage du manuel Bordas (qui se trouvent être des hommes) ne sont manifestement pas conscients du fait que ces théories concernant le cycle menstruel, qu’ils ont choisi de relayer bien que connaissant l’existence de données contradictoires, sont informées par des croyances reflétant une culture patriarcale plus qu’une quelconque réalité [36].

Le manuel Belin n’est pas en reste, qui après avoir illustré le contrôle hormonal du comportement sexuel avec l’exemple de la lordose chez la rate, explique que ce type de « comportement “précablé” dans le cerveau est contrôlé par les hormones, les phéromones et des réflexes sexuels innés » et qu’ « au cours de l’évolution des primates, l’influence des hormones et des phéromones diminue », puis suggère à titre d’exercice de « montrer que le comportement sexuel humain ne dépend pas seulement de réflexes sexuels comme chez la rate, mais aussi du système de récompense. » (p. 137). Plutôt que de proposer un exercice formulé ainsi, on aurait bien aimé que les auteurs du manuel précisent, afin d’éviter tout malentendu, qu’il n’existe chez l’Homme aucun réflexe sexuel moteur assimilable à la lordose. Les auteurs en rajoutent une couche en indiquant concernant le « comportement sexuel des primates et des humains » que « si les hormones ont un rôle indéniable, son contrôle est surtout cérébral » (p.138). Mais quel est donc ce rôle indéniable ? Mystère.

L’absence de consensus scientifique sur la question de savoir si les hormones gonadiques ont une influence, via une action dans le cerveau, sur les comportements sexuels humains [37], transparaît à travers les écarts considérables entre manuels sur ce point. Ainsi, contrastant avec ceux que nous venons de voir, le manuel Hachette (p.168-173) pose d’abord que dans l’espèce humaine « et plus généralement chez les primates, le comportement sexuel se distingue des autres mammifères par la recherche du plaisir », et reproduit sans l’affaiblir la mention suivante du programme : « les facteurs affectifs et cognitifs, et surtout le contexte culturel, ont une influence majeure sur le comportement sexuel humain ». Concernant le rôle des hormones dans la sexualité humaine, le manuel s’en tient à la citation des phrases du programme, sans aucun développement hormis la précision, pertinente et utile pour couper court aux fantasmes concernant la « castration chimique », que le système hormonal est « facultatif » pour la production du comportement sexuel humain. On ne trouve dans ce manuel ni schéma montrant l’action des hormones dans le cerveau, ni exemple de leurs effets sur les comportements sexuels de primates (seuls sont utilisés des rongeurs et des ovins).

On ne trouve pas non plus chez Hachette de mention des phéromones. Car certains auteurs de manuels ont mis un tel soin à présenter les déterminants du comportement sexuel humain dans la continuité de celui des mammifères non primates qu’ils introduisent cette notion (qui n’est pas au programme), en indiquant que l’influence des phéromones « diminue » au cours de l’évolution des primates (cf Belin cité plus haut), voire en présentant au conditionnel l’importance des mécanismes de renforcement mais à l’indicatif le rôle des phéromones (cf Bordas cité dans la note [44]). Quitte à mentionner celles-ci, il aurait été utile d’informer les élèves qu’en l’état actuel des connaissances, les phéromones n’existent pas chez l’Homme (comme chez nombre de primates), ce qui leur permettrait de prendre une saine distance critique vis-à-vis de professionnels de la vulgarisation affirmant, par exemple, que la copuline sécrétée par les femmes les rend plus séduisantes aux yeux des hommes et fait augmenter chez eux « la testostérone, hormone du désir » [38].

Une présentation biaisée des études animales

Même lorsqu’on en reste à l’influence des hormones sur le comportement animal, les approximations et contradictions entre manuels sont légion, ce qui révèle entre autres la complexité de cette question. Car l’influence des hormones, de même que les mécanismes biologiques de leur action sur le cerveau, sont complexes et variables selon les espèces : les œstrogènes peuvent favoriser le comportement reproducteur mâle, les androgènes le comportement reproducteur femelle, les effets des hormones ovariennes dépendent des espèces, etc [39]. Par ailleurs, les comportements sexuels normaux même chez les non primates ne sont pas aussi stéréotypés qu’on pourrait le croire : la lordose existe aussi chez le rat mâle, et peut aussi s’« apprendre», il est habituel chez les béliers dominants de monter d’autres mâles (et chez les subordonnés de se laisser monter), chez les souris au contraire, si l’attirance vers les congénères d’un sexe ou de l’autre est sexuellement dimorphique, le comportement de monte ne l’est pas, etc [40].

Or plutôt que de signaler cette complexité et cette diversité, les auteurs des manuels ont généralement préféré, peut-être du fait que cette partie du programme était à traiter dans le cadre du « féminin/masculin », donner une image faussement univoque et dichotomique de l’influence des hormones sur le comportement sexuel des mammifères. Ainsi, les manuels Belin (p. 136-137), Bordas (p. 180-181) et Nathan (p. 192) en présentent en chœur une vision largement caricaturale : d’un côté les mâles montent les femelles, et ce comportement est contrôlé par la testostérone, de l’autre les femelles se montrent réceptives aux mâles (voire « acceptent » leurs « avances » chez Bordas !), et ce comportement est contrôlé par les hormones ovariennes. Ces manuels laissent ainsi croire à tort que les mécanismes hormonaux de contrôle des comportements sexuels « féminins » et « masculins » sont identiques dans toutes les espèces et se sont seulement affaiblis chez les primates et chez l’Homme.

Certaines incohérences entre manuels sont significatives du manque de maîtrise de ces notions par leurs auteurs. Par exemple, si selon Nathan il n’y a pas de « site d’action des œstrogènes » dans le cortex préfrontal du rat femelle, selon Belin il existe des zones « riches en récepteurs à l’œstradiol » un peu partout dans son cerveau, y compris dans le cortex préfrontal (voir l’image ci-dessous).

Les contenus problématiques ne le sont pas toujours parce qu’ils véhiculent des théories incertaines ou incorrectes mais peuvent l’être aussi par leur caractère allusif. Ainsi le manuel Belin, qui réunit deux sous-thèmes du programme en un seul chapitre intitulé « Devenir homme ou femme et vivre sa sexualité » (ce qui n’est pas neutre), précise dans la légende du schéma montrant les zones riches en récepteurs à l’œstradiol du cerveau de la rate que « ce type de récepteurs existe aussi chez les primates » : qu’est-ce que les élèves sont censés faire de cette précision ? De même, dans un encadré intitulé « Evolution des concentrations d’hormones et de l’activité sexuelle chez les femelles de trois espèces » (p. 136), il montre trois graphiques superposant les variations des niveaux d’œstradiol et de progestérone et les périodes d’activité sexuelle chez les femelles rat, macaque et bonobo, et précise dans le commentaire : « Le cycle de la femme est proche de celui du bonobo femelle ». Les élèves sont-ils censés comprendre que la proximité des variations hormonales des femelles bonobos et de celles des femmes permet de déduire quelque chose concernant l’activité sexuelle de ces dernières ? Ou encore que la notion de « cycle » est pertinente pour décrire l’activité sexuelle de « la femme » ?

Il faut également noter que la plupart des manuels insistent spécifiquement sur les effets des œstrogènes et présentent les comportements mâles et femelles de manière assez asymétrique. A contrario, dans le manuel Hachette qui comme on l’a vu se distingue par son approche précautionneuse de l’influence des hormones sur les comportements sexuels, les exemples d’effet des hormones sur les comportements des mammifères (non primates uniquement) sont systématiquement présentés par deux (l’un sur les mâles et l’autre sur les femelles), de manière symétrique, et le comportement des femelles n’est pas toujours associé aux œstrogènes [41].

Et dire que tout a failli être très différent…

Tous ces discours non rigoureux et tendancieux sur l’influence des hormones gonadiques n’auraient pas fait leur apparition si le programme de 1èresL et ES avait tout simplement été en ligne avec celui de 1èreS. Mais il y a plus : il s’avère que le programme initialement conçu par le groupe d’experts et soumis à la consultation nationale le 3 mai 2010 avait un contenu radicalement différent. Car le sous-thème « vivre sa sexualité », et avec lui les histoires d’hormones et de système de récompense, était tout simplement absent. A la place, le sous-thème « Devenir homme ou femme » était augmenté du contenu suivant :
« Hormis quelques rares régions du cerveau (hypothalamus), les différences anatomiques et physiologiques dues à l’influence des hormones sexuelles entre les cerveaux masculin et féminin ne sont pas plus importantes que les différences entre individus de même sexe. Même si les gènes et les hormones participent au développement du cerveau comme chez toutes les espèces de mammifères, les circuits neuronaux de l’Homme se construisent au gré de l’histoire personnelle de chacun, à partir des interactions avec l’environnement, permettant ainsi des comportements individuels d’une extrême complexité. »

Ce contenu, qui donnait davantage de sens à l’intitulé du sous-thème, donnait également du sens à la « compétence exigible » prévue dans ce cadre consistant à différencier « à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales » ce qui relève de l’identité sexuelle, des rôles, des stéréotypes, etc. Il était en outre associé à une autre compétence exigible fort intéressante : « Discuter la validité scientifique et le caractère parfois idéologique des opinions visant à différencier un cerveau masculin d’un cerveau féminin ». Sans préjuger des raisons et circonstances exactes de cet incroyable revirement, que je ne suis pas parvenue à éclaircir entièrement, on peut semble-t-il au moins éliminer l’hypothèse d’une critique émise par les inspecteurs et enseignants de SVT sur cette partie du programme [42].

Il n’y a pas que le programme qui aurait pu être bien différent. Car il faut à ce stade signaler le rôle central joué par la thèse d’un individu singulier dans la propagation de la théorie de la diminution, assortie de l’affirmation de sa non disparition chez l’Homme, de l’influence des hormones gonadiques sur les comportements sexuels au cours de l’évolution : cité notamment par le manuel Belin en tant que « chercheur en neurosciences et en sexologie » (ce qui n’est, disons, pas exactement le cas) [43], par le manuel Bordas, par le document de l’académie de Strasbourg vu plus haut, mais aussi auteur du Thém@doc « vivre sa sexualité » du CNDP et possible inspirateur du programme lui-même, il s’avère omniprésent [44]. Il ne s’agit pas ici de cibler cette personne ou de mettre en question la pertinence de sa thèse, mais plutôt de souligner la fragilité du processus ayant amené à se baser sur cette thèse pour produire un discours légitimé par son inclusion dans des ressources pédagogiques de premier plan, de surcroît en n’en retenant que les aspects compatibles avec une vision normative de la sexualité et en mettant en exergue un point (l’influence des hormones) qui ne constituait qu’un détail survolé dans cette thèse, exposant de ce fait une hypothèse mal étayée plutôt que des faits trop dérangeants [45].

Le changement, c’est urgent !

Quoique discutable et non dénuée de nombre des défauts de la version finale, la version initiale du programme de 1èresL et ES avait au moins trois mérites. D’une part, elle introduisait dans la culture scientifique des élèves deux connaissances de base dont la première est importante bien au-delà des questions de sexe/genre : la plasticité cérébrale, et l’ampleur des différences entre individus de même sexe. D’autre part, elle invitait à discuter la validité scientifique de certaines données, car comme l’exposé des objectifs de l’enseignement des sciences le rappelle en introduction du programme, « contrairement à la pensée dogmatique, la science n’est pas faite de vérités révélées intangibles », et il est important de former les futurs citoyens à « évaluer la pertinence scientifique (distinguer le prouvé du probable ou de l’incertain) » des méthodes d’analyse utilisées et des données obtenues. Enfin, elle attirait l’attention sur le caractère parfois idéologique des discours visant à différencier un cerveau masculin d’un cerveau féminin.

Elle permettait ainsi aux élèves de mettre à distance le mythe savant selon lequel les êtres humains développent, selon un programme biologique défini par leur sexe chromosomique, un ensemble de caractéristiques constitutives d’une psychologie soit « féminine », soit « masculine ». Elle leur permettait également de comprendre que les études montrant des différences moyennes entre hommes et femmes ne permettent en aucun cas de conclure à un effet biologique du sexe chromosomique ou gonadique. Elle poussait enfin, de manière plus générale, au développement d’un esprit critique chez les élèves massivement confrontés – sur ces sujets notamment – à des comptes rendus déformés des résultats de la recherche scientifique, que ce soit via Internet ou via des supports censément fiables, par la bouche de quidams ou d’intermédiaires « légitimes ».

Outre ses défauts structurels, le programme actuel n’a aucun de ces mérites. Il suscite au contraire la propagation, sous couvert de transmission de connaissances scientifiques, de notions douteuses et de raisonnements erronés confortant certains stéréotypes en même temps que certaines visions normatives de la sexualité et de la procréation. Mon enquête et mes échanges avec divers concepteurs du programme ou des supports pédagogiques qui l’accompagnent m’amènent à penser que les principales causes de ces décalages et dérapages ont été la peur de choquer (notamment l’enseignement catholique, qui représente une part non négligeable du marché des manuels scolaires), et surtout leurs propres croyances concernant les effets psychotropes des hormones gonadiques et les différences entre hommes et femmes (non spécialistes de ces sujets, ils ont notamment été influencés par ce qu’ils en ont ouï dire durant leurs propres études puis via la littérature de vulgarisation). On ne peut attendre des éditeurs des manuels concernés qu’ils rectifient spontanément le tir : c’est le programme qu’il faut modifier, au plus vite.

Odile Fillod
__________________________
Notes

[1] Textes définissant les programmes de SVT des classes de première et terminale de la filière générale :
– Avant la réforme : 1èresL et ES = annexe de l’Arrêté du 9 août 2000 (B.O. hors série n° 7 du 31 août 2000, en ligne ici); 1èreS = annexe de l’Arrêté du 1er juillet 2002 (en ligne ici); terminale S = annexe de l’Arrêté du 20 juillet 2001 (B.O. hors série n° 5 du 30 août 2001, en ligne ici).
– Après la réforme : 1èresL et ES = Arrêté du 21 juillet 2010 (en ligne ici); 1èreS = Arrêté du 21 juillet 2010 (en ligne ici); terminale S = Arrêté du 12 juillet 2011 (en ligne ici).

[2] Les documents suivants retracent la mobilisation contre la « théorie du genre » au lycée en quelques dates clés et fournissent un bon aperçu de ses sources et argumentaires : 20 mai 2011, « Le gender au programme des lycées : ce qui attend vos enfants à la rentrée ! », en ligne sur http://www.evangelium-vitae.org/actualite/1448/le-gender-au-programme-des-lycees–ce-qui-attend-vos-enfants-a-la-rentree-.htm; 30 mai 2011, Gérard Leclerc, « La théorie du Gender au lycée », en ligne sur http://www.france-catholique.fr/Objection-de-conscience,7171.html (NB : texte cité par Christian Vanneste puis Dominique Dord dans leurs questions au gouvernement, et à nouveau dans la lettre adressée à Luc Chatel par 80 députés); 31 mai 2011, « Lycée : Boutin contre la théorie du gender », en ligne sur http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/05/31/97001-20110531FILWWW00705-lycee-boutin-contre-la-theorie-du-gender.php; JO du 7 juin 2011 et du 19 juillet 2011, questions écrites n°110338 de M.Christian Vanneste, puis n°114571 de M.Dominique Dord au ministre de l’Education nationale, texte des questions (et de la réponse publiée au JO du 17 janvier 2012) en ligne sur http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-110338QE.htm et http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-114571QE.htm; 30 août 2011, lettre adressée à Luc Chatel par 80 députés, texte et liste des signataires en ligne ici; fin août 2011, publication de Gender – La controverse par le Conseil pontifical pour la famille (voir le résumé par l’éditeur ici). Hormis la préface de Tony Anatrella, il s’agit de la réédition de textes déjà publiés en 2005 dans le Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, traduction de Lexicon. Termini ambigui e discussi su famiglia, vita e questioni etiche publié en Italie en 2003 (sauf le texte de Xavier Lacroix, propre à l’édition française).

[3] Sous la pression des mêmes milieux, Luc Chatel s’est opposé en février 2010 à la projection dans les écoles d’un film d’animation (Le Baiser de la lune) conçu pour les enfants de CM1/CM2 dans le cadre de la lutte contre l’homophobie. Lors de la controverse sur les manuels de SVT, il a accueilli favorablement la demande d’intervention des pouvoirs publics pour faire retirer la « théorie du genre » des manuels en déclarant en septembre 2011 qu’il « verrait d’un très bon œil » la mise en place d’une mission d’information parlementaire sur le sujet (proposée par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale), et en chargeant début octobre 2011 l’Inspecteur général de l’éducation nationale d’une mission sur les manuels.

[4] Cf http://www.snes.edu/Consultation-sur-les-programmes-de,19203.html, 4 mai 2010 : « Le titre de ce thème nous semble un peu réducteur, pour ne pas dire démodé. La question qui se pose est davantage celle du genre : “masculin / féminin” enferme dans une représentation conventionnelle des sexes qui n’ouvre pas vers le respect des orientations sexuelles. ». Les nouveaux programmes de 1ère dont il est ici question ont été soumis à un processus de consultation nationale du 3 au 28 mai 2010, à discussion par la Commission Spécialisée des Lycées (CSL) le 23 juin, et au vote d’un avis par le Conseil Supérieur de l’Education (CSE). Le SNES est membre de la CSL et du CSE. Cette remarque du SNES n’a pas été prise en compte alors qu’une autre portant sur le lien qui était fait entre plaisir sexuel et drogue l’a été (la phrase correspondante a été supprimée du programme).

[5] L’influence du contexte culturel n’est mentionnée que dans le programme de 1ères L et ES, et ce uniquement sur le « comportement sexuel ». Il n’est en outre pas précisé si la notion de « comportement sexuel » inclut ici l’ « orientation sexuelle ».

[6] Exemples (soulignés par moi) :
– cf Sciences 1reES-L, Hatier, 2011, p.182 dans le paragraphe « Être homme ou femme » : « D’un point de vue biologique, l’identité sexuelle est en principe bien définie. Un homme ou une femme se distinguent par : – des caractéristiques chromosomiques […] ; – des caractéristiques anatomiques […] ; – des caractéristiques physiologiques […] ; – des caractéristiques morphologiques […]. Hommes et femmes peuvent aussi se distinguer par des caractéristiques comportementales. Notre société a aussi des codes dans ce domaine, et ils peuvent avoir une influence. »;
– cf Sciences 1reL-ES,Bordas, 2011, qui p.175 inclut les transformations « psychologiques » parmi les transformations correspondant à la mise en place du sexe phénotypique « provoquées par une augmentation importante de la sécrétion des hormones sexuelles ».

[7] Dans le chapeau du thème « Féminin/masculin » du programme, on peut lire qu’à l’issue de cet enseignement, « l’élève devrait être capable d’expliquer […] le déterminisme génétique et hormonal du sexe biologique, et de différencier ainsi identité et orientation sexuelles ». Dans les « compétences exigibles », le programme mentionne le fait de différencier « ce qui relève : – de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société […]; – de l’orientation sexuelle ». Ces phrases peuvent à la limite être comprises comme invitant à différencier l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle du sexe biologique. Mais elles peuvent aussi être (et semblent le plus souvent) comprises comme invitant à différencier l’orientation sexuelle de l’identité sexuelle et du sexe biologique, l’identité sexuelle étant alors éventuellement confondue avec le sexe biologique et/ou le genre.
Exemples de développements en ce sens dans des manuels :
– cf les passages cités dans la note précédente;
– cf Sciences 1resL/ES, Hachette, 2011 (bien qu’on trouve aussi des mentions pouvant être interprétées dans l’autre sens en début de p. 170 et en p.171), qui présente en fin de p.170 le cas de l’athlète Caster Semanya, « suspectée d’être hermaphrodite » [sic], dans un paragraphe intitulé « L’identité sexuelle en débat » (or c’est son sexe biologique qui a fait débat); par ailleurs, on peut lire p. 172 : « Le sexe biologique est caractérisé par une série d’attributs : génétiques, gonadiques et hormonaux. Il fixe un sexe femelle ou mâle et confère à l’individu une identité sexuelle. Cette identité sexuelle est un élément qui relève de l’espace social. De plus, chaque société produit des stéréotypes sur les rôles des individus sexués. »;
– cf Sciences 1reL-ES,Bordas, 2011, qui p.175 définit l’identité sexuelle comme étant le « genre, masculin ou féminin » dans lequel « chacun de nous est socialement reconnu », et qui utilise le vocable « genre biologique » ( !) au sujet des personnes transsexuelles;
– cf Sciences 1reL,ES, Belin, 2011, p.140 : « Chez l’Homme, il existe deux aspects complémentaires de la sexualité : l’identité sexuelle, qui correspond au genre (masculin ou féminin) et relève de l’espace social, et l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité de la personne. ».

[8] Pages 24 et 25 dans la présentation du nouveau programme des séries L et ES sur le portail de l’Education nationale en Alsace (académie de Strasbourg), document finalisé le 18 juin 2011, en ligne sur http://www-zope.ac-strasbourg.fr, consulté le 15/07/2012.

[9] Rebecca Jordan-Young a bien mis en évidence les contradictions et impasses de la théorie hormonale de l’organisation prénatale du cerveau dans Brain storm – The flaws in the science of sex differences (Harvard University Press, 2010). Pour quelques éléments de réflexion sur l’instinct maternel, les facteurs biologiques de l’homosexualité, la théorie de la latéralisation prénatale par la testostérone, le lien entre testostérone circulant et l’agressivité, ou encore le lien entre hormones ovariennes et sensibilité à la douleur, voir http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/03/12/maternite-science-feminisme/, http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/05/07/ocytocine-et-instinct-maternel/, http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/02/09/luc-ferry-biologie-du-genre/, http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/06/20/genre-evolution-testosterone/, http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/06/24/inegalites-dans-la-douleur/.

[10] Deux neurobiologistes qui tentent depuis plusieurs décennies d’objectiver et d’expliquer biologiquement les différences cérébrales et comportementales entre les sexes, réaffirmant que cette voie de recherche leur semble pertinente mais prenant acte du fait que la théorie simpliste de la différenciation sexuelle qui a dominé le XXème siècle doit être abandonnée, viennent eux-mêmes de l’admettre : « Les théories biologiques de la différenciation sexuelle ont largement minimisé ou même exclu les effets différentiels des environnements sexo-spécifiques. […] Les différences d’environnement selon le sexe ont probablement des effets majeurs sur la biologie cérébrale, […]. L’effet de l’environnement est rarement contrôlé ou empiriquement testé […] » (in Margaret M McCarthy, Arthur P Arnold, 2012, Reframing sexual differentiation of the brain, Nature neuroscience, vol.14(6), p. 677-683, en ligne sur http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3165173/pdf/nihms321192.pdf).

[11] Cf Odile Fillod, 9 février 2012, « Quand Luc Ferry s’improvise expert en biologie du genre », en ligne sur http://allodoxia.odilefillod.fr/2012/02/09/luc-ferry-biologie-du-genre/.

[12] Entretien du 25/07/2012 avec le président du groupe d’experts en charge de la rédaction des programmes. Selon lui, cette mention qui ne figurait pas dans les parties « notions et contenus » (ou « connaissances ») du programme n’aurait à ce titre jamais dû être reprise dans les manuels.

[13] Extraits des programmes soulignés par moi :
– 1èresL et ES : « Ce sera également l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée » (chapeau du thème « Féminin/masculin »), et « Différencier […] ce qui relève : – de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société, qui relèvent de l’espace social; – de l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité des personnes » (colonne « compétences exigibles »);
– 1èreS : « On saisira l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. Cette distinction conduit à porter l’attention sur les phénomènes biologiques concernés. » (chapeau du sous-thème « Devenir femme ou homme »).

[14] Extraits (soulignés par moi) de manuels invitant à ce type d’interprétations :
Sciences 1reES-L, Hatier, 2011, p.182 dans le paragraphe « Être homme ou femme » : « D’un point de vue biologique, l’identité sexuelle est en principe bien définie. […] L’orientation sexuelle, qui peut parfois différer de l’identité sexuelle, ne dépend pas de caractères chromosomiques ou anatomiques, mais relève de l’intimité et des choix de vie. » ; p.184 dans le paragraphe « Compétences travaillées » : « Différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales, ce qui relève : – de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société qui relèvent de l’espace social ; – de l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité des personnes. » ;
Sciences 1resL/ES, Hachette, 2011, p.171 dans le paragraphe « Orientation sexuelle et droit français » : « L’orientation sexuelle d’une personne fait partie de sa vie privée et en conséquence doit être respectée. Le droit préserve le respect de la dignité et la personnalité des individus », et dans le « guide d’exploitation » figurant en fin de cette page : « Montrer que l’orientation sexuelle d’un individu relève de l’intimité des personnes et non de la sphère publique, et que, de ce fait, elle est protégée. ». On comprend que c’est de la non divulgation de l’homosexualité d’une personne qu’on parle ici, ces phrases devenant cocasses si on remplace « sexuelle » par « hétérosexuelle » ou « pédophile », par exemple.
Sciences 1resL/ES, Hachette, 2011, p.172 : « Le sexe biologique est caractérisé par une série d’attributs : génétiques, gonadiques et hormonaux. Il fixe un sexe femelle ou mâle et confère à l’individu une identité sexuelle. Cette identité sexuelle est un élément qui relève de l’espace social. […] En revanche, l’orientation sexuelle relève de l’intimité des personnes et donc de la sphère privée ».

[15] Au Royaume-Uni depuis 2004, en Espagne depuis 2007, en Uruguay depuis 2009, au Portugal depuis 2011 et en Argentine depuis 2012, il est possible de changer la mention « sexe » de son état civil sans avoir à subir une chirurgie génitale de réassignation de sexe. La loi pourrait évoluer bientôt en ce sens en Suède et aux Pays-Bas. Par ailleurs, l’Australie et le Danemark permettent l’obtention (dans un cadre très restreint toutefois) d’un passeport dans lequel les cases « M », « F » ou « Autre » peuvent être cochées sans être opéré. Voir la Note sur la modification de la mention de sexe à l’état civil établie en mai 2012 par la Direction de l’initiative parlementaire et des délégations (Sénat), en ligne sur http://www.senat.fr/lc/lc223/lc223.pdf.

[16] Cf la lettre de cadrage adressée par le directeur général de l’enseignement scolaire au Doyen de l’Inspection générale de l’Education nationale (« Objet : réforme du lycée – programmes du lycée », fichier daté du 28/12/2009 transmis à ma demande par la Direction générale de l’enseignement scolaire le 25/07/2012) : « Il conviendra également d’apporter une attention toute particulière […] à la lutte contre les discriminations ».

[17] Dans le chapeau du programme, il est précisé qu’ « [à] l’issue de cet enseignement, l’élève devrait être capable d’expliquer : – à un niveau simple, par des mécanismes hormonaux, les méthodes permettant de choisir le moment de procréer ou d’aider un couple stérile à avoir un enfant ». Dans le détail des notions et contenus au programme, seules les techniques de maîtrise de la procréation et de PMA utilisant les molécules de synthèse agissant sur les mécanismes hormonaux sont mentionnées.

[18] Par exemple dans le manuel Sciences 1resL/ES, Hachette, 2011, la partie concernant la PMA est introduite conformément au programme : « La prise de molécules de synthèse, sous contrôle médical, permet de concrétiser, dans certains cas, un projet de désir d’enfant [sic] chez un couple qui rencontre des problèmes de fertilité. » (p.184). La notion d’ « infertilité du couple » est au cœur de la description du contexte de la PMA qui suit, non présenté comme étant le contexte français actuel. La seule technique de PMA exposée ensuite est la stimulation ovarienne par un traitement hormonal, suivie ou non d’une fécondation in vitro avec « les spermatozoïdes du conjoint » (p. 185). La présence d’un conjoint et l’utilisation de son sperme sont présentés comme allant de soi, alors que les auteurs ont a contrario précisé dans la phrase suivante qu’on implante au maximum trois embryons à la fois en France, et p.186 que la vitrification des embryons ou des ovocytes est pour l’instant interdite en France (rem : ça n’est plus le cas depuis début 2011). Ensuite, deux pages (p.186-187) intitulées « Un enfant à tout prix » exposent certaines limites scientifiques, juridiques et éthiques des techniques de PMA. Concernant les premières, les risques médicaux présentés sont les complications possibles du traitement hormonal de stimulation ovarienne, celles de l’implantation des embryons après la FIV, ainsi que les « risques liés à une grossesse tardive à la fois pour la mère et l’enfant », la grossesse tardive étant ici définie comme intervenant « après 40 ans ». Concernant les « limites éthiques », le texte du manuel se réduit à une citation invitant à s’intéresser au sort des 130 000 embryons congelés qui « dorment » en France, citation explicitement tirée de www.genethique.org, un site géré par la Fondation Jérôme Lejeune, très impliquée dans la défense (abondamment documentée sur ce site) de positions catholiques conservatrices sur les questions de bioéthique, qui a publié plusieurs diatribes contre la « théorie du genre » comme « négation de la différence sexuelle entre l’homme et la femme », et début 2012 un « décryptage des manuels de 1e » (téléchargeable gratuitement sur http://reseau.fondationlejeune.org/presse/manuel-gender-fondationlejeune.pdf).

[19] Dans la colonne de gauche du programme, la mention « Le cadre éthique doit être discuté » suit une phrase relative à la PMA et semble donc ne concerner que celle-ci (même si c’est ambigu). Selon la colonne de droite en revanche, ce sont les limites des « méthodes de maîtrise de la procréation » qui sont censées être discutées, or la « maîtrise de la procréation » est décrite à gauche comme couvrant non seulement la PMA, mais également la contraception régulière (pilule), la pilule du lendemain et l’IVG médicamenteuse.

[20] Extraits du programme de 1èreS : dans le chapeau du programme, on peut lire que « Ces enseignements gagneront à être mis en relation avec d’autres approches interdisciplinaire (philosophie) », et dans la partie « Connaissances » : « Dans beaucoup de cas, des techniques permettent d’aider les couples à satisfaire leur désir d’enfant : insémination artificielle, Fivete, ICSI. […] Pistes : Bioéthique (philosophie) ; hormones naturelles/hormones synthétiques (chimie).». Dans la paragraphe commentant les limites de cet enseignement sur les techniques de PMA, on parle ici d’ « évoquer leur cadre éthique », versus « Le cadre éthique doit être discuté » dans le programme de 1èresL et ES, qui ne contient quant à lui aucune mention de la philosophie.

[21] Seules la contraception hormonale féminine (pilule), la pilule du lendemain et l’IVG médicamenteuse sont au programme de 1èresL et ES (alors qu’en 1èreS sont citées de manière non limitative les deux premières techniques ci-dessus, les méthodes de contraception masculine hormonale qui « se développent », et « d’autres méthodes contraceptives », « dont certaines présentent aussi l’intérêt de protéger contre les infections sexuellement transmissibles »).

[22] Dans le programme de 1èresL et ES, les deux premiers sous-thème sont intitulés « Prendre en charge de façon conjointe et responsable sa vie sexuelle » et « Devenir homme ou femme ». Dans celui de 1èreS, qui n’a pas été rédigé par les mêmes personnes, ils sont intitulés « Sexualité et procréation » et « Devenir femme ou homme ».

[23] Selon le président du groupe d’experts en charge de la rédaction des programmes (entretien du 25/07/2012). C’est cohérent avec le document de l’Académie de Strasbourg cité plus haut, indiquant qu’il s’agit d’expliquer aux élèves que le plaisir sexuel « est une affaire cérébrale », d’où le fait que « le ressenti ne dépend évidemment pas uniquement du geste (ce pourquoi justement, des agressions ne procurent aucun plaisir) ».

[24] Voir http://www.snes.edu/Consultation-sur-les-programmes-de,19203.html, 4 mai 2010 : « L’item sur le circuit de la récompense nous semble difficilement abordable sans connaissances de base sur le système nerveux. ». Voir également dans la « Synthèse des remontées académiques » du 4 juin 2010 élaborée par la Direction générale de l’enseignement scolaire suite à la consultation nationale sur les programmes organisée par les recteurs d’académie (accessible ici) : « la partie sur la sexualité et les bases biologiques du plaisir […] est jugée périlleuse, les élèves ne disposent notamment pas de connaissances sur la structure et le fonctionnement du système nerveux ».

[25] Par exemple dans le manuel SVT 1reS, Bordas, 2011, le système de récompense est présenté comme le substrat cérébral précisément localisé du déclenchement automatique de la sensation de plaisir par certaines stimulations sensorielles, sans que soit explicitée la dimension éminemment malléable, dépendant des expériences vécues, des circuits neuronaux impliqués dans le fonctionnement de ce système : « Des études scientifiques ont montré que le plaisir sexuel est associé à l’activation de zones précises du cerveau. Ces zones, interconnectées par des circuits de neurones, forment ce que l’on appelle les “systèmes de récompense” car leur activation par divers facteurs (vision, odeurs, sons, sensations tactiles…) produit automatiquement une sensation de plaisir. Le comportement sexuel humain est sous-tendu, au moins en partie, par le désir de retrouver des sensations agréables liées à l’activation de ce système complexe. Mais dans l’espèce humaine, la sexualité repose avant tout sur le désir de partager une relation avec un partenaire. » (p. 269, souligné par moi).

[26] Dans trois manuels de 1èresES et L pris au hasard examinés sur ce point, j’ai trouvé : chez Bordas un clitoris absent de la représentation détaillée des appareils génitaux à la naissance (p.168, à voir ici) ; chez Hachette un clitoris réduit à un minuscule appendice dans une vue de profil des appareils sexuels féminin et masculin (p.164, à voir ici)] ; chez Hatier une seule représentation des organes génitaux (hormis celle de l’utérus et des ovaires qui sert à expliquer le cycle menstruel), ultra schématique, dans laquelle seule la partie apparente du clitoris est représentée, et qui ne présente pas de manière symétrique la différenciation du « tubercule médian » en pénis ou en clitoris (p.180, à voir ici).

[27] Cf l’annexe de l’Arrêté du 20 juillet 2001 fixant le programme de l’enseignement de SVT en terminale S, dans le paragraphe « Aspect comportemental » du thème « Reproduction » : « Il existe une relation directe entre comportement sexuel et sécrétion hormonale. Chez les mammifères non hominidés, l’acceptation du mâle par la femelle est déterminée par la sécrétion d’œstrogènes (œstrus). Chez le mâle, le comportement de rut est dépendant de la sécrétion de testostérone et des stimulus émis par la femelle. Dissociation entre hormones et comportement sexuel : l’Homme est capable de maîtriser sa procréation. Son comportement sexuel est partiellement dissocié de son activité hormonale. ». Dans le cadre de la réforme arrêtée en 2010/2011, tout ce qui concerne la sexuation, la procréation et la sexualité a été déplacé de la terminale S vers la 1èreS.

[28] Les deux manuels de 1èreS que j’ai examinés sur ce point, dont celui du leader sur le marché des manuels de SVT (Bordas), n’en parlent pas : cf Claude Lizeaux, Denis Baude (dir.), 2011, SVT 1reS, Bordas, p. 269-270 ; Marc Jubault-Bregler (dir.), 2011, SVT 1reS, Nathan, p. 284-285.

[29] Entretien du 25/07/2012 avec le président du groupe d’experts en charge de la rédaction des programmes.

[30] L’encadré du manuel de 1èresL et ES Nathan de 2011 consacré à la présentation de l’ « Action des hormones sexuelles sur le cerveau » (p. 196, Doc.1) ne contient qu’un seul paragraphe montrant un schéma du cerveau de la rate avec les sites d’action des œstrogènes. A côté de celui-ci, il est souligné que ces sites sont localisés notamment dans des « aires cérébrales appartenant au système de récompense » mais pas dans le cortex préfrontal, et expliqué que lorsqu’on empêche la fixation des œstrogènes sur l’aire tegmentale ventrale on constate la disparition du comportement de lordose et d’accouplement chez les rates. Sur la même page, l’encadré suivant (Doc. 2 « Comparaison des cerveaux de différents vertébrés ») met en évidence le fait que le cortex, et en particulier le cortex préfrontal, est beaucoup plus volumineux chez l’Homme que chez le rat, de même que le cerveau dans son ensemble (c’est tout). A ce stade, on peut supposer que les auteurs cherchent à induire l’idée que le schéma montrant les sites d’action des œstrogènes chez la rate est aussi applicable à l’Homme (de sexe féminin au moins), et que puisque les œstrogènes n’agissent pas sur le cortex préfrontal et que celui-ci est devenu très gros chez l’Homme, les hormones sexuelles ont moins d’influence sur le système de récompense et par conséquent sur le comportement sexuel, mais qu’elles en ont toujours. L’encadré suivant précise cette interprétation (p.197, Doc. 3 « Rôle central du cortex préfrontal »), puisqu’on y apprend que « Les connexions au sein du système de récompense permettent de relier le conscient et l’inconscient et de donner un sens à nos actions pour qu’elles ne dépendent pas uniquement de nos émotions ou de l’influence des hormones sexuelles. Au sein du système de récompense, le cortex a un rôle prépondérant. En effet, il est le siège des fonctions cognitives les plus élaborées : langage, raisonnement, conscience et imagination. Il exerce un contrôle sur les comportements instinctifs comme la faim, la soif et la reproduction. ». Un schéma de cerveau humain montre ensuite notamment que l’hypothalamus est le lieu de la « genèse des comportements, en particulier sexuels », et que l’aire tegmentale ventrale prend en charge la « réaction à des stimuli associés à […] l’activité sexuelle » (ce qui permet aux élèves d’établir un lien avec le rôle de cette aire dans le déclenchement de la lordose expliqué page précédente). Plus loin sur la même page, il est expliqué que le cortex préfrontal « contrôle les comportements instinctifs », « gouverne les comportements primitifs », que les hormones sexuelles exercent une action sur « différentes aires du système de récompense », puis que « l’influence des œstrogènes est beaucoup moins importante sur le cortex », et « en conséquence, chez l’Homme et chez les Primates, par rapport aux autres mammifères, l’influence hormonale sur le cerveau devient de moins en moins importante ».

[31] Dans un cadré intitulé « vocabulaire » (p. 192), on peut lire : « Comportement sexuel : ensemble des conduites et des événements physiologiques pour la reproduction de l’espèce. Il inclut les activités qui précèdent la copulation ». A l’aune de cette définition, ne font pas partie de ce qu’on appelle « comportement sexuel » toutes les activités ne se concluant pas par un coït hétérosexuel (et donc, par exemple, la grande majorité des activités sexuelles observées chez les bonobos). La description de la sexualité humaine faite plus loin, conservant un ancrage fondamental dans la fonction de reproduction, ne remet pas en cause cette définition (p. 198 : « Dans l’espèce humaine, la sexualité est associée au plaisir et ne se limite donc pas à la fonction de reproduction. »). Dans la page « Devenir homme ou femme – L’essentiel » (p. 198), la seule mention de l’influence du social est la suivante : « Davantage associé aux fonctions cérébrales, le comportement sexuel humain est influencé par des facteurs affectifs et cognitifs dépendant aussi du contexte culturel et éducatif » (et dépendant donc aussi d’autre chose qu’on laisse deviner).

[32] L’ « étude chez la femme » présentée dans Sciences 1re L-ES, Bordas, 2011, p.181 est celle qui a été rapportée dans Wilcox et al, 2004, On the frequency of intercourse around ovulation: evidence for biological influences, Human Reproduction, vol.19(7), p.1539-1543. La lecture de cet article montre que la courbe reproduite dans le manuel Bordas n’est que la moyenne mobile sur 3 jours, et non le tracé de la fréquence journalière des coïts hétérosexuels (et non des « rapports sexuels ») observée dans cette étude. Ce dernier montre une bien plus grande variabilité, et des fréquences à J-8, J-7 et J+7 égales à celles de J-4 à J-2. La moyenne mobile n’est qu’une représentation ad hoc des données brutes mise en avant par les auteurs de l’article, dont la présentation seule sans mention du fait qu’il s’agit d’une courbe lissée est trompeuse, masquant cet aspect de la réalité non commenté ni expliqué par les auteurs (car ne servant pas leur hypothèse). Voir les courbes ci-dessous (tracé en pointillés peu visible dans l’article source mis en évidence en bleu).

[33] Cf in Wilcox et al (2004), p.1540-1541, puis p. 1542 : « The distinctive pattern of intercourse frequency across the menstrual cycle among women not trying to conceive suggests the presence of biological mechanisms that infuence intercourse. One obvious hypothesis is an increase in male or female libido with the approach of ovulation, and a decline thereafter. We did not collect information on libido and so we cannot pursue this specific question. […] There are at least three possible contributors to this pattern. One is cyclic fluctuation in women’s libido. […] Another factor in this intercourse pattern could be a cyclic increase in the woman’s sexual attractiveness. […] A third possibility is the acceleration of ovulation by intercourse. ». Il est à noter que les auteurs ne tranchent pas entre ces trois hypothèses, qu’ils estiment toutes trois étayées par des indices présentés succinctement dans l’article.

[34] Même les auteurs d’un article scientifique récent qui loin d’être critique, vise plutôt à étayer l’hypothèse d’un effet des variations des taux d’hormones ovariennes sur le désir sexuel, admettent que si « la plupart » des données scientifiques publiées sur ce sujet « confortent l’idée » que l’activité sexuelle des femmes est augmentée juste avant et au moment de l’ovulation « et peut-être prémenstruellement », les résultats de ces recherches sont cependant partiellement incohérents (source : Brown et al, 2011, Women’s sexuality, well-being, and the menstrual cycle: methodological issues and their interrelationships, Archives of Sexual Behavior, vol.40(4), p.755-765). Si le phénomène était clairement établi, il ne serait pas ainsi présenté dans cet article, et du reste de tels articles tentant de l’établir ne continueraient pas à être produits. Voir également la note [35] ci-dessous.

[35] Thém@doc « Vivre sa sexualité », document pdf daté du 18 juillet 2012 en ligne sur http://www.cndp.fr/entrepot/themadoc/vivre-sa-sexualite-les-bases-neurobiologiques-du-comportement-sexuel/presentation.html, p.11-12 (consulté le 23 juillet 2012). L’une des deux références bibliographiques citées dans ce document concernant « les bases neurobiologiques de la sexualité humaine » est le livre d’Anders Agmo, Functional and Dysfunctional Sexual Behavior, Elsevier, 2007. Or dans un paragraphe consacré aux variations du comportement sexuel des femmes durant leur cycle (p. 216), Agmo écrit que les données résultant du grand nombre d’études qui ont adressé le question des variations dépendantes du cycle menstruel dans l’intensité du comportement sexuel des femmes sont contradictoires. Il cite des études ayant rapporté un pic des rapports sexuels dans la phase folliculaire juste après les règles, d’autres dans la phase péri-ovulatoire, et une autre dans la phase lutéale juste avant les règles. Il mentionne également l’existence d’études ayant évalué d’autres aspects du comportement sexuel (fantasmes ou rêves sexuels, masturbation, désir sexuel) en indiquant que leurs résultats sont difficiles à interpréter, une intensification étant rapportée tantôt dans une phase du cycle, tantôt dans une autre phase, tantôt à aucun moment particulier du cycle. Sa conclusion est qu’ « il n’est pas possible de conclure quant à un effet du cycle menstruel sur les comportements sexuels ». Il cite également (p. 217) trois études ayant rapporté une absence d’effet de la phase du cycle sur la réaction vaginale (afflux sanguin) au visionnage d’un film pornographique ou à l’écoute de récits à caractère sexuel, et une ayant rapporté que cette réaction était à son minimum en phase péri-ovulatoire. Il conclut que s’il existe une influence du cycle menstruel sur les comportements sexuels (en dehors de la baisse pendant les règles « pouvant être expliquée par des conventions sociales »), « elle est si ténue qu’elle ne peut avoir le moindre intérêt scientifique ni pratique ». Après avoir analysé les données montrant selon lui qu’on ne peut pas non plus conclure à un effet propre de la ménopause chirurgicale ou naturelle (i.e. un effet non lié aux représentations sociales ou aux conséquences de la ménopause sur l’état de santé ou sur les relations maritales) sur l’activité sexuelle, Agmo conclut quant à lui que « chez les femmes, les données disponibles indiquent que les androgènes [secrétés par les glandes surrénales] sont responsables de l’activation des comportements sexuels tandis que les hormones ovariennes ont une importance soit marginale, soit inexistante » (p.221).

[36] Cf Paula Nicolson, 1995, The menstrual cycle, science and feminity: assumptions underlying menstrual cycle research, Social Science and Medicine, vol.41(6), p. 779-784. Anders Agmo écrit avoir été « abasourdi » lorsqu’il a découvert le nombre des études qui avaient été dédiées à la recherche d’effets du cycle menstruel sur les comportements sexuels des femmes (« il aurait du être évident, il y a plusieurs décennies déjà, que si de tels effets existaient, ils étaient trop ténus pour mériter de poursuivre les recherches »), et ne pas avoir trouvé d’explication rationnelle à un tel investissement hormis celle suggérée par P.Nicolson dans cet article qu’il cite (Agmo, 2007, op. cit., p.217-218).

[37] L’influence des hormones gonadiques sur le fonctionnement sexuel en général n’est déjà pas consensuelle, et le cas échéant cette influence peut s’expliquer par une action périphérique (ex : facilitation de l’érection chez les hommes, amélioration de la lubrification vaginale chez les femmes, etc). Cf par exemple Schmidt et al, 2009, Pharmacologically induced hypogonadism and sexual function in healthy young women and men, Neuropsychopharmacology, vol.34, p.565-576 : les auteurs rapportent notamment que chez les femmes de leur échantillon, l’hypogonadisme induit pharmacologiquement s’accompagnait essentiellement d’une diminution de la qualité des orgasmes (vs des niveaux de fantasmes érotiques, de désir du partenaire, d’excitation durant les rapports sexuels, de fréquence de masturbation, de fréquence des rapports sexuels, etc), et que l’administration d’œstradiol ou de progestérone n’améliorait pas le fonctionnement sexuel. Dans la partie introductive de leur article, on peut lire ceci : « A role for sex steroids in the regulation of sexual function in men and women has been inferred from several observations. […] Despite these findings, the role of gonadal steroids in the regulation of sexual function in humans remains controversial for several reasons. First, the results of therapeutic trials are difficult to interpret since hormone therapy may have effects independent of those on sexual function. For example, mood, energy, muscle mass, and strength improve with androgen therapy and might, therefore, contribute indirectly to the observed beneficial effects of androgens on sexual functioning (Grinspoon et al, 2000). Second, the results of basal hormone studies are inconsistent, since men and women with low sex hormone levels do not uniformly report low levels of sexual function (Travison et al, 2006; Santoro et al, 1996; Burger et al, 1995, 1999, 2000; Leiblum et al, 2006; Sternbach, 1998; Bachmann et al, 1985; Greendale et al, 1996; Davidson et al, 1983; Vermeulen, 2001). Finally, a substantial proportion of both men and women (30–50%) report no change in libido after medical or surgical castration despite obvious losses of reproductive endocrine function (Bagatell et al, 1994; Bremer, 1959; Dennerstein et al, 1977, 2002; Chakravarti et al, 1977; Tauber, 1940; Elit et al, 2001; Madalinska et al, 2005; Zussman et al, 1981). »

[38] Citation extraite de Claire Hédon, « Odeurs et sexualité », 24 février 2011, blog de l’émission Priorité Santé de RFI, en ligne sur http://prioritesante.blogs.rfi.fr/article/2011/02/24/odeurs-et-sexualite. Cet effet de la copuline a notamment été décrit – entre autres mythes savants – dans deux documentaires multi-diffusés à la télévision française : dans La biochimie du coup de foudre (1997) par le pharmacologue Pierre Bustany, et dans Du baiser au bébé (2005) par l’éthologue René Zayan. En l’état actuel des connaissances, l’organe chargé de la détection des phéromones dans d’autres espèces (organe voméronasal) n’est pas fonctionnel dans la nôtre. Par ailleurs, l’existence d’aucune modification biologique ou réaction stéréotypée susceptible d’influencer le comportement sexuel humain, induite de manière non conditionnée par l’inhalation d’une substance volatile émise par un congénère, n’a pu être scientifiquement établie.

[39] Ces données font l’objet d’une abondante littérature. Pour ne citer qu’Agmo (2007, op. cité, p.207-211), qui a servi de source directe ou indirecte aux auteurs de plusieurs des supports pédagogiques cités ici, notons qu’il indique que chez certains rongeurs tant les œstrogènes que les androgènes (via leurs récepteurs respectifs dans le cerveau) jouent un rôle dans la production du comportement copulatoire des mâles, alors que chez d’autres la stimulation des récepteurs des androgènes suffit ; que chez les autres mammifères c’est encore plus variable, avec par exemple les mâles lapins et macaques rhésus chez qui l’administration d’œstrogènes est sans effet et celle d’androgènes suffit, alors que les porcs et les béliers semblent avoir besoin de la stimulation simultanée de ces deux types de récepteurs. Concernant les comportements de reproduction des femelles chez les mammifères, Agmo souligne que la progestérone joue un rôle facilitateur mais pas dans toutes les espèces, et que pour cela elle doit être administrée soit après, soit avant les œstrogènes selon l’espèce. Chez les femelles primates, il juge que les effets du cycle menstruel ne sont pas nets, ni ceux de l’ovariectomie qui lorsqu’ils sont observés pourraient être attribuables aux modifications du comportement des mâles, les femelles ovariectomisées devenant beaucoup moins attrayantes. Il relève que chez le macaque ours, le comportement sexuel des femelles semble entièrement indépendant à la fois des œstrogènes, de la progestérone et des androgènes. Il considère que le champ des recherches sur le rôle des hormones dans le comportement sexuel des femelles primates est dans un tel « état de confusion » qu’on ne peut que conclure qu’il « reste mystérieux ».

[40] Cf Schaeffer et al, 1990, Lordosis behavior in intact male rats: effects of hormonal treatment and/or manipulation of the olfactory system, Hormones and Behavior, vol.24(1), p.50-61 (lordose chez le rat mâle); Hendricks et al,1982, Responses to copulatory stimulation in neonatally androgenized female rats, Journal of Comparative and Physiological Psychology, vol.96(5), p. 834-845 (dans cette expérience, des rates « masculinisées » par une administration néonatale de testostérone montraient initialement peu ou pas de comportements de réceptivité sexuelle, mais le fait d’être soumises à des montes développait ces comportements); Resko et al, 1996, Endocrine correlates of partner preference behavior in rams, Biology of Reproduction, vol.55, p.120-126 (sur les béliers); Bodo C., Rissman E.F., 2007, Androgen receptor is essential for sexual differentiation of responses to olfactory cues in mice, European Journal of Neuroscience, vol.25(7), p.2182-2190 (sur les souris).

[41] Cf dans la présentation du comportement sexuel des mammifères non primates : « Que ce soit chez le mâle ou chez la femelle, trois phases de comportements se distinguent : une phase d’attraction, une phase précopulatoire et une phase de copulation. » (p.168). Les exemple donnés sont toujours présentés par paire (femelles, mâles), l’un d’entre eux mettant en lien le comportement de la chèvre et la variation du niveau de LH (non d’œstrogènes). Dans les exercices (p. 177), la présentation est à nouveau symétrique, l’un portant sur l’effet de la testostérone sur le comportement sexuel des rongeurs mâles, l’autre sur l’effet des œstrogènes sur celui des rates.

[42] Cf la synthèse accessible ici, élaborée par la Direction générale de l’enseignement scolaire (en charge du pilotage des modifications des programmes), des remontées académiques faites sur le projet de programme accessible ici. Par ailleurs, selon le compte rendu fait par le SNES de la séance du CSE du 1er juillet 2010, le doyen de l’Inspection générale a présenté le programme de 1èresL et ES comme ayant été « assez peu retouché » ( !) et ayant fait l’objet de « peu de suggestions lors de la consultation ».

[43] Serge Wunsch est un ancien éducateur. C’est dans le cadre d’une démarche de recherche-action, en tant qu’acteur militant du secteur socio-éducatif désireux de tirer parti des apports des neurosciences, qu’il s’est intéressé à la neurobiologie des comportements. Il s’est finalement inscrit en thèse à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) sur les conseils et avec l’aide du psychiatre et sexologue Philippe Brenot, qui l’a codirigée en tant que tuteur (ce dernier n’est en effet pas habilité à diriger des recherches). Soutenue en 2007, cette thèse vise à mettre en avant « le rôle et l’importance des processus de renforcement dans l’apprentissage du comportement de reproduction chez l’Homme » en s’appuyant sur les résultats de deux recherches : une analyse de la littérature (neuroscientifique notamment), et une enquête destinée à évaluer l’importance des processus de renforcement dans le comportement sexuel (enquête par questionnaire réalisée en ligne en 2005/2006 auprès de personnes recrutées via des sites Internet dédiés à la sexualité). Co-auteur avec Philippe Brenot de cinq articles publiés dans des revues professionnelles médicales en 2004 et 2005 (Sexologies, Médecine sexuelle et NeuroPsy News), et seul auteur en 2010 d’un article publié dans une revue professionnelle consacrée à la bisexualité (Journal of Bisexuality), Serge Wunsch n’a en revanche publié aucun article dans une revue scientifique, et aucun article avec sa directrice de thèse (Marie-Christine Lombard, directrice d’une unité de recherche rattachée à l’EPHE, l’INSERM et l’Institut François Magendie, dont la carrière de recherche a été entièrement consacrée à l’exploration chez le rat des mécanismes neurobiologiques de perception de la douleur). Il n’est actuellement rattaché à aucun organisme de recherche en neurosciences. Après sa thèse, Serge Wunsch a continué à travailler aux côtés de Philippe Brenot en tant qu’expert pour l’Observatoire International du Couple (OIC) fondé par ce dernier, par exemple en donnant une conférence sur la « neurobiologie du sexe et de l’amour » en 2011 dans le cadre d’une « journée scientifique ouverte à tous » organisée par l’OIC, et surtout en contribuant à l’enquête par Internet qui a donné lieu à la publication par Philippe Brenot de deux livres destinés au grand public (et aucune publication scientifique) : Les hommes, le sexe et l’amour (2011, éd. Les Arènes), et Les femmes, le sexe et l’amour (2012, éd. Les Arènes). Le site de l’OIC mentionne la thèse de Serge Wunsch comme étant la première enquête réalisée dans le cadre de l’OIC, dont il est membre du comité scientifique en tant que “neurobiologiste”. Pour l’année 2012/2013, il est également chargé de cours sur la « Neurobiologie de la sexualité » dans le DIU de sexologie de l’Université Paris V dans lequel Philippe Brenot est directeur d’enseignement. Principales sources : Serge Wunsch, Rôle et importance des processus de renforcement dans l’apprentissage du comportement de reproduction, chez l’homme, Thèse de l’EPHE, 2007, en ligne sur http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00447422/fr/; http://www.sens-public.org/spip.php?auteur951 consulté le 14/07/2012 ; échanges par mails avec S. Wunsch les 16, 17, 18, 19 et 20 juillet 2012 ; http://couple.asso.fr/page/index.php?id=5 consulté le 08/08/2012 ; http://sexologie-paris5.fr/programme%20sexo.html consulté le 09/08/2012. http://www.agoravox.fr/auteur/wunsch consulté le 09/08/2012.

[44] S’il n’a pas été personnellement impliqué dans la rédaction des nouveaux programmes de SVT de 1ère, il a indiqué sur www.sens-public.org que ses « travaux concernant les bases neurobiologiques du comportement sexuel ont été intégrés dans les nouveaux programmes de l’Éducation Nationale » (cf http://www.sens-public.org/spip.php?auteur951 consulté le 14/07/2012). Par ailleurs, l’éditeur Belin l’a sollicité lors de l’élaboration du nouveau manuel de SVT, l’auteur de passages clés du manuel Bordas a utilisé sa thèse (trouvée sur Internet et lui semblant sérieuse du fait du rattachement institutionnel de M.-C. Lombard), le CNDP lui a confié la rédaction du Thém@doc « vivre sa sexualité », et sa thèse est mentionnée dans la bibliographique de ce dernier ainsi que dans celle du document de l’académie de Strasbourg cité plus haut. La similitude entre le résumé de sa thèse, la mention intégrée au programme, et certains passages des manuels Belin et Bordas est assez parlante (on notera cependant le glissement du conditionnel à l’indicatif) :
– Extrait du résumé de thèse : « À l’issue de l’analyse des données disponibles, il semblerait que les principaux facteurs biologiques innés ([…]), à l’origine du comportement de reproduction des mammifères inférieurs, aient été modifiés au cours de l’évolution. Les facteurs hormonaux et phéromonaux seraient devenus marginaux tandis que les processus de renforcement et les facteurs émotionnels et cognitifs seraient devenus prépondérants. Apparemment, ce sont toujours les mêmes facteurs qui seraient à l’origine de la reproduction chez tous les mammifères, mais, comme l’importance relative de ces facteurs change au cours de l’évolution, la dynamique comportementale serait différente. […] En conclusion […], il semblerait, dans l’espèce humaine, qu’il n’existerait [sic] plus de comportement de reproduction inné, mais, dû aux relations spécifiques et prépondérantes entre les processus de renforcement et les zones érogènes, il apparaîtrait un nouveau comportement dont le but est la stimulation du corps. Ce comportement, qui pourrait être qualifié d’érotique, induirait, indirectement, l’acquisition de la séquence cruciale du coït vaginal.
– Extrait du programme de 1èresES et L : « Le comportement sexuel chez les mammifères est contrôlé, entre autres, par les hormones et le système de récompense. Au cours de l’évolution, l’influence hormonale dans le contrôle du comportement de reproduction diminue, et corrélativement le système de récompense devient prépondérant dans la sexualité de l’Homme et plus généralement des primates hominoïdes. »
– Extrait du manuel Belin (p.137) : « La synthèse des données neurobiologiques, éthologiques et ethnologiques permet de distinguer deux types de comportement sexuel chez les mammifères. Le comportement de reproduction, centré sur la copulation, est typique des mammifères non primates. Ce comportement “précablé” dans le cerveau est contrôlé par les hormones, les phéromones et des réflexes sexuels innés. Mais au cours de l’évolution des primates, l’influence des hormones et des phéromones diminue, tandis que l’influence de la cognition et du système de récompense cérébral augmente. […] Les récompenses cérébrales, perçues comme sensations érotiques intenses, deviendraient le principal facteur à l’origine des activités sexuelles. Chez les hominidés, le comportement qui permet la reproduction deviendrait un “comportement érotique”, caractérisé par la stimulation du corps et des zones érogènes, ainsi que par la maximalisation du plaisir. ».
– Extrait du manuel Bordas (p. 182, partie A « Le comportement sexuel humain ») : « [chez] les mammifères non hominoïdes (rongeurs, ovins, bovins…), on remarque que la séquence comportementale qui permet la copulation est totalement stéréotypée : la femelle se met en position de lordose ou reste immobile, tandis que le mâle la monte par derrière, la pénètre, puis effectue une série de poussées jusqu’à l’éjaculation. Ce comportement inné dépend de circuits “précablés” dans le cerveau, de l’influence des hormones (testostérone, œstradiol), mais aussi des phéromones sexuelles. Ces dernières sont émises dans l’air par les animaux des deux sexes et jouant un rôle fondamental dans l’attraction sexuelle. […] En revanche, quand on observe le comportement sexuel des primates hominoïdes, et surtout celui de l’être humain, on remarque la présence d’activités variées (caresses, baisers,…) qui ne semblent pas directement liées à l’acte reproducteur. […] Le rôle des hormones et des phéromones étant faible, le facteur majeur de l’apprentissage du comportement érotique serait la mise en jeu des mécanismes cérébraux du “renforcement” (voir doc. 3). L’évolution du “comportement de reproduction” vers un “comportement érotique” est graduelle : elle traduit l’évolution du cerveau des mammifères. »

[45] Lorsque j’ai pris contact avec S. Wunsch en lui disant que j’avais remarqué que le contenu du thème “vivre sa sexualité” du programme était très proche de l’idée générale développée dans sa thèse, il m’a répondu en précisant : « Seules les données compatibles avec les représentations sociales dominantes de la sexualité ont été reprises. » (mail du 17 juillet 2012). Voir par exemple l’exposé en page 4 de sa thèse des faits concernant la sexualité du bonobo, qu’il qualifie d’ « espèce animale la plus proche de l’homme », qui tranche par rapport à ce qu’on peut lire dans les manuels scolaires : les bonobos sont tous bisexuels, consacrent environ 1/3 de leurs activités sexuelles à deux à des rapports homosexuels, et environ les 3/4 de leurs activités sexuelles à des activités non-reproductives (incluant la masturbation, l’utilisation d’objets, les activités oro-génitales, en groupe, etc). Voir également la description du comportement sexuel humain qui suit celle du bonobo en des termes qu’on chercherait en vain dans les manuels scolaires : activités bisexuelles, hétérosexuelles ou homosexuelles exclusives ou non, autoérotiques, avec un ou plusieurs partenaires de manière successive ou simultanée, avec des animaux, comprenant des activités oro-orales, oro-génitales, génito-génitales ou anales, des caresses sensuelles, l’utilisation d’objet ou d’aliments, en combinaison avec d’autres activités hédoniques (orgies), pouvant débuter « dès l’âge de 4-5 ans (soit bien avant la puberté) », et pouvant être réalisées « pour le plaisir, la procréation, la conformité aux normes sociales ou dans le cadre de rituels, de pratiques religieuses ou spirituelles ». La thèse de S. Wunsch vise à élaborer une théorie capable de rendre compte de ces faits, et dans cette optique passe très vite sur la question de l’influence résiduelle des hormones sur les comportements sexuels humains (p 29-33) : sa revue de la littérature sur ce point vise uniquement à montrer que rien n’indique qu’il existe chez l’Homme « un contrôle hormonal inné d’un ensemble organisé de séquences motrices destinées spécifiquement à la réalisation du coït vaginal reproducteur ».
Lorsque j’ai mis en cause la solidité de l’étayage de ses conclusions relatives aux effets résiduels des hormones sur la motivation sexuelle humaine, il m’a indiqué que « pour les effets hormonaux », c’était « principalement les travaux d’Anders Agmo » qu’il utilisait, et qu’il jugeait « plus fiable » de se baser sur les travaux de « spécialistes » tels que lui plutôt que « d’utiliser quelques dizaines d’articles », se déclarant incapable de « comprendre toutes les subtilités » des articles d’un domaine dans lequel il n’est pas spécialiste et n’a pas réalisé d’expérimentation. Dans le Thém@doc « Vivre sa sexualité » du CNDP, les deux seules références bibliographiques citées en « neurosciences » sur « les bases neurobiologiques de la sexualité humaine » sont le livre d’Anders Agmo (Functional and Dysfunctional Sexual Behavior, Elsevier, 2007) et la thèse de Serge Wunsch.

9 réflexions sur « Genre et SVT : copie à revoir »


  1. Si l’idée était de profiter des cours de SVT pour aider à lutter contre les discriminations, conformément à la lettre de cadrage de la réforme des programmes [16], pourquoi ne pas s’en être tenu à un énoncé clair et factuel, tel que la mention du fait que les discriminations fondées sur le sexe ou sur l’orientation sexuelle sont passibles de poursuites en droit français, ou encore (ce qui mériterait d’être su davantage) que la diffamation et l’injure à caractère sexiste ou homophobe le sont aussi, au même titre que celles à caractère raciste ou antisémite ?

    Euhh, votre billet parle du programme de SVT ou du programme d’instruction civique ??

    1. Le fait est que le programme (et les manuels de SVT à sa suite) incorpore ici quelque chose qui s’apparente à de l’instruction civique.
      Je ne fais que suggérer une autre formulation – claire et factuelle, contrairement à la formulation actuelle – de ce point du programme.
      Mais je suis bien d’accord avec vous : ça n’a absolument rien à faire en SVT.


  2. On peut également douter que les enseignants de SVT disposent du temps et des ressources conceptuelles et pédagogiques nécessaires à un traitement correct de ces questions aussi complexes que sensibles. Si l’on tient vraiment à initier les élèves à ces débats, les enseignants de philosophie (et les auteurs de manuels de philosophie) paraissent mieux placés pour ce faire, comme cela est suggéré dans le programme de 1èreS, mais curieusement pas dans celui de 1èresL et ES.

    Sur ce point, je suis totalement d’accord avec vous.
    En SVT, on doit faire des sciences, et que des sciences.
    La philosophie est effectivement la bonne discipline pour discuter du “quoi faire” avec les techniques que les connaissances scientifiques rendent possible.

    1. Merci pour votre représentation du clitoris en 3 D (article libération).

      ce serait bien de trouver sur votre blog un dessin montrant l’interconnexion du clitoris avec les autres parties de l’appareil génital féminin (vulve, vagin, utérus).

      Merci par avance, cette représentation complète me semble très importante.

      1. Je ne comprends pas bien ce que vous entendez par “interconnexion”, le clitoris n’étant pas plus “interconnecté” avec les autres parties de l’appareil génital que le pénis ne l’est avec les autres organes de la zone. Est-ce eu égard à ce qu’on trouve écrit sur certains blogs, et malheureusement aussi dans certains articles de presse, à savoir que le clitoris aurait des “ramifications” dans les autres organes que vous citez (voire dans l’anus !) ?
        Si vous voulez simplement parler de la position du clitoris par rapport aux autres organes, vous trouverez des dessins ou animations qui l’indiquent :
        – sur https://odilefillod.wixsite.com/clitoris/anatomie et sur https://odilefillod.wixsite.com/clitoris/outils,
        – sur https://www.unige.ch/ssi/ressources/outils-pedagogiques/ (voir les schémas mis en ligne il y a 2 jours).

  3. Bonjour Odile,

    Déjà félicitations et merci pour ce blog et tout le travail d’analyse que tu y apporte et nous fait partager.

    J’aurais une question, en lien avec les hormones sexuelles:

    Dans cet article du huff post, il est écrit sur la diapositive en bas de page que “On imagine qu’hommes et femmes ont des hormones différentes : testostérones pour les premiers, œstrogènes pour les secondes.
    Faux. La seule différence tient dans les niveaux de ces hormones. Et encore, ces derniers varient davantage en fonction des individus que des sexes.”

    Je sais que la première partie de l’affirmation est juste, qu’en est-il de la seconde? Est-il possible d’avoir une source “fiable”? (je me méfie de la presse maintenant 8)).

  4. Malgré cet excellent article, le fait d’avoir vu écrit “sexe anatomique (sphère privée)” m’a fait rire tout en me crispant.

    On aimerait bien que le sexe anatomique soit de la sphère privée. On aimerait bien.
    Mais pour les femmes, ça n’est pas possible.

    Notre sexe anatomique est exhibé au monde sans notre consentement. Quand des hommes nous agrippent les seins à la sortie du métro, notre sexe anatomique n’est pas privé. Quand on va à Planned Parenthood dans le sud des États-Unis et que des hordes de pro-lifers nous huent et bousculent car ils savent que nous allons commettre, à leurs yeux , “un meurtre”, notre sexe anatomique n’est pas privé. Quand nous témoignons par centaines à la barre en décrivant en détails notre viol, notre sexe anatomique n’est pas privé.

    Évoluer dans un corps anatomiquement féminin (au sens de “femelle”, l’anglais m’aurait mieux permis de tourner cette phrase), c’est se voir dépouillée de cette vie privée.

  5. Bonjour,

    J’ai lu récemment l’ouvrage de S. Wunsch “Comprendre les origines de la sexualité humaine”, et j’ai fait un rapprochement avec votre travail. Dans cet ouvrage, il cite notamment J. Balthazart, sans avoir analysé les biais de ce chercheur.
    En voulant le contacter pour lui indiquer vos travaux, j’ai appris qu’il était malheureusement décédé en 2018. C’est vraiment triste et dommage. Une édition de son ouvrage revue notamment à la lumière de vos travaux serait formidable.

    Merci infiniment pour votre travail,

    Anonyme

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *